Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20190912


Dossier : T‑1711‑17

Référence : 2019 CF 1169

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 septembre 2019

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

KARL NEPP

demandeur

et

KF AEROSPACE

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  APERÇU

[1]  Karl Nepp travaillait pour KF Aerospace en tant que technicien principal d’entretien d’aéronef lorsque son fils est décédé en mars 2015. Il avait travaillé pour l’entreprise pendant 20 ans.

[2]  KF Aerospace est une compagnie d’aviation privée établie à Kelowna, en Colombie‑Britannique. L’entreprise fournit entre autres des services d’entretien d’aéronef et exploite deux flottes d’avions‑cargos. À l’époque pertinente, l’entreprise comptait plus de 800 employés à quatre endroits au Canada : Kelowna, Portage la Prairie, Vancouver et Hamilton. M. Nepp travaillait à l’installation de Hamilton.

[3]  Après le décès de son fils, M. Nepp a fait une dépression et a été victime d’anxiété et de crises de panique. Il a dû prendre congé pour se rétablir. Du 11 mai au 31 juillet 2015, il a été en congé d’invalidité de courte durée. Son assureur a jugé qu’il était médicalement apte à retourner au travail le 1er août 2015, mais M. Nepp a demandé à son employeur s’il pouvait prendre plus de temps de congé. Comme il l’a écrit dans son courriel à Grant Stevens, le directeur des ressources humaines, il avait besoin de temps [traduction] « pour s’occuper de plusieurs enjeux personnels qui ne [pouvaient] être réglés efficacement que [s’il pouvait se] dévouer à temps plein à leur résolution ». Il a demandé un congé jusqu’à janvier 2016.

[4]  M. Nepp n’a pas mentionné le décès de son fils dans le courriel, mais il devait être évident pour M. Stevens qu’il s’agissait de la raison sous‑jacente à la demande. Dans son courriel en réponse daté du 6 août 2015, M. Stevens a commencé par mentionner à M. Nepp qu’il était [traduction] « profondément attristé par [sa] perte ». M. Stevens a ensuite mentionné à M. Nepp que l’entreprise avait décidé de lui permettre de prendre des vacances du 3 au 27 août 2015, puis de prendre un congé non payé du 28 août au 31 octobre 2015. M. Stevens a ajouté ce qui suit : [traduction] « Novembre devrait être un mois très occupé, et vous devrez être de retour au travail à ce moment‑là ou nous devrons vous remplacer ».

[5]  Moins de deux semaines plus tard, le 17 août 2015, M. Nepp et quelque 27 autres employés de l’installation de Hamilton ont reçu des avis de mise à pied. Dans les avis, il était expliqué que les mises à pied découlaient de la perte de deux contrats majeurs plus tôt, cette année‑là (un certain nombre d’autres mises à pied ont eu lieu ailleurs au sein de l’organisation vers la même époque.) Les employés mis à pied étaient informés, entre autres, que la mise à pied pourrait durer jusqu’à trois mois. Si les employés n’étaient pas rappelés dans les trois mois, il serait mis fin à leur emploi comme l’exigeait le Code canadien du travail. Cependant, les employés pouvaient demander que leur mise à pied soit convertie en mise à pied permanente sans option de rappel au travail, ce qui leur donnerait droit à une paie de deux semaines à titre d’indemnité de préavis et de départ.

[6]  Le 22 août 2015, M. Nepp a choisi l’option de mise à pied permanente.

[7]  Le 24 novembre 2015, M. Nepp a déposé une plainte contre KF Aerospace auprès de la Commission canadienne des droits de la personne [la Commission]. Il alléguait que KF Aerospace avait fait preuve de distinction illicite contre lui, en raison de sa déficience et de sa situation de famille, lorsqu’il avait été sélectionné pour la mise à pied.

[8]  Après avoir été informée de la plainte, KF Aerospace a offert de réintégrer M. Nepp dans ses fonctions, mais ce dernier a refusé cette offre.

[9]  La plainte a mené à une enquête. Le 26 juin 2017, l’enquêteuse a terminé son rapport, dans lequel elle a fait une recommandation portant qu’un examen plus poussé n’était pas justifié.

[10]  Dans une décision datée du 4 octobre 2017, la Commission a décidé, par application du sous‑alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H‑6, de rejeter la plainte [traduction] « parce que, compte tenu de toutes les circonstances de la plainte, un examen plus poussé n’est pas justifié ».

[11]  M. Nepp présente maintenant une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de cette décision au titre de l’article 18.1 de la Loi sur les cours fédérales, LRC 1985, c F‑7. Il prétend que l’enquête sur sa plainte était entachée d’un vice de procédure et que la décision de la Commission était déraisonnable.

[12]  Pour les motifs qui suivent, je conviens que la décision est déraisonnable. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie, et l’affaire sera renvoyée à la Commission pour nouvelle décision.

II.  LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[13]  Dans une lettre d’une page datée du 4 octobre 2017, la Commission a informé M. Nepp qu’elle rejetait sa plainte contre KF Aerospace.

[14]  Dans la lettre, il était expliqué qu’avant de rendre sa décision, la Commission avait examiné le rapport d’enquête et les observations subséquentes des parties en réaction au rapport. La Commission n’a pas expliqué le raisonnement l’ayant menée à rejeter la plainte, à part le commentaire selon lequel, [traduction] « compte tenu de toutes les circonstances de la plainte, un examen plus poussé n’est pas justifié ». Cependant, conformément au principe bien établi, les parties conviennent que le rapport préparé par l’enquêteuse, daté du 26 juin 2017, fait partie des motifs de la décision (Canada (Procureur général) c Sketchley, 2005 CAF 404, aux par. 37 et 38).

[15]  Après avoir examiné certaines questions préliminaires liées à la procédure suivie par la Commission lorsqu’elle reçoit une plainte, la partie principale du rapport d’enquête commence par l’observation selon laquelle, à la lumière des renseignements fournis par les parties, il n’a pas été mis fin à l’emploi de M. Nepp, mais celui‑ci a plutôt remis sa démission. Par conséquent, le rapport se concentre sur l’allégation selon laquelle il aurait été défavorisé en cours d’emploi, plutôt que sur la cessation d’emploi. Cette décision ne soulève aucun problème.

[16]  Le rapport présente ensuite un exposé circonstancié de six pages relativement au contexte factuel et à la chronologie de la plainte. L’enquêteuse souligne avoir rencontré en entrevue M. Nepp et trois représentants de KF Aerospace. Elle a aussi examiné la preuve documentaire qui avait été présentée ainsi que les observations écrites des parties. Le rapport énonce un certain nombre de constatations factuelles fondées sur l’enquête ainsi que les conclusions de l’enquêteuse, notamment sa recommandation portant qu’un examen plus poussé n’était pas justifié.

[17]  L’enquêteuse a tiré les conclusions suivantes :

  • Parmi les employés mis à pied en même temps que lui, M. Nepp était celui qui travaillait pour la défenderesse depuis le plus longtemps, mais [traduction] « cela ne signifie pas que le motif de la mise à pied était lié à sa déficience alléguée »;

  • M. Nepp a prétendu qu’il n’aurait pas été sélectionné pour la mise à pied, n’eût été son absence continue du travail pour des raisons de santé, mais [traduction] « il semble que la décision de procéder à des mises à pied à Hamilton découlait d’un manque de travail dans cette installation après la perte des contrats de Purolator et de Postes Canada en mars 2015 »;

  • Lorsque KF Aerospace a remis l’avis de mise à pied à M. Nepp, le 17 août 2015, il était encore en congé (il était en congé depuis le 11 mai 2015), mais la preuve [traduction] « ne révèle pas que [KF Aerospace] aurait dû savoir que cette absence du travail était liée à une déficience, puisque l’assureur avait mentionné que [M.Nepp] était apte à retourner au travail ». En outre, M. Nepp lui‑même n’avait jamais associé son besoin de plus de temps de congé à une déficience, mais il avait simplement demandé le congé pour [traduction] « des raisons personnelles »;

  • Lorsque M. Nepp a été mis à pied, il était en congé jusqu’au 31 octobre 2015, [traduction] « ce qui signifie que la décision de le mettre à pied n’avait pas d’incidence sur lui, parce qu’il aurait, de toute façon, été en congé sans solde à ce moment‑là »;

  • Vu l’ensemble de la preuve, la décision de KF Aerospace de mettre à pied M. Nepp le 17 août 2015 [traduction] « ne semble pas liée à sa déficience. Par conséquent, l’enquête ne sera pas poussée plus loin ».

[18]  En résumé, l’enquêteuse a conclu ainsi :

[traduction]

Selon la preuve, la décision [de KF Aerospace] de mettre à pied [M. Nepp] ne semble pas liée au motif allégué. La preuve appuie la proposition selon laquelle la décision [de KF Aerospace] de mettre à pied [M. Nepp] découlait d’un manque de travail aux installations de Hamilton.

III.  LA NORME DE CONTRÔLE

[19]  Les normes de contrôle que la Cour doit appliquer sont bien établies et ne sont pas contestées en l’espèce. Les questions d’équité procédurale, y compris celle de savoir si l’enquête de la Commission était suffisamment approfondie, sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte. Par ailleurs, la Cour doit établir si la décision de la Commission, examinée dans son ensemble, était raisonnable (Joshi c Banque Canadienne Impériale de Commerce, 2015 CAF 92, au par. 6).

[20]  Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable « s’intéresse au caractère raisonnable du résultat concret de la décision ainsi qu’au raisonnement qui l’a produit » (Canada (Procureur général) c Igloo Vikski Inc, 2016 CSC 38, au par. 18). La cour de révision examine « la justification de la décision, […] la transparence et […] l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi [que] l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c NouveauBrunswick, 2008 CSC 9, au par. 47). Les motifs de la décision répondent aux critères « s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c TerreNeuveetLabrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au par. 16). La cour de révision ne doit intervenir que s’il n’est pas satisfait à ces critères. Il n’appartient pas à la cour de révision d’apprécier à nouveau la preuve ou de substituer ses propres conclusions à celles de la Commission (Wong c Canada (Travaux publics et Services gouvernementaux), 2018 CAF 101, au par. 24 [Wong]).

[21]  Par conséquent, même si aucune déférence n’est due à la Commission lorsqu’il est question d’équité procédurale, sa décision appelle un niveau élevé de retenue judiciaire, puisqu’elle fait intervenir l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Commission et est entièrement tributaire des faits (Wong, au par. 24). Si les conclusions de fait de la Commission sont raisonnables, « la question est alors de savoir si la décision de rejeter la plainte était raisonnable, en ayant à l’esprit que la décision a clos l’affaire, ce qui pourrait rendre plus restreint l’éventail des issues possibles acceptables » (Attaran c Canada (Procureur général), 2015 CAF 37, au par. 14, et Keith c Canada (Service correctionnel), 2012 CAF 117, au par. 48).

IV.  LES QUESTIONS EN LITIGE

[22]  Comme il a été mentionné ci‑dessus, M. Nepp soutient que la procédure suivie par la Commission était entachée d’un vice et que sa décision est déraisonnable.

[23]  Comme je vais maintenant l’expliquer, je conviens que la décision est déraisonnable. Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’aborder les vices de procédure allégués par M. Nepp.

V.  ANALYSE

[24]  La Commission s’acquitte d’une importante fonction d’examen préalable. Elle ne tranche pas une plainte sous le régime de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Son rôle consiste plutôt « à déterminer si, aux termes des dispositions de la Loi et eu égard à l’ensemble des faits, il est justifié de tenir une enquête » (Cooper c Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 RCS 854, au par. 53; Halifax (Regional Municipality) c NouvelleÉcosse (Human Rights Commission), 2012 CSC 10, aux par. 23 et 24) [Halifax (Regional Municipality)]. Cette décision est fondée sur un critère peu exigeant, et « [i]l suffit que la Commission estime que la preuve fournit une justification raisonnable pour passer à l’étape suivante » (Southern Chiefs Organization Inc c Dumas, 2016 CF 837, au par. 27). Bien que le rôle de la Commission suppose nécessairement un minimum d’appréciation du bien‑fondé de la plainte, la Commission « ne rend aucune décision définitive sur l’issue de la plainte » (Halifax (Regional Municipality), au par. 24).

[25]  Comme cela a été établi ci‑dessus, les conclusions de fait tirées par la Commission exigent d’un tribunal de révision qu’il fasse preuve de retenue judiciaire. Cela dit, la Commission doit tirer les conclusions de fait nécessaires pour trancher l’affaire. Ne pas le faire pourrait mener à une décision qui ne serait ni justifiée, ni transparente, ni intelligible (Lloyd c Canada (Procureur général), 2016 CAF 115, au par. 24; Komolafe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 431, au par. 11).

[26]  Il n’a pas été contesté que les changements liés à l’environnement d’affaires de KF Aerospace en 2015 avaient exigé d’importants rajustements de ses effectifs, à tout le moins de façon temporaire, y compris dans les installations de Hamilton. La question centrale sous‑jacente à la plainte que M. Nepp a déposée devant la Commission consistait à savoir s’il avait été victime de distinction illicite fondée sur une déficience ou sa situation de famille lorsqu’il a été sélectionné et inclus dans la mise à pied. Malheureusement, le rapport de l’enquêteuse ne tient pas compte de l’aspect central de la plainte.

[27]  L’enquêteuse avait demandé au directeur des ressources humaines, M. Stevens, quels critères avaient été utilisés pour sélectionner les employés mis à pied aux installations de Hamilton (installations parfois appelées YHM — les lettres du code de son aéroport — dans le dossier). M. Stevens a répondu ainsi dans un courriel :

[traduction]

Les mises à pied ont été élaborées en fonction de ce qui suit :

1)  les niveaux d’employés requis prévus pour soutenir YHM (c.‑à‑d. le nombre d’employés d’entrepôt requis pour faire les quarts, le nombre de structures, le nombre de mécaniciens, etc.) à la lumière d’une estimation approximative de la charge de travail future;

2)  nous avons ensuite conservé les employés affichant le meilleur rendement par corps de métier/service, selon le rendement au travail, les compétences, les qualifications, l’attitude, les capacités et les efforts déployés. Nous ne tenons pas compte de l’ancienneté, puisque la loi permet à l’employeur de conserver les employés les mieux qualifiés pour former l’équipe pouvant fournir le meilleur rendement.

[28]  M. Stevens a répété cette explication en réponse à une question de suivi de l’enquêteuse lui demandant d’expliquer de quelle façon M. Nepp avait été sélectionné en vue de la mise à pied. M. Stevens a écrit ce qui suit : [traduction] « Nous prenons les décisions en matière de mise à pied à la lumière des compétences, de la productivité, du niveau d’effort, de l’attitude et des aptitudes des employés. »

[29]  L’enquêteuse avait aussi demandé à M. Stevens si la demande de congé de M. Nepp avait eu une incidence sur la décision de le mettre à pied. M. Stevens a répondu ce qui suit dans le courriel cité au paragraphe 27, ci‑dessus :

[traduction]

Nous n’avons pas tenu compte de sa demande de congé au moment d’appliquer les mises à pied. Nous avons tenu compte de ses compétences et capacités comme je l’ai précisé plus haut. Nous avions déjà approuvé son congé, alors il n’aurait rien coûté à KF de le garder en poste.

[30]  Il ressort des conclusions de l’enquêteuse énoncées aux paragraphes 17 et 18, ci‑dessus, qu’elle a accepté l’explication de KF Aerospace au sujet des mises à pied aux installations de Hamilton. Il était assurément possible pour elle de statuer que les mises à pied découlaient de besoins opérationnels associés à une pénurie de travail et, de toute façon, ce fait n’est pas contesté. La question substantielle consiste à savoir pourquoi M. Nepp a été sélectionné parmi ceux destinés à être mis à pied et si cela constitue une distinction illicite fondée sur une déficience ou sur sa situation de famille. Malheureusement, l’enquêteuse aborde cette question de façon trop étroite en demandant simplement à M. Stevens si M. Nepp avait été mis à pied parce qu’il avait demandé un congé. M. Stevens a répondu que ce n’était pas le cas. Encore une fois, il était loisible à l’enquêteuse d’accepter cette réponse. Le problème, c’est que la réponse est incomplète. Si M. Nepp n’avait pas été mis à pied pour cette raison, alors pourquoi l’avait‑il été?

[31]  Dans son rapport, l’enquêteuse conclut simplement que la décision de mettre à pied M. Nepp [traduction] « découlait d’une pénurie de travail aux installations de Hamilton » et, par conséquent, il ne semblait pas y avoir de lien avec le motif de distinction illicite allégué. Cette conclusion, cependant, élargit maintenant trop la portée de la question. C’est peut‑être la raison pour laquelle il devait y avoir des mises à pied aux installations de Hamilton, mais cela ne répond pas à la question de savoir pourquoi M. Nepp avait été sélectionné en vue d’une mise à pied.

[32]  Il se trouve que M. Stevens n’a pas répondu à cette question précise. Il a expliqué que la raison pour laquelle M. Nepp avait été mis à pied, c’était que, à cause de [traduction] « son rendement, ses compétences, ses qualifications, sont attitude, ses capacités et les efforts qu’il avait déployés », il n’avait pas sa place au sein de [traduction] « l’équipe pouvant fournir le meilleur rendement » que l’entreprise tentait de mettre sur pied. Cependant, l’enquêteuse n’a pas examiné cette justification du tout, pour voir s’il pouvait y avoir un lien avec un motif de distinction illicite. Cela n’est mentionné nulle part dans ses conclusions.

[33]  La question cruciale découlant de l’explication de M. Stevens, question à laquelle l’enquêteuse n’a jamais réfléchi, c’est de savoir si le mauvais résultat de M. Nepp relativement aux mesures de rendement utilisées pour le sélectionner en vue de la mise à pied tenait au fait qu’il n’avait pas travaillé au cours des trois derniers mois, période durant laquelle, en grande partie, il était en congé d’invalidité de courte durée, approuvé par un médecin, en raison de la perte de son fils. M. Nepp avait directement soulevé la question d’un lien possible entre sa déficience et son rendement au travail, en réponse à une demande de l’enquêteuse quant à la nature de sa déficience, et il a déclaré ce qui suit : [traduction] « J’ai souffert de dépression et de perte de concentration, et je me sentais incapable de faire mon travail de technicien principal d’entretien d’aéronef, en raison des hautes normes aéronautiques auxquelles on s’attendait à ce que je satisfasse. C’est la raison pour laquelle j’ai demandé un congé de maladie. » Il y a peut‑être un lien, comme M. Nepp l’a fait valoir, ou non. Il revenait à l’enquêteuse d’examiner la question et de formuler une recommandation en fonction de cet examen. Toutefois, en n’abordant pas ce lien potentiel d’une quelconque façon, le rapport de l’enquêteuse ne répond pas à la question de savoir si l’enjeu central sous‑jacent à la plainte de M. Nepp mérite une enquête plus approfondie ou non.

[34]  La raison pour laquelle M. Nepp a été sélectionné en vue de la mise à pied équivalait peut‑être à une distinction illicite, ou peut‑être pas. Le travail de l’enquêteuse n’était pas de trancher cette question de façon définitive. Il était cependant de sa responsabilité d’établir si la question méritait une enquête plus approfondie. Son omission d’examiner la raison pour laquelle M. Nepp avait été sélectionné en vue d’une mise à pied, au‑delà de sa simple acceptation du fait que c’était la conséquence d’une pénurie de travail à l’emplacement de Hamilton, a fait en sorte de rendre déraisonnable la décision de la Commission. L’exercice par la Commission de sa fonction d’examen préalable manque de justification, de transparence et d’intelligibilité.

VI.  CONCLUSION

[35]  Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Commission canadienne des droits de la personne datée du 4 octobre 2017 est annulée, et l’affaire est renvoyée à la Commission pour nouvelle décision.

[36]  M. Nepp a droit aux dépens. Si les parties ne peuvent pas s’entendre sur le montant, ils peuvent communiquer avec la Cour pour proposer un calendrier en vue de l’échange de brèves observations écrites.


JUGEMENT dans l’affaire T‑1711‑17

LA COUR STATUE que :

  1. la demande de contrôle judiciaire est accueillie avec dépens;

  2. la décision de la Commission canadienne des droits de la personne datée du 4 octobre 2017 est annulée, et l’affaire est renvoyée à la Commission pour nouvelle décision.

« John Norris »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 3e jour d’octobre 2019

Christian Laroche, LL.B., juriste‑traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1711‑17

 

INTITULÉ :

KARL NEPP c KF AEROSPACE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 MARS 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE NORRIS

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 12 SEPTEMBRE 2019

 

COMPARUTIONS :

Jennifer Zdriluk

Wade Poziomka

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Gerald Griffiths

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ross & McBride LLP

Cabinet d’avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Sherrard Kuzz LLP

Avocats spécialisés en droit de l’emploi et du travail

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.