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Date : 20190829


Dossier : IMM‑5582‑18

Référence : 2019 CF 1120

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 août 2019

En présence de monsieur le juge Lafrenière

ENTRE :

FRANCK KORE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 16 septembre 2018 par laquelle un agent d’immigration de la Section de l’immigration du haut-commissariat du Canada au Ghana [l’agent] a refusé sa demande de visa de résident permanent à titre de membre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ou de la catégorie de personnes de pays d’accueil.

[2]  Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

II.  Faits

[3]  Le demandeur, un citoyen de la Côte d’Ivoire, a quitté son pays d’origine en 2011 pour le Ghana où il a obtenu le statut de réfugié. Il réside actuellement dans le camp de réfugiés Egyeikrom au Ghana.

[4]  Le 10 septembre 2018, le demandeur a été interrogé par l’agent au sujet de sa demande de visa de résident permanent. L’entrevue s’est déroulée exclusivement en français.

[5]  Durant l’entrevue, le demandeur a déclaré qu’il avait fait campagne pour l’ancien président Laurent Gbagbo lors des élections de 2010 en Côte d’Ivoire en installant des affiches et en distribuant des tee‑shirts à l’effigie du candidat. Après l’arrestation de M. Gbagbo en 2011, les partisans du Front populaire ivoirien [le FPI] ont été pourchassés. Alors que le demandeur cherchait refuge ailleurs, sa résidence familiale a été la cible de coups de feu et son cousin a été assassiné. Craignant pour sa vie, il a fui la Côte d’Ivoire pour aller au Ghana.

[6]  Le demandeur a déclaré qu’il craignait pour sa sécurité parce que son cousin et un ami avaient été assassinés et parce qu’une fusillade avait eu lieu à sa résidence. Questionné par l’agent, il a reconnu qu’il n’était pas membre du FPI et qu’il n’avait jamais été arrêté ni placé en détention.

[7]  L’agent a informé le demandeur qu’aucune décision définitive ne serait prise ce jour‑là, mais qu’il avait des préoccupations quant à sa demande. L’agent a déclaré que les conditions en Côte d’Ivoire avaient changé depuis le départ du demandeur et qu’un grand nombre de réfugiés y étaient retournés au cours des dernières années. Il a fait remarquer que l’ex‑femme de M. Gbagbo avait récemment bénéficié de l’amnistie accordée par le président de la Côte d’Ivoire, que le demandeur n’était pas membre du FPI et que son rôle lors de la campagne de M. Gbagbo avait été limité. Le demandeur a maintenu en réponse qu’il était dangereux pour lui d’y retourner, qu’il pouvait être arrêté, emprisonné, voire même assassiné. Il a par ailleurs déclaré qu’il craignait d’être pris pour cible en raison de son appartenance à un groupe ethnique, les Bété.

III.  Décision de l’agent

[8]  Dans la lettre du 16 septembre 2018 rejetant la demande, l’agent déclare ne pas avoir été convaincu que le demandeur appartenait à la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ou à la catégorie de personnes de pays d’accueil. L’agent a fait remarquer que de nombreux Ivoiriens étaient retournés de leur plein gré en Côte d’Ivoire et que les conditions dans ce pays s’étaient grandement améliorées depuis 2011, entraînant une stabilité générale au pays.

[9]  D’après les notes qu’il a consignées dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC], l’agent s’est appuyé sur une preuve extrinsèque relative aux conditions dans le pays et d’après laquelle le président ivoirien a accordé l’amnistie à des centaines d’Ivoiriens qui avaient été déclarés coupables après la crise survenue à la suite des élections, notamment à Mme Gbagbo. Les documents établissaient également que le gouvernement encourageait les Ivoiriens de l’étranger à revenir dans leur pays d’origine, et que ce processus était supervisé par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés.

[10]  L’agent a conclu que la participation du demandeur à la campagne électorale de 2010 avait été insuffisante pour qu’il acquière le profil d’une personne à risque, et estimé que sa crainte de persécution en Côte d’Ivoire pour des motifs liés à la race, à la religion, à la nationalité et à l’appartenance à un groupe social ou à des opinions politiques n’était pas fondée.

IV.  Questions en litige

[11]  L’avocat du demandeur a soulevé deux questions à l’audience. Bien qu’il ait contesté le caractère raisonnable de la décision de l’agent, ses arguments se sont concentrés essentiellement sur la question de savoir si l’agent avait porté atteinte au droit du demandeur à l’équité procédurale.

V.  Norme de contrôle

[12]  Il n’y a pas de désaccord entre les parties en ce qui a trait à la norme de contrôle qui s’applique en l’espèce. La question de savoir si le demandeur a été privé de l’équité procédurale est assujettie à la norme de la décision correcte. Celle de savoir s’il remplit les exigences pour obtenir un visa de résident permanent à titre de membre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières ou de la catégorie de personnes de pays d’accueil est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, ce qui signifie que la Cour doit déterminer si la décision de l’agent est justifiable, transparente et intelligible et si elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

VI.  Analyse

A.  Équité procédurale

[13]  L’avocat du demandeur a fait valoir à l’audience que le processus de collecte d’éléments de preuve de l’agent était en réalité unilatéral et inéquitable sur le plan procédural. L’avocat soutient que le demandeur n’a pas été prié de fournir des éléments de preuve à l’appui de sa demande et qu’il n’a pas eu non plus la possibilité d’effectuer des recherches. Le demandeur soutient en outre que l’agent ne lui a pas permis, avant ou après l’entrevue, de dissiper ses préoccupations en ce qui concerne les conditions actuelles en Côte d’Ivoire. Ces allégations ne sont pas étayées par les éléments de preuve dont je dispose.

[14]  Le demandeur n’a pas déposé d’affidavit à l’appui de la demande. Il invoque plutôt l’affidavit de son oncle, qui est truffé de ouï-dire et n’évoque pas le moindrement l’équité procédurale.

[15]  Il incombait au demandeur de démontrer qu’il satisfaisait aux exigences pour obtenir un visa de résident permanent à titre de membre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ou de la catégorie de personnes de pays d’accueil : voir Qurbani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 127, au par. 18; voir aussi Salimi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 872, au par. 7. Cela suppose notamment d’établir que les conditions en Côte d’Ivoire étaient telles qu’il risquait de subir un préjudice s’il y retournait.

[16]  Les éléments de preuve non contredits dont dispose la Cour établissent que le demandeur a été avisé durant l’entrevue des préoccupations que nourrissait l’agent à l’égard de sa demande et qu’il a eu la possibilité de les dissiper. À la fin de l’entrevue, l’agent a demandé au demandeur s’il voulait ajouter quelque chose, ce à quoi ce dernier a simplement répondu : « Non. La paix n’y est pas. La haine totale ».

[17]  Le demandeur conteste le fait que l’agent n’a pas communiqué les sources précises sur lesquelles il s’est appuyé pour rendre sa décision. Cependant, comme le déclarait la juge Marie‑Josée Bédard dans la décision Stephenson c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 932, au par. 39 : « […] s’agissant de l’obligation de communication d’un agent, il ne faut pas rechercher si le demandeur disposait du document contesté, mais plutôt s’il avait accès aux renseignements contenus dans ce document. »

[18]  En l’espèce, l’agent s’est appuyé sur des documents accessibles au public en ligne. Même si le demandeur n’a pas pu les consulter, l’agent lui a communiqué durant l’entrevue les renseignements qu’ils contenaient et lui a donné la possibilité de répondre aux préoccupations qu’il soulevait. Dans les circonstances de la présente affaire, je ne vois aucun manquement à l’équité procédurale.

B.  Caractère raisonnable de la décision de l’agent

[19]  S’agissant du caractère raisonnable de la décision de l’agent, le demandeur fait principalement valoir que l’agent a accordé trop d’importance à sa discrétion durant la campagne électorale de M. Gbagbo pour rendre sa décision. Cet argument renvoie uniquement à la valeur des éléments de preuve, laquelle relève de la compétence de l’agent.

[20]  L’agent a pris acte dans les notes du SMGC des allégations du demandeur concernant sa crainte de persécution découlant de sa participation à la campagne électorale de M. Gbagbo et de ses origines bétés. Le dossier révèle que l’agent a considéré l’intégralité des circonstances du demandeur, qu’il s’est appuyé sur les renseignements ayant trait aux conditions actuelles dans le pays ainsi que sur l’absence de faits propres à étayer les prétentions du demandeur.

[21]  La décision de l’agent était justifiable, transparente et intelligible et appartenait aux issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

VII.  Conclusion

[22]  Pour les motifs qui précèdent, la Cour n’est pas convaincue que la décision de l’agent était déraisonnable ou inéquitable sur le plan de la procédure. Par conséquent, la demande est rejetée.

[23]  Aucune des parties n’a proposé une question à certifier et aucune n’est certifiée.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑5582‑18

LA COUR STATUE que la demande est rejetée.

« Roger R. Lafrenière »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 23e jour de septembre 2019.

Isabelle Mathieu, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑5582‑18

 

INTITULÉ :

FRANCK KORE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 AOÛT 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LAFRENIÈRE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 29 AOÛT 2019

 

COMPARUTIONS :

Ryan Hardy

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Laoura Christodoulides

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ryan Hardy, avocat

Rexdale Community Legal Clinic

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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