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Date : 20190903


Dossier : IMM-836-19

Référence : 2019 CF 1127

Ottawa (Ontario), le 3 septembre 2019

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

ISLANDE LESTIN JEAN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS ET JUGEMENT

I.  Aperçu

[1]  La présente s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, sous le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (la Loi), d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada trouvant que ni la demanderesse ni son fils (les demandeurs) sont des réfugiés au sens de la Convention ou des personnes à protéger. Les demandeurs n’ont pas accès à la Section d’appel des réfugiés car ils sont au Canada sous une exception des pays tiers surs (la Loi, s 110(2)(d)). Les demandeurs demandent à la Cour de casser la décision et de renvoyer la demande à la SPR pour qu’elle soit redéterminée par un autre commissaire.

II.  Contexte

[2]  La demanderesse principale, Islande Lestin Jean (la demanderesse), est citoyenne d’Haïti qui habitait précédemment aux États-Unis en tant que demandeur d’asile depuis 2012, demande qu’elle a abandonnée avant de venir au Canada. Evan Dave Lestin est le fils de la demanderesse, né au, et citoyen des, États-Unis. La demanderesse a également une fille qui est toujours en Haïti. La demanderesse et son mari, père des deux enfants, se sont séparés aux États-Unis.

[3]  Les demandeurs ont traversé la frontière canadienne à Fort Erie le 19 mai 2017 et ont demandé le statut de réfugié en tant que personnes qualifiées pour une exception des pays tiers sûrs, comme la demanderesse a une nièce qui est citoyenne canadienne habitant à Montréal.

[4]  Dans le récit inclut avec son formulaire de fondement de la demande d’asile (FDA), la demanderesse allègue qu’elle a fait sa demande d’asile aux États-Unis car son maintenant ex-mari était persécuté à cause de ses activités politiques. Comme elle n’avait toujours pas de réponse après quatre ans, comme son mariage s’était terminé et comme elle ne pouvait travailler comme infirmière aux États-Unis comme elle le faisait en Haïti, la demanderesse allègue dans le FDA qu’elle se préparait à retourner en Haïti en 2017 quand sa fille s’est presque fait kidnapper dans la zone de Grande Ravine en Haïti.

[5]  Ce serait cet incident qui aurait poussé la demanderesse à venir au Canada afin de demander la protection pour elle et son fils en premier, et ensuite pour sa fille. Le FDA, autre que le récit, ne mentionne pas les incidents politiques de l’ex-mari de la demanderesse; en fait, le FDA note spécifiquement que la demanderesse « n’était pas au pays quand les événements ont eu lieu ».

[6]  Le 28 septembre 2018, juste avant son audience devant la SPR, la demanderesse dépose un nouveau FDA et un nouveau narratif afin de supporter sa demande d’asile. Dans le nouveau narratif, la demanderesse écrit qu’elle craint la violence politique comme elle est reconnue comme l’épouse de son ex-mari; la violence conjugale aux mains de son ex-mari; la violence aux mains d’une autre ex-épouse de son mari qui la menace en ligne et qui la menaçait en Haïti; et des représailles de son beau-frère si elle faisait plainte concernant l’abus sexuel contre sa fille en Haïti.

[7]  Pendant l’audience devant la SPR, la demanderesse a fait quelques allégations contre son ancien conseiller en immigration. Suite à l’audience, la SPR a voulu faire clarifier les allégations. La SPR a donc demandé que la demanderesse fasse parvenir une déclaration écrite au conseiller afin qu’il puisse y répondre.

[8]  Le 29 octobre 2018, la demanderesse a envoyé sa déclaration écrite à son ancien consultant en immigration. Aussi le 29 octobre 2018, l’ancien consultant envoie sa réponse directement à la SPR. L’ancien consultant rejette les accusations de la demanderesse, qu’il appelle« fausses, mensongères et dénuées de tout fondement ».

III.  Décision

[9]  La SPR rejette la demande le 9 décembre 2018. La SPR ne trouve pas la demanderesse crédible dû à des omissions importantes pour plusieurs des allégations qui n’ont pas été raisonnablement expliquées.

[10]  La SPR trouve aussi invraisemblable que la demanderesse craigne la violence aux mains de l’autre ex-femme de son ex-mari. La SPR trouve invraisemblable que la demanderesse, d’un côté, craigne que le fils de son mari d’une autre femme la dénonce si elle retournait en Haïti, mais que, de l’autre côté, elle reste en contact avec ce fils.

[11]  La SPR rejete aussi l’explication de la demanderesse concernant l’abandon de sa demande d’asile aux États-Unis. La SPR note que le comportement de la demanderesse n’est pas celui de quelqu’un qui craint pour sa vie; même si la demanderesse croyait n’avoir que 17% de chance d’asile, il n’est pas crédible qu’elle abandonne cette chance complètement.

[12]  Quant aux allégations contre son ancien consultant en immigration, la SPR note que la demanderesse offre une différente explication pour les propos qu’elle allègue que son consultant aurait ajoutés à l’audience que dans son affidavit. La SPR trouve les explications de la demanderesse non crédibles.

[13]  La SPR ne trouve pas non plus suffisantes les explications de la demanderesse concernant les craintes qui ne sont pas dans son FDA original. La SPR note que la demanderesse se contredit dans son affidavit à voir si elle a ou n’a pas discuté des craintes politiques avec son ancien consultant.

[14]  Comme la crédibilité de la demanderesse est entachée, la SPR ne donne pas de valeur probante aux plaintes de police soumises en support des attaques politiques et de la tentative d’enlèvement. La SPR ajoute que même si ces documents sont crédibles, ils ne suffiraient pas à supporter les allégations jugées non crédibles. La SPR note aussi que l’attaque contre la demanderesse et son mari en 2011 aurait pu se produire sans prouver que celle-ci était une attaque politique. La SPR ne donne pas non plus de valeur probante à la lettre du frère de la demanderesse étant donné les problèmes de crédibilité concernant les menaces de mort.

[15]  Finalement, la SPR note que la demanderesse n’a pas le profil des femmes les plus à risque à Haïti et qu’elle a des frères en Haïti qui peuvent l’appuyer. Comme la demanderesse n’avait pas articulé de crainte séparée pour son fils, la SPR rejeta sa demande également.

IV.  Question en litige et norme de contrôle

[16]  À mon avis, la seule question à trancher est de déterminer si la décision de la SPR est raisonnable.

[17]  La norme de contrôle est celle de la décision raisonnable comme la décision reflète le pouvoir discrétionnaire du juge des faits : Rahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319 aux paras 41–47.

V.  Analyse

[18]  Les demandeurs soumettent que les conclusions de vraisemblances de la SPR sont déraisonnables. Les demandeurs ajoutent que le témoignage est réputé véridique à moins qu’il y ait raison de le douter : Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1979), [1980] 2 RCF 302 au para 5, 31 NR 34 (CAF); Valtchev c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2001 CFPI 776 au para 6. De plus, la SPR doit invoquer des éléments de preuve fiables et vérifiables afin de tirer une conclusion d’invraisemblance : Glelaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 37 au para 4. Les demandeurs ajoutent également que bien que la SPR n’a pas à faire référence à tous les documents, elle doit faire référence aux documents centraux à une issue : Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35 aux paras 16–17 (FC). Les demandeurs soumettent donc que la décision n’est pas raisonnable car elle va à l’encontre de la preuve au dossier.

[19]  Je suis d’accord avec le défendeur que les demandeurs demandent à la Cour de réévaluer la preuve et tirer sa propre conclusion; ce n’est pas le rôle de la Cour : Jia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 444 aux paras 17–18.

[20]  À mon avis, il était raisonnable pour la SPR de se questionner sur la crédibilité de la demanderesse au sujet de l’inclusion de faits non véridiques dans son premier FDA car elle avait offert diverses explications incompatibles à cet égard. Il était aussi raisonnable de se questionner sur la crédibilité de la demanderesse concernant les nouvelles craintes dans le deuxième FDA car, encore une fois, elle a offert diverses explications.

[21]  Il était raisonnable aussi pour la SPR de rejeter la crainte de violence conjugale comme l’ex-mari de la demanderesse qui habite maintenant aux États-Unis. Il était aussi raisonnable de rejeter la crainte concernant l’autre ex-femme comme étant invraisemblable et de rejeter la crainte de menaces politiques car la demanderesse ne pouvait confirmer l’identité des persécuteurs, bien que son mari l’ait identifié dans sa demande d’asile aux États-Unis, demande que la demanderesse a soumise à l’appui de son dossier.

[22]  Il était raisonnable pour la SPR de conclure que la demanderesse n’avait pas le profil d’une femme à haut risque si elle retournait en Haïti. Finalement, le défendeur soumet qu’il était raisonnable pour la SPR de conclure que la demanderesse n’a pu résoudre les divergences concernant ses accusations contre son ancien consultant et que la SPR a raisonnablement décidé de ne pas donner de valeur probante à la preuve documentaire compte tenu des problèmes dans le récit de la demanderesse. Il n’incombait non plus à la SPR de discuter de toutes les preuves documentaires dont les demandeurs souhaitent.

[23]  Je note qu’une décision récente de la Cour confirme que « [l]es éléments de preuve ne sont pas évalués indépendamment de la demande d’asile dans son ensemble, et si la preuve personnelle du demandeur n’est pas crédible, il est raisonnable que la SAR ait des doutes sur la crédibilité de la preuve documentaire présentée à l’appui de la demande »: Chinwuba c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 312 au para 26.

VI.  Représentations après l’audition

[24]  Pendant l’audience, le procureur des demandeurs, qui n’était pas l’avocat qui a préparé leurs soumissions écrites, a ajouté une soumission que la SPR avait commis une violation à l’équité procédurale en entachant la crédibilité de la demanderesse pour les propos dans son ancien FDA. Le défendeur a demandé la chance de présenter des soumissions par écrit afin d’y répondre, demande que la Cour a accordée. Le 22 juillet 2019, le défendeur dépose une lettre contenant sa position. Le 29 juillet 2019, les demandeurs déposent une lettre en réponse.

[25]  Le défendeur soumet que la Cour fédérale a noté que « la SPR est en droit d’examiner la teneur du FRP avant et après sa modification, et peut tirer des conclusions défavorables sur la crédibilité si des questions qu’elle considère comme importantes ont été ajoutées au FRP lors d’un amendement tardif »: Zeferino c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 456 au para 31. Le défendeur réfère également la Cour au paragraphe 32 de Zeferino, où la Cour continue en constatant que la SPR peut juger la crédibilité de la demanderesse et tirer des inférences défavorables au sujet de disparités si la demanderesse « n’a pas fourni d’explications satisfaisantes, vraisemblables ou crédibles. »

[26]  Le défendeur note enfin que la Cour a aussi noté plus récemment, après avoir rappelé l’extrait ci-haut, que « c’est à bon droit que la SPR a tenu compte des deux récits narratifs »: Villarroel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 417 au para 17.

[27]  En réponse, les demandeurs acceptent que la SPR puisse considérer les deux versions du FDA. Ce serait plutôt le fait de recourir à l’ancienne version du FDA sans accorder de poids aux raisons pour les modifications qui violerait le principe qu’une décision doive se fonder sur toute la preuve. Les demandeurs ajoutent que si ce n’est pas une violation de l’équité procédurale, alors le fait de ne pas suffisamment se prononcer sur les explications avancées pour les modifications au FDA rend la décision déraisonnable.

[28]  Dans ce cas, la SPR n’a trouvé plausible aucune explication offerte par la demanderesse pour les changements. La SPR a trouvé qu’il n’était pas crédible que la demanderesse ne prenne pas connaissance de la demande d’asile de son ex-mari qui contenait le nom de son agent persécuteur, que l’explication concernant les menaces par l’autre femme de son ex-mari n’était « pas crédible ou vraisemblable » et que les explications pour le reste des allégations qui avaient été omises du premier FDA n’étaient ni suffisantes ou raisonnables. Ces conclusions sont raisonnables et les demandeurs n’ont soumis aucune raison pour laquelle la Cour devrait intervenir.

VII.  Conclusion

[29]  Les demandeurs demandent à cette Cour de réévaluer les preuves documentaires et le témoignage de la demanderesse, mais ils n’ont pas démontré en quoi la décision de la SPR est déraisonnable. Alors, il n’y a aucune raison pour la Cour d’intervenir.

[30]  Il n’y a pas des questions sérieuses à certifier.


JUGEMENT DANS IMM-836-19

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a pas de questions sérieuses à certifier.

« Richard G. Mosley »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-836-19

INTITULÉ :

ISLANDE LESTIN JEAN c LE MINISTRE

DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 juillet 2019

MOTIFS ET JUGEMENT :

LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :

LE 3 septembre 2019

COMPARUTIONS :

Me François Kasenda Kabemba

Pour la demanderesse

Me Gabrielle White

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cabinet François K. Law Office

Ottawa (Ontario)

Pour la demanderesse

Procureure générale du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

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