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Date : 20190827


Dossier : IMM-1342-18

Référence : 2019 CF 1101

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 août 2019

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

LAURA MARY DOUGLAS

CAMERON SAMUEL DUMBRECK

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La demanderesse, Mme Douglas, présente, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), une demande pour faire annuler la décision, datée du 15 mars 2018, par laquelle un agent des visas (l’agent) a refusé sa nouvelle demande visant à modifier les conditions du permis de séjour temporaire (PST) précédemment délivré à elle et à son fils mineur (la décision).

[2]  Madame Douglas demande que la décision soit annulée et renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

II.  Contexte

[3]  La demanderesse, Mme Douglas, est une mère célibataire de 29 ans dont le codemandeur est son fils de neuf ans, Cameron. Madame Douglas est arrivée au Canada en mars 2009 en provenance de l’Écosse, où elle est née. Cameron, qui avait 19 jours à l’époque, l’accompagnait.

[4]  Madame Douglas est arrivée en tant que personne à charge de son père, qui avait obtenu un permis de travail. Toute la famille — la mère, le père, cinq enfants et un petit-enfant — est arrivée ensemble, et s’est installée dans la région d’Ottawa où vivaient déjà certains membres de leur parenté. Peu après leur arrivée, les deux parents ont présenté une demande de résidence permanente pour toute la famille.

[5]  Malheureusement, à la suite d’erreurs, la demande de la famille a été renvoyée, non traitée, par deux fois. Au moment où la trousse de demande a enfin pu être traitée, soit en novembre 2011, Mme Douglas n’était plus admissible à titre de personne à charge parce qu’elle était alors âgée de 22 ans.

[6]  Tous les membres de la famille, à l’exception de Mme Douglas et de Cameron, sont devenus résidents permanents du Canada le 12 février 2014. Madame Douglas et Cameron ont conservé leur statut de résidents temporaires.

[7]  Madame Douglas a présenté une demande de résidence permanente au titre de la catégorie de l’expérience canadienne au début de 2014 en raison des postes qu’elle avait occupés à partir de mai 2012. La demande a été rejetée le 7 mars 2015 lorsqu’il a été déterminé, d’après la description de ses fonctions, que la lettre d’emploi décrivant son expérience de travail ne satisfaisait pas aux conditions d’admissibilité.

[8]  Madame Douglas s’est ensuite adressée à son député fédéral pour obtenir de l’aide et a pu obtenir un PST et un permis de travail pour elle‑même, ainsi qu’un PST et un permis d’études pour Cameron qui, à ce moment‑là, avait six ans et fréquentait l’école. Ces permis étaient valides du 20 mai 2015 au 13 mai 2017.

[9]  Ayant obtenu la résidence temporaire, Mme Douglas a encore une fois demandé la résidence permanente parce qu’elle avait accumulé plus d’un an d’expérience de travail qualifié. Le nouveau système Entrée express du gouvernement a été mis en service le 1er janvier 2015. Désormais, comme Mme Douglas n’avait pas de crédits d’études postsecondaires, aucun point ne lui était plus attribué pour ses études. Selon le système de classement global reconfiguré, elle n’a donc pas été en mesure d’obtenir un total de points suffisant pour recevoir une invitation à présenter une demande de résidence permanente.

[10]  Sachant que son PST expirerait le 13 mai 2017, Mme Douglas a demandé, le 20 mars 2017, le renouvellement de son PST et de son permis de travail ainsi que celui des permis de Cameron. Le 19 septembre 2017, Mme Cameron a été avisée que ses demandes de renouvellement avaient été refusées. Elle a immédiatement cessé de travailler, mais n’a pas quitté le Canada.

[11]  Avec l’aide d’une avocate, Mme Douglas a présenté une nouvelle demande le 13 novembre 2017 pour modifier les conditions de son PST et de celui de Cameron. Cette demande a été refusée.

[12]  Pour les motifs qui suivent, je suis persuadée que la décision est déraisonnable et qu’un nouvel examen s’impose.

III.  Dispositions législatives applicables

[13]  Le paragraphe 24(1) de la LIPR, qui régit la délivrance d’un PST, est ainsi libellé :

Permis de séjour temporaire

Temporary resident permit

24 (1) Devient résident temporaire l’étranger, dont l’agent estime qu’il est interdit de territoire ou ne se conforme pas à la présente loi, à qui il délivre, s’il estime que les circonstances le justifient, un permis de séjour temporaire — titre révocable en tout temps.

24 (1) A foreign national who, in the opinion of an officer, is inadmissible or does not meet the requirements of this Act becomes a temporary resident if an officer is of the opinion that it is justified in the circumstances and issues a temporary resident permit, which may be cancelled at any time.

[14]  L’explication du juge Shore sur l’objectif de l’article 24 de la LIPR, que l’on peut trouver au paragraphe 22 de la décision Farhat c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1275 [Farhat], est pertinente quant à la présente demande :

On vise avec l’article 24 de la LIPR à rendre moins sévères les conséquences qu’entraîne dans certains cas la stricte application de la LIPR, lorsqu’il existe des « raisons impérieuses » pour qu’il soit permis à un étranger d’entrer ou de demeurer au Canada malgré l’interdiction de territoire ou l’inobservation de la LIPR. Fondamentalement, le permis de séjour temporaire permet aux agents d’intervenir dans des circonstances exceptionnelles tout en remplissant les engagements sociaux, humanitaires et économiques du Canada.

[15]  Comme il en sera question dans la section consacrée à l’analyse, ci-après, le Ministère a établi des lignes directrices pour guider les agents des visas dans l’application de l’article 24. Ces lignes directrices énoncent les facteurs d’évaluation des risques à prendre en considération, ainsi qu’une liste non exhaustive d’exemples visant à illustrer la portée et l’esprit selon lesquels l’agent doit exercer son pouvoir discrétionnaire de délivrer un PST.

IV.  Observations présentées à l’agent

[16]  Dans les observations qu’elle a présentées à l’agent, Mme Douglas a mis de l’avant un certain nombre de facteurs afin que ce dernier les évalue :

  • - elle et son fils font partie d’une famille très unie avec laquelle ils vivent; ses parents considèrent Mme Douglas et son fils, Cameron, comme des personnes à charge;

  • - ils ont aussi une grande famille élargie qui compte 31 tantes, oncles et cousins, ainsi que leurs conjoints et enfants, qui vivent tous près d’eux dans les environs d’Ottawa;

  • - Cameron n’a jamais connu d’autre vie qu’au Canada, puisqu’il n’avait que 19 jours lorsqu’il est arrivé avec Mme Douglas et les parents et quatre frères et sœurs de cette dernière;

  • - Cameron est bien intégré; il a beaucoup d’amis et de membres de la parenté qui le soutiennent; il fréquente la même école depuis 2003;

  • - en tant que mère célibataire, Mme Douglas a besoin du soutien de sa famille pour élever Cameron, et ce soutien lui a permis de poursuivre une carrière;

  • - les renvoyer au Royaume‑Uni, ce qui les séparerait de leur famille, serait dévastateur pour Mme Douglas et Cameron;

  • - en Écosse, Cameron n’aurait ni famille ni maison; Mme Douglas ne serait pas en mesure de subvenir aux besoins de Cameron ou de poursuivre une carrière;

  • - le renvoi de Cameron nuirait à son développement et à son bien­être, car il bénéficie actuellement de nombreuses influences positives;

  • - avant de perdre son permis de travail à l’expiration du PST, Mme Douglas occupait un emploi intéressant et apportait une contribution économique au Canada en travaillant comme superviseure dans un bistrot qui souhaitait qu’elle continue à y travailler.

[17]  Les observations présentées à l’agent indiquaient en outre l’absence d’antécédents criminels ou de préoccupations d’ordre médical, qui sont des facteurs dont il faut tenir compte selon les lignes directrices. Pendant qu’elle y était autorisée, Mme Douglas a travaillé tout le temps qu’elle a vécu au Canada et a contribué à l’économie du pays. Elle a accumulé plus de 20 000 $ d’économies.

V.  La décision

[18]  Les notes versées dans le Système mondial de gestion des cas (SMGC) par l’agent en date du 15 mars 2018 constituent les motifs de la décision. Ces notes reconnaissent l’entrée de la famille au Canada le 4 mars 2009 et le fait que Mme Douglas et son fils se sont vu refuser la résidence permanente le 23 mars 2012. Les notes précisent ensuite que [traduction« l’interdiction de territoire des clients découle du fait qu’ils ont indûment prolongé leur séjour », et qu’ils demandent un permis de travail et un PST de deux ans pour Mme Douglas, et un PST et un permis d’études pour Cameron.

[19]  L’agent reconnaît qu’un PST a été refusé le 19 septembre 2017, date à laquelle Mme Douglas a été avisée qu’elle devait quitter le Canada immédiatement. Les notes se poursuivent par la mention suivante : [traduction« elle admet sur sa demande actuelle qu’elle a cessé de travailler lorsque ses documents ont été refusés, mais qu’elle n’a pas quitté le Canada ».

[20]  L’agent précise dans ses notes que les membres de la famille immédiate de Mme Douglas sont devenus résidents permanents en février 2014, de sorte que ses réseaux de soutien se trouvent tous ici au Canada.

[21]  Il est ensuite mentionné dans les notes qu’aucun renseignement n’a été fourni qui indiquerait que la cliente ferait face à [traduction« tout autre autre obstacle qui la rendrait incapable de partir avec son fils et de régulariser leur statut ».

[22]  Les notes se terminent par l’énoncé suivant : [traduction« J’ai examiné la demande de permis de séjour temporaire et toutes les observations dans leur intégralité ». Ensuite, la conclusion déterminante est ainsi énoncée :

[traduction]

Compte tenu du fait qu’il existe un mécanisme permettant aux clients de régulariser leur statut en quittant le Canada et en revenant au pays à titre de résidents temporaires, j’estime que l’octroi d’un PST n’est pas justifié dans les circonstances.

VI.  Question en litige et norme de contrôle

[23]  La question en litige en l’espèce consiste à déterminer si la décision de l’agent était raisonnable.

[24]  Les parties et la Cour conviennent que la norme de contrôle applicable à la décision de l’agent est celle de la raisonnabilité : Mousa c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2016 CF 1358, au paragraphe 8 [Mousa].

[25]  Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir].

[26]  L’agent, agissant à titre de tribunal administratif, n’a pas l’obligation de prendre en considération et de commenter dans ses motifs chaque argument soulevé par les parties. La question que doit se poser la cour de révision est de savoir si la décision, considérée dans son ensemble à la lumière du dossier, est raisonnable : Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16 [Nfld Nurses].

[27]  Par ailleurs, les motifs « répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » : Nfld Nurses, au paragraphe 16. [Non souligné dans l’original.]

VII.  Analyse

[28]  L’agent dispose d’un large pouvoir discrétionnaire pour évaluer et soupeser les facteurs pertinents lorsqu’il examine une demande de PST. Or ce pouvoir discrétionnaire n’est pas illimité. Il s’accompagne de l’obligation d’examiner les circonstances pertinentes et les observations fournies par le demandeur. Lorsqu’un agent rend une décision à l’égard d’une demande de PST, il doit à tout le moins démontrer un processus de raisonnement clair : Mousa, aux paragraphes 9 et 10.

[29]  Rappelons que, pour aider les agents à appliquer les dispositions de l’article 24, le ministre a publié des lignes directrices. Il est bien connu que ces lignes directrices ne sont pas déterminantes; elles fournissent plutôt, comme leur nom l’indique, une orientation : Alvarez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 667, au paragraphe 35.

A.  Facteurs et critères qu’un agent doit prendre en considération selon les lignes directrices

[30]  Le ministre a publié des critères et des facteurs d’évaluation précis dont l’agent doit tenir compte lorsqu’il évalue une demande de PST. Ces facteurs, énoncés dans le Guide sur le traitement des demandes à l’étranger – Permis de séjour temporaire, OP 20 [OP 20], qui émane du Ministère, sont les suivants :

  • - facteurs rendant nécessaire la présence de la personne au Canada (p. ex. liens familiaux, qualifications professionnelles, contribution économique, participation temporaire à un événement);

  • - intention de la loi (p. ex. protection de la santé publique, du système de soins de santé ou de la sécurité du Canada et des Canadiens).

[31]  En outre, l’OP 20 indique qu’une évaluation peut porter sur les facteurs suivants ayant été soulevés par Mme Douglas dans ses observations à l’agent :

  • - L’objectif essentiel de la présence de la personne au Canada;

  • - la composition familiale pertinente, tant dans le pays d’origine qu’au Canada;

  • - les avantages tangibles ou intangibles que la personne concernée ou d’autres personnes sont susceptibles d’en tirer.

[32]  L’analyse d’un PST consiste à soupeser une gamme de facteurs liés à l’intérêt de la personne à demeurer au Canada, et à mettre en balance ces facteurs, d’une part, et toute menace que la personne peut représenter pour les soins de santé ou la sécurité du Canada, d’autre part.

B.  L’agent n’a pas abordé les observations

[33]  L’agent semble avoir décidé de la nouvelle demande en se fondant sur le fait que Mme Douglas n’avait pas quitté le Canada à l’expiration de son PST. Cet élément a été mentionné trois fois dans les brefs motifs.

[34]  L’agent a reconnu l’observation formulée par Mme Douglas concernant la réunification des familles et le fait que tous ses réseaux de soutien se trouvaient au Canada.

[35]  Ces déclarations n’ont pas été autrement examinées, soupesées ni mises en balance.

[36]  Les observations présentées à l’agent comprenaient des commentaires détaillés, appuyés par un témoignage par affidavit et une lettre de la mère de Mme Douglas, qui y attestait le caractère très uni de la famille. On a mentionné le fait qu’il n’y avait plus aucune famille en Écosse et que Mme Douglas avait été en mesure de faire carrière uniquement grâce au soutien et à l’aide de ses proches.

[37]  Bien que l’agent ait reconnu que la réunification familiale était un facteur à prendre en considération, les observations quant à son importance pour la demande de PST ont été rejetées au motif que Mme Douglas n’était pas partie à la fin de son séjour. L’agent a résumé ce rejet en déclarant que Mme Douglas n’avait fourni aucun renseignement indiquant qu’elle ferait face à [traduction« tout autre obstacle qui la rendrait incapable de partir avec son fils et de régulariser leur statut ».

[38]  D’après les motifs exposés dans les notes du SMGC, je n’arrive pas à comprendre de quelle façon on a soupesé et mis en balance le fait, pour les demandeurs, d’être arrachés à une famille très unie, de même qu’à l’amour et au soutien de 31 membres de la famille proche. Je ne comprends pas davantage pourquoi cette preuve a été jugée insuffisante, comment elle a été évaluée ou si elle a été mise en balance avec l’interdiction de territoire de Mme Douglas.

[39]  Il n’est pas clair si l’agent s’est demandé ce que le renvoi de Mme Douglas et de son jeune fils dans un pays où ils n’ont pas de parents signifierait pour Cameron, âgé de neuf ans. Les observations étaient claires là-dessus : en Écosse, il n’y aurait pas de soutien familial ni aucune perspective d’emploi pour Mme Douglas.

[40]  La seule raison apparente d’une telle décision est que Mme Douglas, après le rejet de son dernier PST, n’a pas immédiatement quitté le Canada. Dans les deux mois qui ont suivi, elle a retenu les services d’une avocate et a présenté une demande de PST, qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

[41]  La preuve accablante est que Mme Douglas tente de régulariser son statut au Canada depuis qu’elle est arrivée au pays en tant que mineure avec ses parents. Toute sa famille a obtenu le statut de résident permanent; mais il ne fait aucun doute que, sans les erreurs dans la demande initiale qui ont retardé son traitement, Mme Douglas aurait également obtenu ce statut. Par la suite, les modifications apportées au règlement ont eu une incidence sur les autres demandes présentées par Mme Douglas.

[42]  S’agissant d’évaluer l’intérêt supérieur de Cameron, l’agent a omis de reconnaître, d’analyser ou de soupeser les circonstances personnelles de Mme Douglas et l’intérêt supérieur de son jeune fils, ainsi qu’elle les avait présentés dans ses observations. La seule référence à l’intérêt supérieur de Cameron se trouve dans les notes du SMGC relatives à la demande antérieure, dans lesquelles il est indiqué : [traduction« il est dans l’intérêt supérieur de l’enfant de demeurer sous la garde de sa mère, la principale dispensatrice de soins ».

[43]  Cette déclaration va à l’encontre de la preuve selon laquelle Cameron vit avec ses grands‑parents, sa mère et les frères et sœurs de celle-ci. Elle fait fi de la preuve selon laquelle il est bien intégré à son école et à l’unique communauté qu’il connaît depuis l’âge de 19 jours. Elle ne tient pas non plus compte de la preuve selon laquelle Mme Douglas n’a plus de famille en Écosse et qu’elle ne serait pas en mesure de trouver un emploi et de s’occuper seule de Cameron.

[44]  Plus importants encore, les motifs fournis par l’agent n’abordent pas vraiment les observations, et rien n’indique que celles-ci ont été évaluées ou que les facteurs énoncés dans les lignes directrices ont été appliqués.

[45]  En plus de ses parents et de ses frères et sœurs, Mme Douglas a quatre tantes, quatre oncles, treize cousins et leurs conjoints et leurs enfants, qui habitent tous dans la région d’Ottawa. On a plaidé auprès de l’agent que cette famille élargie était un facteur important dans sa vie et dans celle de Cameron.

[46]  Plus précisément, Mme Douglas a présenté un affidavit indiquant que son fils n’a jamais connu d’autre vie qu’au Canada; qu’elle et lui bénéficient du soutien de la famille élargie et qu’elle ignore comment elle pourrait subvenir aux besoins de son fils et poursuivre une carrière sans ce soutien. Elle n’a pas de famille en Écosse, qu’elle a quittée alors qu’elle avait 19 ans.

[47]  L’agent a examiné l’intérêt supérieur de Cameron de façon limitée :

[traduction]

Les observations de la représentante indiquent que la principale raison pour laquelle la cliente demande un PST est la réunification familiale. Les membres de sa famille immédiate sont devenus résidents permanents en février 2014, de sorte que les réseaux de soutien de la cliente sont tous ici au Canada. Ils n’ont fourni aucun renseignement indiquant que la cliente ferait face à tout autre obstacle qui la rendrait incapable de partir avec son fils et de régulariser leur statut.

[48]  L’agent ne reconnaît pas du tout que la question de l’intérêt supérieur de Cameron doit être prise en compte dans l’analyse visant à décider de l’octroi du PST.

[49]  Dans l’affaire César Nguesso c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 880 [Nguesso], la juge Bédard, appelée à examiner un refus d’accorder un PST, a expliqué au paragraphe 105 que l’intérêt supérieur de l’enfant est un facteur important à considérer :

Il faut conserver à l’esprit que l’article 24 de la LIPR accorde un pouvoir hautement discrétionnaire au ministre et qu’il ne prévoit pas de facteurs précis à considérer contrairement, par exemple, à l’article 25 [...]. En revanche, l’intérêt d’un ou de plusieurs enfants peut certainement faire partie des circonstances invoquées au soutien d’une demande de PST et, le cas échéant, le défaut de traiter de l’intérêt d’enfants en cause pourrait être envisagé sous l’angle de l’erreur de droit (Ali, aux para 12-13).

[50]  Dans l’affaire Nguesso, la juge Bédard a conclu que l’intérêt supérieur des enfants du demandeur avait été pris en considération. Elle a déclaré qu’il ressortait de la décision du sous‑ministre qu’il avait pris en compte l’intérêt des enfants du demandeur, leurs liens affectifs avec le demandeur, la séparation d’avec lui et l’effet qu’un refus d’accorder un PST aurait sur eux.

[51]  En l’espèce, l’intérêt supérieur de Cameron n’a fait l’objet d’aucune analyse. Dans les notes du SMGC, il n’est fait aucune mention des observations formulées à cet égard.

[52]  Le ministre soutient que l’agent a bel et bien tenu compte de l’intérêt supérieur de Cameron dans la demande de PST qui a été refusée le 19 septembre 2017. Mais les notes du SMGC pour cette date sont extrêmement brèves. On y mentionne qu’[traduction« il est dans l’intérêt supérieur de l’enfant de rester avec sa mère, la principale dispensatrice de soins ». Mais on n’y trouve aucune explication quant aux raisons pour lesquelles cela serait effectivement dans l’intérêt supérieur de Cameron.

[53]  Les observations présentées à l’agent s’articulent, preuve à l’appui, autour du fait que le retour de Cameron en Écosse, un endroit qu’il ne connaît pas, revient à laisser derrière lui son vaste réseau de parents qui le soutiennent. Sa mère, qui n’avait que 19 ans lorsqu’elle a quitté l’Écosse, sera obligée de tout recommencer sans sa famille élargie. Madame Douglas n’a aucun lien en Écosse ni aucune perspective d’emploi. À supposer qu’il soit dans l’intérêt supérieur de Cameron et de sa mère de ne pas leur permettre de rester au Canada, rien n’indique que l’agent se soit penché sur cette question centrale.

VIII.  Conclusion

[54]  L’agent a déclaré avoir examiné la demande de permis de séjour temporaire de même que toutes les observations présentées dans leur intégralité. Mais il n’a pas démontré avoir suivi un quelconque raisonnement à l’appui de cette déclaration.

[55]  L’agent n’a pas apporté la preuve d’un raisonnement clair, une exigence mentionnée dans l’affaire Mousa.

[56]  La situation de Mme Douglas et de son fils est, à tout le moins, convaincante à première vue. Pourtant, l’agent semble s’être concentré sur l’interdiction de territoire de Mme Douglas et sur le fait qu’elle n’a pas quitté le pays. Comme l’a mentionné le juge Shore dans l’affaire Farhat, il est possible, en vertu de l’article 24, de permettre à un étranger qui est interdit de territoire de demeurer au Canada.

[57]  Compte tenu des faits de l’espèce, l’omission de l’agent de compte des observations de manière à examiner et à soupeser la situation de Mme Douglas et Cameron constitue une erreur susceptible de révision. Le dossier sous-jacent contient par ailleurs des documents corroborants à l’appui des observations.

[58]  Les facteurs pertinents n’ont pas été soupesés ou mis en balance. En effet, ils sont à peine mentionnés, et encore moins exposés.

[59]  La seule mention semble être qu’aucun [traduction« autre obstacle » qui rendrait Mme Douglas incapable de partir n’a été soulevé. Or si l’agent avait évalué l’intérêt supérieur de Cameron, cette pièce manquante du casse‑tête aurait pu être retrouvée.

[60]  L’agent semble avoir fondamentalement mal compris qu’il avait la capacité d’autoriser le PST malgré le fait que Mme Douglas et Cameron n’avaient pas quitté le Canada. Comme il a été indiqué dans l’affaire Farhat, la demande de PST permet à l’agent « d’intervenir dans des circonstances exceptionnelles tout en remplissant les engagements sociaux, humanitaires et économiques du Canada », comme le prévoit l’OP 20.

[61]  Compte tenu de l’ensemble des motifs et de l’examen du dossier sous‑jacent, je ne suis pas en mesure de discerner le raisonnement suivi par l’agent, ni les raisons pour lesquelles, au regard des faits et du droit, il en est arrivé à la conclusion qu’un PST ne devrait pas être délivré. Il s’ensuit qu’il est impossible de déterminer si le résultat appartient aux issues possibles acceptables au regard des faits et du droit.

[62]  La décision est annulée. L’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

[63]  Aucuns dépens ne sont adjugés.

[64]  Les faits de l’espèce ne soulèvent aucune question grave de portée générale.


JUGEMENT dans le dossier no IMM-1342-18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est accueillie.

  2. La décision est annulée, et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

  4. Il n’y a aucune question à certifier.

« E. Susan Elliott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 8er jour d’octobre 2019.

Julie‑Marie Bissonnette, traductrice agréée


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1342-18

 

INTITULÉ :

LAURA MARY DOUGLAS, CAMERON SAMUEL DUMBRECK c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

17 septembre 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

Le 27 août 2019

 

COMPARUTIONS :

Jacqueline J. Bonisteel

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Jennifer S. Bond

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Corporate Immigration Law Firm

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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