Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20040421

Dossier : T-185-04

Référence : 2004 CF 590

ENTRE :

                                                                ULEXTRA INC.

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                                           PRONTO LUCE INC.

                                                                                                                                    défenderesses

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

MADAME LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

[1]         Je suis actuellement saisie de deux requêtes. La première est la requête en jugement sommaire des parties défenderesses, tandis que la seconde est la requête de la demanderesse en vue de modifier sa déclaration. Les parties défenderesses consentent à la modification demandée et continuent à soutenir qu'un jugement sommaire devrait être rendu malgré l'acte de procédure modifié. Je suis d'accord.


[2]         La société demanderesse conçoit, fabrique et distribue des accessoires d'éclairage pour usage résidentiel et commercial dans l'ensemble du Canada et des États-Unis. Les gammes d'accessoires d'éclairage se composent de plus de 100 produits. Selon le paragraphe 3 de la déclaration, la demanderesse possède

[Traduction] une gamme unique d'accessoires d'éclairage... en liaison avec des emballages, marques de commerce et oeuvres artistiques distinctifs et uniques. Les oeuvres artistiques se composent de photographies et dessins reproduits sur emballages ou dans les directives écrites insérées dans ceux-ci ou encore de photographies et dessins figurant dans son catalogue.

[3]         La demanderesse allègue que les parties défenderesses ont contrefait ses oeuvres artistiques décrites à l'annexe « A » de la déclaration, qui présente une illustration de neuf accessoires d'éclairage sous laquelle figure un code (combinaison de lettres et de chiffres). Les codes correspondent aux codes du catalogue de la demanderesse, qui est joint à la déclaration en annexe « B » .

[4]         La demanderesse soutient que les marchandises des parties défenderesses sont des copies exactes de ses propres marchandises et reproduisent en grande partie ses dessins. Dans sa déclaration initiale, la demanderesse renvoie à des [traduction] « copies de dessins pour lesquels elle demande l'enregistrement de dessin industriel » . Dans sa déclaration modifiée, la demanderesse fait allusion aux dessins industriels que l'Office de la propriété intellectuelle du Canada a enregistrés le 6 avril 2004, aux numéros d'enregistrement ainsi qu'aux certificats d'enregistrement joints en annexe « C-1 » . Il appert d'une comparaison entre les annexes « A » et « C-1 » que la demande d'enregistrement de dessins industriels a été accueillie relativement à six des neuf dessins représentés à l'annexe « A » .


[5]         Les allégations précises formulées contre les parties défenderesses sont énoncées aux paragraphes 15, 18, 19, 20 et 21 de la déclaration modifiée. En voici le texte :

[traduction]

15. En décembre 2003, la demanderesse a été informée par quelques-uns de ses clients que les parties défenderesses distribuaient une brochure d'accessoires d'éclairage qui constituaient manifestement une copie de ses produits et sur lesquels figuraient ses oeuvres artistiques uniques et distinctives identifiées à l'annexe « A » ci-jointe. Un extrait pertinent de la brochure des parties défenderesses est joint aux présentes en annexe « D » .

18. En agissant de la sorte, les parties défenderesses ont porté atteinte au droit d'auteur que la demanderesse possède sur ses oeuvres artistiques uniques et distinctives figurant à l'annexe « A » ci-jointe.

19. En agissant de la sorte, les parties défenderesses ont attiré l'attention du public sur leurs marchandises et leurs activités de façon à créer effectivement ou vraisemblablement de la confusion au Canada entre leurs marchandises et activités et celles de la demanderesse.

20. En agissant de la sorte, les parties défenderesses ont porté atteinte aux droits que la demanderesse possède sur les dessins industriels figurant à l'annexe « C-1 » .

21. En agissant de la sorte, les parties défenderesses ont fait passer leur gamme d'accessoires d'éclairage pour ceux de la demanderesse.

[6]         L'annexe « E » jointe à la déclaration est une comparaison illustrée entre les produits de la demanderesse et ceux des parties défenderesses. Aucune précision n'est donnée quant à la partie défenderesse que les produits concernent, mais il appert de la preuve que les produits sont ceux de la défenderesse MGM.


[7]         C'est dans ce contexte que la requête en jugement sommaire doit être tranchée. La plus récente décision que la Cour d'appel fédérale a rendue en matière de jugement sommaire est l'arrêt Suntec Environmental Inc. c. Trojan Technologies Inc., 2004 A.C.F. 140 (Suntec). Dans cet arrêt, le juge Pelletier a souligné les décisions qui mettent en relief le rôle d'arbitre du juge des faits chargé d'entendre une requête en jugement sommaire, notamment la décision Collie Woollen Mills Ltd. c. Canada (1996), 96 D.T.C. 6146 (C.F. 1re inst.), où la Cour a statué qu'une requête en jugement sommaire devrait être rejetée uniquement lorsque l'ensemble de la preuve ne comporte pas les faits nécessaires pour permettre au juge de trancher les questions soulevées ou lorsqu'il serait injuste de le faire. Aux paragraphes 15 et 16 de l'arrêt Suntec, le juge Pelletier a également fait mention des décisions dans lesquelles la portée d'une requête en jugement sommaire est interprétée de façon plus restrictive. D'après le résumé des décisions mentionnées (citations omises), le critère n'est pas la question de savoir si la partie demanderesse ne peut avoir gain de cause à l'instruction, mais plutôt de savoir si l'affaire est boiteuse au point où son examen par le juge des faits à l'instruction n'est pas justifié. Lorsque les allégations d'une déclaration sont manifestement dénuées de tout fondement, il n'y a pas lieu d'y consacrer le temps et les frais que représente la tenue d'une instruction.

[8]         Pour les motifs exposés ci-après, j'en arrive à la conclusion que, même modifiée, la déclaration est tellement boiteuse qu'elle ne devrait pas être examinée plus à fond. Étant donné que la requête a été débattue en fonction de la déclaration modifiée, tous mes commentaires concernent celle-ci.


[9]         Même s'il est fait mention de confusion et de substitution aux paragraphes 19 et 21 de la déclaration, il n'est nullement allégué que l'une ou l'autre des parties défenderesses a utilisé une marque de commerce de la demanderesse pour faire une fausse déclaration créant de la confusion et occasionnant des préjudices. L'action en substitution doit être liée à une marque de commerce. Il appert de la preuve non contredite relative aux requêtes qu'aucune partie défenderesse n'a utilisé une marque de commerce de la demanderesse. Les annexes « D » et « F » , qui comportent des illustrations tirées de la brochure de la défenderesse MGM ainsi que des illustrations des accessoires d'éclairage figurant sur l'emballage de celle-ci, ne sont pas des marques de commerce : Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13, article 2. Il s'agit plutôt d'illustrations des marchandises d'une partie défenderesse.

[10]       Au paragraphe 18 de sa déclaration, la demanderesse allègue une atteinte à son droit d'auteur afférent à ses oeuvres artistiques uniques et distinctives par suite de la distribution par les parties défenderesses d'une brochure d'accessoires d'éclairage en 2003. Il ne peut y avoir atteinte à un droit d'auteur afférent à une photographie lorsque celle-ci n'est pas reproduite. Une photographie originale d'un objet similaire, voire du même objet, ne constitue pas une atteinte à un droit d'auteur : Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. 1985, ch. C-42, article 3. L'annexe « E » comporte différentes photographies d'objets similaires, mais pas nécessairement identiques. Selon la preuve non contredite, les photographies de la brochure de la défenderesse MGM illustrent les produits de celle-ci et ont été prises sous différents angles et avec différents arrière-plans. Un examen de l'annexe « E » révèle que tel est le cas.


[11]       En ce qui concerne les accessoires d'éclairage de la demanderesse, l'article 64 de la Loi sur le droit d'auteur, que les parties défenderesses invoquent, indique les limites de la protection accordée en prévoyant une défense à l'atteinte au droit d'auteur : Magasins Greenberg Ltée c. Import-Export René Derhy (Canada) Inc. (1995), 61 C.P.R. (3d) (C.F. 1re inst.) 133. Le droit d'auteur est purement un droit d'origine législative. Même si la demanderesse sollicite une réparation en invoquant la Loi sur le droit d'auteur, la preuve n'indique nullement qu'elle a demandé ou obtenu les droits conférés en vertu de cette Loi.

[12]       La seule autre allégation de la déclaration à examiner est l'allégation selon laquelle les parties défenderesses ont violé le droit de la demanderesse sur le dessin industriel figurant à l'annexe « C-1 » . Cette allégation serait fondée sur la distribution de la brochure par les parties défenderesses en 2003. Cependant, les dessins industriels n'ont été enregistrés que le 6 avril 2004. Il n'y a aucune protection afférente aux dessins industriels avant l'enregistrement : Loi sur les dessins industriels, L.R.C. 1985, ch. I-9, article 9 et paragraphe 10(1).

[13]       La distribution de la brochure en 2003, sur laquelle repose l'allégation de contrefaçon (paragraphe 15 de la déclaration), est survenue bien avant la date d'enregistrement. Aucun autre élément n'est invoqué dans la déclaration au soutien de l'allégation de contrefaçon.


[14]       Dans l'affidavit qu'il a fait sous serment le 13 avril 2004, Roger Thibault allègue, au paragraphe 15, que les parties défenderesses ont continué à exercer leurs activités. Cette preuve n'aide pas la demanderesse, pour deux raisons. D'abord, elle manque de précision. En second lieu, l'affidavit ne saurait remplacer un acte de procédure. La déclaration doit comporter suffisamment de faits à l'appui de l'allégation. Les parties doivent respecter les règles de plaidoirie de façon que chacune d'elles connaisse la preuve que l'autre doit établir : Lubrizol Corp. c. Imperial Oil Ltd., [1996] 3 C.F. 40 (C.A.F.). Il ne suffit pas d'énoncer de simples assertions dans une déclaration sans préciser de faits à l'appui de celles-ci : Johnson c. Gendarmerie royale du Canada, 2002 CFPI 917, [2002] A.C.F. n ° 1212.

[15]       C'est pour les raisons exposées ci-dessus que j'en arrive à la conclusion que la déclaration produite en l'espèce est manifestement dénuée de tout fondement, de sorte qu'il n'y a pas lieu d'y consacrer le temps et les frais que représente la tenue d'une instruction. La requête des parties défenderesses en vue d'obtenir un jugement sommaire rejetant l'action sera accordée au moyen d'une ordonnance distincte. Cependant, cela ne signifie pas pour autant que la demanderesse n'a pas de cause d'action. La présente action était prématurée. Si M. Thibault a raison, la demanderesse pourra recommencer. En raison des différentes lacunes que comporte la déclaration et que j'ai mentionnées, j'estime qu'il est préférable en l'espèce de recommencer plutôt que de modifier à nouveau la déclaration.


[16]       Les parties défenderesses ont demandé des dépens avocat-client. Les dépens avocat-client constituent l'exception et sont généralement accordés uniquement lorsque l'une des parties s'est comportée de façon répréhensible, scandaleuse ou choquante : Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (2000), 265 N.R. 90 (C.A.F.); Amway Corp. c. Canada, [1986] 2 CTC 339 (C.A.F.); Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817. Je ne suis pas convaincue que la conduite de la demanderesse en l'espèce justifie l'octroi de dépens avocat-client. Les parties défenderesses ont droit à leurs dépens, qui seront taxés suivant le milieu de la fourchette de la colonne IV du Tarif B.

                                                             « Carolyn Layden-Stevenson »              

Juge

Toronto (Ontario)

Le 21 avril 2004

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

Avocats inscrits au dossier

DOSSIER :                                                     T-185-04

INTITULÉ DE LA CAUSE :                         ULEXTRA INC.

                                                                                       demanderesse

c.

PRONTO LUCE INC.

                                                                                       défenderesses

DATE DE L'AUDIENCE :                            Le 19 avril 2004

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Toronto (Ontario)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               Madame la juge Layden-Stevenson

DATE DES MOTIFS :                                   Le 21 avril 2004

COMPARUTIONS:

Henry Altschuler                                               POUR LA DEMANDERESSE

Robert H.C. MacFarlane                                  POUR LES DÉFENDERESSES

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

LAZARE & ALTSCHULER                             POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)                                          

BERESKIN & PARR                                       POUR LES DÉFENDERESSES

Avocats

Toronto (Ontario)                                            


             COUR FÉDÉRALE

                                 Date : 20040421

                             Dossier : T-185-04

ENTRE :

ULEXTRA INC.

demanderesse

et

PRONTO LUCE INC.

défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.