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Date : 20190830


Dossier : T‑1326‑18

Référence : 2019 CF 1121

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 30 août 2019

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

PEARL BERNICE POTTS

demanderesse

et

ALEXIS NAKOTA SIOUX NATION

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demanderesse, Pearl Potts, sollicite, dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire fondée sur l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, le contrôle de la décision du 20 juin 2018 rendue par le fonctionnaire électoral [le fonctionnaire] relativement à sa contestation du processus et des résultats de l’élection qui a eu lieu le 15 juin 2018 au sein de l’Alexis Nakota Sioux Nation [l’ANSN ou la Première Nation]. Mme Potts a avancé un certain nombre d’allégations de pratiques électorales irrégulières, mais le fonctionnaire a rejeté son appel étant donné qu’elle n’avait pas déclaré ses motifs d’appel durant la période prévue à cet effet.

[2]  En l’espèce, Mme Potts sollicite l’annulation de la décision du fonctionnaire et demande à la Cour de déclarer invalides les résultats de l’élection de 2018 et de destituer le chef et les conseillers.

[3]  Pour les motifs qui suivent, le contrôle judiciaire est rejeté, Mme Potts n’ayant pas établi que la décision du fonctionnaire était déraisonnable. Par ailleurs, elle n’a pas épuisé les autres procédures d’examen dont elle peut se prévaloir aux termes du code électoral coutumier.

Faits contextuels pertinents

[4]  L’Alexis Nakota Sioux Nation de l’Alberta est une Première Nation signataire du Traité no 6. L’ANSN a adopté un système électoral coutumier en 1997 et son Règlement électoral coutumier [le Règlement de l’ANSN] en énonce les procédures et les éléments de fond.

[5]  Mme Potts, qui est membre de l’ANSN, a siégé comme membre élue du Conseil de juin 2014 à juin 2018.

[6]  Mme Potts allègue qu’un certain nombre d’irrégularités se sont produites durant la campagne électorale de 2018. Elle affirme que le chef et des conseillers de l’ANSN ont signé des chèques durant la période de deux semaines précédant l’élection, même s’ils avaient convenu de ne pas le faire. Elle ajoute que le chef Alexis a organisé un rassemblement de jeunes le 5 juin 2018 durant lequel il a irrégulièrement utilisé le logo de l’ANSN. Elle allègue en outre qu’il a donné de l’argent, du travail et de l’essence à des membres de l’ANSN en échange de leurs votes. Enfin, elle soutient qu’un candidat a soudoyé des électeurs en leur promettant un logement en échange de leurs votes.

[7]  Mme Potts allègue également qu’un certain nombre de pratiques corruptrices et irrégulières ont entaché le jour de l’élection. Elle soutient qu’un candidat a soudoyé des électeurs en distribuant de la nourriture et des rafraîchissements à l’extérieur d’un bureau de scrutin. Elle ajoute que le fonctionnaire électoral a rajouté sur la liste des électeurs des noms de personnes qui n’étaient pas membres de l’ANSN et qu’un électeur a été surpris avec deux bulletins.

[8]  L’ANSN a engagé Bernie Makokis comme fonctionnaire électoral en vue de l’élection de 2018. M. Makokis n’est pas membre de l’ANSN.

[9]  Dans son affidavit, Bernie Makokis (par. 10) explique que ses fonctions en tant que fonctionnaire électoral pour l’ANSN consistaient à 1) préparer une liste d’électeurs, 2) établir un dossier électoral contenant l’ensemble des renseignements se rapportant à la tenue de l’élection, 3) organiser la nomination de la manière prescrite par le Règlement électoral coutumier, 4) superviser l’élection et s’assurer que sa tenue est conforme au Règlement électoral coutumier, 5) nommer les greffiers du scrutin et les interprètes, 6) veiller à la construction d’isoloirs appropriés pour assurer le secret et la confidentialité, 7) organiser et présider les réunions du Comité d’appel en matière d’élections.

[10]  L’élection à l’ANSN s’est déroulée le 15 juin 2018. Mme Potts n’a pas été réélue.

[11]  Le 18 juin 2018, Mme Potts a soumis une lettre au fonctionnaire électoral, M. Makokis, indiquant ce qui suit :

[traduction]

Veuillez accepter cette lettre à titre d’avis d’appel conformément à l’article 13 du Règlement électoral coutumier de l’Alexis First Nation.

Nous croyons fermement disposer d’une preuve réelle et de renseignements adéquats pour interjeter appel, nous avons aussi la somme de 300 $ requise par l’article 13.2.1 du règlement.

Enfin, et plus important encore, nous avons communiqué avec vous par téléphone et par texte pour vous informer de l’appel, mais nous n’avons reçu une réponse que tard cet après-midi nous enjoignant de fournir une copie originale et les fonds nécessaires à l’appel.

Décision du fonctionnaire électoral

[12]  Dans une lettre datée du 20 juin 2018, le fonctionnaire électoral, M. Makokis, a rejeté l’appel de la demanderesse, car elle n’avait pas fourni de motifs d’appel comme l’exige l’article 13 du Règlement de l’ANSN. Sa lettre indique ce qui suit :

[traduction]

La procédure aux fins des appels en matière d’élections est régie par le Règlement électoral coutumier de l’Alexis First Nation (le Règlement). L’article 13.1 du Règlement énonce les exigences à remplir pour interjeter appel des résultats d’une élection. L’article 13.2 énonce les exigences impératives se rapportant à l’avis d’appel qui doit être transmis au fonctionnaire électoral. L’article 13.2 est ainsi libellé […]

[…]

Dans le cas présent, la lettre dans laquelle vous signalez votre intention d’interjeter appel ne précisait pas les motifs d’appel dans la période allouée, et à ce titre elle n’est pas conforme aux exigences de l’article 13.2 du Règlement. Cette lettre d’intention est donc viciée et ne constitue pas un avis d’appel au sens du Règlement, et doit être rejetée.

Par conséquent, l’avis d’appel ne peut pas être accepté et je ne suis pas en mesure, aux termes du Règlement, de donner suite à l’appel.

Règlement de l’ANSN

[13]  Les dispositions pertinentes du Règlement de l’ANSN sont les suivantes :

[traduction]

13. APPELS EN MATIÈRE D’ÉLECTIONS

13.1 Délai d’appel et motifs d’appel

Dans les cinq (5) jours consécutifs suivant le jour du scrutin, inclusivement, tout électeur peut interjeter appel des résultats d’une élection, d’une élection partielle ou d’un second tour d’élection pour les motifs suivants :

[…]

13.1.3 Tout candidat qui s’est rendu coupable d’avoir favorisé ou aidé des pratiques corruptrices, ce qui comprend, sans s’y limiter, la corruption au sens strict, les menaces et l’intimidation à l’endroit de candidats, d’électeurs, du fonctionnaire électoral ou des greffiers du scrutin;

13.2 Avis d’appel

13.2.1 Un avis d’appel écrit et signé par l’appelant doit être transmis au fonctionnaire électoral, accompagné des motifs de l’appel et d’un dépôt en espèces de trois cents dollars (300 $).

13.2.2 L’avis d’appel doit parvenir au fonctionnaire électoral dans les trois (3) jours suivant le jour du scrutin.

17. DESTITUTION

17.1 Motifs de destitution

Les électeurs peuvent demander la destitution d’un chef ou d’un conseiller pour les motifs suivants :

[…]

17.1.5 Il s’est livré à des pratiques électorales corruptrices.

Questions en litige

[14]  Compte tenu des observations écrites et des positions prises par les parties durant les observations orales, voici les questions à trancher :

  1. La demanderesse a‑t‑elle interjeté appel durant la période prévue à cet effet?

  2. La preuve par ouï-dire de la demanderesse est-elle admissible?

  3. La demanderesse a‑t‑elle établi des pratiques électorales corruptrices?

  4. Quelle est la réparation appropriée?

Norme de contrôle

[15]  La demanderesse fait valoir que la norme de contrôle applicable à la décision du fonctionnaire électoral est celle de la décision correcte.

[16]  Cela fait contraste avec la présomption suivant laquelle la norme de la décision raisonnable s’applique à l’interprétation par un organisme administratif de sa loi constitutive (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 54).

[17]  Suivant l’arrêt Dunsmuir, la décision prise par l’organisme d’appel en matière d’élections d’une Première Nation chargé d’interpréter un code électoral sera généralement examinée selon la norme de la décision raisonnable (Pastion c Première nation Dene Tha’, 2018 CF 648, au par. 20 [Pastion]).

[18]  Dans la décision Commanda c Première Nation des Algonquins de Pikwakanagan, 2018 CF 616, le juge Phelan fait remarquer (au par. 19) qu’« il s’agit d’une décision interne portant sur les lois électorales d’une communauté, [et qu’il] convient, eu égard au respect que l’on doit aux peuples autochtones en ce qui a trait à la gouvernance de leurs affaires internes, de faire preuve d’une grande retenue […], tout en s’assurant qu’elle appartient aux issues raisonnables possibles ».

[19]  La norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable. Il y aura donc lieu de faire preuve d’une grande retenue à l’égard du fonctionnaire.

Analyse

a. La demanderesse a‑t‑elle interjeté appel durant la période prévue à cet effet?

[20]  La demanderesse soutient que les articles 13.1 et 13.2.2 du Règlement de l’ANSN se contredisent et qu’ils ne peuvent donc subsister et ajoute qu’elle peut, en tant que membre de l’ANSN, demander à tout moment la destitution du chef ou de conseillers aux termes des articles 17.1 et 17.1.5 du Règlement de l’ANSN. Elle fait donc valoir que le fonctionnaire a eu tort de conclure qu’elle n’avait pas respecté le délai pour interjeter appel des résultats électoraux.

[21]  Je conviens qu’il existe dans le libellé du Code électoral une disparité entre les articles 13.1 et 13.2.2 quant à la question de savoir si la période d’appel est de trois ou de cinq jours. La Cour a déjà estimé que la période en cause était de cinq jours (Kootenhayoo c Alger, 2003 CF 1128, au par. 7 [Kootenhayoo]); dans cette décision, la Cour a reconnu l’incohérence entre ces deux dispositions du Règlement de l’ANSN avant de conclure que la période d’appel est, suivant l’interprétation correcte, de cinq jours.

[22]  En l’espèce, que la période d’appel soit de trois ou de cinq jours ne prête pas à conséquence. Cette période comprend le 15 juin 2018, le jour du scrutin (article 13.1); par conséquent, la période d’appel de cinq jours allait jusqu’au 19 juin 2018. En l’espèce, Mme Potts n’a pas soumis les motifs de son appel à cette date, comme l’exige l’article 13.2.1 du Règlement de l’ANSN.

[23]  Par conséquent, même en retenant une interprétation favorable qui autorise une période d’appel de cinq jours, Mme Potts n’a pas soumis un appel conforme dans le délai applicable. La décision du fonctionnaire électoral est donc raisonnable et la Cour doit faire preuve de retenue à son endroit.

b. La preuve par ouï-dire de la demanderesse est-elle admissible?

[24]  À l’appui du présent contrôle judiciaire, Mme Potts a déposé son propre affidavit ainsi que ceux souscrits par Florence Letendre et Cameron Peter Alexis. Ces affidavits contiennent de nombreuses allégations d’irrégularités électorales, notamment de corruption et d’intimidation.

[25]  Avant l’audience, la défenderesse a déposé une requête en radiation de certaines parties de la preuve par affidavit de la demanderesse aux motifs qu’elles contenaient du ouï-dire. Cette requête a été examinée à l’audition de la demande de contrôle judiciaire. La défenderesse s’oppose en particulier aux :

  • (i) paragraphes 4, 5 et 8 de l’affidavit de Pearl Potts;

  • (ii) paragraphes 4 et 5 de l’affidavit de Florence Letendre;

  • (iii) paragraphes 5, 6 et 7 de l’affidavit de Cameron Peter Alexis.

[26]  Mme Potts affirme en réponse que sa preuve est visée par une exception relative au ouï-dire et cite à l’appui la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Sideleau c Davidson ([1942] SCR 306 [Sideleau]) ainsi que la décision Wilson c Ross (2008 CF 1173 [Wilson]) de la Cour fédérale. Cependant, ces affaires ont trait à la capacité de la Cour de tirer une inférence de pratiques électorales corruptrices lorsqu’une certaine conduite a été démontrée. Elles n’établissent pas que la preuve par ouï-dire peut servir à étayer une telle conduite. Par ailleurs, dans la décision Wilson, la juge Dawson déclare au par. 30 que le fait d’exiger « qu’un électeur vienne témoigner que son vote a été acheté impose un fardeau trop lourd à une partie qui allègue l’existence d’une manœuvre corruptrice ». Cependant, elle n’évoque pas le ouï-dire et ne dit pas qu’un ouï-dire non éprouvé peut servir à établir la conduite en cause.

[27]  Suivant la règle générale, la preuve par ouï-dire ne doit pas être prise en compte. Le ouï-dire peut « […] exceptionnellement être admis en preuve s’il est nécessaire et suffisamment fiable » (R c Bradshaw, 2017 CSC 35, au par. 18 [Bradshaw]).

[28]  Les faits mentionnés dans les paragraphes invoqués par Mme Potts ne relèvent pas strictement de la connaissance personnelle et directe des auteurs des affidavits. S’agissant de son propre affidavit, Mme Potts joint des déclarations faites par d’autres personnes et répète ce que d’autres lui ont dit. Les affidavits de Florence Letendre et de Cameron Peter Alexis reprennent de prétendues déclarations faites par d’autres et précédées de la mention : « […] m’a dit que ». Il s’agit là d’un ouï-dire classique. La demanderesse n’a pas fourni la preuve directe des auteurs de ces diverses allégations, et n’a pas non plus expliqué pourquoi la preuve en question ne pouvait pas être présentée. Par conséquent, cette preuve qui est au centre des questions en litige ne peut être jugée nécessaire ou fiable.

[29]  Par conséquent, la Cour ne considérera pas les paragraphes 4, 5 et 8 de l’affidavit de Pearl Potts, les paragraphes 4 et 5 de l’affidavit de Florence Letendre, et les paragraphes 5, 6 et 7 de l’affidavit de Cameron Peter Alexis.

c. La demanderesse a‑t‑elle établi des pratiques électorales corruptrices?

[30]  Mme Potts soutient que lorsque des pratiques électorales corruptrices sont alléguées, il incombe au défendeur de prouver qu’il n’y a pas eu de corruption; elle cite à l’appui la décision Papequash c Brass, 2018 CF 325 [Papequash] de la Cour fédérale, dans laquelle le juge Barnes déclare ce qui suit au par. 33 :

Les demandeurs assument le fardeau de la preuve qui nécessite d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’un manquement à la Loi susceptible d’avoir influencé le résultat des élections a eu lieu : voir McNabb c Cyr, 2017 SKCA 27 au paragraphe 36, [2017] SJ no 132. Lorsqu’une preuve suffisante de corruption est présentée, le fardeau de la preuve peut être transféré aux défendeurs.

[31]  Cependant, le transfert du fardeau de la preuve n’est applicable que si la Cour est convaincue qu’il existe une preuve fiable de corruption (Papequash, au par. 33). En l’espèce, compte tenu du reste de la preuve de la demanderesse, c’est‑à‑dire les éléments qui ne sont pas exclus parce qu’il s’agit d’une preuve par ouï-dire, la demanderesse n’a pas, selon la prépondérance des probabilités, établi au moyen d’éléments de preuve fiables que l’élection de juin 2018 a été entachée de corruption.

[32]  En fait, le seul acte qui pourrait paraître douteux à première vue a été posé lorsque le chef de l’ANSN a acheté de l’essence pour Florence Letendre peu avant l’élection. Au paragraphe 56 de son affidavit daté du 21 septembre 2018, il reconnaît l’avoir fait. Cependant, il affirme aussi qu’il n’a pas été question du vote de Mme Letendre au moment de cet achat. Celle‑ci n’allègue rien de tel non plus et a déclaré par ailleurs durant son contre-interrogatoire qu’elle n’avait pas eu l’intention de faire quoi que ce soit d’illégal lorsqu’elle a demandé au chef de lui acheter de l’essence (contre-interrogatoire de Florence Letendre – Dossier de Pearl Bernice Potts, volume 1, onglet E, page 119).

[33]  Dans la décision Henry c Conseil coutumier de la Première nation Anishinable de Roseau River, 2017 CF 1038, aux par. 57 et 58, la Cour examine le droit en matière d’« achat de vote ». Le juge Mandamin tire une conclusion importante au paragraphe 59 selon laquelle « […] il ne peut s’agir de soudoiement, ni d’achat de vote, lorsque l’argent est donné sans la condition de voter pour une personne en particulier ».

[34]  En l’espèce, l’achat d’essence pour Mme Letendre par le chef ne peut être considéré comme un « achat de vote » que s’il a été fait à la condition qu’elle vote pour lui à la prochaine élection. Cependant, cela est réfuté par la preuve directe du chef et de Mme Letendre. Par conséquent, compte tenu des faits, l’acte par lequel le chef a rempli un réservoir d’essence n’étaye pas l’allégation de pratiques électorales corruptrices avancée par Mme Potts.

[35]  Dans l’ensemble, comme elle n’a pas présenté de preuve directe et fiable à l’appui de ses allégations, Mme Potts ne peut, dans les circonstances, invoquer le transfert du fardeau de la preuve à la défenderesse pour établir indirectement ce qu’elle n’a pas établi directement.

d. Quelle est la réparation appropriée?

[36]  La demanderesse invoque son droit de demander la destitution d’un chef ou de conseillers pour pratiques corruptrices aux termes des articles 17.1 et 17.1.5 du Règlement de l’ANSN. Cependant, rien dans le dossier n’indique qu’elle ait présenté une plainte ou une demande suivant les mêmes dispositions du Règlement de l’ANSN. Le fait que Mme Potts ne s’est pas prévalue d’un mécanisme prévu par le Règlement de l’ANSN pour contester des pratiques corruptrices montre qu’elle n’a pas épuisé tous les recours existants avant de se présenter devant la Cour.

[37]  Dans l’arrêt Peters First Nation Band Council c Peters, 2019 FCA 197 [Peters], la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit (au par. 37) :

[traduction]

37 À titre de règle générale, la Cour doit, en l’absence de circonstances exceptionnelles, refuser d’instruire une demande de contrôle judiciaire à moins que toutes les procédures d’appel administratif n’aient été épuisées (C.B. Powell Ltd. c Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CAF 61, [2011] 2 R.C.F. 332 (C.A.F.), aux par. 30 à 33). Dans l’arrêt JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c Ministre du Revenu national, 2013 CAF 250, [2014] 2 R.C.F. 557 (C.A.F.), au par. 101, notre Cour a estimé que « [le recours en contrôle judiciaire] est une voie de dernier recours, ouverte uniquement lorsqu’une action recevable en droit administratif existe, lorsque toutes les autres voies de recours actuelles ou éventuelles sont épuisées, inefficaces ou inappropriées, et lorsque la Cour fédérale est habilitée à accorder la réparation demandée ».

[38]  Il est bien établi que l’existence d’un autre recours adéquat constitue un motif discrétionnaire de rejeter une demande de contrôle judiciaire (Strickland c Canada (Procureur général), 2015 CSC 37, au par. 38 [Strickland]). En intervenant au stade actuel du présent litige, la Cour fédérale se trouverait à ignorer le rôle de surveillance limité de l’appareil judiciaire à l’égard des litiges entourant les élections autochtones.

[39]  Dans l’arrêt Strickland (aux par. 42 à 45), les juges majoritaires de la Cour suprême ont fait remarquer que la Cour doit prendre en compte l’ensemble des circonstances de l’affaire avant de décider d’instruire ou non une demande de contrôle judiciaire, étant donné que le refus de trancher une telle demande au motif que les parties ne se sont pas prévalues d’un autre recours existant est discrétionnaire.

[40]  Dans les circonstances, les commentaires formulés dans la décision Pastion trouvent à s’appliquer. La Cour déclarait ce qui suit dans cette décision, au par. 23 :

L’idée que le législateur souhaite que l’on fasse preuve de déférence à l’égard des décideurs administratifs a une résonance particulière dans le contexte autochtone. Depuis au moins trois décennies, le gouvernement fédéral a pour politique de reconnaître l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones (voir, par exemple, le Guide de la politique fédérale sur l’autonomie gouvernementale, gouvernement du Canada, 1995). La promulgation de lois électorales autochtones, comme le Règlement électoral dont il est question en l’espèce, constitue un exercice d’autonomie gouvernementale. Or, la mise en application des lois est une composante de l’autonomie gouvernementale. Il est souhaitable que les lois soient appliquées par les gens qui les font. Par conséquent, lorsque des lois autochtones accordent une compétence à un décideur autochtone, faire preuve de déférence à son égard découle du principe d’autonomie gouvernementale.

[41]  La même logique s’applique à la décision de la Cour d’exercer son pouvoir de supervision à l’égard des litiges entourant les élections autochtones. Si une autre procédure ancrée dans l’autonomie gouvernementale autochtone permet de résoudre adéquatement le litige, il serait inapproprié de la part de la Cour d’intervenir.

[42]  En l’espèce, la demanderesse peut, aux termes du Règlement de l’ANSN, exercer un recours à l’égard des pratiques électorales corruptrices alléguées. Dans les circonstances, il ne serait pas approprié de la part de la Cour de prendre la place de ceux choisis par l’ANSN pour régler ces questions. Il s’agit d’une situation dans laquelle il convient que la Cour fédérale refuse d’exercer sa compétence.

Conclusion

[43]  La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée et la demanderesse doit verser à la défenderesse des dépens au montant fixe de 1 000 $.


JUGEMENT dans le dossier T‑1326‑18

LA COUR STATUE que :

  1. la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. la demanderesse versera à la défenderesse des dépens au montant fixe de 1 000 $.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 26e jour de septembre 2019.

Isabelle Mathieu, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1326‑18

 

INTITULÉ :

PEARL BERNICE POTTS c ALEXIS NAKOTA SIOUX NATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 JUIN 2019

 

jugEment et MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

 

DATE DES MOTIFS :

LE 30 AOÛT 2019

 

COMPARUTIONS :

Priscilla Kennedy

 

POUR La demanderesse

 

Aiyaz A. Alibhai

Vita Dos Santos

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

DLA Piper (Canada), s.r.l.

Avocats

Edmonton (Alberta)

 

POUR La demanderesse

 

Miller Thomson, s.r.l.

Avocats / Lawyers

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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