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Date : 20190910


Dossier : IMM‑713‑19

Référence : 2019 CF 1155

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 10 septembre 2019

En présence de monsieur le juge Sébastien Grammond

ENTRE :

ROUA AL HASAN, ZIAD FAKOUSH ET LAYA FAKOUSH

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision par laquelle une agente des visas au Liban a rejeté la demande de résidence permanente qu’ils avaient présentée à titre de réfugiés ou de membres de la catégorie de personnes de pays d’accueil. Ils allèguent que l’agente a tiré des conclusions défavorables quant à leur crédibilité, qu’elle n’a pas interrogé l’enfant demandeur et qu’elle n’a pas tenu compte du risque objectif auquel les demandeurs sont exposés en Syrie, leur pays d’origine. Je rejette leur demande, car j’estime que l’agente n’a pas commis de telles erreurs.

I.  Le contexte

[2]  Les demandeurs sont une famille de Syriens. Ils allèguent qu’ils ont été obligés de fuir la Syrie en raison des activités humanitaires de Mme Al Hasan. Ils ont présenté une demande de résidence permanente, qui a initialement été rejetée par un agent des visas au Liban parce qu’il doutait de la crédibilité des demandeurs. Les demandeurs ont alors présenté une demande de contrôle judiciaire à la Cour, qui a été réglée, et l’affaire a été renvoyée pour qu’une nouvelle décision soit rendue.

[3]  Lors du deuxième examen de la demande de résidence permanente, l’agente des visas saisie du dossier a interrogé Mme Al Hasan et M. Fakoush séparément pendant une partie de l’entrevue. Comme leurs passeports ne portaient pas le timbre que l’on trouve habituellement sur les passeports syriens délivrés aux membres de la famille d’un demandeur, l’agente a commencé à soupçonner que les demandeurs ne vivaient pas au Liban et qu’ils étaient retournés en Syrie. Elle les a donc interrogés sur la manière dont ils avaient obtenu leurs passeports, et les explications qu’ils ont fournies étaient contradictoires. L’agente les a ensuite avertis qu’elle doutait de leur crédibilité et leur a donné la possibilité de répondre. M. Fakoush a alors admis qu’il avait menti.

[4]  L’agente des visas a rejeté leur demande. Elle a conclu que Mme Al Hasan et M. Fakoush avaient menti pendant l’interrogatoire au sujet de la manière dont ils avaient obtenu leurs passeports, ce qui donnait à penser qu’ils vivaient en Syrie et non au Liban. Par conséquent, elle a conclu qu’ils avaient contrevenu à l’article 16 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], et qu’ils étaient interdits de territoire au Canada.

[5]  Les demandeurs sollicitent maintenant le contrôle judiciaire de cette décision.

II.  Analyse

[6]  Malgré l’argumentation habile de l’avocate des demandeurs, je rejette la présente demande. Les demandeurs n’ont pas démontré que l’appréciation de la crédibilité effectuée par l’agente était déraisonnable. Compte tenu de la conclusion défavorable qu’elle a tirée quant à la crédibilité et de la nature de la demande, l’agente n’était pas tenue d’évaluer les risques en se fondant sur des renseignements objectifs. Qui plus est, elle n’a pas commis d’erreur en n’entendant pas le témoignage de la fille de huit ans de Mme Al Hasan et de M. Fakoush.

[7]  Avant d’examiner en détail les arguments présentés par les demandeurs, je constate qu’il n’est pas contesté que la décision de l’agente est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Plus précisément, cela signifie que la Cour doit interpréter les motifs de l’agente de manière libérale et que, eu égard à la preuve, elle doit compléter les motifs avec tout élément nécessairement implicite, comme l’a déclaré la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16, [2011] 3 RCS 708, qui se lit comme suit :

Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision. Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit‑il, qui a mené à sa conclusion finale (Union internationale des employés des services, local no 333 c. Nipawin District Staff Nurses Assn., [1975] 1 R.C.S. 382, p. 391). En d’autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.

A.  La crédibilité

[8]  L’argument principal des demandeurs est que l’appréciation de la crédibilité effectuée par l’agente était déraisonnable. Plus particulièrement, les demandeurs affirment que l’agente s’est appuyée à tort sur sa connaissance locale du fait que les passeports syriens délivrés aux membres de la famille d’un titulaire de passeport doivent porter un timbre particulier. Ils affirment également que l’agente n’a pas tenu compte des explications qu’ils ont fournies au sujet des divergences apparentes dans leurs témoignages.

[9]  Je ne peux retenir ces arguments.

[10]  Les agents des visas peuvent examiner une demande en s’appuyant sur leur connaissance des conditions locales dans la région où ils ont été affectés : Bahr c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 527; Asl c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1006; Mohammed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 992; Yuzer c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 781.

[11]  Selon les circonstances, le principe de l’équité procédurale peut exiger que les agents fassent connaître leur intention de s’appuyer sur leurs connaissances locales : Nguyen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 439, au paragraphe 28. En l’espèce, aucune préoccupation n’est soulevée à cet égard, car l’agente a informé les demandeurs que leurs passeports ne portaient pas le timbre qui aurait, à sa connaissance, indiqué que les documents avaient été délivrés à des membres de la famille d’un titulaire de passeport, et elle leur a donné la possibilité de répondre.

[12]  Quoi qu’il en soit, la conclusion défavorable qu’a tirée l’agente quant à la crédibilité des demandeurs était essentiellement fondée sur le fait que M. Fakoush a avoué avoir menti. L’absence d’un timbre sur les passeports a simplement incité l’agente à mettre en doute la crédibilité de Mme Al Hasan et de M. Fakoush. De toute évidence, l’aveu de M. Fakoush était un motif suffisant pour conclure que les demandeurs manquaient de crédibilité et qu’ils avaient contrevenu à l’article 16 de la Loi.

B.  L’évaluation des risques

[13]  Les demandeurs soutiennent également que même si l’agente a conclu qu’ils manquaient de crédibilité, elle aurait dû évaluer leurs profils de risque en s’appuyant sur les éléments de preuve objectifs qui ont été produits concernant la situation dans le pays. Il est vrai que dans certains cas les risques peuvent être évalués sans tenir compte de la crédibilité. En effet, comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Sellan, 2008 CAF 381, au paragraphe 3, « [l]orsque la Commission tire une conclusion générale selon laquelle le demandeur manque de crédibilité, cette conclusion suffit pour rejeter la demande, à moins que le dossier ne comporte une preuve documentaire indépendante et crédible permettant d’étayer une décision favorable au demandeur ». Or, il en est ainsi surtout dans les affaires où des renseignements objectifs permettent d’établir que le demandeur fait partie d’une catégorie de personnes qui ont été jugées être exposées à un risque : voir, par exemple, Denbel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 629, au paragraphe 51. En l’espèce, compte tenu de leur manque de crédibilité, les demandeurs n’ont pas été en mesure d’établir qu’ils remplissaient une condition essentielle du critère régissant le droit d’asile ou l’appartenance à la catégorie de personnes de pays d’accueil, à savoir qu’ils se trouvaient à l’extérieur de leur pays de nationalité. Par conséquent, en l’espèce, l’agente n’était pas tenue de procéder à une évaluation distincte des risques.

[14]  Les demandeurs soutiennent néanmoins que l’agente n’a jamais conclu qu’ils ne résidaient pas en Syrie. Il s’agit là d’une erreur. L’agente a en effet écrit ce qui suit :

[traduction] Compte tenu des préoccupations que j’ai déjà mentionnées, je crains qu’ils soient retournés de leur plein gré en Syrie à de nombreuses reprises, ou qu’ils y soient restés, ce qui ne démontre pas qu’ils ont une crainte raisonnable de persécution, qu’ils ne sont pas disposés à se réclamer de la protection de leur pays de persécution, ou qu’ils continuent d’être personnellement et gravement touchés par le conflit, conformément aux exigences énoncées à l’article 96 de la Loi et à l’article 147 du Règlement.  

[15]  Bien qu’ils soient laconiques, ces commentaires traduisent clairement la conclusion de l’agente selon laquelle les demandeurs, qui avaient le fardeau de la preuve, n’ont pas produit suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour étayer un élément essentiel de leur demande de résidence permanente.

C.  Le témoignage de l’enfant

[16]  Mme Al Hasan et M. Fakoush soutiennent également que l’agente aurait dû entendre le témoignage de leur fille, qui était âgée de huit ans au moment de l’entrevue.

[17]  Cet argument se heurte à un obstacle de taille : personne n’a jamais demandé à l’agente d’entendre le témoignage de l’enfant.

[18]  Toutefois, les demandeurs affirment que l’agente avait l’obligation de tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant et que lorsque la crédibilité des parents d’un enfant est mise en doute, l’agent saisi du dossier doit prendre l’initiative d’interroger l’enfant. À cet égard, selon les arguments formulés par l’avocate des demandeurs avant leur entrevue, [traduction] « aucune préoccupation n’a été soulevée concernant la crédibilité de Laya », mais personne n’a expressément demandé qu’elle soit interrogée.

[19]  Je reconnais que la Convention relative aux droits de l’enfant, qui a été adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies dans sa résolution 44/25 (1989) [la Convention] et qui a été ratifiée par le Canada, contient des directives utiles : De Guzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 436, [2006] 3 RCF 655. L’article 12 de cette Convention est ainsi libellé :

Article 12

1. Les Etats parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité.

2. À cette fin, on donnera notamment à l’enfant la possibilité d’être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l’intéressant, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un représentant ou d’une organisation approprié, de façon compatible avec les règles de procédure de la législation nationale.

[20]  Je reconnais également la jurisprudence de la Cour selon laquelle un agent peut interroger un enfant, pourvu qu’il prenne des mesures adéquates eu égard à l’âge de l’enfant et aux autres circonstances pertinentes : Jesuthasan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 872.

[21]  L’article 12 de la Convention prévoit qu’un enfant a la possibilité d’être entendu « par l’intermédiaire d’un représentant ». En l’espèce, l’enfant était représentée par sa mère, qui était la demanderesse principale. Le simple fait que la demande des parents a été rejetée ne signifie pas que l’enfant n’était pas représentée. L’agente n’avait pas l’obligation d’interroger l’enfant puisque personne ne l’avait expressément demandé.

[22]  Puisque cela suffit pour écarter cet argument, il ne serait guère judicieux que j’examine plus avant les questions complexes qui peuvent être soulevées lorsque des enfants sont touchés par des procédures relatives à la détermination du statut de réfugié.

D.  Le risque objectif auquel est exposé l’enfant

[23]  Les demandeurs soutiennent également que l’agente a mal évalué le risque auquel les enfants, et en particulier les filles, sont exposés en Syrie, comme le décrivent les éléments de preuve objectifs concernant la situation dans le pays que l’avocate a présentés à l’agente avant la tenue de l’entrevue. Je ne puis souscrire à cet avis. L’agente a expressément examiné ces éléments de preuve, mais elle a conclu que l’enfant ne serait pas exposée au risque qui y était décrit, parce qu’elle était sous la garde de ses parents et que rien ne prouvait que les besoins de base de la famille n’étaient pas comblés. Je reconnais qu’à la première lecture de ses motifs on aurait pu conclure que l’agente a pris en compte des facteurs d’ordre humanitaire, ce qui soulève des doutes quant à savoir si elle a appliqué le bon critère. Or, lorsque ses motifs sont interprétés en tenant compte du contexte dans lequel l’avocate a présenté ses observations et de la nature des risques décrits dans la preuve, il devient évident que l’agente a examiné les questions de droit et que sa décision à cet égard est raisonnable.

[24]  Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑713‑19

LA COUR STATUE :

  1. que la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. qu’aucune question n’est certifiée.

« Sébastien Grammond »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 20e jour de septembre 2019

Julie Blain McIntosh, LL.B., trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DoSSIER :

IMM‑713‑19

 

INTITULÉ :

ROUA AL HASAN, ZIAD FAKOUSH ET LAYA FAKOUSH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE‑Britannique)

DATE DE l’AUDIENCE :

le 9 septembre 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge GRAMMOND

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

le 10 septembre 2019

COMPARUTIONS :

Tess Acton

pour les demandeurs

Kim Sutcliffe

pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Maynard Kischer Stojicevic

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

pour les demandeurs

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

pour le défendeur

 

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