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Date : 20190903


Dossier : IMM-4822-19

Référence : 2019 CF 1130

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 3 septembre 2019

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

demandeur

et

RAED AROOK

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant une ordonnance par laquelle la Section de l’immigration [SI] a remis M. Arook en liberté. M. Arook est détenu depuis le 27 juin 2019. Le ministre demande le maintien de la détention de M. Arook au motif qu’il se soustraira vraisemblablement à son renvoi et qu’il constitue un danger pour la sécurité publique.

[2]  Pour les motifs qui suivent, je conclus que l’ordonnance de mise en liberté de M. Arook est raisonnable. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.  Le contexte

A.  Les antécédents de M. Arook en matière d’immigration au Canada

[3]  M. Arook est un citoyen israélien de 43 ans qui a obtenu l’asile au Canada en 2003.

[4]  En 2007, M. Arook est entré illégalement aux États-Unis. Il a ensuite été expulsé vers Israël en 2008. Là, il a obtenu un passeport israélien en utilisant une fausse identité et est entré de nouveau au Canada. En 2010, les autorités canadiennes ont pris contre lui une mesure d’expulsion pour grande criminalité. Il a récemment maintenu ne pas vouloir retourner en Israël.

[5]  M. Arook a commis des infractions sur une longue période au Canada, soit de 2003 à 2014. De ses déclarations de culpabilité, 19 ont trait à la non-conformité, comme le défaut de se présenter au tribunal et le défaut de se conformer à un engagement.

[6]  En 2014, son inconduite la plus grave s’est produite : pendant son procès pour une infraction sexuelle à l’endroit d’une personne âgée de moins de 16 ans, M. Arook s’est réfugié aux États-Unis. Il a finalement été reconnu coupable en 2016 et condamné à six ans d’emprisonnement pour son crime.

[7]  Le 12 septembre 2018, pendant que M. Arook purgeait sa peine, l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] l’a informé qu’elle demanderait l’avis du ministre sur la question de savoir s’il constituait un danger pour la sécurité publique [avis de danger] aux termes de l’alinéa 115(2)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. L’avocate de M. Arook a obtenu une prolongation jusqu’à la fin août 2019 pour présenter d’autres observations sur l’avis de danger.

[8]  Le 27 juin 2019, M. Arook a obtenu sa libération d’office sous réserve de conditions spéciales imposées par la Commission des libérations conditionnelles (conditions de libération conditionnelle, reproduites à l’annexe A des présents motifs). Toutefois, il a ensuite été transféré directement sous la garde des autorités de l’immigration. Il a assisté à deux audiences de contrôle des motifs de détention devant la SI en juillet, qui ont toutes deux abouti au maintien de sa détention. Lorsqu’il a refusé la mise en liberté le 3 juillet 2019, le premier commissaire a invoqué des manquements répétés aux conditions imposées, tant en matière pénale qu’en matière d’immigration, pour appuyer la conclusion selon laquelle M. Arook se soustrairait vraisemblablement au renvoi. Le commissaire était d’avis qu’il n’existait pas de bonne solution de rechange à la détention à l’époque, mais a formulé plusieurs recommandations, y compris une résidence supervisée qui, si elle était mise en œuvre, pourrait faire partie de la solution lors des prochains contrôles des motifs de détention. En outre, le premier commissaire a recommandé que l’imam mentionné par M. Arook soit interrogé.

[9]  Le 10 juillet 2019, un deuxième commissaire de la SI a ordonné le maintien en détention de M. Arook sensiblement pour les mêmes raisons que le premier, tout en reconnaissant les progrès réalisés par M. Arook. Toutefois, il s’est dit préoccupé par le fait que, compte tenu des antécédents de M. Arook en matière de toxicomanie et de son désir de ne pas retourner en Israël, un avis de danger exécutoire pourrait entraîner une rechute si des mesures de protection solides ne sont pas mises en place dans la communauté.

[10]  En ce qui concerne la solution de rechange proposée à la détention, le commissaire a expliqué que même si [traduction] « l’élaboration d’une solution de rechange à la détention » pourrait être au stade préliminaire, d’autres preuves sur ce facteur étaient nécessaires. Le commissaire a recommandé que l’agent de libération conditionnelle dans la collectivité participant au plan de libération et l’imam discutent du type de logement temporaire qui pourrait être offert à M. Arook. Le commissaire a également recommandé que l’imam soit disponible pour une entrevue lors du contrôle des motifs de détention de M. Arook.

[11]  L’imam a comparu à la troisième audience de contrôle des motifs de détention, tenue le 2 août 2019 devant une troisième commissaire de la SI [la commissaire]. Sa décision rendue le même jour [la décision contestée] fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

III.  La décision faisant l’objet du contrôle

[12]  Le 2 août 2019, la commissaire a ordonné la libération conditionnelle de M. Arook. Elle a entendu les observations des avocats de M. Arook et du ministre, ainsi que le témoignage de l’imam, qui a porté principalement sur sa connaissance de M. Arook et des établissements qu’il avait fréquentés, ainsi que sur sa bonne conduite apparente et sa réadaptation dans ces établissements.

[13]  En ce qui concerne les détails de la solution de rechange à la détention, l’imam s’est présenté comme l’aumônier musulman du Service correctionnel du Canada dans le Lower Mainland, et a déclaré connaître M. Arook depuis un peu plus d’un an, l’ayant rencontré dans le cadre de séances de counseling en groupe, d’entrevues individuelles et de séances de prière et d’aumônerie. L’imam a dit qu’il pouvait offrir à M. Arook un logement si cela s’avérait nécessaire, ainsi qu’un soutien pour trouver un emploi par le biais de relations dans la communauté musulmane. Il s’est en outre engagé à conduire personnellement M. Arook au bureau de l’ASFC afin de satisfaire à son obligation de se présenter, le cas échéant.

[14]  En ce qui concerne le logement, la solution de rechange proposée à la détention était une place dans la section de développement personnel à la Maison Belkin de l’Armée du Salut, assortie de toutes les exigences de se présenter à son agent de libération conditionnelle, conformément aux conditions de sa libération conditionnelle ainsi qu’aux autres conditions imposées par la commissaire. La commissaire voulait s’assurer qu’étant donné que M. Arook n’était pas candidat pour le niveau le plus élevé de supervision à la Maison Belkin, la section de développement personnel de l’établissement serait suffisante pour atténuer le danger qu’il représente pour la sécurité publique ainsi que le risque de fuite.

[15]  Dans sa décision rendue de vive voix à la fin de l’audience du 2 août, la commissaire a accepté l’argument du ministre selon lequel il existait deux motifs de détention. Premièrement, elle a conclu que M. Arook se soustrairait vraisemblablement à son renvoi, compte tenu de ses antécédents importants de non-conformité tant en matière pénale qu’en matière d’immigration, de sa décision de fuir aux États-Unis lorsqu’il a été accusé d’une infraction criminelle, de son désir de ne pas retourner en Israël et du fait qu’il avait déjà obtenu un passeport israélien au moyen d’une fausse identité.

[16]  Deuxièmement, la commissaire, tout comme ses collègues l’avaient conclu lors des deux contrôles des motifs de détention précédents, a déclaré que M. Arook représentait un danger pour la sécurité publique, soulignant la gravité de sa déclaration de culpabilité pour agression sexuelle et ses antécédents constants de délinquance au Canada. La commissaire a soupesé ces facteurs défavorables et la volonté de l’imam d’appuyer M. Arook après sa libération et de veiller à ce qu’il respecte la solution de rechange à la détention de même que les conditions proposées, pour finalement décider que les risques étaient suffisamment atténués pour justifier sa libération.

[17]  Pour en arriver à ce résultat, la commissaire s’est penchée sur les facteurs prévus à l’article 248 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement]. Elle a fait observer que la détention de 36 jours n’était pas suffisamment longue, en soi, pour pencher en faveur de la libération. Toutefois, cet élément était contrebalancé par la durée potentielle de la future détention, étant donné que les observations sur l’avis de danger n’avaient pas encore été reçues et pouvaient prendre un certain temps. Le maintien en détention de M. Arook dans l’attente de cette décision ne servirait pas de fins d’immigration. Elle a également déterminé qu’il n’y avait eu aucun retard ou manque de diligence de la part des deux parties. À la lumière du manque de preuve sur la question de l’intérêt supérieur de l’enfant, la commissaire a accordé un poids neutre à ce facteur.

[18]  Enfin et surtout, la commissaire a accordé beaucoup d’importance à sa conclusion selon laquelle la solution de rechange à la détention proposée atténuait suffisamment le risque de fuite posé par M. Arook et le danger pour la sécurité publique qu’il représente. Pour appuyer cette conclusion, la commissaire a souligné que la Commission des libérations conditionnelles avait désigné M. Arook comme étant non dangereux, et elle a reconnu que l’imam avait déclaré que la communauté religieuse avait aidé d’autres détenus dans une situation semblable et qu’il fournirait personnellement un soutien adéquat à M. Arook afin que celui-ci respecte ses conditions.

[19]  Pour [traduction] « atténuer davantage le risque », la commissaire a imposé les conditions suivantes à la libération de M. Arook, qui s’ajoutent aux conditions de libération conditionnelle énumérées à l’annexe A :

  • (i) se présenter à la date, à l’heure et à l’endroit qu’un agent de l’ASFC ou la SI fixe afin de se conformer aux obligations qui lui sont imposées en vertu de la LIPR, y compris le renvoi, si nécessaire;

  • (ii) fournir son adresse à l’ASFC avant sa mise en liberté et aviser l’ASFC au moyen d’une demande présentée en personne à la SI de tout changement d’adresse avant que le changement ne soit effectué;

  • (iii) se présenter à un agent au bureau de l’ASFC à Vancouver tous les mardis;

  • (iv) confirmer son départ à un agent de l’ASFC avant de quitter le Canada;

  • (v) coopérer pleinement avec l’ASFC relativement à l’obtention de titres de voyage;

  • (vi) après sa libération, ne participer à aucune activité susceptible de conduire à une déclaration de culpabilité aux termes d’une loi fédérale;

  • (vii) ne pas travailler ou étudier sans autorisation, conformément à la LIPR;

  • (viii) respecter un couvre-feu et être présent entre 22 h et 6 h à l’adresse fournie à l’ASFC, à moins d’avoir reçu par écrit une autorisation expresse d’un agent de l’ASFC;

  • (ix) ne pas être en possession ou faire usage d’alcool ou de substances contrôlées visées par la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, sauf sur ordonnance d’un médecin;

  • (x) se conformer à toutes les conditions qui lui sont imposées par l’agent de libération conditionnelle chargé de le superviser, la Commission des libérations conditionnelles et le Service correctionnel du Canada.

[20]  Peu de temps après la décision de la commissaire, le ministre a demandé à la Cour une injonction provisoire ayant pour effet de surseoir à la libération de M. Arook, injonction qu’il a obtenue. Une demande a donc été présentée pour accélérer l’audition du présent contrôle judiciaire, ce que la Cour a fait en tenant une audience spéciale, de sorte que l’affaire a été entendue et tranchée avant le prochain contrôle des motifs de détention des 30 jours (prévu le 4 septembre 2019).

IV.  Les dispositions applicables

[21]  En application du paragraphe 58(1) de la LIPR, la SI prononce la mise en liberté du résident permanent ou de l’étranger, sauf sur preuve, compte tenu des critères réglementaires, de tel des faits suivants :

  • a) le résident permanent ou l’étranger constitue un danger pour la sécurité publique;

  • b) le résident permanent ou l’étranger se soustraira vraisemblablement au contrôle, à l’enquête ou au renvoi, ou à la procédure pouvant mener à la prise par le ministre d’une mesure de renvoi en vertu du paragraphe 44(2);

[22]  S’il est constaté qu’il existe des motifs de détention, l’article 248 du Règlement exige que la SI tienne compte des critères ci-après avant de rendre une décision quant à la détention ou la mise en liberté :

  • a) le motif de la détention;

  • b) la durée de la détention;

  • c) l’existence d’éléments permettant l’évaluation de la durée probable de la détention et, dans l’affirmative, cette période de temps;

  • d) les retards inexpliqués ou le manque inexpliqué de diligence de la part du ministère, de l’ASFC ou de l’intéressé;

  • e) l’existence de solutions de rechange à la détention;

  • f) l’intérêt supérieur de tout enfant de moins de 18 ans directement touché.

V.  Les questions en litige et la norme de contrôle

[23]  Le ministre soutient que la commissaire a commis une erreur :

  1. dans son interprétation et son application de l’article 58 de la LIPR et des articles 244, 245 et 248 du Règlement;

  2. en omettant de fournir des motifs clairs et convaincants justifiant qu’elle s’écarte des décisions antérieures ordonnant la détention.

[24]  Les décisions prises par la SI par suite d’un contrôle des motifs de détention reposent essentiellement sur les faits et doivent être contrôlées selon la norme déférente de la décision raisonnable (Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Ahmed, 2019 CF 1006, au par. 19). Bien que la norme de contrôle applicable ne change pas, lorsque le droit à la liberté d’une personne est mis en cause dans le cadre du contrôle des motifs de sa détention, la décision relative à sa détention doit être rendue en prenant en compte l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11 [la Charte] (Ahmed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 792, au par. 19). Pour déterminer si la décision de la commissaire est raisonnable, il faut se demander si elle est justifiable, transparente et intelligible et si elle appartient aux issues raisonnables (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 47).

VI.  Analyse

[25]  Le cadre d’évaluation du caractère raisonnable d’une décision de la SI rendue à l’égard de la détention qui va à l’encontre des décisions rendues dans le cadre de contrôles antérieurs des motifs de détention, a été établi par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Thanabalasingham, 2004 CAF 4 [Thanabalasingham]. Dans cet arrêt, la Cour a conclu que même si un commissaire n’est pas lié par les décisions antérieures, il doit énoncer des motifs « clairs et convaincants » pour aller à l’encontre de ces décisions (au par. 10).

[26]  La Cour fédérale a depuis précisé que l’absence de motifs « clairs et convaincants » pour aller à l’encontre de décisions antérieures ne devrait pas être considérée comme un motif distinct de contrôle judiciaire, mais plutôt comme une application de la norme de la décision raisonnable (Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Mohammed, 2019 CF 451, au par. 23). En outre, à la suite de l’arrêt Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Chhina, 2019 CSC 29 [Chhina], où la Cour suprême a fait remarquer que le processus actuel de contrôle des motifs de détention de la LIPR – ou le « régime » comme elle l’a désigné – est susceptible de faire l’objet d’un « raisonnement autoréférentiel » (par 62), la Cour fédérale a mis en garde contre le fait de reprocher à SI de s’être écartée de ses décisions antérieures (Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Baniashkar, 2019 CF 729, au par. 20).

[27]  Plus précisément, dans l’arrêt Chhina, la Cour suprême a relevé quatre critiques formulées dans une récente vérification visant la SI, selon lesquelles les détenus ne tirent pas pleinement parti du régime. Elle a fait observer que la SI (i) devrait imposer au ministre le fardeau pour le maintien de la détention, mais qu’elle omet souvent de le faire et ne reprend pas à neuf chaque contrôle de la détention; (ii) s’appuie excessivement sur des décisions antérieures en matière de contrôle de la détention; (iii) dans bien des cas, s’appuie excessivement sur les observations de l’ASFC; (iv) faute de reprendre à neuf chaque contrôle de la détention, n’examine pas les détentions pour juger de leur conformité au regard des articles 7, 9 et 12 de la Charte (Chhina, au par. 63). 

[28]  En réponse à la vérification, la SI a publié de nouvelles directives le 1er avril 2019 (Directives données par le président en application de l’alinéa 159(1)h) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés). Ces directives révisées à l’intention des commissaires répondent directement aux critiques formulées dans le cadre de la vérification susmentionnée et je les ai examinées plus en détail dans ma décision dans l’affaire Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Hamdan, 2019 CF 1129 [Hamdan], de même que les directives énoncées dans l’arrêt Chhina.

[29]  En l’espèce, la décision de la commissaire de libérer M. Arook était conforme aux principes énoncés dans l’arrêt Thanabalasingham, selon lesquels un commissaire doit fournir des motifs clairs et convaincants pour à l’aller à l’encontre des décisions antérieures, bien que ces motifs puissent parfois être implicites. Un exemple de décision déraisonnable serait une décision rendue sans qu’il soit fait mention d’une manière significative des motifs antérieurs de la détention (Thanabalasingham, aux par. 12-13).

[30]  La décision contestée énonce explicitement les motifs de la libération de M. Arook, en commençant par la déclaration suivante : [traduction] « J’ordonne votre libération aujourd’hui et je vais vous expliquer pourquoi je le fais. »  Dans l’explication qui suit, la commissaire fait référence aux décisions antérieures de détention et précise en quoi les circonstances – surtout celles entourant la solution de rechange à la détention – ont changé et justifient maintenant la libération.

[31]  En particulier, les deux commissaires précédents avaient recommandé que les parties obtiennent des renseignements supplémentaires de l’imam et de l’agent de libération conditionnelle chargé de superviser M. Arook concernant les détails du plan de libération de ce dernier. La décision contestée mentionne ces préoccupations et y répond, par exemple, en soulignant que [traduction] « les commissaires précédents ont indiqué que [l’imam] devait être interrogé et nous l’avons fait aujourd’hui ».

[32]  La décision contestée mentionne également qu’il serait préférable de parler à l’agent de libération conditionnelle chargé de superviser M. Arook avant sa libération, mais que cette personne ne sera pas désignée tant qu’il n’obtient pas sa libération, ce qui crée ainsi un cycle perpétuel. La commissaire a décidé que la mise en liberté de M. Arook et la désignation d’un agent de libération conditionnelle chargé de le superviser serviront le mieux les fins de l’immigration. Je constate que les deux parties ont indiqué à l’audience qu’elles avaient parlé à l’agent de libération conditionnelle potentiel. L’avocat du demandeur a fait remarquer qu’en raison du protocole, l’agent de libération conditionnelle potentiel n’a pas été en mesure de témoigner à l’audience, mais que la commissaire a été informée et assurée qu’il superviserait la conformité de M. Arook.

[33]  Il ressort donc clairement de ses motifs que la commissaire est convaincue que les préoccupations soulevées par les commissaires précédents au sujet de la solution de rechange à la détention ont été adéquatement prises en compte. Le fait que le ministre ne croit pas que ces changements suffisent à justifier la mise en liberté du défendeur ne signifie pas qu’il était déraisonnable pour la commissaire d’agir sur le fondement de ceux-ci. Comme l’a déclaré la Cour, « [c]et argument n’est rien d’autre qu’une invitation à soupeser à nouveau la preuve, ce qui n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c B072, 2012 CF 563, au par. 29).

[34]  Les motifs de la commissaire étaient également justifiés à la lumière du dossier qui lui a été présenté. Les conditions de mise en liberté doivent être suffisamment solides pour garantir que le grand public ne sera pas exposé à un risque important de préjudice, et offrir un certain degré de certitude que la personne se présentera pour son renvoi (Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Ali, 2018 CF 552, au par. 47). D’après la preuve dont elle était saisie, il était raisonnable pour la commissaire de conclure que les risques posés par M. Arook – à savoir le risque de fuite et le danger pour la sécurité publique – ont été atténués de façon adéquate par la solution de rechange à la détention.

[35]  Premièrement, l’imam, qui a travaillé de près avec M. Arook pendant plus d’un an, a témoigné pour la première fois devant la SI et a offert d’aider M. Arook à trouver un emploi et à respecter ses conditions. L’imam a décrit M. Arook comme un détenu [traduction] « modèle » et a exprimé sa conviction que M. Arook avait abandonné son ancien mode de vie. Cette preuve n’avait jamais été entendue auparavant.

[36]  Deuxièmement, la commissaire a entendu des témoignages selon lesquels l’agent de libération conditionnelle transitoire de M. Arook avait confirmé qu’il y avait une place à la Maison Belkin pour M. Arook. Cette mesure a répondu à des préoccupations antérieures quant à savoir si M. Arook allait avoir une place en résidence.

[37]  L’avocat du ministre s’est dit très préoccupé par le fait que la Maison Belkin ne figurait pas parmi les conditions de mise en liberté. Même si la condition était clairement implicite d’après la transcription de l’audience, j’étais suffisamment préoccupé par la question. L’avocate de M. Arook a convenu qu’il s’agissait d’une omission de la part de la commissaire et des deux avocats qui n’ont pas soulevé la question lorsque la commissaire a lu sa décision.

[38]  Ayant constaté qu’il s’agissait d’un facteur implicite dans les motifs pour aller à l’encontre de la décision précédente, j’ai convoqué une téléconférence de suivi avec les parties. Une solution a été trouvée : l’avocat du ministre demanderait une modification de l’ordonnance en déposant une demande auprès de la Section de l’immigration. L’avocate de M. Arook a accepté cette approche.

[39]  Je tiens à souligner que, bien que cela soit difficile dans le contexte des motifs rendus de vive voix, lorsque des détails importants, comme les conditions de mise en liberté, sont abordés, ils devraient être clairement énumérés et notés à l’intention de toutes les parties. De préférence, ils devraient être distribués sous forme d’ébauche écrite pour éviter tout différend quant au sens implicite des conditions ou pour éviter qu’il soit nécessaire de présenter des demandes de modification subséquentes. Dans la plupart des cas, lorsque le contrôle judiciaire a lieu à la Cour, il n’y a tout simplement pas suffisamment de temps pour régler ces questions avant qu’une décision soit rendue. En l’espèce, comme il y a eu entente entre les parties, et comme ce sera une condition de ma décision, la solution était réalisable.

[40]  Pour en revenir à la décision contestée, les commissaires précédents de la SI et le ministre ont reconnu que les antécédents de toxicomanie de M. Arook contribuaient au niveau de risque qu’il représentait. L’imam a déclaré que M. Arook n’avait échoué à aucun test antidopage depuis son incarcération, ce qui indique sa volonté de changer. Je constate que les conditions de mise en liberté comprennent à juste titre l’interdiction de posséder ou de consommer de l’alcool et des drogues et l’obligation de suivre un programme de traitement organisé par l’agent de libération conditionnelle qui le supervise. Ce sont ces problèmes de drogue et de toxicomanie qui ont mené M. Arook sur la voie de son passé criminel.

[41]  Dans l’ensemble, il était raisonnable pour la commissaire de conclure que tous les mécanismes en place – à savoir les nombreuses conditions de mise en liberté imposées, la disponibilité d’une place à la Maison Belkin, l’offre d’aide de l’imam pour assurer le respect des conditions et la volonté manifeste de M. Arook de changer – constituaient un nombre adéquat de mesures de contrôle pour atténuer les risques décrits.

[42]  La décision contestée n’était pas parfaite, comme nous l’avons mentionné plus haut en ce qui concerne la condition manquante quant à la résidence. Toutefois, un contrôle judiciaire d’après la norme de la décision raisonnable n’est pas un examen phrase par phrase à la recherche d’une erreur (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, au par. 54). On ne s’attend pas non plus à la perfection (motifs dissidents du juge Evans, dans l’arrêt Alliance de la fonction publique du Canada c. Société canadienne des postes, 2010 CAF 56, au par. 163, invoqués par la Cour suprême pour accueillir le pourvoi (2011 CSC 57, au par. 1)). Dans l’ensemble, j’estime que la décision contestée respecte les principes du caractère raisonnable pour tous les motifs énoncés plus haut.

[43]  J’ai déjà évoqué la décision Hamdan, précitée, et souligné les commentaires plus détaillés qui y figurent sur les récentes directives de la SI et l’arrêt Chinna, ainsi que le renouveau qui a émergé de ces deux décisions. Tout comme dans l’affaire Hamdan, la Cour fédérale a réussi à s’en tenir à la pratique actuelle qui consiste à accélérer le calendrier des contrôles judiciaires ordinaires, de sorte que ces causes puissent être entendues d’urgence. Cette approche est plus compatible aux délais serrés de 30 jours prévus par le régime de contrôle des motifs de détention et permet d’éviter l’argument du caractère théorique, qui a été soulevé à l’occasion, comme il a été observé dans la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c B386, 2011 CF 175, au par. 13, et souligné par la majorité dans l’arrêt Chhina, au par. 66.

[44]  Un calendrier accéléré facilite le renouveau du régime de contrôle des motifs de détention qui, bien que solide, a déjà montré des signes d’essoufflement. Comme le suggère la juge Abella dans ses motifs dissidents, cela permet, avec l’aide des nouvelles directives, d’insuffler un nouvel élan au régime, puis de le concrétiser dans des décisions comme celle qui fait l’objet du présent contrôle.

VII.  Conclusion

[45]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’a été soumise aux fins de certification, et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune. Aucuns dépens ne sont adjugés.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4822-19

LA COUR STATUE :

  1. que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. qu’aucuns dépens ne sont adjugés;

  3. qu’aucune question n’est certifiée.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 23e jour de septembre 2019

Julie Blain McIntosh, LL.B., trad. a.


Annexe A


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4288-19

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE c RAED AROOK

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 août 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

Le 3 septembre 2019

 

COMPARUTIONS :

Brett J. Nash

 

Pour le demandeur

 

Molly Joeck

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour le demandeur

 

Edelmann Law Corporation

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour le défendeur

 

 

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