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Date : 20190906


Dossier : T‑1063‑18

Référence : 2019 CF 1148

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 septembre 2019

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

DR GÁBOR LUKÁCS

demandeur

et

OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA et AIR TRANSAT A.T. INC.

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  Par voie d’avis de demande de contrôle judiciaire déposé le 29 décembre 2017, le Dr Gabor Lukacs (le « demandeur ») sollicite les réparations suivantes :

  1. une ordonnance annulant le montant de l’amende et renvoyant les infractions à l’Office des transports du Canada [l’Office] pour qu’un agent verbalisateur désigné réévalue les amendes;

  2. une déclaration selon laquelle l’Office et/ou l’agent verbalisateur désigné de l’Office n’ont pas compétence, directement ou indirectement :

  • a) pour réduire le montant d’une amende après qu’elle a fait l’objet d’une évaluation dans un procès‑verbal de violation;

  • b) pour détourner vers des destinataires privés, comme des passagers, les amendes prévues par la loi dues et payables au Receveur général du Canada;

  1. une ordonnance annulant la partie de la « Lettre d’accompagnement et procès‑verbal de violation » visant à réduire le montant de l’amende payable par Air Transat A.T. Inc.;

  2. les dépens ou sommes raisonnables déboursés aux fins de la présente demande;

  3. les autres mesures ou directives que le demandeur pourra demander et que la Cour estimera justes.

[2]  Par un avis de requête daté du 2 avril 2018, Air Transat A.T. Inc. (« Air Transat » ou « le défendeur ») demande une ordonnance rejetant l’avis de demande, avec dépens.

CONTEXTE

[3]  Le 29 décembre 2017, le demandeur a déposé un avis de demande de contrôle judiciaire à la Cour d’appel fédérale en vertu de l’article 28 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC, 1985, c F‑7. Le demandeur a nommé le défendeur et l’Office des transports du Canada (l’« Office ») comme étant les défendeurs.

[4]  Dans une lettre datée du 29 janvier 2018, le défendeur a demandé à la Cour d’appel fédérale des directives sur la façon de régler les questions relatives à la compétence de la Cour à l’égard de la demande de contrôle judiciaire et de la qualité du demandeur pour poursuivre la demande.

[5]  Le 23 février 2018, la juge Gleason a donné comme directive à l’Office et à Air Transat de présenter immédiatement une requête en vertu de l’article 369 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les « Règles »), portant sur ces questions.

[6]  Le 5 avril 2018, en réponse aux directives de la juge Gleason, Air Transat a déposé sa requête pour rejeter la demande de contrôle judiciaire. Dans son avis de requête, le défendeur a contesté à la fois la compétence de la Cour d’appel fédérale pour statuer sur la demande de contrôle judiciaire et la qualité du demandeur pour exercer ce recours.

[7]  Dans une lettre datée du 16 avril 2018, l’Office a informé la Cour qu’il ne se prononce pas sur la requête d’Air Transat visant à rejeter la demande de contrôle judiciaire.

[8]  Le 30 mai 2018, le juge Stratas a rendu une ordonnance de renvoi à la Cour fédérale de la demande de contrôle judiciaire et de toutes les autres requêtes en instance devant la Cour d’appel fédérale concernant la demande, conformément à l’article 45 des Règles. Il a conclu que la Cour d’appel fédérale n’a pas compétence en première instance à l’égard d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision d’un agent verbalisateur désigné (l’« agent ») en vertu de l’article 28 de la Loi sur les Cours fédérales, précitée.

[9]  Le juge Stratas a conclu que l’agent est un « office fédéral » au sens de l’article 2 de la Loi et qu’il est distinct de l’Office. Il a également conclu que, en vertu de l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales, précitée, la Cour fédérale a compétence en première instance à l’égard d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par un agent.

[10]  Le 23 mars 2018, l’Office a déposé une requête écrite conformément aux Règles pour obtenir une ordonnance confirmant qu’il a satisfait à la demande du demandeur conformément à l’article 317 des Règles, à savoir pour la production du dossier du tribunal.

[11]  Le demandeur a répondu à cette requête en déposant un dossier de requête le 3 avril 2018, contestant le caractère suffisant du dossier certifié du tribunal (le « DCT ») que l’Office avait déposé le 29 janvier 2018.

[12]  Cette requête n’a pas été tranchée, car, conformément à la directive donnée par la juge Walker le 9 novembre 2018, il faut attendre que l’issue de la requête sur la qualité pour agir soit connue avant de la trancher.

[13]  Les détails suivants sont tirés du DCT et des affidavits du demandeur, soit l’affidavit souscrit le 1er février 2018 et l’affidavit souscrit le 16 avril 2018. 

[14]  Dans son premier affidavit, le demandeur se décrit lui‑même comme un défenseur des droits des passagers et fournit des détails sur ses activités à cet égard, y compris ses comparutions devant un comité parlementaire et sa participation, à titre de plaideur, devant la Cour d’appel fédérale et la Cour suprême du Canada, représentant les intérêts des passagers.

[15]  Dans son deuxième affidavit, le demandeur a fourni certains renseignements sur l’incident à l’origine de la demande visée en l’espèce, y compris des pièces.

[16]  Air Transat est un transporteur aérien commercial.

[17]  Le contexte factuel de cette instance est un retard de vol.

[18]  Le 31 juillet 2017, les vols 157 et 507 d’Air Transat ont été détournés vers l’aéroport international MacDonald‑Cartier d’Ottawa.

[19]  Le vol 157 a été retardé sur le tarmac pendant 5 heures et 51 minutes. Le vol 507 a été retardé sur le tarmac pendant 4 heures et 41 minutes. Les passagers sont restés à bord pendant toute la durée du retard.

[20]  L’Office a reçu 48 plaintes de passagers à bord du vol 157 et 24 plaintes de passagers du vol 507 au sujet de l’approvisionnement insuffisant en nourriture et en boissons dans les avions pendant les retards, ainsi que de la détérioration des conditions à bord.

[21]  Le 2 août 2017, l’Office a publié la décision numéro LET‑A‑47‑2017.

[22]  Air Transat a eu l’occasion de démontrer pourquoi l’Office ne devrait pas conclure qu’elle n’avait pas correctement appliqué les conditions énoncées dans le tarif, comme l’exige le paragraphe 110(4) du Règlement sur les transports aériens, DORS/88‑58 (le « Règlement »). Air Transat a adopté la position selon laquelle son personnel s’était acquitté de ses obligations en vertu du tarif.

[23]  L’Office a nommé un enquêteur chargé de recueillir des éléments de preuve et de lui faire part de ses conclusions.

[24]  Le 9 août 2017, l’Office a publié la décision LET‑A‑49‑2017, indiquant qu’il convoquerait une audience concernant les actions d’Air Transat. L’audience a porté sur deux questions : à savoir si le défendeur a correctement appliqué les conditions énoncées dans son tarif intitulé « International Scheduled Services Tariff, CTA(A) No. 4 » (le « tarif ») au cours de ces incidents, comme l’exige le paragraphe 110(4) du Règlement, et si les dispositions applicables du tarif sont raisonnables, en vertu du paragraphe 111(1) du Règlement.

[25]  Les audiences ont eu lieu à Ottawa les 30 et 31 août 2017. Les passagers des vols 507 et 157, des témoins du défendeur et d’autres organismes de réglementation ont témoigné.

[26]  Dans la détermination A‑2017‑194 (la « détermination ») datée du 30 novembre 2017, l’Office a conclu que le défendeur avait contrevenu au paragraphe 110(4) du Règlement. Il a conclu que le défendeur n’avait pas correctement appliqué les conditions énoncées dans les règles 5.2d) et 21.3c) de son tarif à bord des vols 507 et 157, concernant l’offre de consommations et de collations, et concernant le débarquement. Il a également conclu que ces règles sont déraisonnables du fait que dans le contexte de retards prolongés, elles ne tiennent pas compte des besoins des passagers.

[27]  Le 30 novembre 2017, l’Office a informé Air Transat que la question était à l’étude par un agent et qu’un [traduction] « procès‑verbal de violation serait peut‑être publié cet après‑midi ».

[28]  Le 30 novembre 2017, l’agent a émis une Lettre d’accompagnement et procès‑verbal de violation. Le procès‑verbal de violation contient notamment ce qui suit :

L’amende de 295 000 $ CAD doit être payée à l’ordre du « Receveur général du Canada » au plus tard à la date indiquée ci‑dessous et le paiement versé à [...]

Le paiement sera accepté en règlement de l’amende imposée; aucune poursuite ne pourra être intentée par la suite contre Air Transat A.T. Inc., pour la même violation en vertu de la Partie VI de la LTC.

[29]  L’agent a avisé le défendeur que l’indemnisation accordée aux passagers des vols touchés, à l’exclusion du remboursement des dépenses engagées par ces derniers, serait appliquée et acceptée en lieu et place du paiement jusqu’à concurrence du montant de l’amende. Dans la lettre d’accompagnement, l’agent a déclaré ce qui suit au sujet du paiement de l’amende :

Le paiement complet sera accepté en règlement de l’amende imposée. Un crédit à concurrence du montant spécifié sera appliqué et accepté en lieu et place du paiement sur présentation de preuves, à la satisfaction du dirigeant principal de la conformité, à l’égard du montant d’indemnisation accordé aux passagers des vols touchés, ce qui exclut le remboursement des dépenses engagées par ces derniers.

II.  OBSERVATIONS

A.  Les observations du défendeur

[30]  Le défendeur soutient que le demandeur n’a pas directement qualité pour agir et qu’il ne satisfait pas au critère pour se voir reconnaître la qualité d’agir dans l’intérêt public.

[31]  Le défendeur soutient que le demandeur n’a pas directement qualité pour agir parce qu’il n’est pas « directement touché » par l’affaire, en ce sens que la décision en cause n’a aucune incidence sur ses droits, ne lui impose aucune obligation en droit et ne lui cause aucun préjudice; voir la décision dans Forest Ethics Advocacy Association c Canada (Office national de l’énergie), [2015] 4 RCF 75, au paragraphe 30.

[32]  Le défendeur soutient que le demandeur n’a pas démontré qu’il satisfait aux facteurs du critère de la qualité pour agir dans l’intérêt public, énoncés dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society, [2012] 2 RCS 524, au paragraphe 37. Il soutient que la demande ne soulève pas une question justiciable sérieuse parce qu’elle ne soulève pas de question constitutionnelle ou ne conteste pas une question dont l’application va au‑delà des intérêts des parties visées par la décision.

[33]  Le défendeur soutient que le demandeur n’a pas démontré un « intérêt réel ou véritable » concernant la décision de l’agent parce qu’il n’a pas participé à la procédure de l’Office qui a mené à la décision. Il soutient également qu’un « défenseur des droits des passagers » n’a pas un intérêt réel dans le détournement de fonds ou dans le montant des amendes imposées dans une affaire spécifique.

[34]  Le défendeur estime que la présente demande de contrôle judiciaire ne constitue pas un moyen raisonnable de porter l’affaire devant les tribunaux. Il soutient que la Partie VI de la Loi sur les transports au Canada prévoit que les parties à une sanction administrative pécuniaire sont l’Office ou le ministre et l’entité à l’égard de laquelle un procès‑verbal de violation a été signifié.

[35]  Le défendeur soutient également qu’il est pertinent que les passagers n’aient pas qualité pour agir dans le cadre du processus de sanctions administratives pécuniaires. Il soutient que, puisqu’un passager directement touché par l’affaire n’a pas le droit de participer à l’instance, un défenseur des droits qui n’est pas en cause ne devrait pas avoir qualité pour demander le contrôle judiciaire de la décision.

[36]  Le défendeur déclare en outre que reconnaître la qualité pour agir du demandeur dans la présente affaire ouvrira tout grand la porte à des personnes se trouvant dans une situation semblable parce que la même procédure de sanctions administratives pécuniaires est prévue ou mentionnée dans plus de 50 lois fédérales.

B.  Les observations du demandeur

[37]  Le demandeur soutient que la présente demande soulève trois questions justiciables :

  • (1) la question de savoir si l’agent avait le pouvoir légal d’accorder un « crédit » à l’égard des sommes dues aux termes d’un procès‑verbal de violation;

  • (2) la question de savoir si l’agent a eu recours au droit secret en se fondant sur le Manuel de politique de l’Application de la loi de 2012 non publié, qui est en conflit avec le Manuel de politique de l’Application de la loi de 2013 publié;

  • (3) la question de savoir si l’agent a exercé les pouvoirs publics de façon déraisonnable en traitant les violations du défendeur comme des premières ou des deuxièmes violations et en ne fournissant pas de motifs à l’appui du « crédit » accordé au défendeur.

[38]  Le demandeur soutient que ces questions sont sérieuses parce qu’elles concernent la façon dont l’Office gère les sanctions administratives pécuniaires.

[39]  Le demandeur soutient que, en tant que défenseur des droits des passagers aériens, il a un intérêt réel à s’assurer que les transporteurs aériens respectent leurs obligations prévues par la loi et que des mesures d’exécution significatives sont prises lorsqu’un transporteur aérien ne respecte pas ses obligations. Il soutient qu’il a un intérêt réel dans la révision de la décision de l’agent même s’il n’a pas participé à l’enquête ayant mené à la décision parce que la décision de l’agent et la détermination sont deux processus distincts.

[40]  Le demandeur estime que la demande de contrôle judiciaire constitue un moyen raisonnable et efficace de porter l’affaire devant les tribunaux. Il soutient que le refus de sa qualité pour agir dans l’intérêt public mettrait la décision de l’agent à l’abri du contrôle judiciaire.

[41]  Par conséquent, le demandeur soutient qu’il devrait se voir reconnaître la qualité pour agir dans l’intérêt public.

III.  ANALYSE ET DÉCISION

[42]  La seule question soulevée dans la requête est celle de la qualité du demandeur de donner suite à l’avis de demande. Le bien‑fondé de la demande, bien qu’abordé indirectement dans les plaidoiries, n’est pas abordé dans l’analyse qui suit.

[43]  Le critère pour reconnaître la qualité pour agir dans l’intérêt public a récemment été abordé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Downtown Eastside, précité, de la manière suivante :

1.  Une question justiciable sérieuse est‑elle soulevée?

2.  Le demandeur a‑t‑il un intérêt réel ou véritable dans l’issue de cette question?

3.  Compte tenu de toutes les circonstances, la poursuite proposée constitue‑t‑elle une manière raisonnable et efficace de soumettre la question aux tribunaux?

[44]  La question de savoir si l’agent a agi en dehors de son pouvoir prévu par la loi en accordant un « crédit » au défendeur ne répond pas à la norme de la « question justiciable sérieuse » parce qu’il ne s’agit pas d’un point constitutionnel important ou d’une question importante, comme il en a été question dans l’arrêt Downtown Eastside, précité.

[45]  Dans l’arrêt Downtown Eastside, précité, la Cour suprême du Canada a dit ce qui suit au paragraphe 42 :

Pour être considérée comme une « question sérieuse », la question soulevée doit constituer un « point constitutionnel important » (McNeil, p. 268) ou constituer une « question […] importante » (Borowski, p. 589). L’action doit être « loin d’être futil[e] » (Finlay, p. 633), bien que les tribunaux ne doivent pas examiner le bien‑fondé d’une affaire autrement que de façon préliminaire [...]  Dans Conseil canadien des Églises, la Cour avait de nombreuses réserves quant à la nature de l’action envisagée, mais elle a ultimement accepté que « certains aspects de la déclaration soulev[aient] une question sérieuse quant à la validité de la loi » (p. 254). En outre, dès qu’il devient évident qu’une déclaration fait état d’au moins une question sérieuse, il ne sera généralement pas nécessaire d’examiner minutieusement chacun des arguments plaidés pour trancher la question de la qualité pour agir.

[46]  À mon avis, le demandeur n’a pas démontré un intérêt réel ou véritable dans la question soulevée. Bien qu’il se soit toujours occupé des questions relatives aux droits des passagers, qu’il ait la réputation d’être un « défenseur des droits des passagers » et qu’il ait manifesté un intérêt soutenu pour des affaires semblables concernant l’Office des transports du Canada, la question qu’il soulève dans la présente demande de contrôle judiciaire est la légalité de l’indemnisation accordée aux passagers touchés d’une manière qui réaffecte les fonds du Trésor public.

[47]  La perception des fonds pour le Trésor public est une question qui peut concerner le ministre du Revenu national. Bien qu’il n’y ait aucune preuve que le ministre a été informé de la décision de l’agent, il n’y a aucune preuve non plus pour réfuter la présomption selon laquelle l’agent a agi légalement dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

[48]  Je ne suis pas persuadée que le demandeur a démontré qu’il a un « intérêt réel ou véritable » dans la manière dont une amende doit être payée par une partie contrevenante.

[49]  À mon avis, le demandeur n’a pas proposé une manière raisonnable de porter la question devant les tribunaux. Les facteurs pertinents sont énoncés dans l’arrêt Downtown East Side Sex Workers, précité, au paragraphe 51, comme suit :

Il pourrait être utile de donner des exemples de certaines questions interdépendantes que les tribunaux pourraient trouver utile de prendre en compte au moment de se pencher sur le troisième facteur discrétionnaire. La liste qui suit n’est naturellement pas exhaustive et ne comprend que quelques exemples.

• Le tribunal devrait tenir compte de la capacité du demandeur d’engager une poursuite. Ce faisant, il devrait examiner notamment ses ressources et son expertise ainsi que la question de savoir si l’objet du litige sera présenté dans un contexte factuel suffisamment concret et élaboré.

• Le tribunal devrait déterminer si la cause est d’intérêt public en ce sens qu’elle transcende les intérêts des parties qui sont le plus directement touchées par les dispositions législatives ou par les mesures contestées. Les tribunaux devraient tenir compte du fait qu’une des idées associées aux poursuites d’intérêt public est que ces poursuites peuvent assurer un accès à la justice aux personnes défavorisées de la société dont les droits reconnus par la loi sont touchés [...]

• Le tribunal devrait se pencher sur la question de savoir s’il y a d’autres manières réalistes de trancher la question qui favoriseraient une utilisation plus efficace et efficiente des ressources judiciaires et qui offriraient un contexte plus favorable à ce qu’une décision soit rendue dans le cadre du système contradictoire. Les tribunaux devraient adopter une approche pratique et pragmatique. L’existence d’autres demandeurs potentiels, notamment ceux qui possèdent de plein droit la qualité pour agir, est pertinente, mais les chances en pratique qu’ils soumettent la question aux tribunaux ou que des manières aussi ou plus raisonnables et efficaces soient utilisées pour le faire devraient être prises en compte en fonction des réalités pratiques et non des possibilités théoriques [...]

• L’incidence éventuelle des procédures sur les droits d’autres personnes dont les intérêts sont aussi, sinon plus touchés devrait être prise en compte. En effet, les tribunaux devraient porter une attention particulière aux situations où les intérêts privés et publics seraient susceptibles d’entrer en conflit [...] Ainsi, que les personnes ayant des intérêts plus directs et personnels dans la cause se soient abstenues volontairement d’engager une poursuite pourrait militer pour le refus par la cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire de reconnaître la qualité pour agir.

[50]  Je reconnais, tout comme Air Transat, que le demandeur possède une expertise dans la défense des droits des passagers. Toutefois, je ne suis pas convaincue qu’il ait démontré que la question qu’il soulève « transcende les intérêts des parties qui sont le plus directement touchées » par la décision en question.

[51]  Le public voyageur est le groupe qui serait « le plus directement touché ».

[52]  La décision de l’agent a pour effet d’indemniser les passagers touchés par les retards sur le tarmac.

[53]  À mon avis, le demandeur n’a pas démontré que sa demande de contrôle judiciaire, vu les autres circonstances de l’affaire, constitue une « manière raisonnable et efficace » de contester la décision de l’agent quant à la façon dont le défendeur devrait payer l’amende.

[54]  Selon l’arrêt Downtown Eastside, précité, une personne qui cherche à exercer son pouvoir discrétionnaire pour obtenir la qualité pour agir dans l’intérêt public doit satisfaire aux trois éléments du critère mentionné ci‑dessus. En l’espèce, le demandeur n’a pas satisfait à l’un ou l’autre de ces éléments et il ne se verra pas reconnaître la qualité d’agir dans l’intérêt public.

IV.  CONCLUSION

[55]  La requête est accueillie et l’avis de demande est rejeté au motif que le demandeur n’a pas démontré qu’il devrait se voir reconnaître la qualité pour agir dans l’intérêt public.

[56]  Il s’ensuit qu’il n’est pas nécessaire que la Cour examine la requête de l’Office au sujet du caractère suffisant du DCT.

[57]  Le défendeur Air Transat se voit adjuger les dépens afférents à la présente requête et à la demande de contrôle judiciaire.


ORDONNANCE

LA COUR STATUE que la requête est accueillie; l’avis de demande est rejeté avec dépens pour Air Transat A.T. Inc. relativement à la requête et à la demande de contrôle judiciaire.

« E. Heneghan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 26e jour de septembre 2019.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1063‑18

 

INTITULÉ :

DR GÁBOR LUKÁCS c AGENCE CANADIENNE DE TRANSPORT ET AIR TRANSAT A.T. INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 7 mars 2019

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :

Le 6 septembre 2019

 

COMPARUTIONS :

Dr Gabor Lukacs

le demandeur

 

 

R. Benjamin Mills

Pour le défendeur

(AIR TRANSAT A.T. INC.)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Conlin Bedard S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

(AIR TRANSAT A.T. INC.)

 

 

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