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Date : 20190911


Dossier : T‑1006‑17

Référence : 2019 CF 1163

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE

Ottawa (Ontario), le 11 septembre 2019

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

HIGHLANDS FUEL DELIVERY G.P.

demanderesse

et

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La demanderesse, Highlands Fuel Delivery G.P. (Highlands), a présenté plusieurs demandes de remboursement de la taxe d’accise au titre de l’article 68.19 de la Loi sur la taxe d’accise, LRC 1985, c E‑15 (la LTA) sur le carburant qu’elle a vendu à la province du Nouveau‑Brunswick. Le ministre du Revenu national (le ministre) a d’abord refusé les remboursements au motif que l’exception prévue au paragraphe 68.19(2) de la LTA s’appliquait. Selon cette disposition, aucun remboursement n’est versé si la province et le gouvernement fédéral sont liés par un accord de réciprocité à l’égard de toute question énumérée à l’article 32 de la Loi sur les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces et sur les contributions fédérales en matière d’enseignement postsecondaire et de santé (maintenant la Loi sur les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces, LRC 1985, c F‑8).

[2]  Le ministre a ensuite reconnu qu’un tel accord n’existait pas et a abandonné cet argument de défense. Le ministre soutient désormais que Highlands aurait pu inclure le montant de la taxe d’accise au prix du carburant qu’elle a vendu au Nouveau‑Brunswick, mais qu’elle ne l’a pas fait. De plus, le ministre soutient que l’article 68.19 ne vise qu’à avantager les provinces.

[3]  Pour les motifs suivants, je conclus que Highlands a droit à un remboursement au titre de l’article 68.19 de la LTA.

II.  Contexte

[4]  L’exposé conjoint partiel des faits se trouve à l’annexe A et constitue, pour le tribunal, l’énoncé des faits en l’espèce. Il est important d’examiner en détail les faits et les antécédents procéduraux de l’instance, et l’importance de cet examen approfondi deviendra évidente à la vue des changements considérables que le ministre a apportés à ses arguments au fil du temps. En comparaison, la position de la demanderesse est généralement demeurée la même au cours de l’instance.

[5]  Highlands est une société en nom collectif qui vend de l’essence et du diesel (carburant). Son siège social est établi à Saint John, au Nouveau‑Brunswick. Highlands mène ses activités commerciales sous le nom de « Irving Energy ».

[6]  Highlands achète son carburant auprès d’Irving Oil Commercial G.P. (Irving Oil). Irving Oil est un marchand en gros de carburant enregistré qui possède 99 p. cent des parts de Highlands en société.

[7]  Lorsque Irving Oil a vendu le carburant dont il est question en l’espèce à Highlands, elle a payé une taxe sous le régime de la partie III de la LTA. Dans son paiement à Irving Oil, Highlands a inclus un montant égal à cette taxe d’accise fédérale. Highlands a ensuite vendu le carburant à la province du Nouveau‑Brunswick.

[8]  Selon le paragraphe 68.19(1) de la LTA, certaines parties peuvent recevoir un remboursement de la taxe d’accise payée sur le carburant vendu à certaines fins à la province :

Utilisation par une province

68.19 (1) Si la taxe a été payée en vertu de la partie III à l’égard de marchandises et si Sa Majesté du chef d’une province a acheté ou importé les marchandises à une fin autre que :

a) la revente;

Payment where use by province

68.19 (1) If tax under Part III has been paid in respect of any goods and Her Majesty in right of a province has purchased or imported the goods for any purpose other than

(a) resale,

b) l’utilisation par un conseil, une commission, un chemin de fer, un service public, une université, une usine, une compagnie ou un organisme que le gouvernement de la province possède, contrôle ou exploite, ou sous l’autorité de la législature ou du lieutenant‑gouverneur en conseil de la province;

(b) use by any board, commission, railway, public utility, university, manufactory, company or agency owned, controlled or operated by the government of the province or under the authority of the legislature or the lieutenant governor in council of the province, or

) l’utilisation par Sa Majesté de ce chef, ou par ses mandataires ou préposés, relativement à la fabrication ou la production de marchandises, ou pour d’autres fins commerciales ou mercantiles,

une somme égale au montant de cette taxe doit, sous réserve des autres dispositions de la présente partie, être versée soit à Sa Majesté de ce chef soit à l’importateur, au cessionnaire, au fabricant, au producteur, au marchand en gros, à l’intermédiaire ou à un autre commerçant, selon le cas, si Sa Majesté ou le commerçant en fait la demande dans les deux ans suivant l’achat ou l’importation des marchandises par Sa Majesté.

(c) use by Her Majesty in that right, or by any agents or servants of Her Majesty in that right, in connection with the manufacture or production of goods or use for other commercial or mercantile purposes,

an amount equal to the amount of that tax shall, subject to this Part, be paid either to Her Majesty in that right or to the importer, transferee, manufacturer, producer, wholesaler, jobber or other dealer, as the case may require, if Her Majesty or the dealer applies therefor within two years after Her Majesty purchased or imported the goods..

 

[9]  Cette disposition reflète l’immunité des gouvernements fédéral et provinciaux à la taxation des terres et des propriétés (Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Victoria, c 3, article 125). Certaines provinces ont conclu un accord de réciprocité fiscale avec le gouvernement fédéral. Pour ces provinces, une exception prévue au paragraphe 68.19(2) prévoit que la taxe d’accise ne sera pas remboursée par le gouvernement fédéral :

Exception

(2) Aucune somme n’est versée en vertu du paragraphe (1) à l’importateur, au cessionnaire, au fabricant, au producteur, au marchand en gros, à l’intermédiaire ou à un autre commerçant qui fournit des marchandises à Sa Majesté du chef d’une province liée, à l’époque de la fourniture, par un accord de réciprocité fiscale prévu à l’article 32 de la Loi sur les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces et sur les contributions fédérales en matière d’enseignement postsecondaire et de santé.

Exception

(2) No amount shall be paid pursuant to subsection (1) to an importer, transferee, manufacturer, producer, wholesaler, jobber or other dealer who supplies goods to Her Majesty in right of a province in respect of which there is in force at the time the goods are supplied a reciprocal taxation agreement referred to in section 32 of the Federal-Provincial Fiscal Arrangements and Federal Post-Secondary Education and Health Contributions Act.

[10]  Deux provinces, le Nouveau‑Brunswick et l’Alberta, n’ont pas d’accord de réciprocité fiscale. De plus, les deux parties conviennent que le Nouveau‑Brunswick n’a pas acheté le carburant à l’une des fins exclues aux alinéas 68.19(1)a), b) et c).

[11]  Le 8 février 2013, Highlands a demandé le remboursement de la taxe d’accise sur le carburant qu’elle avait vendu au Nouveau‑Brunswick au cours de la période du 1er février 2011 au 31 janvier 2013. En raison du délai de prescription de deux ans, seul le carburant vendu entre le 8 février 2011 et le 31 janvier 2013 a été pris en considération. Le montant du remboursement demandé, rajusté pour tenir compte du délai de prescription, était de 2 409 784,50 $ (première demande de remboursement).

[12]  Le 12 avril 2013, l’Agence du revenu du Canada (ARC) a produit un avis de détermination autorisant un remboursement de 2 409 784,50 $. Le 8 mars 2017, soit près de quatre ans plus tard, le ministre a établi une nouvelle cotisation à l’égard de la première demande de remboursement et a annulé le remboursement, croyant à tort qu’un accord de réciprocité existait entre le Nouveau‑Brunswick et le gouvernement fédéral. Highlands a déposé un avis d’opposition qui est actuellement tenu en suspens jusqu’à ce que la Cour tranche la question.

[13]  Au milieu de l’année 2013, le Nouveau‑Brunswick a publié un appel d’offres pour son approvisionnement en carburant. Le 22 juillet 2013, Highlands a présenté une soumission pour approvisionner le Nouveau‑Brunswick en carburant du 1er octobre 2013 au 31 août 2015. À la suite de négociations, Highlands a accepté de réduire le prix de son carburant de 0,002 $ le litre. Il n’est pas contesté que la province du Nouveau‑Brunswick n’a pas demandé une réduction ou une exemption relativement à la taxe d’accise fédérale durant les négociations.

[14]  Le 23 avril 2014, Highlands a présenté une demande de remboursement de la taxe d’accise fédérale sur le carburant vendu pendant la période du 1er mars 2014 au 31 mars 2014 (deuxième demande de remboursement).

[15]  Le 18 août 2014, l’ARC a refusé la demande de remboursement relative au carburant vendu au Nouveau‑Brunswick durant cette période. Selon une lettre de proposition, l’ARC a refusé le remboursement pour deux raisons. Premièrement, l’ARC croyait que le carburant avait été vendu à un organisme appartenant au Nouveau‑Brunswick, et non à la province elle‑même. Deuxièmement, l’ARC croyait que le Nouveau‑Brunswick était l’une des provinces qui avaient conclu un accord de réciprocité fiscale avec le gouvernement fédéral.

[16]   Le 22 août 2014, Highlands a expliqué que le carburant avait en fait été acheté par la province et qu’il n’existait aucun accord de réciprocité fiscale entre le Nouveau‑Brunswick et le gouvernement du Canada. L’ARC a ensuite écrit au conseiller en relations intergouvernementales de la province du Nouveau‑Brunswick dans le but de confirmer cette information. Le 5 septembre 2014, le conseiller en relations intergouvernementales a confirmé qu’un tel accord n’existait pas.

[17]  Le 25 septembre 2014, l’ARC a écrit à Highlands pour l’informer que la demande de remboursement avait été refusée. L’ARC a expliqué que même s’il n’y avait pas d’accord de réciprocité fiscale, [traduction] « les deux parties agissent depuis les années 1990 comme si un accord était en place ». Le lendemain, Highlands a répondu à l’ARC en faisant valoir une fois de plus qu’il n’y avait pas d’accord de réciprocité fiscale.

[18]  Le 14 novembre 2014, Highlands a déposé un avis d’opposition concernant la deuxième demande de remboursement. La section des appels de l’ARC a accusé réception de l’avis d’opposition le 29 décembre 2014.

[19]  Le 31 mars 2016, Highlands a présenté une troisième demande de remboursement pour le carburant vendu durant la période du 1er mai 2014 au 29 février 2016 (troisième demande de remboursement). Le montant du remboursement demandé était de 2 095 864,12 $. Le 25 mai 2016, l’ARC a envoyé un avis de détermination refusant la troisième demande de remboursement. Une fois de plus, cette décision reposait sur l’existence d’un accord de réciprocité fiscale entre le gouvernement fédéral et le Nouveau‑Brunswick. Le 5 août 2016, Highlands a déposé un avis d’opposition, dont l’ARC a accusé réception le 13 octobre 2016.

A.  La décision du ministre du Revenu national

[20]  Le ministre a refusé les deuxième et troisième demandes de remboursement en invoquant l’existence d’un accord de réciprocité fiscale entre le gouvernement fédéral et la province du Nouveau‑Brunswick. L’existence d’un accord de réciprocité fiscale signifierait que la vente de carburant à la province du Nouveau‑Brunswick ne donnerait pas lieu à un remboursement en application du paragraphe 68.19(2) de la LTA.

[21]  Selon une note de service de l’administration centrale de l’ARC datée du 8 janvier 2016, un accord existe entre le Nouveau‑Brunswick et le gouvernement fédéral. Cet accord datant du 21 mars 1991 a été signé par le ministre des Finances du Nouveau‑Brunswick le 14 août 1991 (accord de 1991). Bien qu’il ne s’agisse pas du type d’accord faisant l’objet d’une exception au paragraphe 68.19(2), l’ARC faisait valoir que cet accord avait le même sens et le même effet que les accords de réciprocité décrits au paragraphe 68.19(2). Highlands a reçu une copie de l’accord de 1991 le 2 mars 2017.

[22]  Le 3 mars 2017, Highlands a demandé plus de renseignements à propos de l’accord de 1991. Il a été confirmé que le dernier accord de réciprocité fiscale était expiré depuis le 1er janvier 1991. Même si un accord de réciprocité fiscale temporaire avait été signé par la suite, celui‑ci est échu depuis le 31 décembre 1993.

[23]  L’avocat de Highlands a ensuite commencé à échanger avec l’ARC, soulignant le fait qu’il n’y avait pas d’accord de réciprocité fiscale comme il est prévu dans la LTA. Le 30 juillet 2017, l’ARC a télécopié deux lettres confirmant le refus des deuxième et troisième demandes de remboursement de Highlands. Les deux refus reposaient sur le motif suivant : [traduction] « tant qu’il existe un accord mutuel entre les parties, cet accord a le même sens et le même effet qu’un accord de réciprocité prévu au paragraphe 68.19(2) de la Loi ».

B.  L’appel devant la Cour fédérale

[24]  Le 11 juillet 2017, Highlands a interjeté appel de la décision du ministre auprès de la Cour fédérale en déposant une déclaration. La Cour exerce sa compétence en vertu de l’article 81.28 de la LTA :

APPELS A LA COUR

Introduction d’un appel à la Cour fédérale

81.28 (1) Un appel à la Cour fédérale en vertu des articles 81.2, 81.22 ou 81.24 doit être interjeté :

APPEALS TO COURT

Institution of appeal to Court

81.28 (1) An appeal to the Federal Court under section 81.2, 81.22 or 81.24 shall be instituted

a) dans le cas d’un appel interjeté par une personne, autre que le ministre, de la manière énoncée à l’article 48 de la Loi sur les Cours fédérales;

(a) in the case of an appeal by a person, other than the Minister, in the manner set out in section 48 of the Federal Courts Act; and

b) dans le cas d’un appel interjeté par le ministre, de la manière prévue par les règles établies conformément à cette loi pour l’introduction d’une action.

(b) in the case of an appeal by the Minister, in the manner provided by the rules made under the Federal Courts Act for the commencement of an action.

[25]  La défense, déposée le 24 août 2017, repose sur l’existence d’un accord entre le gouvernement fédéral et la province du Nouveau‑Brunswick.

[26]  Le 8 mars 2018, une ordonnance a été rendue afin que l’instruction se poursuive à titre d’instance à gestion spéciale. La protonotaire Tabib a été nommée juge responsable de la gestion de l’instance. Après s’être engagé à fournir des réponses aux questions soulevées par cet accord de réciprocité fiscale, le ministre a radicalement changé son argumentaire en déposant une défense modifiée le 26 mars 2018. Presque toute mention de l’accord non officiel a été supprimée de la défense modifiée, et l’argument voulant qu’il ait le même sens et le même effet qu’un accord de réciprocité fiscale visé par le paragraphe 68.19(2) de la LTA a été abandonné. En effet, le ministre a reconnu qu’il n’y avait aucun accord de réciprocité fiscale en place. La défense modifiée reposait sur des arguments complètement nouveaux ainsi que sur des hypothèses différentes de celles que le ministre du Revenu national avait d’abord avancées.

[27]  Le 30 avril 2019, j’ai ordonné que l’affidavit de M. Allison Thomas Walker se trouvant aux pièces A à E de même que le recueil de documents confidentiels conjoint soient traités en toute confidentialité.

III.  Question en litige

[28]  Le ministre a‑t‑il commis une erreur en refusant les deuxième et troisième demandes de remboursement de Highlands?

IV.  Témoins

[29]  La demanderesse a convoqué deux témoins : Allison Thomas Walker et Darren Gillis.

  • M. Walker est directeur de la fiscalité et des assurances chez Irving Oil Ltd. Il a témoigné au sujet de la demande de remboursement, des échanges entre la demanderesse et l’ARC ainsi qu’au sujet des factures liées à la vente de carburant au Nouveau‑Brunswick.

  • M. Gillisoccupe le poste de directeur général du marketing chez Irving Oil Ltd depuis 2013. Il travaille pour Irving Oil depuis 1987. À ce moment‑là, il avait été embauché à titre de directeur de succursale. Il a livré un témoignage quant à la façon dont la demande de remboursement a été prise en compte dans la soumission.

[30]  Le ministre n’a fait témoigner personne.

[31]  J’ai jugé que M. Walker et M. Gillis étaient des témoins cohérents et crédibles, qui n’ont ni embelli ni exagéré les détails. Parfois, leurs réponses n’ont pas été utiles à Highlands, mais ils ont néanmoins été francs dans leurs réponses et se sont abstenus de témoigner au sujet de circonstances dont ils n’avaient pas connaissance, malgré les pressions exercées par l’avocat du ministre. Leur témoignage a été utile et la Cour l’a apprécié.

V.  Analyse

[32]  Habituellement, les affaires de ce genre sont portées devant le Tribunal canadien du commerce extérieur en application du paragraphe 58(1) de la LTA. Toutefois, la présente affaire a été traitée comme un procès devant la Cour fédérale, car Highlands a interjeté l’appel aux termes de l’article 81.28 de la LTA, ce qui en fait un recours au titre du paragraphe 81.28(3).

[33]  Au procès, l’avocat de Highlands a expliqué que, dans les affaires fiscales, le ministre émet des hypothèses de fait qui sont présumées vraies. Le fardeau de réfuter ces hypothèses revient au contribuable. En l’espèce, le ministre a émis l’hypothèse qu’il existait un accord de réciprocité fiscale. Highlands a réfuté cette hypothèse et le ministre reconnaît désormais qu’il n’existait pas d’accord de réciprocité fiscale. Highlands a également fait remarquer que le ministre a l’obligation d’agir de manière juste et honnête, en raison du fardeau qui incombe au contribuable de réfuter ses hypothèses.

[34]  Comme Highlands a établi qu’il n’y avait pas d’accord de réciprocité, elle soutient qu’elle avait satisfait aux exigences de l’article 68.19 de la LTA. Ayant satisfait aux exigences de cette disposition, Highlands a fait valoir que le ministre ne pouvait pas refuser ses demandes de remboursement et qu’il devait les approuver.

[35]  Dans la présente instance, le ministre argumente que seule la partie à qui incombe le fardeau ultime de la taxe peut réclamer le remboursement et que, d’après ces faits, le Nouveau‑Brunswick est le consommateur ultime. De plus, le ministre a fait valoir que la seule partie qui est censée bénéficier du remboursement prévu à l’article 68.19 est une province. Le ministre soutient que l’application de l’article 68.19 n’est déclenchée que lorsqu’une province demande un paiement du gouvernement fédéral aux termes du paragraphe 68.19(1), ou qu’elle demande au commerçant de réduire le prix du produit d’un montant égal à celui de la taxe prévue. Le ministre soutient que la province n’a jamais fait une telle demande et que cette demande de remboursement devrait donc être refusée.

[36]  Selon les observations écrites de Highlands que j’ai admises en preuve, la position du ministre s’énonce ainsi :

La somme égale au montant de la taxe prévue à l’article 68.19 revient à la province et à personne d’autre. Le fait qu’une autre personne, comme un commerçant, puisse présenter une demande de remboursement au titre de cette disposition, est une situation qui ne peut survenir que si la province ne tient pas à faire une demande et qu’elle a demandé à ce que l’achat du produit soit exempt de taxe.

[37]  Highlands soutient que l’interprétation par le ministre de l’article 68.19 de la LTA est erronée et qu’elle ne satisfait pas à l’exigence selon laquelle l’interprétation d’une disposition législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique (Hypothèques Trustco Canada c Canada, 2005 CSC 54, au paragraphe 10; Canada c Cheema, 2018 CAF 45, au paragraphe 83).

[38]  Concernant le volet textuel de l’analyse, Highlands soutient que l’interprétation du ministre exige que la Cour y voit la condition, pour le Nouveau‑Brunswick, d’avoir demandé au commerçant de réduire le prix d’achat du carburant d’un montant égal à la taxe d’accise fédérale payée par Irving Oil. Highlands souligne également la condition du paragraphe 68.19(2) est expressément énoncée. Comme le libellé du paragraphe 68.19(2) est expressément énoncé, Highlands soutient que l’intention du législateur n’était pas de faire interpréter cette disposition de façon à inclure la condition alléguée par le ministre. Highlands soutient plutôt que le libellé de la disposition établit clairement que l’intention du législateur était de prévenir les remboursements aux tierces parties lorsqu’un accord de réciprocité est en vigueur entre une province et le gouvernement fédéral.

[39]  Highlands soutient également que l’interprétation du ministre est contraire au libellé clair et sans ambiguïté de l’article 68.19 et qu’elle apporterait une part d’incohérence et d’imprévisibilité à la législation fiscale. Selon Highlands, l’interprétation du ministre serait également contraire à l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans The Queen c Stevenson Construction Co Ltd (1978), 24 NR 390 (CAF) [Stevenson], qui portait sur le paragraphe 44(2) de la LTA, le prédécesseur de l’article 68.19 actuel de la LTA. De plus, bien que cette décision ne soit pas contraignante pour la Cour, Highlands a fait remarquer que le Tribunal canadien du commerce extérieur, qui est normalement saisi de ce genre d’affaires, n’a pas exigé une telle condition dans Blowey‑Henry c Canada 1992 CANLII 4344 (CA TCCE).

[40]  En ce qui a trait au volet contextuel de l’analyse, Highlands fait valoir que lorsque le législateur a ajouté des restrictions ou des conditions à d’autres dispositions, il l’a fait de façon expresse, comme à l’article 68.01 de la LTA. Highlands soutient que l’absence d’un tel libellé explicite à l’article 68.19 prouve une fois de plus que le législateur n’a jamais prévu d’autre condition de quelque sorte que ce soit.

[41]  Quant au volet téléologique de l’analyse, Highlands soutient que l’objet de l’article 68.19 de la LTA est [traduction] « [d’]accorder le remboursement, à l’une ou l’autre des parties énumérées, d’une somme égale au montant de la taxe d’accise fédérale payée par l’importateur ou le marchand en gros sur les marchandises qui sont au final vendues à la province », excepté lorsque la condition prévue au paragraphe 68.19(2) est satisfaite. À l’appui de cet argument, Highlands invoque l’historique de l’article 68.19, qui a originalement été promulgué en 1923 sous la forme de l’article 19G de la Loi modifiant la Loi spéciale des revenus de guerre, 1915, 1923, c 70, article 8. À cette époque, les provinces ne pouvaient pas réclamer de remboursement, et le remboursement ne s’appliquait que si [traduction] « le gouvernement de Sa Majesté de la province [était] exonéré de taxes à l’égard de ces marchandises ».

[42]  En 1935, cette disposition est devenue l’article 105, et la condition que le gouvernement soit exonéré des taxes a été remplacée par une condition liée à l’utilisation des marchandises par la province. Une modification apportée en 1959 prévoyait l’ajout des provinces comme parties pouvant demander un remboursement. À ce moment, la disposition est devenue le paragraphe 46(2). Puis, en 1976, la disposition a été modifiée en vue de devenir l’article 44(2), qui prévoyait qu’aucun remboursement ne serait obtenu s’il existait un accord de réciprocité fiscale. Bien d’autres changements ont été apportés, ce qui fait en sorte que la disposition est maintenant divisée entre les paragraphes 68.19(1) et (2). En 2002, l’article est devenu le paragraphe 68.19(1) que nous connaissons aujourd’hui. Selon Highlands, l’interprétation du ministre ne correspond pas à l’historique de la disposition.

[43]  Selon le ministre, les expressions « soit à, soit à » et « selon le cas » indique que l’intention du législateur est de dicter l’admissibilité au paiement en fonction des circonstances de la transaction. Le ministre fait également valoir que le législateur avait seulement l’intention d’accorder réparation aux provinces, et non aux tierces parties telles que les commerçants.

[44]  Le ministre soutient que l’arrêt Stevenson appuie la thèse selon laquelle seule la personne qui porte le fardeau ultime de la taxe peut demander un remboursement. De plus, le ministre fait valoir que [traduction] « les taxes indirectes sont celles qui sont imposées à une personne dans l’attente ou l’intention qu’elle s’indemnise elle‑même au détriment d’une autre personne ». (Bande indienne de Saugeen c Canada, [1990] 1 CF 403, aux paragraphes 9 à 12). Par conséquent, le ministre soutient que le consommateur ultime est le Nouveau‑Brunswick et que le marchand en gros n’avait donc qu’à additionner une somme égale au montant de la taxe au prix au litre du carburant. Ainsi, le ministre affirme que Highlands doit maintenant assumer le risque commercial qu’elle a choisi d’encourir en fixant le prix du carburant en s’attendant à bénéficier d’un remboursement.

[45]  Dans son plaidoyer, Highlands a remis en question l’accent que le ministre a mis sur l’arrêt Stevenson, ainsi que l’utilisation de l’expression [traduction] « fardeau ultime » pour exprimer une condition au droit à un remboursement. Highlands a également souligné que le ministre n’avait pas tenu compte du paragraphe 68.19(2) dans sa comparaison des dispositions. Highlands a fait remarquer que si l’interprétation du ministre du paragraphe 68.19(1) était exacte, le paragraphe 68.19(2) serait redondant.

[46]  Je suis d’accord avec Highlands pour dire que l’interprétation du ministre est inexacte. Selon une analyse textuelle, contextuelle et téléologique de l’article 68.19 de la LTA, les remboursements ne sont pas réservés aux provinces, comme le ministre l’a soutenu. Le législateur a clairement et expressément énoncé son intention dans le libellé du paragraphe 68.19(1), tout comme il a prévu une exception au paragraphe 68.19(2) pour les situations où il existe un accord de réciprocité fiscale. Il est incontestable qu’il n’existe aucun accord de réciprocité fiscale en l’espèce. De plus, le paragraphe 68.19(1) de la LTA ne permet pas seulement aux marchands en gros d’obtenir un rabais; des remboursements peuvent aussi être accordés « à l’importateur, au cessionnaire, au fabricant, au producteur, au marchand en gros, à l’intermédiaire ou à un autre commerçant ». Dans l’arrêt Stevenson, la Cour d’appel fédérale a statué que le mot [traduction] « commerçant » avait un sens large qui englobait des intimés se trouvant dans une situation très similaire à celle de Highlands en l’espèce.

[47]  Les deux parties ont présenté des arguments au sujet de l’application de l’arrêt Stevenson. Dans l’affaire Stevenson (Cour d’appel fédérale), il était notamment question d’une taxe de vente fédérale imposée sur les matériaux utilisés dans la construction de gares maritimes. Lorsque les intimés achetaient les matériaux, la taxe de vente fédérale payée par leurs fournisseurs était incluse dans le prix. Le gouvernement de la Colombie‑Britannique achetait ensuite les gares maritimes. L’une des questions en litige était de savoir si les intimés pouvaient demander un remboursement au titre du paragraphe 44(1) de la LTA (comme Highlands l’a fait remarquer, cette disposition était similaire à l’article 68.19 actuel). La Cour d’appel fédérale a conclu qu’il importait peu que les intimés ne soient pas les premiers payeurs de la taxe, puisque la LTA prévoyait un remboursement pour la partie à laquelle la taxe avait été refilée. Le contrat qui liait les intimés et la province stipulait également que la taxe de vente fédérale ne serait pas incluse à la somme payée par le gouvernement. Par conséquent, la Cour d’appel fédérale a conclu que les intimés étaient admissibles à un remboursement.

[48]  Dans le cas présent, la taxe d’accise était‑elle incluse dans le montant versé par la province à Highlands? Le ministre a émis les hypothèses de fait suivantes à cet égard :

[traduction]

k) la demanderesse n’a perçu aucune taxe sous le régime de la partie III au nom de Sa Majesté du chef du Canada lorsqu’elle a revendu le carburant à la province du Nouveau‑Brunswick;

l) la demanderesse a perçu de la province du Nouveau‑Brunswick une somme égale au montant de la taxe payée sous le régime de la partie III comme s’il avait été perçu pour être versé à Sa Majesté du chef du Canada;

m) le montant ainsi perçu était à l’avantage exclusif de la demanderesse;

n) un montant de 2 195 726,70 $ a ainsi été perçu par la demanderesse auprès de la province du Nouveau‑Brunswick;

o) les remboursements correspondent à ce montant;

[…]

[49]  Je remarque que le ministre n’a émis aucune hypothèse de fait menant à la conclusion que le fardeau de la taxe d’accise a été relégué à la province du Nouveau‑Brunswick, par exemple, une hypothèse selon laquelle la taxe d’accise était incluse à la somme payée par la province à Highlands.

[50]  En ce qui concerne les hypothèses spécifiquement formulées par le ministre, M. Walker a témoigné que bien qu’un montant en dollars se trouve à la ligne [traduction] « Taxe d’accise féd. » sur les factures, la province n’a en réalité payé aucune somme à Highlands à titre de taxe d’accise. Selon M. Walker, le montant qui figure sur la facture sert seulement à indiquer à l’acheteur que le carburant n’a pas été acheté sans taxe d’accise, mais que la taxe d’accise qui s’y applique avait déjà été payée. J’ai reproduit ci‑dessous la partie pertinente de la transcription :

[traduction]

Q. Et la province du Nouveau‑Brunswick s’est‑elle vu facturer la taxe d’accise fédérale?

R. Non, ce n’était pas le cas.

Q. Alors, pouvez‑vous m’aider à comprendre pourquoi il y a un élément nommé taxe d’accise fédérale, si elle n’a jamais eu à la payer?

R. Certainement. Ce système fonctionne de façon à ce que chacune des taxes payées par un intervenant de la chaîne, autrement dit, dans ce cas‑ci, la taxe d’accise fédérale, a été payée par Irving Oil Commercial GP, soient remises au gouvernement fédéral. À des fins de visibilité pour chaque partie de la chaîne de transactions, y compris dans ce cas‑ci, le client final étant la province du Nouveau‑Brunswick, ce montant est inscrit sur les factures à des fins de divulgation afin que le client puisse clairement voir que le produit n’a pas été acheté sans payer la taxe d’accise. Ainsi, le client apprend qu’un des intermédiaires de la chaîne de distribution a payé la taxe d’accise fédérale sur le produit, à savoir le carburant diesel coloré hors route.

Q. Alors pourquoi le total des taxes, 824,09 $, comprend[‑il] à la fois la taxe de vente harmonisée et la taxe d’accise fédérale?

R. C’est juste la façon que le formulaire additionne les taxes. Il prend le prix et y ajoute ensuite les taxes afin qu’elles figurent sur la facture, essentiellement à des fins de divulgation.

Q. Je veux m’assurer que le tribunal comprenne bien ceci, M. Walker. Quel montant a été facturé à la province à titre de taxe d’accise fédérale?

R. Aucun.

(Transcription confidentielle, aux pages 5 et 6)

[51]  À mon avis, le témoignage de M. Walker établit que Highlands n’a pas facturé à la province du Nouveau‑Brunswick un montant égal à la taxe payée sous le régime de la partie III. Comme la demanderesse a réfuté cette hypothèse du ministre sur laquelle reposait la taxation, la défenderesse a dû prouver que la décision de refuser le remboursement restait la bonne.

[...] Cependant, lorsque le ministre n’a plaidé aucune supposition ou lorsque les suppositions qu’il a plaidées ont été en tout ou en partie démolies, il reste la possibilité au ministre, en tant que défendeur, de prouver, s’il le peut, le bien‑fondé de la cotisation qu’il a établie. À cette fin, il doit supporter le fardeau de preuve qui incombe ordinairement à toute partie à un procès, soit celui de prouver les faits qui étayent sa prétention à moins que ceux‑ci n’aient déjà été introduits en preuve par son adversaire. […]

(Pollock c La Reine, [1993] ACF nº1055 (CAF), page 9)

[52]  La défenderesse n’a toutefois fourni aucun élément de preuve supplémentaire qui permettrait à la Cour de conclure que le fardeau de payer la taxe sous le régime de la partie III a été relégué à la province du Nouveau‑Brunswick. Les témoins de la demanderesse n’ont pas non plus admis que c’était le cas. En fait, M. Walker a affirmé qu’il était impossible de déterminer à partir des factures quel était le montant de la taxe d’accise qui avait été relégué à la province :

[traduction]

Q. À partir de cette facture, pouvez‑vous me dire combien, sur le montant égal à la taxe d’accise fédérale, a été refilé à la province du Nouveau‑Brunswick?

R. Non, je ne peux pas, parce que le système met par défaut sur la facture le taux prévu par la loi. Donc sur chacune de ces factures, peu importe le prix convenu et facturé au client pour le produit, dans ce cas‑ci le diesel, le système ajoute quatre sous au prix du produit et l’affiche sur une ligne séparée, parce que le taux prévu par la loi est de quatre sous si le produit n’est pas exempt de taxe. Si le produit est exempt de taxe, le taux est de zéro.

(Transcription confidentielle, à la page 6)

[53]  Étant donné que la demanderesse a réfuté l’hypothèse du ministre et que ce dernier n’a présenté aucun élément de preuve supplémentaire à l’appui de la décision de refuser le remboursement, la demanderesse doit obtenir gain de cause dans son action devant la Cour.

VI.  Dépens

[54]  J’adjugerais des honoraires judiciaires à la demanderesse pour la période se terminant à la date du dépôt de la défense modifiée, soit le 28 mars 2018, afin de refléter le fait que le ministre a affirmé qu’il existait un accord de réciprocité fiscale entre le gouvernement fédéral et la province du Nouveau‑Brunswick alors que ce n’était clairement pas le cas.

[55]  J’adjugerais également à la demanderesse des dépens conformément à la colonne V du tarif B des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, pour la période postérieure à cette date.


JUGEMENT dans le dossier T‑1006‑17

LA COUR STATUE que :

  1. Il est fait droit à l’appel.

  2. La demanderesse a droit à un remboursement au titre de l’article 68.19(1) de la LTA relativement à ses deuxième et troisième demandes de remboursement.

  3. Les dépens, payables immédiatement, sont adjugés à la demanderesse sur la base avocat‑client pour la période se terminant le 28 mars 2018, et conformément à la colonne V du tarif B pour la période postérieure à cette date.

« Shirzad A. »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 3e jour d’octobre 2019.

Claude Leclerc, traducteur


Annexe A

ENTRE :

HIGHLANDS FUEL DELIVERY G.P.

demanderesse

et

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

EXPOSÉ CONJOINT DES FAITS PARTIEL

(notes de bas de page omises)

Les parties reconnaissent, uniquement aux fins de la présente instance, que les faits suivants sont vrais, que les documents mentionnés dans l’exposé conjoint des faits partiel sont authentiques et qu’ils consentent à les faire admettre en preuve pour les besoins de la présente demande.

Les parties reconnaissent que le présent exposé conjoint des faits n’empêche ni l’une ni l’autre de produire une preuve en complément des faits reconnus ici ou d’établir d’autres faits qui ne se retrouvent pas ici, pour autant qu’une telle preuve ne contredise pas les faits ainsi reconnus.

Les activités commerciales de Highlands Fuel Delivery G.P. (Highlands)

  1. Highlands est une société en nom collectif menant ses activités commerciales sous le nom d’Irving Energy.

  2. Son siège social est situé à Saint John, au Nouveau‑Brunswick.

  3. Highlands fait le commerce d’essence et de diesel (carburant).

  4. Highlands a acheté du carburant à Irving Oil Commercial G.P. en vue de le revendre.

  5. Irving Oil Commercial G.P. est un grossiste enregistré de carburant.

  6. Irving Oil Commercial G.P. a assumé le fardeau de la taxe payée sous le régime de la partie III de la Loi sur la taxe d’accise (la Loi) (taxe d’accise fédérale) sur le carburant vendu à Highlands.

  7. Irving Oil Commercial G.P. est seule à avoir payé un montant de taxe d’accise fédérale sur le carburant.

  8. Irving Oil Commercial G.P. a perçu auprès de Highlands, et Highlands a versé à Irving Oil Commercial G.P., un montant égal à la taxe d’accise fédérale sur le carburant.

  9. Highlands a vendu le carburant à la province du Nouveau‑Brunswick.

  10. La province du Nouveau‑Brunswick n’a pas acheté le carburant aux fins suivantes :

    • a) la revente;

    • b) l’utilisation par un conseil, une commission, un chemin de fer, un service public, une université, une usine, une compagnie ou un organisme que le gouvernement de la province possède, contrôle ou exploite, ou sous l’autorité de la législature ou du lieutenant‑gouverneur en conseil de la province ou

    • c) l’utilisation par la province, par ses mandataires ou préposés, relativement à la fabrication ou la production de marchandises, ou pour d’autres fins commerciales ou mercantiles.

Première demande de remboursement de Highlands

  1. Dans une lettre datée du 17 juillet 2012, M. Craig Wilmot a écrit à M. Al Walker au sujet d’une décision publique de l’Agence du revenu du Canada (ARC) datée du 14 juillet 2008 concernant la taxe d’accise fédérale sur le carburant vendu aux provinces de l’Alberta et du Nouveau‑Brunswick ainsi que l’application d’un remboursement en application de l’article 68.19 de la Loi (décision de 2008). La décision de 2008, qui n’a jamais été révoquée, annulée ou modifiée, énonce que [traduction] « l’Alberta et le Nouveau‑Brunswick sont les seules provinces qui n’ont pas conclu d’accord de réciprocité fiscale avec le gouvernement fédéral ».

  2. Dans une lettre datée du 8 février 2013, Highlands a présenté une demande pour le remboursement de 2 432 373,71 $, soit un montant égal à la taxe d’accise fédérale comprise dans le montant que Irving Oil Commercial G.P. a exigé à Highlands pour le carburant que Highlands a vendu à la province du Nouveau‑Brunswick durant la période du 1er février 2011 au 31 janvier 2013 (la première demande de remboursement).

  3. Ni la province du Nouveau‑Brunswick, ni Irving Oil Commercial GP, ni aucune autre partie que Highlands n’ont présenté ou déposé une demande de remboursement relativement à la vente de carburant par Highlands à la province du Nouveau‑Brunswick pour la période du 1er février 2011 au 31 janvier 2013.

  4. Le 12 avril 2013, l’ARC a émis un avis de détermination concernant la première demande de remboursement, autorisant ainsi le remboursement d’un montant de 2 409 784,50 $. Le montant du remboursement autorisé par l’ARC a été réduit, parce que Highlands pouvait seulement demander un remboursement pour la période de deux ans précédant la demande de remboursement. Comme la demande de remboursement a été présentée le 8 février 2013, la période comprise dans la première demande de remboursement commençait le 8 février 2011 plutôt que le 1er février 2011.

La soumission de Highlands pour la vente de carburant au Nouveau‑Brunswick de 2013 à 2015

  1. Le Nouveau‑Brunswick a lancé un appel d’offres pour l’approvisionnement en carburant.

  2. Le 22 juillet 2013, Highlands a présenté une soumission en vue de vendre du carburant à la province du Nouveau‑Brunswick durant la période du 1er octobre 2013 au 31 août 2015.

  3. Dans le cadre des négociations avec la province du Nouveau‑Brunswick, Highlands a accepté de réduire le prix de son carburant de 0,002 $ le litre.

  4. La province du Nouveau‑Brunswick n’a pas demandé à Highlands de réduire la taxe d’accise fédérale ou d’en être exemptée.

  5. En date du 8 août 2013, l’ARC n’avait fourni aucun avis à Highlands l’informant qu’elle croyait que Highlands n’avait pas droit au remboursement d’une somme équivalente au montant de la taxe d’accise fédérale incluse au coût du carburant qu’elle s’est procuré en vue de le revendre à la province du Nouveau‑Brunswick.

Vente de carburant à la province du Nouveau‑Brunswick entre 2014 et 2016

  1. Du 1er mars 2014 au 29 février 2016, Highlands a acheté du carburant auprès d’Irving Oil Commercial G.P. et lui a versé une somme équivalente au montant de la taxe d’accise fédérale sur le carburant. Highlands a revendu le carburant à la province du Nouveau‑Brunswick.

  2. Highlands a envoyé des factures à la province du Nouveau‑Brunswick conformément à son système de facturation.

Deuxième demande de remboursement de Highlands

  1. Le 23 avril 2014, Highlands a présenté une demande de remboursement visant la période du 1er mars 2014 au 31 mars 2014, dont une portion était liée à la vente de carburant à la province du Nouveau‑Brunswick (deuxième demande de remboursement).

  2. Ni la province du Nouveau‑Brunswick ni Irving Oil Commercial G.P. ni une autre partie que Highlands n’ont présenté une demande de remboursement d’un montant égal à la taxe d’accise fédérale pour la vente de carburant à la province du Nouveau‑Brunswick pour la période du 1er mars 2014 au 31 mars 2014.

  3. Le 4 août 2014, l’ARC a proposé de refuser la portion de la demande de remboursement de mars 2014 relative à la vente de carburant à la province du Nouveau‑Brunswick d’une somme de 99 862,58 $. Le refus était initialement fondé sur le fait que le carburant avait été acheté par un organisme appartenant à la province du Nouveau‑Brunswick et non par la province elle‑même.

  4. Dans un avis de détermination daté du 18 août 2014, l’ARC a refusé la portion de la deuxième demande de remboursement ayant trait à la vente de carburant à la province du Nouveau‑Brunswick.

  5. Dans une lettre datée du 22 août 2014, Highlands a écrit à l’ARC afin de répondre aux deux préoccupations soulevées par le vérificateur de l’ARC. Premièrement, la lettre expliquait que le carburant avait été acheté par la province du Nouveau‑Brunswick et non par un organisme appartenant à la province. Highlands y avait annexé une lettre de la province à ce sujet. Deuxièmement, la lettre expliquait que le gouvernement du Canada et la province du Nouveau‑Brunswick n’étaient pas liés par un accord de réciprocité fiscale.

  6. Le 4 septembre 2014, l’ARC a envoyé un courriel au gouvernement du Nouveau‑Brunswick afin de lui demander si lui et le gouvernement fédéral avait un accord officiel les contraignant à payer les taxes qu’ils imposent respectivement. Le 5 septembre 2014, la province du Nouveau‑Brunswick a répondu dans un courriel que [traduction] « le Nouveau‑Brunswick n’a toujours pas d’accord officiel en matière de réciprocité fiscale avec le gouvernement fédéral ».

  7. Dans un courriel daté du 25 septembre 2014, l’ARC a écrit ce qui suit à Highlands : [TRADUCTION] « Selon les renseignements reçus de la Commission de la fiscalité du Nouveau‑Brunswick, la province n’a pas d’accord de réciprocité fiscale avec le gouvernement fédéral. Cependant, depuis les années 90, les deux parties agissent comme si un accord était en place. » Dans son courriel, l’ARC a indiqué qu’elle refuserait les demandes de remboursement au titre du paragraphe 68.19(2) de la Loi.

  8. Dans un courriel daté du 26 septembre 2014, Highlands a fait valoir qu’il n’y avait aucun accord de réciprocité fiscale en vigueur entre le gouvernement fédéral et le Nouveau‑Brunswick et a demandé à ce que la section des appels de l’ARC se prononce dans cette affaire.

  9. Le 14 novembre 2014, Highlands a déposé un avis d’opposition concernant la portion refusée de la deuxième demande de remboursement relative à la vente de carburant à la province du Nouveau‑Brunswick. L’avis d’opposition était fondé sur le fait que l’ARC avait tort, qu’il n’y avait aucun accord de réciprocité fiscale en vigueur entre le gouvernement fédéral et la province du Nouveau‑Brunswick au cours de la période du 1er mars 2014 au 31 mars 2014, et que Highlands avait droit à un remboursement au titre de l’article 68.19 de la Loi.

  10. Le 29 décembre 2014, la Section des appels de l’ARC a accusé réception de l’avis d’opposition.

Troisième demande de remboursement de Highlands

  1. Le 31 mars 2016, Highlands a présenté une demande de remboursement au montant de 2 095 864,12 $ pour la période du 1er mai 2014 au 29 février 2016 relativement à la vente de carburant à la province du Nouveau‑Brunswick (troisième demande de remboursement).

  2. Ni la province du Nouveau‑Brunswick, ni Irving Oil Commercial GP, ni aucune autre partie que Highlands n’ont présenté ou déposé une demande de remboursement de la taxe d’accise fédérale relativement à la vente de carburant à la province du Nouveau‑Brunswick durant la période du 1er mai 2014 au 29 février 2016.

  3. Au moyen d’un avis de détermination daté du 25 mai 2016, l’ARC a refusé la troisième demande de remboursement. L’unique fondement de l’avis de détermination était qu’il y avait un accord de réciprocité fiscale en vigueur entre le gouvernement fédéral et la province du Nouveau‑Brunswick durant la période du 1er mai 2014 au 29 février 2016.

  4. Le 5 août 2016, Highlands a déposé un avis d’opposition au refus de la troisième demande de remboursement.

  5. Dans une lettre datée du 13 octobre 2016, la section des appels de l’ARC a accusé réception de l’avis d’opposition concernant le refus de la troisième demande de remboursement.

Décision du ministre concernant les deuxième et troisième demandes de remboursement

  1. Dans une note de service datée du 8 janvier 2016, l’agente d’appel de l’ARC a adressé une demande de référence à l’administration centrale de l’ARC (demande de référence de l’ARC) en vue de savoir si Highlands avait droit à un remboursement de la taxe d’accise fédérale. La demande de référence de l’ARC incluait une copie d’un accord qui avait été conclu le 21 mars 1991 entre le gouvernement fédéral et le Nouveau‑Brunswick, mais qui n’avait été signé par le ministre des Finances du Nouveau‑Brunswick que le 14 août 1991 (l’accord de 1991).

  2. Dans une note de service datée du 2 février 2017, l’administration centrale de l’ARC a répondu à la demande de référence (réponse de l’ARC à la demande de référence). La réponse de l’ARC à la demande de référence confirmait que le vérificateur de l’ARC [traduction] « avait refusé la demande de remboursement en application de l’article 68.19(2) » de la Loi. La réponse de l’ARC à la demande de référence a énoncé que l’accord de 1991 [traduction] « est un accord mutuel entre les parties, [et] il a le même sens et le même effet qu’un accord de réciprocité fiscale prévu au paragraphe 68.19(2) » de la Loi.

  3. Le 2 mars 2017, l’agente d’appel de l’ARC a fait parvenir une copie de l’accord de 1991 à Highlands. L’accord de 1991 stipule que [traduction] « les arrangements fiscaux demeureront en vigueur jusqu’au 31 décembre 1993 ».

  4. Le 3 mars 2017, M. Wilmot a envoyé un courriel à M. George McAllister, du Nouveau‑Brunswick, pour confirmer la date d’expiration du dernier accord de réciprocité fiscale entre le gouvernement fédéral et le Nouveau‑Brunswick et pour savoir si une entente de réciprocité fiscale était en vigueur entre le 1er mars 2014 et le 29 février 2016. M. McAllister, du Nouveau‑Brunswick, a écrit à M. Wilmot pour l’informer que le dernier accord de réciprocité fiscale était venu à échéance le 1er janvier 1991 et qu’un accord temporaire concernant le paiement des taxes sur le carburant de chaque gouvernement avait été conclu en 1991 et avait expiré le 31 décembre 1993.

  5. Le 17 mars 2017, Osler a écrit à l’agente d’appel de l’ARC au nom de Highlands concernant la deuxième demande de remboursement, pour expliquer qu’il n’y avait pas d’accord de réciprocité fiscale en vigueur entre le gouvernement fédéral et le Nouveau‑Brunswick au cours des périodes durant lesquelles les demandes de remboursement ont été faites.

  6. Le 23 juin 2017, Osler a écrit à l’agente d’appel de l’ARC au nom de Highlands concernant la deuxième demande de remboursement, car l’opposition était en suspens depuis près de trois ans à ce moment‑là.

  7. Dans une lettre datée du 4 juillet 2017, mais envoyée par télécopieur le 30 juin 2017, Mme Anne Duggan, agente d’appel de l’ARC, a confirmé l’avis de décision du 18 août 2014 concernant la deuxième demande de remboursement, refusant ainsi le remboursement d’un montant de 99 862.58 $ relativement à la vente de carburant à la province du Nouveau‑Brunswick. La lettre de confirmation indique que l’accord de 1991 [traduction] « est demeuré en vigueur jusqu’au 31 décembre 1993 », mais que [traduction] « cet accord administratif n’a jamais été annulé et est toujours en vigueur aujourd’hui ». La lettre de confirmation conclut que [traduction] « pourvu qu’il existe un accord mutuel entre les parties, cet accord a le même sens et le même effet qu’un accord de réciprocité fiscale prévu au paragraphe 68.19(2) de la Loi ».

  8. Dans des lettres datées du 4 juillet 2017, mais envoyées par télécopieur le 30 juin 2017, l’agente d’appel de l’ARC a confirmé l’avis de décision du 25 mai 2016 concernant la troisième demande de remboursement ayant trait à la vente de carburant à la province du Nouveau‑Brunswick. La lettre de confirmation indique que l’accord de 1991 [traduction] « est demeuré en vigueur jusqu’au 31 décembre 1993 », mais que [traduction] « cet accord administratif n’a jamais été annulé et est toujours en vigueur aujourd’hui ». Les lettres de confirmation concluent que [traduction] « pourvu qu’il existe un accord mutuel entre les parties, cet accord a le même sens et le même effet qu’un accord de réciprocité fiscale prévu au paragraphe 68.19(2) de la Loi ».

Accord de réciprocité fiscale

  1. Le ministre fédéral des Finances avait, du 1er mars 2014 au 29 février 2016, et a actuellement des accords de réciprocité fiscale en vigueur avec les provinces de Terre‑Neuve, de l’Île‑du‑Prince‑Édouard, de la Nouvelle‑Écosse, du Québec, de l’Ontario, du Manitoba, de la Saskatchewan et de la Colombie‑Britannique. Chacun de ces accords de réciprocité fiscale comporte une disposition explicite dans laquelle chaque province convient qu’aucun remboursement ou paiement relatif à la taxe payable sous le régime de la partie III de la Loi ne peut être accordé à la province ou à une tierce partie en application du paragraphe.

  2. Le gouvernement fédéral a publié des documents indiquant qu’au cours des périodes pertinentes, il n’existait aucun accord de réciprocité fiscale entre la province du Nouveau‑Brunswick et le gouvernement fédéral. Aucun de ces documents n’a été révoqué ou annulé.

  3. L’accord de 1991 a expiré le 31 décembre 1993 et n’a pas été reconduit.

  4. Il n’y avait pas d’accord de réciprocité fiscale entre le gouvernement fédéral et le Nouveau‑Brunswick au sens de l’article 32 de la Loi sur les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces, LRC 1985, c F‑8, de 1994 à aujourd’hui, et il n’y en a pas actuellement.

  5. Pour les périodes pertinentes, il n’y a aucune entente écrite en matière de taxation entre le gouvernement fédéral et la province du Nouveau‑Brunswick. Plus particulièrement, il n’existe aucune entente écrite contenant une disposition dans laquelle la province du Nouveau‑Brunswick accepte qu’aucun remboursement ou paiement de la taxe payée sous le régime de la partie III de la Loi ne puisse être accordé à la province du Nouveau‑Brunswick ou à une tierce partie au titre de l’article 68.19.

Refus subséquent du ministre de la première demande de remboursement de Highlands

  1. Le 8 mars 2017, le ministre a ensuite établi une nouvelle cotisation afin de refuser la première demande de remboursement de Highlands au motif qu’il existait un accord de réciprocité fiscale entre le gouvernement fédéral et la province du Nouveau‑Brunswick. Highlands a déposé un avis d’opposition auprès du ministre qui est suspendu jusqu’à ce que l’issue définitive de cette demande soit connue.

FAIT à Toronto (Ontario) ce 21e jour de janvier 2019.

  (s)

[EN BLANC]

OSLER, HOSKIN & HARCOURT S.E.N.C.R.L./S.R.L.

Avocats

Case postale 50

1 First Canadian Place

Toronto (Ontario) M5X 1B8

Al‑Nawaz Nanji

Alan Kenigsberg

Avocats de la demanderesse

Téléphone :  416‑862‑6629

Télécopieur :  416‑862‑6666

FAIT à Ottawa (Ontario), ce 17e jour du mois de janvier 2019.

  (s)

 

Par :

Sous‑procureur général du Canada

André LeBlanc

Avocat de la défenderesse

Ministère de la Justice

Section des Services du droit fiscal

99, rue Bank, 11e étage

Ottawa (Ontario) K1A 0H8

Téléphone :   613‑941‑6473

Télécopieur : 613‑941‑2293

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1006‑17

 

INTITULÉ :

HIGHLANDS FUEL DELIVERY G.P. c SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LES 26 ET 27 FÉVRIER 2019

 

ÉBAUCHE DE JUGEMENT CONFIDENTIEL ET motifs :

LE JUGE AHMED

 

DATE DES MOTIFS :

LE 11 SEPTEMBRE 2019

 

COMPARUTIONS :

Al‑Nawaz Nanji

Alan Kenigsberg

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

André LeBlanc

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Osler, Hoskin & Harcourt S.E.N.C.R.L./s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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