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Date : 20020204

Dossier : T-2218-00

Référence neutre : 2002 CFPI 131

ENTRE :

                                                               PIERRE-PAUL POULIN

                                                                                                                                               Demandeur

                                                                                  et

                                              LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                   

                                                                                                                                                   Défendeur

                                     MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant à faire vérifier la légalité de la décision du Commissaire adjoint Michel Roy [ci-après « le Commissaire adjoint » ] du Service correctionnel du Canada [ci-après « le SCC » ], du processus de grief du troisième palier, numéro de référence V8000A003816, rendue le 23 octobre 2000, selon laquelle le grief présenté par Pierre-Paul Poulin [ci-après « le demandeur » ] a été refusé.


FAITS

[2]                 Le demandeur purge une peine d'emprisonnement à vie pour quatre (4) chefs de meurtre au premier degré.

[3]                 Le demandeur en est à sa troisième incarcération dans un pénitencier fédéral.

[4]                 Les antécédents criminels du demandeur et sa tendance au comportement violent font en sorte que les autorités correctionnelles le jugent un danger pour la sécurité publique et lui accordent une cote de sécurité moyenne. Bien que le demandeur ait fait certains efforts pour traiter son comportement violent, il ne l'a pas suffisamment maîtrisé pour que les autorités cessent de le considérer comme un risque.

[5]                 Il est présentement incarcéré à l'établissement de Mission, un établissement de sécurité moyenne en Colombie-Britannique.

[6]                 Le 10 avril 2000, le demandeur a demandé d'être transféré à l'établissement de William Head, un autre pénitencier de sécurité moyenne en Colombie-Britannique, pour y suivre un programme intensif de jardinage ornemental.

[7]                 Or, à la différence de l'établissement de Mission, le périmètre de William Head est "ouvert". L'établissement est entouré par l'océan sur les trois (3) côtés et quoique clôturé, son périmètre n'est pas surveillé par des moyens électroniques.

[8]                 Le 14 juin 2000, le directeur de Mission, Brenda Marshall, à qui revient la décision d'autoriser ou non un transfert, a refusé d'accéder à la demande du demandeur.

[9]                 Le demandeur s'est prévalu du processus de grief sous la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition [ci-après « la Loi » ] et dépose un grief au deuxième palier à l'encontre de la décision du directeur de Mission.

[10]            Dans une décision en date du 17 juillet 2000, le Sous-commissaire du deuxième palier - régional, a rejeté le grief du demandeur.

[11]            À nouveau, le demandeur a déposé un grief au troisième palier à l'encontre de la décision du Sous-commissaire, Région.


[12]            Au troisième palier - national, par une décision datée du 23 octobre 2000, le Commissaire adjoint n'a pas considéré que le demandeur était un bon candidat pour un établissement à périmètre ouvert comme William Head compte tenu du risque qu'il pose à la sécurité du public, et a rejeté son grief.

[13]            Le 24 novembre 2000, le demandeur a déposé une demande de contrôle judiciaire à l'égard de la décision du Commissaire adjoint. Il demande que la Cour annule la décision du Commissaire adjoint et ordonne son transfèrement à William Head.

LÉGISLATION PERTINENTE

[14]            L'article 28 de la Loi précise les critères dont le Commissaire du SCC (ou son délégué) doit tenir compte dans sa décision concernent le transfèrement d'un délinquant:



28. Le Service doit s'assurer, dans la mesure du possible, que le pénitencier dans lequel est incarcéré le détenu constitue le milieu le moins restrictif possible, compte tenu des éléments suivants :

a) le degré de garde et de surveillance nécessaire à la sécurité du public, à celle du pénitencier, des personnes qui s'y trouvent et du détenu;

b) la facilité d'accès à la collectivité à laquelle il appartient, à sa famille et à un milieu culturel et linguistique compatible;

c) l'existence de programmes et services qui lui conviennent et sa volonté d'y participer.

28. Where a person is, or is to be, confined in a penitentiary, the Service shall take all reasonable steps to ensure that the penitentiary in which the person is confined is one that provides the least restrictive environment for that person, taking into account

(a) the degree and kind of custody and control necessary for

(i) the safety of the public,

(ii) the safety of that person and other persons in the penitentiary, and

(iii) the security of the penitentiary;

(b) accessibility to

(i) the person's home community and family,

(ii) a compatible cultural environment, and

(iii) a compatible linguistic environment; and


[1]            L'article 29 de la Loi autorise le Commissaire du SCC (ou son délégué) à effectuer le transfèrement d'un délinquant d'un pénitencier à un autre:


29. Le commissaire peut autoriser le transfèrement d'une personne condamnée ou transférée au pénitencier, soit à un autre pénitencier, conformément aux règlements pris en vertu de l'alinéa 96d), mais sous réserve de l'article 28, soit à un établissement correctionnel provincial ou un hôpital dans le cadre d'un accord conclu au titre du paragraphe 16(1), conformément aux règlements applicables.

29. The Commissioner may authorize the transfer of a person who is sentenced, transferred or committed to a penitentiary to

(a) another penitentiary in accordance with the regulations made under paragraph 96(d), subject to section 28; or

(b) a provincial correctional facility or hospital in accordance with an agreement entered into under paragraph 16(1)(a) and any applicable regulations.


QUESTION EN LITIGE

[15]            En refusant d'autoriser le transfèrement du demandeur, le Commissaire adjoint a-t-il manqué à son devoir d'agir équitablement, exercé son pouvoir de mauvaise foi, de façon abusive ou arbitraire, ou tenu compte de considérations inappropriées?

ANALYSE

[16]            Le Commissaire adjoint n'a pas manqué à son devoir d'agir équitablement, ni exercé son pouvoir de mauvaise foi, de façon abusive ou arbitraire, ni tenu compte de considérations inappropriées.


Norme de contrôle applicable

[17]            Selon l'affaire Tehrankari c. Canada (Service correctionnel), [2000] A.C.F. no 495, le juge Lemieux a défini la norme de contrôle applicable au processus de grief du SCC. Il a énoncé:

[para 33] A word needs to be said about the standard of review applicable in this case keeping in mind the type of decision made and the decision-maker (see Baker v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), [1999] 2 S.C.R. 817. In Baker, supra, L'Heureux-Dubé J. pointed out it was held in Pushpanathan v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), [1998] 1 S.C.R. 982, a decision which related to the determination of a question of law in that case, (the interpretation of the exclusion provisions in section 2 of the Immigration Act as they relate to the definition of Convention refugee) made by the Immigration and Refugee Board, was subject to a standard of review of correctness but on other questions, the standard of review varied.

[para 44] To conclude on this point, I would apply a correctness standard if the question involved is the proper interpretation of section 24 of the Act; however, I would apply the standard of reasonableness simpliciter if the question involved is either the application of proper legal principles to the facts or whether the refusal decision to correct information on the offender's file was proper. The patently unreasonable standard applies to pure findings of fact. (Subsection 18.2(4) of the Federal Court Act, R.S.C. 1985, c. F-7.)

[18]            En l'espèce, les conclusions tirées par le Commissaire adjoint sont basées sur des faits. En conséquence, la norme de contrôle judiciaire applicable est celle de manifestement déraisonnable.


Participation au programme de traitement intensif pour délinquants violents (Intensive Violent Offender Program)

[19]            Le Commissaire adjoint a tenu compte du plan correctionnel du demandeur. Afin de réduire le risque que le demandeur pose au public, le plan correctionnel suggéré par le Commissaire adjoint recommande au demandeur de traiter sa tendance au comportement violent en suivant le programme de traitement intensif pour délinquants. Le Commissaire adjoint écrit à ce sujet dans sa décision:

Votre participation au programme de traitement intensif pour délinquants violents (Intensive Violent Offender Program) est considérée comme un élément crucial de votre réhabilitation. Comme vous n'avez pas été admis dans ce programme en raison de vos difficultés à maîtriser la langue anglaise, d'autres alternatives doivent être envisagées à court ou moyen terme.

[20]            Or, le Commissaire adjoint a accordé plus de poids à la sécurité du public qu'aux objectifs de réhabilitation du plan. Le pouvoir conféré au Commissaire (ou à son délégué) est de nature double: discrétionnaire selon l'affaire Légère c. Canada [1997] A.C.F. no 749 (C.F. (1re inst.)) où le juge Pinard a énoncé:

[para 6] The decision to transfer or to refuse to transfer an inmate is a discretionary one, which attracts the duty of procedural fairness.

[21]            Et, ce pouvoir est aussi de nature administrative selon l'affaire Kelly v. Canada (Correctional Service), [1992] F.C.J. No. 720 (F.C.T.D.), où le juge Denault a statué:


[para 11] It is well established that transfer decisions are administrative in nature and should not be interfered with unless the decision maker has clearly breached his duty to act fairly or a serious injustice has been committed (Re Nicholson and Haldimand-Norfolk Regional Board of Com'rs of Police, [1979] 1 S.C.R. 311; Martineau v. Matsqui Institution Disciplinary Board (No. 2), [1980] 1 S.C.R. 602, at p. 637; Cardinal v. Director of Kent Institution, [1985] 2 S.C.R. 643, at p. 654).

[22]            Le Commissaire adjoint peut exiger le traitement du comportement violent du demandeur avant d'approuver son transfert à William Head. Le Commissaire adjoint a considéré les défis qui se posent au demandeur quant au programme de traitement intensif, notamment son unilinguisme et son handicap visuel au moment de la prise de décision, et lui a proposé certaines solutions:

Tel que recommandé par le Dr Wallace, votre participation au programme "Prospect" qui progresse à un rythme plus lent, est fortement recommandé. Des efforts sont également faits par les autorités de la région du Pacifique pour trouver une personne qui pourrait aider les participants qui ne maîtrisent pas assez la langue anglaise afin qu'ils puissent compléter le programme des délinquants violents. Vous pourriez également entre-temps, prendre les moyens pour améliorer votre bilinguisme.

[23]            Il est évident que la tâche revient maintenant, alors, au demandeur d'explorer ces solutions.

L'établissement de William Head


[24]            William Head, tout comme Mission, est un établissement à sécurité moyenne. Or, la différence significative entre ces deux établissements est le fait que le périmètre de William Head est "ouvert". À cause de ce cadre particulier, la sécurité du public est une considération qui pèse lourdement sur les autorités correctionnelles à William Head.

[25]            Le demandeur a reçu une seule recommandation favorisant son transfèrement; cette recommandation est mitigée. Elle se trouve dans le document intitulé Évaluation en vue d'une décision en date du 10 mai 2000, qui se trouve à la page 107 du dossier du demandeur et qui se lit comme suit:

Ce transfèrement aiderait probablement M. Poulin à acquérir d'autres compétences de travail et à réduire son institutionnalisation. Ceci est considéré bénéfique. L'EGC est d'avis que M. Poulin bénéficierait d'un transfèrement à William Head. Toutefois, M. Poulin profiterait davantage d'une participation au programme intensif à l'intention des délinquants violents. [...] Pour l'instant, l'EGC donne un léger appui à un transfèrement à William Head et recommande son approbation.

[26]            Or, les considérations de sécurité sont primordiales pour les autorités à William Head. Et alors, dans le document intitulé Transfèrement institutionnel (volontaire) Formulaire de décision, en date du 14 juin 2000, qui se trouve aux pages 111-112 du dossier du demandeur, le directeur de William Head écrit:


C'est la deuxième fois que j'examine le dossier de ce détenu. Je constate que peu de choses ont changé depuis ma première évaluation, sauf que les rapports psychologiques tendent à confirmer mon opinion que ce détenu n'est pas un candidat acceptable en vue d'un transfèrement à William Head pour diverses raisons. Il n'a pas de motif véritable d'aller à William Head si ce n'est un désir d'étudier l'horticulture. Il n'a pas suivi le programme intensif à l'intention des délinquants violents au CRS et semble croire qu'il n'a pas besoin de ce programme. On considère qu'il présente un risque d'évasion et le rapport psychologique indique que son potentiel d'évasion N'EST PAS faible. J'estime que le risque pour la collectivité, s'il s'évadait, est élevé et, en conséquence, je ne crois pas qu'il devrait être dans le milieu ouvert de William Head, avec la sécurité périmétrique dont nous disposons. Les motifs invoqués par l'EGC pour donner un léger appui au transfèrement ne font pas le poids comparativement aux risques que présente ce détenu.

[27]            Il est évident d'après la lecture de l'opinion du directeur de William Head, qu'il est d'avis que le demandeur n'est pas un candidat approprié pour son établissement.

[28]            De plus, le Commissaire adjoint, dans sa décision, considère la candidature du demandeur pour un transfèrement à William Head, à la lumière des considérations sécuritaires:

Lors de la dernière évaluation de votre cote sécuritaire effectuée le 20 octobre 1999, les autorités de l'établissement Mission ont évalué le risque d'évasion ainsi que l'adaptation en établissement comme étant faibles, alors que le risque pour la sécurité du public était considéré comme élevé. Je considère que l'évaluation sur ce sujet était appropriée, compte tenu du fait que les principaux facteurs criminogènes identifiés dans votre plan correctionnel n'ont toujours pas été traités.

[...]

Votre transfèrement dans un contexte de sécurité périmétrique "ouvert" comme celui de l'établissement de William Head ne peut être envisagé à l'heure actuelle, compte tenu des éléments mentionnés dans le paragraphe précédent.

[29]            Le Commissaire adjoint a tenu compte de la sécurité du public dans sa décision au détriment du plan correctionnel du demandeur. Une telle considération est pertinente à l'étude d'une demande de transfert. En effet, l'article 28 de la Loi oblige une telle considération:



28. Le Service doit s'assurer, dans la mesure du possible, que le pénitencier dans lequel est incarcéré le détenu constitue le milieu le moins restrictif possible, compte tenu des éléments suivants :

a) le degré de garde et de surveillance nécessaire à la sécurité du public, à celle du pénitencier, des personnes qui s'y trouvent et du détenu;

28. Where a person is, or is to be, confined in a penitentiary, the Service shall take all reasonable steps to ensure that the penitentiary in which the person is confined is one that provides the least restrictive environment for that person, taking into account

(a) the degree and kind of custody and control necessary for

(i) the safety of the public,

(ii) the safety of that person and other persons in the penitentiary, and

(iii) the security of the penitentiary;


[30]            Le demandeur a bien présenté et documenté son dossier. Il a bien identifié les éléments qui lui étaient favorables, avec beaucoup de savoir-faire et de précisions, compte tenu des circonstances.

[31]            Cependant, la jurisprudence a clairement établi le pouvoir discrétionnaire du Commissaire des Services correctionnels et de ses représentants.

[32]            La Cour n'a pas à se demander si elle doit rendre une décision différente, mais plutôt si le Commissaire adjoint a commis une erreur qui justifie l'intervention de cette Cour. À la révision du dossier, je ne peux conclure que l'intervention de cette Cour soit justifiée.


                                                               O R D O N N A N C E

[33]            En conséquence, LA COUR ORDONNE QUE:

La présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

Pierre Blais                                                                                                                             Juge

OTTAWA, ONTARIO

Le 4 février 2002

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