Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20190802

Dossier : T‑1128‑17

Référence : 2019 CF 1043

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 août 2019

En présence de monsieur le juge Southcott

ACTION RÉELLE EN MATIÈRE D’AMIRAUTÉ

ENTRE :

LA BANQUE ROYALE DU CANADA

demanderesse

et

SEAMOUNT MARINE LTD.,

ET LES PROPRIÉTAIRES ET

TOUTES LES AUTRES PERSONNES

AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE

OCEAN MARAUDER

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La présente décision concerne la requête déposée le 5 juillet 2019 par Smythe Insolvency Inc., le syndic de faillite [le syndic] de la défenderesse, Seamount Marine Ltd. [Seamount], en vue d’obtenir la suspension de la réclamation de Stryder King Holdings Ltd. [Stryder King] à l’égard du produit de la vente du navire défendeur « Ocean Marauder » [le navire], ainsi qu’une ordonnance prévoyant le paiement au syndic de tous les fonds restants du produit de la vente consignés à la Cour. Stryder King s’oppose à la requête, laquelle a été instruite à Vancouver le 18 juillet 2019.

[2]  Pour les motifs expliqués ci‑dessous, il est fait droit à la requête, et une ordonnance prévoyant la suspension de la réclamation de Stryder King et le versement au syndic du produit restant de la vente du navire moins 2 000 $, somme qui demeurera consignée à la Cour à titre de garantie pour la réclamation de l’Autorité portuaire de la rivière Campbell, sera rendue.

II.  Contexte

[3]  Stryder King est une société de la Colombie-Britannique qui exerce des activités de pêche commerciale. Son directeur principal est Michael Dudek. Seamount est une société de la Colombie‑Britannique qui exerçait également dans le domaine de la pêche commerciale jusqu’à ce qu’elle déclare faillite en septembre 2017. Le directeur principal de Seamount était David McIntyre, le gendre de M. Dudek. Le navire est un bateau de pêche enregistré sous le régime de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada, LC 2001, c 26 [la LMMC], dans le port de Vancouver, et portant le numéro officiel 383475. Il s’agissait du principal actif de Seamount.

[4]  Comme il est mentionné dans un contrat écrit daté du 20 mai 2015 [le contrat de prêt], Stryder King a consenti à Seamount divers prêts pour un montant global de 2 millions de dollars, à des taux d’intérêt variés et prévoyant différentes dates pour l’avancement des fonds et le remboursement, pour permettre à Seamount d’acheter le navire et de mettre sur pied une entreprise commerciale de pêche à la morue charbonnière. La clause suivante figure dans le contrat de prêt :

[traduction]

Il est entendu qu’une hypothèque formelle visant le navire Marauder TC no   pour lequel les prêts ont été contractés peut être exigée après le 31 décembre 2015, dans l’éventualité où il y a non‑respect de l’une ou l’autre de ces ententes.

[5]  Seamount a payé des intérêts à Stryder King les 14 et 28 septembre 2015, mais n’a plus versé d’intérêts par la suite. Le 14 septembre 2015, Seamount a également fait un versement unique de 150 000 $ pour rembourser le capital, mais n’a pas effectué les autres paiements sur le capital comme l’exigeaient les modalités du contrat de prêt.

[6]  Le 6 avril 2017, Stryder King a exigé par écrit que Seamount signe une hypothèque maritime enregistrable, qui figurait dans un formulaire joint à la demande. La demande est restée lettre morte, et le 25 avril 2017, Stryder King a intenté une action en matière d’amirauté (au greffe de Victoria, dossier no 17 1601) devant la Cour suprême de la Colombie‑Britannique [la CSC‑B], personnelle contre Seamount et réelle contre le navire, en vue de faire exécuter le contrat de prêt. Stryder King a fait saisir le navire dans le cadre de l’action devant la CSC‑B à son poste d’amarrage dans la rivière Campbell, en Colombie‑Britannique, le 27 avril 2017 ou vers cette date.

[7]  Au moment de la saisie du navire, celui‑ci était également grevé d’hypothèques enregistrées sous le régime de la LMMC en faveur de la Banque Royale du Canada [la RBC] à titre de créancière hypothécaire de premier rang et en faveur de Lenico Holdings Ltd. [Lenico] à titre de créancière hypothécaire de deuxième rang. Le 26 juillet 2017, la RBC a intenté la présente action devant la Cour fédérale pour obtenir l’exécution de son hypothèque maritime de premier rang. Le 14 septembre 2017, Stryder King a déposé un caveat-mainlevée dans le cadre de la présente action. Par suite de la requête présentée par la RBC, le juge Strickland a rendu une ordonnance en date du 19 septembre 2017, remplacée plus tard par une ordonnance modifiée portant la même date, afin de mettre en branle la vente judiciaire du navire [l’ordonnance de vente]. Le 26 septembre 2017, Stryder King a accepté la mainlevée du navire saisi dans le cadre de l’action devant la CSC‑B pour permettre la vente du navire dans la présente action.

[8]  Le 20 octobre 2017, Stryder King a également intenté une action distincte devant notre Cour (dossier de la Cour no T‑1604‑17), personnelle contre Seamount et réelle contre le navire, en vue d’obtenir un jugement lui accordant les sommes dues par Seamount en vertu du contrat de prêt ainsi qu’un jugement déclarant que Stryder King détient une hypothèque en equity sur le navire pour les sommes en question.

[9]  La vente du navire a été approuvée par une ordonnance datée du 1er novembre 2017, pour la somme de 1 800 000 $, dont le produit a été consigné à la Cour dans la présente action. Les dispositions suivantes, susceptibles de s’appliquer à la présente requête, figuraient dans l’ordonnance de vente :

[traduction]

9.  Le shérif inclut également dans l’annonce de vente un avis aux créanciers portant que :

[…]

b.  Toute réclamation présentée par un créancier à l’égard du navire ou du produit de sa vente est déposée au moyen d’un affidavit au greffe de la Cour fédérale au plus tard le 26 octobre 2017, à défaut de quoi la réclamation sera prescrite. L’affidavit précise les détails complets de la réclamation, son fondement et son statut. Le créancier/demandeur qui revendique la priorité de rang précise le fondement de cette revendication.

10. Les modalités prévues dans l’annonce et énumérées aux paragraphes 8 et 9 font partie intégrante de la présente ordonnance.

[…]

17. Toutes les questions relatives aux droits des créanciers/demandeurs, y compris la demanderesse et la personne ayant déposé un caveat, à l’égard du navire ou du produit de sa vente et les questions relatives à la priorité de rang des créanciers réels sont prises en délibéré jusqu’à nouvelle ordonnance de la Cour.

18. Toute partie intéressée peut demander à la Cour de modifier ou d’annuler la présente ordonnance ou toute disposition de la présente ordonnance.

[10]  Dans la présente action, les seuls affidavits déposés en date du 26 octobre 2017, le délai prescrit par l’ordonnance de vente, sont ceux de la RBC et de Lenico (qui réclamaient les sommes garanties par leurs hypothèques maritimes de premier et de second rangs enregistrées sous le régime de la LMMC), de l’Autorité portuaire de la rivière Campbell [l’APRC] (qui réclamait une créance principale de 1 786,06 $ pour frais d’amarrage et frais connexes impayés et invoquait un privilège possessoire sur le navire) et de Stryder King. Dans l’affidavit à l’appui  de sa réclamation, déposé le 26 octobre 2017, Stryder King réclamait des sommes qui lui étaient dues en vertu du contrat de prêt et revendiquait le statut de créancier hypothécaire non enregistré ou de créancier hypothécaire en equity, dont le rang suivrait celui des créanciers hypothécaires enregistrés, mais précéderait celui des créanciers non garantis.

[11]  Entre-temps, Seamount a fait une cession en faillite le 13 septembre 2017. Le syndic a été nommé syndic de faillite pour Seamount, et Stryder King a remis au syndic une preuve de réclamation datée du 22 septembre 2017, dans laquelle elle revendiquait une créance garantie de 2 129 853,54 $ et faisait état d’une [traduction] « hypothèque maritime en equity accordée le 31 décembre 2015 » [la preuve de réclamation]. La preuve de réclamation était accompagnée d’une comptabilisation des sommes dues à Stryder King et d’une copie du contrat de prêt.

[12]  Le 30 octobre 2017, le syndic a remis à Stryder King un avis dans lequel il rejetait la créance garantie de 2 129 853,54 $ revendiquée par Stryder King et autorisait cette somme à titre de créance non garantie. L’avis de rejet motivait de la façon suivante le rejet de la créance garantie :

[traduction]

Le créancier n’a pas fourni une description suffisante du bien, et le document intitulé [traduction] « Contrat de prêt de fonds à Seamount Marine Ltd. de la part de Stryder King Holdings Ltd. » rédigé le 20 mai 2015 ne répond pas au critère applicable à une hypothèque en equity.

De plus, même s’il était établi que le prêt équivalait à une hypothèque en equity, ce qui n’est pas notre avis :

- en vertu du sous-alinéa 20b)(i) de la Personal Property Security Act (la PPSA), comme aucun état financier n’a été déposé dans le réseau d’enregistrement des biens personnels à la date de la faillite, la créance garantie est inopposable au syndic;

- l’article 70 de la Loi sur la marine marchande du Canada (la LMMC) exige que la garantie soit enregistrée dans le registre des navires à la date de la faillite pour que la créance garantie soit opposable au syndic. La garantie n’était pas enregistrée au 13 septembre 2017 et était donc inopposable au syndic.

[13]  L’avis de rejet énonce également que, si Stryder King n’est pas satisfaite de la décision rejetant sa créance garantie, elle peut interjeter appel devant la Cour dans les 30 jours de la signification ou de l’envoi de l’avis, ou dans le délai que la Cour peut autoriser sur demande présentée dans la période de 30 jours. Le mot « Cour » n’est pas défini dans le document, mais l’avis de rejet porte un en‑tête faisant référence à la Cour suprême de la Colombie-Britannique en matière de faillite. Stryder King n’a pas interjeté appel de l’avis de rejet devant la CSC‑B.

[14]  Par suite d’une requête, la Cour fédérale a rendu des ordonnances dans la présente instance en décembre 2017, dans lesquelles elle déclarait que la RBC et Lenico détenaient des hypothèques de premier et de deuxième rang sur le navire et devaient être remboursées à même le produit de la vente du navire les sommes de 804 997,05 $ et de 349 550,46 $, respectivement. La commission et les frais du shérif intérimaire étaient évalués à 59 252,89 $ et devaient également être payés à même le produit de la vente. À l’instruction de la présente requête, l’avocat de Stryder King a confirmé que le montant du produit de la vente du navire toujours consigné à la Cour s’élevait, à la fin du mois de juin 2019, à 527 053,90 $, y compris les intérêts.

[15]  Le 18 décembre 2018, Stryder King a déposé une requête dans la présente instance en vue d’obtenir un jugement déclarant qu’elle détient une hypothèque en equity sur le navire ainsi qu’une ordonnance prévoyant qu’on lui verse le reliquat du produit de la vente. L’instruction de la requête a été ajournée au 18 juillet 2019. Le 5 juillet 2019, le syndic a déposé la présente requête, dans laquelle il demandait la suspension de la réclamation de Stryder King et qu’on lui verse plutôt à lui le reliquat du produit de la vente. Les parties avaient initialement demandé que la requête du syndic soit instruite le 18 juillet 2019, conjointement avec la requête de Stryder King, mais, par la suite, elles ont demandé que seule la requête du syndic soit instruite à cette date. La Cour a fait droit à ces deux demandes, et la requête de Stryder King a été remise sine die.

[16]  Par la suite, le 15 juillet 2019, Stryder King a présenté au greffe de la Cour un dossier de requête daté du 14 juillet 2019, dans lequel elle demandait l’autorisation de modifier sa déclaration dans le dossier no T‑1604‑17 de la Cour fédérale en vertu de l’article 201 des Règles, en vue d’invoquer, outre sa réclamation d’une hypothèque en equity, les principes de l’enrichissement sans cause et la préclusion promissoire ayant pour effet de créer une fiducie résultoire ou constructoire sur le navire. Stryder King a sollicité une réduction du délai pour que cette requête soit présentée le 18 juillet 2019 à Vancouver, en même temps que la requête en suspension du syndic. Le syndic s’est opposé à fixer la date d’instruction de la nouvelle requête au 18 juillet.

[17]  Le 16 juillet 2019, j’ai donné une directive, dans laquelle je souscrivais à la position du syndic et refusais de fixer au 18 juillet l’instruction de la requête modifiée de Stryder King dans le dossier no T‑1604‑17. J’ai toutefois souligné que Stryder King avait également déposé un dossier de requête en réponse à la requête en suspension du syndic, auquel elle avait joint des copies de la requête qu’elle comptait présenter en vue de modifier sa déclaration dans le dossier no T‑1604‑17, et dans lequel elle présentait des arguments fondés sur cette intention en réponse à la demande de suspension du syndic. Dans ma directive, j’ai donc indiqué que je m’attendais à ce que les parties abordent ces arguments à l’instruction de la requête du syndic le 18 juillet 2019.

III.  Les questions en litige

[18]  À l’instruction de la requête du syndic, j’ai constaté qu’il y avait un chevauchement important entre les arguments avancés par les parties dans leurs dossiers de requête déposés dans le cadre de la requête en suspension du syndic et les arguments figurant dans le dossier de requête présenté par Stryder King le 18 décembre 2018 en vue d’obtenir un jugement déclarant qu’elle détient une hypothèque en equity. Les avocats des parties ont reconnu que leurs documents respectifs déposés dans le cadre de la requête en suspension abordaient des arguments portant sur la question de savoir si Stryder King détenait une hypothèque en equity, y compris s’il existe une hypothèque en equity eu égard aux faits de l’affaire, si le détenteur d’une hypothèque en equity a qualité de « créancier garanti » au sens de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, LRC 1985, c B‑3 [la LFI], et si le défaut de Stryder King d’enregistrer des états financiers en vertu de la Personal Property Security Act, RSBC 1996, c 359 [la PPSA], de la Colombie-Britannique avait entraîné l’inopposabilité au syndic de toute hypothèque en equity qu’elle détient. Toutefois, les avocats des parties ont tous deux convenu que, s’ils présentaient ces arguments pour donner à la Cour le contexte du litige découlant de la réclamation de Stryder King, ils ne demandaient pas que soient tranchés ces arguments dans le cadre de la requête en suspension. Selon l’issue de la requête en suspension, ces arguments pourraient être présentés au cours de l’instruction ultérieure de la requête de Stryder King en vue d’obtenir un jugement déclarant qu’elle détient une hypothèque en equity.

[19]  Le syndic intente la présente requête en vue d’obtenir la suspension de la réclamation de Stryder King et, si la suspension est accordée, le versement au syndic du reliquat du produit de la vente, au motif que la question de l’hypothèque en equity que réclame Stryder King a déjà fait l’objet d’une décision définitive et péremptoire dans l’instance de faillite régie par les dispositions de la LFI, étant donné la décision rendue par le syndic dans son avis de rejet et le défaut de Stryder King d’interjeter appel de cette décision devant la CSC‑B. Le syndic invoque les principes de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée (qui fait partie du principe de l’autorité de la chose jugée), de la contestation indirecte, de l’abus de procédure et du choix du recours à l’appui de ses arguments. Stryder King soutient que ses réclamations n’ont pas donné lieu à une décision définitive et péremptoire et qu’il ne conviendrait pas pour la Cour de prononcer la suspension de l’instance. Ces arguments reposent en grande partie sur l’intention de Stryder King d’invoquer les principes de la fiducie résultoire et constructoire et de la préclusion propriétale.

[20]  Aucune des parties n’a expressément établi une liste de questions à trancher dans le cadre de la présente requête. J’estime cependant que les arguments sur lesquels la Cour doit se prononcer peuvent être examinés à juste titre dans le cadre des deux questions suivantes :

  1. La Cour doit-elle ordonner la suspension de la réclamation de Stryder King?

  2. Dans l’affirmative, la Cour doit-elle ordonner que le reliquat du produit de la vente du navire consigné à la Cour soit versé au syndic?

IV.  Analyse

A.  La Cour doit-elle ordonner la suspension de la réclamation de Stryder King?

[21]  Pour commencer, je souligne que Stryder King soutient que la faillite de Seamount ne diminue en rien la compétence de la Cour fédérale pour se prononcer sur des réclamations réelles garanties visant le navire. Il est évident que Stryder King a raison d’avancer cet argument, qui a été expliqué par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Holt Cargo Systems c ABC Containerline NV (Syndic de), 2001 CSC 90, au paragraphe 66, et qui est conforme au paragraphe 69.3(2) de la LFI, qui prévoit que la faillite d’un débiteur, et la suspension de l’instance imposée par le paragraphe 69.3(1) en cas de faillite, n’empêchent pas un créancier garanti de réaliser sa garantie.

[22]  En fait, je comprends mal pourquoi le syndic conteste cette affirmation. Le syndic soutient que les faits de l’espèce n’accordent pas à Stryder King une réclamation garantie aux fins de la LFI et que, même si c’était le cas, le fait de ne pas avoir enregistré sa créance conformément à la PPSA priverait Stryder King d’un tel avantage. Cependant, comme je l’ai déjà fait remarquer, la demande de suspension présentée par le syndic ne repose pas sur ces affirmations. En fait, la requête en suspension du syndic découle de la manière précise dont la réclamation de Stryder King est traitée en l’espèce, de sorte que, selon le syndic, les efforts qu’a déployés Stryder King pour invoquer la compétence de la Cour fédérale sont inappropriés parce qu’ils visent à contester à nouveau des questions qui ont déjà été tranchées.

[23]  Comme je l’ai déjà indiqué, Stryder King a remis au syndic une preuve de réclamation dans laquelle elle invoquait une créance garantie de 2 129 853,54 $ et faisait état d’une hypothèque maritime en equity à l’appui de cette réclamation. Le syndic a rejeté cette réclamation garantie dans son avis de rejet du 30 octobre 2017, et Stryder King n’a pas interjeté appel de cette décision. Le syndic se fonde sur les paragraphes suivants de l’article 135 de la LFI pour étayer son argument selon lequel la question du droit de Stryder King au rang de créancier garanti a été tranchée de façon définitive et péremptoire :

Examen de la preuve

Trustee shall examine proof

135 (1) Le syndic examine chaque preuve de réclamation ou de garantie produite, ainsi que leurs motifs, et il peut exiger de nouveaux témoignages à l’appui

[…]

135 (1) The trustee shall examine every proof of claim or proof of security and the grounds therefor and may require further evidence in support of the claim or security

….

Rejet par le syndic

Disallowance by trustee

(2) Le syndic peut rejeter, en tout ou en partie, toute réclamation, tout droit à un rang prioritaire dans l’ordre de collocation applicable prévu par la présente loi ou toute garantie.

(2) The trustee may disallow, in whole or in part,

[EN BLANC]

(a) any claim;

[EN BLANC]

(b) any right to a priority under the applicable order of priority set out in this Act; or

[EN BLANC]

(c) any security.

Avis de la décision

Notice of determination or disallowance

(3) S’il décide qu’une réclamation est prouvable ou s’il rejette, en tout ou en partie, une réclamation, un droit à un rang prioritaire ou une garantie, le syndic en donne sans délai, de la manière prescrite, un avis motivé, en la forme prescrite, à l’intéressé.

(3) Where the trustee makes a determination under subsection (1.1) or, pursuant to subsection (2), disallows, in whole or in part, any claim, any right to a priority or any security, the trustee shall forthwith provide, in the prescribed manner, to the person whose claim was subject to a determination under subsection (1.1) or whose claim, right to a priority or security was disallowed under subsection (2), a notice in the prescribed form setting out the reasons for the determination or disallowance.

Effet de la décision

Determination or disallowance final and conclusive

(4) La décision et le rejet sont définitifs et péremptoires, à moins que, dans les trente jours suivant la signification de l’avis, ou dans tel autre délai que le tribunal peut accorder, sur demande présentée dans les mêmes trente jours, le destinataire de l’avis n’interjette appel devant le tribunal, conformément aux Règles générales, de la décision du syndic.

(4) A determination under subsection (1.1) or a disallowance referred to in subsection (2) is final and conclusive unless, within a thirty day period after the service of the notice referred to in subsection (3) or such further time as the court may on application made within that period allow, the person to whom the notice was provided appeals from the trustee decision to the court in accordance with the General Rules.

[24]  Nul ne conteste que Stryder King n’ait pas interjeté appel devant la CSC‑B du rejet par le syndic de sa garantie en application du paragraphe 135(2), comme elle avait le droit de le faire en vertu du paragraphe 135(4). Le syndic soutient que ce rejet est donc devenu définitif et péremptoire par application du paragraphe 135(4). Le syndic se fonde sur ces faits et ces dispositions législatives pour soutenir que les principes de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, de la contestation indirecte, de l’abus de procédure et du choix du recours interdisent tous à Stryder King de demander à la Cour fédérale de se prononcer sur sa réclamation.

[25]  Je vais d’abord examiner la préclusion découlant d’une question déjà tranchée; le syndic renvoie la Cour au paragraphe 23 de l’arrêt Toronto (Ville) c SCFP, section locale 79, 2003 CSC 63 [Toronto (Ville)], qui décrit ce principe comme un volet de l’autorité de la chose jugée qui interdit de soumettre à nouveau aux tribunaux des questions déjà tranchées dans une instance antérieure. Pour que le tribunal puisse accueillir la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, trois conditions doivent être réunies : a) la question doit être la même que celle qui a été tranchée dans la décision antérieure; b) la décision judiciaire antérieure doit avoir été une décision définitive; c) les parties dans les deux instances doivent être les mêmes.

[26]  Le syndic n’est évidemment pas un tribunal, mais il s’appuie sur des décisions de jurisprudence dans lesquelles on a conclu que les décisions d’un syndic de faillite, lorsqu’il autorise ou rejette une réclamation, sont à la fois définitives et de nature judiciaire et peuvent faire l’objet d’un appel seulement aux termes du paragraphe 135(4) de la LFI (voir Friedland, Re, 2011 BCSC 1058 [Friedland], au par. 12, invoquant Galaxy Sports Inc., Re, 2004 BCCA 284). Stryder King n’a présenté aucun argument permettant à la Cour d’écarter cette jurisprudence.

[27]  Je conviens également avec le syndic que la décision Associated Freezers of Canada Inc (Faillite de), 1999 CanLII 11515 (CSQ) [Associated Freezers] est éclairante. Dans cette affaire, le syndic d’une faillite en Ontario avait rejeté une preuve de réclamation en application du paragraphe 135(2) de la LFI. Le créancier avait interjeté appel de ce rejet devant la Cour de l’Ontario (Division générale), mais s’était ensuite désisté de cet appel. Le créancier a tenté par la suite d’invoquer une garantie au Québec, et la Cour supérieure du Québec [la CSQ] a examiné, aux paragraphes 27 à 30, l’effet du rejet de la réclamation d’un créancier prononcé précédemment par le syndic. La CSQ a conclu que, comme le créancier s’était désisté de son appel devant la Cour de l’Ontario, le rejet prononcé par le syndic était aussi définitif et péremptoire qu’un jugement d’un tribunal civil compétent.

[28]  En outre, en relatant l’historique de l’instance de faillite dans la décision Associated Freezers, la CSQ a fait remarquer que la Cour de l’Ontario avait déjà examiné une requête connexe et avait conclu que, à la suite du rejet par le syndic de la réclamation du créancier et le désistement de celui‑ci de son appel, l’affaire était devenue chose jugée. En se fondant sur le rejet de la réclamation par le syndic et sur la décision subséquente de la Cour de l’Ontario (qui avait été confirmée par la Cour d’appel de l’Ontario), la CSQ a également conclu que l’affaire avait force de chose jugée.

[29]  Stryder King affirme qu’en déposant une preuve de réclamation, elle voulait informer le syndic et les autres créanciers de Seamount qu’elle était une créancière. Elle soutient que toutes ses créances ne sont pas garanties et affirme qu’elle ne reconnaît la compétence du syndic qu’à l’égard des parties non garanties de ses créances, qui concernent des actifs de Seamount qui ne relèvent pas de la compétence de la Cour fédérale. J’estime que cet argument est mal fondé. Comme l’a fait remarquer le syndic, la Cour ne dispose d’aucun élément établissant l’intention qu’avait Stryder King lorsqu’elle a présenté sa preuve de réclamation. En outre, la preuve de réclamation indique expressément que la créance est garantie et que c’est apparemment pour respecter la partie du formulaire de preuve de réclamation qui exige des précisions sur la nature de la garantie qu’est mentionnée l’hypothèque maritime en equity. De plus, si Stryder King avait conclu, après avoir reçu l’avis de rejet, que le syndic avait mal interprété l’intention ou la nature de la preuve de réclamation, il lui était loisible d’interjeter appel du rejet de sa garantie devant la CSC‑B sur le fondement du paragraphe 135(4) de la LFI.

[30]  À l’audience, Stryder King a également soutenu que l’hypothèque en equity a pour effet de créer non seulement une garantie, mais également une fiducie constructoire sur l’actif visé. Elle affirme qu’elle détient donc un droit de propriété sur le navire que le syndic n’a pas la compétence de rejeter. Toutefois, là encore, si Stryder King avait conclu, après la réception de l’avis de rejet, que le syndic avait outrepassé sa compétence en rejetant sa réclamation, elle devait interjeter appel de cette décision devant la CSC‑B. À mon avis, Stryder King ne peut écarter l’application du principe de la chose jugée en soulevant devant la Cour fédérale des arguments qui auraient pu être invoqués devant le syndic et dans un appel devant la CSC‑B. Comme l’a indiqué la CSQ dans le résumé de la décision antérieure de la Cour de l’Ontario, au paragraphe 9 de la décision Associated Freezers, le principe de l’autorité de la chose jugée ne dépend pas de la question de savoir si la décision du syndic de faillite est correcte, mais plutôt de savoir si elle a force obligatoire et si elle concerne l’un ou l’autre des aspects qui auraient raisonnablement pu être soulevés devant le syndic.

[31]  Pour en revenir aux conditions d’application du principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée énoncées dans l’arrêt Toronto (Ville), j’estime que la décision qu’a rendue le syndic dans son avis de rejet est une décision définitive qui, de par sa nature, permet d’invoquer ce principe, et les parties au processus ayant mené à l’avis de rejet sont les mêmes que celles qui se trouvent actuellement devant la Cour. Je conclus également que, sous réserve des arguments découlant de l’intention de Stryder King de modifier sa déclaration dans le dossier no T‑1604‑17, la question abordée dans l’avis de rejet (c.‑à‑d. la question du droit de Stryder King à une hypothèque en equity) est la même que la question dont est actuellement saisie la Cour. Je vais examiner les arguments concernant la modification de la déclaration de Stryder King un peu plus loin dans mon analyse, mais, sous réserve de cet aspect, j’estime que les principes de la préclusion découlant d’une question tranchée et de l’autorité de la chose jugée interdisent à Stryder King de poursuivre sa réclamation dans la présente instance.

[32]  Après m’être prononcé en ce sens, il est inutile d’examiner les arguments subsidiaires du syndic fondés sur les doctrines de la contestation indirecte, de l’abus de procédure et du choix du recours; je vais néanmoins les examiner brièvement.

[33]  Comme le fait remarquer le syndic, l’arrêt Colombie-Britannique (Workers’ Compensation Board) c Colombie-Britannique (Human Rights Tribunal), 2011 CSC 52 [Colombie-Britannique (Workers’ Compensation Board)], au paragraphe 28, indique que la règle interdisant la contestation indirecte, tout comme la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, empêche une partie d’utiliser des détours institutionnels ayant pour but d’attaquer la validité d’une décision judiciaire ou administrative en tentant d’obtenir un résultat différent devant un forum différent plutôt qu’en suivant la procédure d’appel ou de contrôle judiciaire prévue. Le syndic soutient que cette règle s’applique en l’espèce. Lorsque sa réclamation garantie a été rejetée dans la procédure de faillite, Stryder King n’a pas invoqué son droit d’interjeter appel garanti par le paragraphe 135(4), mais demande plutôt à la Cour de trancher à nouveau cette réclamation. Le syndic soutient que la règle interdisant la contestation indirecte interdit de contourner le mécanisme prévu par la loi qui permet d’examiner la décision du syndic. Là encore, sous réserve des arguments que j’examinerai plus loin concernant l’intention de Stryder King de modifier sa réclamation, je conviens que la règle interdisant la contestation indirecte s’applique en l’espèce.

[34]  Aux paragraphes 31 à 33 de l’arrêt Colombie-Britannique (Workers’ Compensation Board), la Cour décrit également la règle régissant l’abus de procédure comme un mécanisme qui vise à protéger l’équité et l’intégrité de l’administration de la justice en empêchant le dédoublement inutile d’instances. Cette règle peut s’appliquer lorsque ni le principe de l’autorité de la chose jugée ni la règle interdisant la contestation indirecte ne s’appliquent. Comme il est mentionné au paragraphe 37 de l’arrêt Toronto (Ville), la doctrine de l’abus de procédure s’applique notamment lorsque le tribunal est convaincu que le litige a essentiellement pour but de rouvrir une question qu’il a déjà tranchée.

[35]  En l’espèce, la Cour fédérale n’est pas priée d’examiner une question que la Cour a elle‑même déjà tranchée. On ne pourrait pas non plus soutenir que le créancier commet un abus de procédure en invoquant une réclamation garantie à l’égard d’un navire pour demander à la Cour fédérale d’examiner cette réclamation en vertu de sa compétence réelle en matière maritime. Cependant, dans le cas où une réclamation a déjà fait l’objet d’une décision définitive dans une autre instance, je conviens avec le syndic que l’objectif qui sous-tend la doctrine de l’abus de procédure entre en jeu. Si, pour quelque raison que ce soit, la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ou la règle interdisant la contestation indirecte ne pouvait être invoquée, j’estimerais que la doctrine de l’abus de procédure interdirait à Stryder King de poursuivre sa réclamation devant notre Cour.

[36]  Enfin, le syndic invoque le principe du choix de recours. Dans la décision Re SH Lennard & Company Limited (1971), 15 CBR (NS) 261 (CSC‑B) [Lennard], la Cour suprême de la Colombie‑Britannique s’est penchée sur un cas où un créancier souhaitait intenter une action dans laquelle il faisait les mêmes réclamations que celles qui avaient déjà été rejetées par un syndic de faillite, alors qu’il n’avait formé aucun appel. En refusant au créancier l’autorisation de poursuivre son action, la Cour a adopté le principe suivant au paragraphe 3 :

[traduction]

[…] la personne qui choisit une méthode pour faire trancher sa réclamation ne devrait pas pouvoir choisir une autre méthode si elle n’est pas satisfaite de la façon dont sa réclamation a été décidée; son seul recours consiste à interjeter appel de la décision du syndic.

[37]  Là encore, j’estime que ce principe s’applique à l’espèce. Stryder King cherche à établir une distinction entre l’espèce et la décision Lennard au motif que dans cette affaire, il n’était pas question d’invoquer une compétence réelle en matière maritime au moyen d’une action existante devant la Cour fédérale. À mon avis, cet argument ne permet pas d’écarter le principe énoncé dans la décision Lennard.

[38]  J’aborde maintenant les arguments de Stryder King fondés sur son intention de modifier sa déclaration dans le dossier no T‑1604‑17, en vue d’invoquer les principes de la fiducie résultoire et constructoire et de la préclusion promissoire. Dans ces modifications, Stryder King ferait valoir que Seamount s’est enrichie injustement en recevant le prêt qu’elle lui a consenti sans lui fournir la garantie convenue sur le navire, que le refus de Seamount de fournir la garantie était déraisonnable et que, à son détriment, elle s’est fiée à la promesse de Seamount de fournir la garantie prévue dans le contrat de prêt. Stryder King soutient que ses réclamations fondées sur ces allégations, à savoir qu’elle est la bénéficiaire d’une fiducie constructoire ou résultoire sur le navire, n’ont pas été tranchées par le syndic et, comme elles concernent des droits de propriété sur un navire plutôt que des garanties, le syndic n’a pas compétence pour rejeter ces réclamations.

[39]  Il n’appartient pas à la Cour d’évaluer le bien-fondé de ces nouvelles réclamations dans le cadre de la présente requête. La Cour ne dispose pas non plus de la requête en modification de la déclaration dans le dossier no T‑1604‑17. Même si cette requête faisait actuellement l’objet d’un examen, il est difficile de voir comment elle pourrait se rapporter directement à la requête en suspension du syndic. L’action de Stryder King dans le dossier no T‑1604‑17 fait déjà l’objet d’une suspension en vertu de l’ordonnance du protonotaire Ring datée du 28 février 2019, rendue dans le contexte de la procédure d’examen de l’instance par la Cour. La requête en suspension du syndic concerne la réclamation de Stryder King à l’égard du produit de la vente du navire dans la présente action dans laquelle le navire a été vendu. Cette réclamation est exposée dans l’affidavit de Stryder King déposé le 26 octobre 2017, dans lequel celle‑ci invoque, comme je l’ai déjà souligné, une hypothèque légale non enregistrée ou une hypothèque en equity sur le navire, sur le fondement de laquelle Stryder King a déposé sa requête (actuellement ajournée sine die) en vue d’obtenir un jugement déclarant qu’elle détient une hypothèque en equity.

[40]  L’avocat de Stryder King a déclaré à l’audience que sa cliente n’avait pas encore décidé si elle allait présenter sa demande réelle dans le dossier no T‑1604‑17 ou dans la présente action (no T‑1128‑17), faisant remarquer que l’action dans le dossier no T‑1604‑17 lui conférerait le droit à la communication de la preuve que la procédure sommaire prévue pour trancher les réclamations dans la présente action ne lui accorderait pas. Toutefois, l’avocat a expliqué que, si Stryder King poursuivait sa réclamation dans la présente action, elle aurait l’intention de demander à modifier son affidavit ainsi que sa requête visant à obtenir une décision sur le bien‑fondé de sa réclamation afin d’y inclure ses arguments relatifs à la fiducie et à la préclusion.

[41]  Dans ce contexte, par souci de commodité, je prends en note et répète le paragraphe de l’ordonnance de vente dans lequel le juge Strickland a exigé que les personnes réclamant le produit de la vente du navire déposent des affidavits de réclamation, à défaut de quoi leurs réclamations seraient prescrites :

[TRADUCTION]

Toute réclamation présentée par un créancier à l’égard du navire ou du produit de sa vente est déposée au moyen d’un affidavit au greffe de la Cour fédérale au plus tard le 26 octobre 2017, à défaut de quoi la réclamation sera prescrite. L’affidavit précise les détails complets de la réclamation, son fondement et son statut. Le créancier/demandeur qui revendique la priorité de rang précise le fondement de cette revendication.

[42]  À première vue, on pourrait dire que cette clause de l’ordonnance de vente, que l’on retrouve habituellement dans de telles ordonnances rendues dans des instances visant la vente judiciaire de navires, interdit à Stryder King de présenter ses arguments fondés sur une fiducie ou sur la préclusion dans sa réclamation à l’égard du produit de la vente du navire, parce que son affidavit n’invoque pas ces arguments comme fondement pour revendiquer sa priorité sur le produit de la vente. Stryder King n’a cité aucune décision de jurisprudence lui permettant de modifier son affidavit ou permettant de tirer une conclusion sur la possibilité qu’une telle modification serait autorisée. J’hésiterais à conclure qu’il n’existe aucune possibilité qu’une telle modification soit acceptée, en particulier puisque le paragraphe 18 de l’ordonnance de vente accorde aux parties intéressées la liberté de demander à la Cour de modifier une disposition de l’ordonnance elle‑même. Cependant, étant donné qu’aucune requête sollicitant la modification de l’affidavit n’a été déposée auprès de la Cour, je conviens avec le syndic que la présente requête devrait être tranchée sur le fondement de l’affidavit de réclamation tel qu’il a été déposé.

[43]  Je ne pense pas non plus que ces modifications soient susceptibles d’aider Stryder King à écarter l’application du principe de la chose jugée et des principes connexes qu’invoque le syndic. Comme je l’ai fait observer précédemment dans mes motifs, le principe de l’autorité de la chose jugée s’applique aux arguments qui auraient raisonnablement pu être soulevés devant le syndic (voir Associated Freezers, au par. 9). Le syndic soutient également qu’il y aurait abus de procédure de la part de Stryder King si elle tentait de contourner l’effet de l’avis de rejet visé par la LFI en invoquant maintenant devant la Cour fédérale de nouvelles théories juridiques fondées sur les mêmes faits que ceux à l’origine de sa preuve de réclamation dans l’instance de faillite. Je souscris à la façon dont le syndic qualifie les efforts de Stryder King et j’estime que son argument est convaincant.

[44]  Stryder King affirme également avoir le loisir de présenter au syndic une nouvelle preuve de réclamation fondée sur ses arguments relatifs à la fiducie et la préclusion et que, dans le cas où le syndic rejetterait sa réclamation, elle pourrait interjeter appel de cette décision devant la CSC‑B en vertu du paragraphe 135(4). Le syndic soutient qu’il n’est pas possible de présenter une nouvelle preuve de réclamation à l’égard d’une réclamation qui a déjà été rejetée (voir Atlas Acceptance Corporation Ltd c Fratkin, [1978] MJ No 102 (CA Man) [Atlas], au par. 25). Comme il est reconnu dans l’arrêt Atlas, aux paragraphes 26 à 30, la LFI n’interdit pas aux créanciers de déposer plusieurs preuves de réclamation visant des réclamations distinctes. Cependant, le syndic soutient que, pour pouvoir être qualifiée de nouvelle réclamation, que Stryder King serait autorisée à déposer conformément à l’explication fournie dans l’arrêt Atlas, la réclamation doit concerner un ensemble de faits différent ou une période différente que ceux de la réclamation initiale (voir Pope & Talbot Ltd, Re, 2009 BCSC 1738, au par. 32, citant l’arrêt Atlas). Le syndic soutient que la nouvelle réclamation proposée par Stryder King ne répondrait pas à cette condition.

[45]  En réponse, Stryder King fait valoir que sa preuve de réclamation initiale faisait référence à sa réclamation garantie, fondée sur une hypothèque maritime en equity accordée le 31 décembre 2015, alors que sa nouvelle réclamation mentionnerait qu’elle a obtenu un droit de propriété en avril 2017, lorsque Seamount n’a pas accédé à sa demande de signer et d’enregistrer une hypothèque maritime. Par conséquent, Stryder King soutient que la nouvelle réclamation concerne une période différente de celle de la réclamation initiale.

[46]  À mon avis, il n’appartient pas à la Cour fédérale de se prononcer sur le bien-fondé des positions respectives des parties quant à savoir si Stryder King est autorisée à déposer auprès du syndic une nouvelle preuve de réclamation dans laquelle elle invoquerait ces arguments. En fait, un litige à propos de cette question relèverait de la CSC‑B si elle était présentée dans le cadre d’un appel interjeté aux termes du paragraphe 135(4) contre la décision du syndic sur cette question. De plus, conformément aux principes qui sous-tendent les doctrines de l’autorité de la chose jugée, de la contestation indirecte, de l’abus de procédure et du choix du recours, l’accès à ce mécanisme dans une instance de faillite, au cours de laquelle la question de la qualification initiale donnée par Stryder King à sa réclamation a été tranchée, étaye davantage la conclusion selon laquelle l’instance de faillite est le forum devant lequel Stryder King doit présenter ses nouvelles théories juridiques.

[47]  Le syndic sollicite la suspension de l’instance, invoquant à la fois le paragraphe 69.3(1) de la LFI et le paragraphe 50(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 [la LCF]. Le paragraphe 69.3(1) crée une suspension par application de la loi et, selon mon interprétation, les dispositions de la LFI n’ont pas pour effet de conférer à la Cour fédérale la compétence de rendre une ordonnance de suspension par application de cette disposition. Cependant, le paragraphe 50(1) de la LCF confère à la Cour le pouvoir discrétionnaire de suspendre les procédures : a) au motif que la demande est en instance devant un autre tribunal; b) lorsque, pour quelque autre raison, l’intérêt de la justice l’exige. Le syndic soutient que la réclamation de Stryder King est examinée dans une autre instance, faisant référence à la compétence conférée par la LFI. Les parties n’ont pas présenté d’arguments solides sur la question de savoir si la référence à « un tribunal » à l’alinéa 50(1)a) comprend un tribunal administratif de cette nature et, en l’absence d’arguments plus solides sur cette question, je m’abstiendrai de tirer une conclusion sur ce point. Toutefois, je n’ai aucun doute que l’alinéa 50(1)b) confère à la Cour le pouvoir de suspendre ses propres procédures, dans l’intérêt de la justice, pour donner effet aux principes de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et de l’autorité de la chose jugée ainsi qu’aux doctrines similaires invoquées par le syndic.

[48]  Comme l’indique expressément le paragraphe 50(1), la suspension est une réparation discrétionnaire. En effet, la loi confère également à la Cour le pouvoir discrétionnaire d’appliquer ou non le principe de l’autorité de la chose jugée, même lorsque ses conditions d’application sont réunies (voir Friedland). Stryder King renvoie la Cour à la déclaration du protonotaire Aalto dans la décision Ricci c Tully, 2009 CF 493, au paragraphe 42 [Ricci], selon laquelle la suspension d’une instance est une réparation qui doit être employée avec parcimonie et uniquement dans les cas les plus évidents. Stryder King souligne également que dans la décision Ricci, il est expliqué que pour répondre au critère général applicable à une requête en suspension fondée sur le paragraphe 50(1) de la LCF, il faut démontrer que la poursuite de l’action causera au défendeur un préjudice ou une injustice (et non seulement des inconvénients ou des frais supplémentaires) et qu’une suspension n’entraînera, pour le demandeur, aucune injustice. La décision Ricci contient également plusieurs lignes directrices à prendre en compte pour évaluer s’il convient d’accorder une suspension, qui sont tirées d’autres décisions de la Cour.

[49]  J’ai pris en considération ce critère et ces lignes directrices, ainsi que les arguments avancés par Stryder King à l’audience concernant certaines lignes directrices, et je suis convaincu qu’il est satisfait au critère en l’espèce. Autoriser Stryder King à présenter sa réclamation à l’égard du produit de la vente du navire dans la présente instance causerait un préjudice ou une injustice au syndic, non seulement des inconvénients ou des frais supplémentaires, parce que ce dernier serait obligé de contester une réclamation qui a déjà fait l’objet d’une décision définitive et péremptoire. La suspension nuira évidemment à Stryder King, mais je ne considère pas cela comme une injustice, puisque celle‑ci a eu accès au mécanisme créé par la LFI pour faire trancher sa demande, y compris le recours à une cour supérieure provinciale en vertu du paragraphe 135(4). Bien que sa réclamation n’ait pas été examinée par un tribunal judiciaire, cela s’explique par le fait que Stryder King ne s’est pas prévalue de ce recours.

[50]  Je conclus qu’il est dans l’intérêt de la justice que la Cour accorde la suspension demandée par le syndic.

B.  La Cour doit-elle ordonner que le reliquat du produit de la vente du navire consigné à la Cour soit versé au syndic?

[51]  Selon l’article 71 de la LFI, après une cession de faillite, les biens du failli sont dévolus au syndic, sous réserve des autres dispositions de la LFI et des droits des créanciers garantis. La conclusion dans les présents motifs est qu’il a été décidé de façon définitive et péremptoire dans l’instance de faillite que Stryder King n’est pas un créancier garanti. Par conséquent, le seul autre réclamant qui invoque une réclamation garantie à l’égard du produit de la vente du navire est l’APRC. Sous réserve de la protection des droits de ce réclamant, je ne vois aucun obstacle au versement du produit de la vente au syndic, pour qu’il l’administre conformément à la LFI.

[52]  Les parties ont toutes deux renvoyé la Cour à la décision Ultramar Canada Inc c Pierson Steamships Ltd (1982), 43 CBR (NS) 9 (CF), du juge Mahoney. Cette affaire s’est terminée par la mainlevée de la saisie des navires sur requête du syndic de faillite, à la condition que ce dernier fournisse une garantie suffisante pour couvrir les réclamations garanties contre les navires. En l’espèce, où le navire défendeur a déjà été vendu, il en résulterait le versement du produit de la vente au syndic, pourvu que l’on accorde une protection suffisante à l’autre réclamant qui invoque une réclamation garantie. Il se trouve que l’avocat de Stryder King est également celui de l’APRC, et l’avocat du syndic et lui ont convenu à l’audience que la réclamation de l’APRC serait protégée en conservant à la Cour la somme de 2 000 $, afin de couvrir la réclamation principale de 1 786,06 $, plus les intérêts accumulés. Par conséquent, j’ordonne le versement au syndic du reliquat du produit de la vente, y compris les intérêts accumulés, à même les fonds consignés à la Cour, moins la somme de 2 000 $ qui sera conservée par la Cour.

V.  Dépens

[53]  À l’instruction de la requête, les parties ont demandé l’autorisation de se consulter en vue d’en arriver à une entente au sujet des dépens de la présente requête. Les parties ont par la suite écrit à la Cour, indiquant conjointement qu’elles s’étaient entendues pour retirer leurs demandes respectives visant à obtenir les dépens de la requête. Par conséquent, je n’adjugerai aucuns dépens.


ORDONNANCE dans le dossier T‑1128‑17

LA COUR STAUE que :

  1. la réclamation de Stryder King Holdings Ltd. à l’égard du produit de la vente du navire défendeur est suspendue;

  2. le reliquat du produit de la vente du navire, y compris les intérêts, moins la somme de 2 000 $, consignée à la Cour, sera versé à Smythe Insolvency Inc., le syndic de faillite de la défenderesse, Seamount Marine Ltd.;

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés dans la présente requête.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 6e jour de septembre 2019.

Mylène Boudreau, B.A. en trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

T‑1128‑17

INTITULÉ :

LA BANQUE ROYALE DU CANADA c. SEAMOUNT MARINE LTD. ET LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE OCEAN MARAUDER

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE-bRITANNIQUE)

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE southcott

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

LE 2 AOÛT 2019

COMPARUTIONS :

Jason Kostyniuk

POUR LES DÉFENDEURS

Darren Williams

pour la partie INTIMÉE

(Stryder King Holdings Ltd)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sherryl Dubo

McMillian Dubo

Kamploops (Colombie‑Britannique)

POUR La demanderesse

Alexander Holburn Beaudin & Lang s.n.c.r.l.

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LES DÉFENDEURS

League and Williams

Victoria (Colombie-Britannique)

pour la partie INTIMÉE

(Stryder King Holdings Ltd)

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.