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Date : 20010906

Dossier : IMM-6350-00

Ottawa (Ontario), le 6 septembre 2001

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

ENTRE :

WING ART CHOW

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                                    ORDONNANCE


Pour les motifs exposés, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de l'agente des visas est annulée et la demande de visa de visiteur et d'autorisation d'emploi du demandeur est renvoyée à un agent des visas différent pour réexamen. Aucune question certifiée n'est proposée.      

                        « François Lemieux »

                                                                                                                                                                                                                    

                                                                                                                                                                Juge

Traduction certifiée conforme

Christine Gendreau, LL.B.


Date : 20010906

Dossier : IMM-6350-00

Référence neutre : 2001 FCT 996

ENTRE :

WING ART CHOW

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

INTRODUCTION

[1]                 Wing Art Chow (le demandeur), citoyen de la République populaire de Chine, a déposé à l'ambassade du Canada à Beijing, le 5 juillet 2000, une demande d'autorisation d'emploi afin de travailler comme cuisinier. Développement des ressources humaines Canada a validé l'offre d'emploi temporaire que lui a fait Oriental Palace Restaurant de Invermere en Colombie-Britannique. Le demandeur toucherait un salaire de 2 000 $ par mois.

[2]                 Le demandeur n'a pas été interrogé par l'agente des visas et celle-ci a refusé sa demande le 9 novembre 2000. D'où la présente demande de contrôle judiciaire qui vise à faire annuler cette décision.                                       

[3]                 Les motifs du refus de l'agente des visas sont contenus dans ses notes STIDI.

[4]                 L'agente des visas a écrit ceci :

[traduction] Le demandeur a un faible revenu en Chine. Une fois entré au Canada, le demandeur ne sera d'aucune façon incité à retourner en Chine. Je ne suis pas convaincue que le demandeur est réellement un visiteur au Canada qui repartirait à la fin de son séjour. Le demandeur est refusé pour une question de bonne foi.

[5]                 L'agente des visas a déterminé le salaire du demandeur comme cuisinier en Chine en demandant à un fonctionnaire de l'ambassade de Beijing d'appeler son employeur pour obtenir cette information.

[6]                 L'agente des visas a déposé un affidavit dans la présente instance en contrôle judiciaire. Elle a précisé quelque peu les motifs de son refus. Elle a ajouté que la femme et le fils du demandeur l'accompagneraient au Canada. Elle a mentionné, à nouveau, le salaire annuel du demandeur en Chine qui est de 2 200 $. Elle a terminé en déclarant :

[traduction] Je ne suis pas convaincue que le demandeur retournerait en Chine; j'estime plutôt qu"il demanderait à demeurer au Canada, contournant ainsi les procédures d'immigration pour obtenir la résidence permanente au Canada.


LA LOI ET LES DIRECTIVES

[7]                 L'article 10 de la Loi sur l'immigration (la Loi) dispose que quiconque, à l'exception d'un citoyen canadien ou d'un résident permanent, qui cherche à venir au Canada aux fins d'occuper un emploi est tenu de présenter une demande auprès de l'agent des visas et d'obtenir l'autorisation nécessaire avant de se présenter à un point d'entrée.

[8]                 Selon l'article 5 de la Loi, l'entrée au Canada se fait dans ce cas par le biais de la catégorie des visiteurs. Le terme « visiteur » est défini à l'article 2 de la Loi comme étant une personne qui, à titre temporaire, cherche à entrer au Canada.

[9]                 Selon l'article 9 de la Loi, sauf dans les cas prévus par règlement, tous les visiteurs doivent demander et obtenir un visa et, selon le paragraphe 9(1.2), il appartient à la personne demandant un visa de visiteur de convaincre l'agent des visas qu'elle n'est pas immigrant.

[10]            On retrouve la procédure de traitement des demandes de visa de visiteur dans certaines directives du Guide de l'immigration (Guide). La directive 3.13 du Guide traite des entrevues et se lit comme suit :


Dans certains cas, il peut être nécessaire de convoquer l'intéressé à une entrevue :

             a)            Si l'agent a des questions ou des doutes concernant la bonne foi du visiteur, ses compétences et son expérience en vue de l'emploi;

b)             si l'agent envisage de refuser la demande et a besoin de renseignements supplémentaires.

ANALYSE

[11]            Il y a à mon avis dans cette affaire deux motifs qui justifient l'intervention de la Cour. En ne tenant pas d'entrevue avant de refuser la demande, l'agente des visas a manqué, dans les circonstances en l'espèce, au devoir d'agir équitablement, et cela pour deux raisons : l'agente des visas a recueilli des preuves extrinsèques qui l'ont amenée à conclure que cette demande n'était pas de bonne foi sans permettre au demandeur de s'expliquer à ce sujet, et il y a également eu contravention aux directives ministérielles. En second lieu, la décision était déraisonnable dans les circonstances.

Manquement au devoir d'agir équitablement :

absence d'entrevue - preuve extrinsèque


[12]            L'avocate du défendeur plaide, et je suis d'accord avec elle, qu'aucune disposition législative n'exige la tenue d'une entrevue dans le cadre de demande de visa et qu"il ne s'agit pas d'un élément ou d'une exigence générale des demandes de visa. Le juge L'Heureux-Dubé l'a dit clairement dans le contexte d'une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, dans Baker c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, à la page 843, paragraphe 34. Toutefois, dans les circonstances en l'espèce, je suis d'avis que l'agente des visas aurait dû tenir une entrevue, peut-être bien par téléphone, avant de prendre une décision et cela, comme je l'ai dit, pour deux raisons.

[13]            Premièrement, je souscris à l'opinion du juge Teitelbaum dans la décision Ali (M.) c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration) (1998), 151 F.T.R. 1, dans laquelle il a traité de l'obligation, issue de l'équité procédurale, qu'a un agent des visas d'informer le demandeur de ses préoccupations. Le juge Teitelbaum, suivant le juge MacKay dans la décision Yu c. Ministre de l'emploi et de l'immigration (1990), 36 F.T.R. 296 et le juge Muldoon dans l'affaire Asghar c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration), [1997] A.C.F. no 1091, était d'avis que l'obligation de l'agent des visas d'informer le demandeur de ses préoccupations était restreinte et ne visait pas la situation où le demandeur d'un visa de visiteur a fourni une preuve faible à l'appui de sa position selon laquelle ses liens avec son pays d'origine sont suffisants pour garantir son retour, puisqu'une telle préoccupation émane directement de la Loi ou du Règlement. L'avocat du défendeur a plaidé que c'était bien la situation en l'espèce. Je ne suis pas d'accord.

[14]            Dans la décision Ali (M), précitée, le juge Teitelbaum a formulé une exception à la proposition générale qu'il a émise. Il a dit ceci aux paragraphes 20 et 21 des motifs de son jugement :

[20]    Par ailleurs, le meilleur exemple d'un cas où l'agent des visas doit informer le requérant de ses préoccupations est lorsque l'agent des visas dispose d'éléments de preuve extrinsèques. En pareille circonstance, le requérant devrait avoir la possibilité de désabuser l'agent des préoccupations que pourraient susciter chez lui de tels éléments de preuve.

[21]     Bref, lorsqu'il convient d'interviewer un requérant pour évaluer sa demande, l'équité exige que l'agent des visas interroge le requérant de manière exhaustive sur les facteurs pertinents de la demande, et qu'il donne au requérant l'occasion de répondre aux allégations ou aux hypothèses dont il ne saurait, raisonnablement, avoir connaissance.

[15]            Cette exception s'applique en l'espèce puisque l'agent des visas a obtenu des éléments de preuve extrinsèques concernant le salaire du demandeur en Chine, lesquels ont constitué un facteur important dans sa conclusion que la demande n'était pas faite de bonne foi, en ce sens qu'il ne retournerait pas en Chine. Cette question aurait dû être posée au demandeur.


[16]            Deuxièmement, bien que le Guide de l'immigration laisse à la discrétion de l'agent des visas la décision de tenir ou non une entrevue, il indique des cas qui peuvent justifier la tenue d'une entrevue, par exemple lorsque des questions ou des doutes existent quant à la bonne foi du demandeur en tant que visiteur, et lorsque l'agent envisage de refuser la demande et a besoin de renseignements supplémentaires avant de le faire. À mon avis, les directives ministérielles obligent à tout le moins l'agent des visas à réfléchir à la question de savoir s'il tiendra ou non une entrevue. Le dossier qui m'a été soumis est dépourvu de toute preuve que l'agente des visas se soit penchée sur cette question.

[17]            Il existe une deuxième raison d'annuler la décision de l'agente des visas.

[18]            Dans Wang c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration), [2001] A.C.F. no 95, le juge Rouleau a conclu que la norme de contrôle judiciaire de la décision d'un agent d'immigration qui statue sur une demande de visa canadien d'étudiant était le caractère raisonnable simpliciter. Je suis d'avis que la même norme de contrôle est applicable à la décision d'un agent des visas statuant sur une demande d'autorisation d'emploi et de visa de visiteur.

[19]            Dans l'arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, le juge Iacobucci a décrit, au paragraphe 56, ce qu'était pour l'essentiel une décision déraisonnable :

[56] ... Est déraisonnable la décision qui, dans l'ensemble, n'est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion en regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s'il existe quelque motif étayant cette conclusion. Le défaut, s'il en est, pourrait découler de la preuve elle-même ou du raisonnement qui a été appliqué pour tirer les conclusions de cette preuve.                                                                                                                    


[20]            En l'espèce, c'est le second volet du critère du caractère déraisonnable énoncé par le juge Iacobucci dans l'arrêt Southam, précité, qui trouve application. Était-il logique de la part de l'agente des visas de déduire du seul fait que le demandeur toucherait un salaire plus élevé au Canada qu'en Chine, que sa demande de visa de visiteur et d'autorisation d'emploi n'était forcément pas de bonne foi, parce que cela neutralisait son intention de retourner en Chine et ébranlerait le processus canadien d'immigration en ce qui concerne les demandes de résidence permanente (qui peuvent inclure, ainsi que la loi le permet, une demande pour des raisons d'ordre humanitaire traitée au Canada).

[21]            Afin d'étayer une conclusion d'absence de bonne foi, l'agent des visas aurait dû, à mon avis, s'appuyer sur davantage de faits que la seule différence de salaires entre le pays d'origine et le pays hôte. Si cela constituait un motif suffisant pour conclure à l'absence de bonne foi, très peu de demandeurs d'autorisation d'emploi temporaire verraient leur demande approuvée.

[22]            Que le demandeur soit accompagné par sa famille immédiate est un fait supplémentaire neutre qui, sans plus d'enquête, ne peut conduire automatiquement à la conclusion que les membres de cette unité familiale deviendraient des immigrants illégaux, c'est-à-dire qu'ils ne quitteraient pas le Canada volontairement à l'expiration de leur visa ou de son extension.


DISPOSITION

[23]            Pour tous ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de l'agente des visas est annulée et la demande de visa de visiteur et d'autorisation d'emploi du demandeur est renvoyée à un agent des visas différent pour réexamen. Aucune question certifiée n'est proposée.

                                                                                  « François Lemieux »

                                                                                                                                                                

                                                                                                             Juge

Ottawa (Ontario)

Le 6 septembre 2001

Traduction certifiée conforme

Christine Gendreau, LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                        IMM-6350-00

INTITULÉ :                                                        Wing Art Chow c. Le ministre de la

Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                               Calgary (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :                           le 16 août 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              Monsieur le juge Lemieux

DATE DES MOTIFS :                                    le 6 septembre 2001

COMPARUTIONS :

M. Peter W. Wong                                                         pour le demandeur

Mme Tracy J. King                                                         pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Peter W. Wong                                                         pour le demandeur

Calgary (Alberta)

M. Morris Rosenberg                                                    pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

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