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Date : 20021029

Dossier : T-882-02

Référence neutre : 2002 CFPI 1119

ENTRE :

                                                                     BRAD MAREK

                                                                                                                                               demandeur

                                                                                  et

                                          LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                    défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

CONTEXTE

[1]                  Les présents motifs sont rendus relativement à deux requêtes présentées par écrit, la requête initiale du ministère public visant la radiation de l'avis de demande soit parce que le demandeur a omis de se prévaloir d'un autre recours approprié, la procédure de règlement des griefs, soit parce que le débat est théorique, et la requête subséquente du demandeur visant l'ajout de quatre affidavits et de six documents supplémentaires aux pièces déjà produites. La documentation du défendeur est succincte et pertinente. Celle du demandeur est prolixe et en grande partie dénuée de pertinence tant dans le contexte particulier des requêtes que dans le contexte global de la demande de contrôle judiciaire.

[2]                  Parce que le demandeur a omis de se prévaloir d'un autre recours approprié, la procédure de règlement des griefs, j'ai décidé de faire droit à la requête en radiation présentée par le ministère public. Je n'ai donc pas examiné la question de savoir si, par ailleurs, le débat était en fait théorique. Cette allégation se rapporte d'une certaine manière à la requête subséquente visant le dépôt de documents supplémentaires. De plus, je n'aurais certainement pas autorisé le dépôt de documents supplémentaires, le retard à agir n'ayant fait l'objet d'aucune explication valable et une bonne partie, sinon la totalité, de la documentation n'étant ni pertinente, ni importante ni recevable. J'ai cependant examiné ces documents sous l'angle d'une modification éventuelle visant à combler les lacunes de l'avis de demande lui-même, étant donné que je dois m'abstenir de radier un acte de procédure qui révèle la moindre cause d'action. Les documents supplémentaires que le demandeur veut déposer ne serait d'aucune aide pour modifier l'avis de demande de façon que le demandeur ait une cause d'action valable. J'examine maintenant la question de manière plus approfondie.

EXAMEN


[3]                  Tout d'abord, une ordonnance de radiation ne doit être rendue dans le contexte d'une instance de contrôle judiciaire que dans des cas très exceptionnels : David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588, p. 600 (C.A.F.). Dans la présente affaire, la question qui se pose est de savoir si le demandeur aurait dû avoir recours à la procédure de règlement des griefs au lieu du contrôle judiciaire. Dans Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561, la Cour suprême du Canada a signalé que le contrôle judiciaire en cause relève du pouvoir discrétionnaire et ne doit pas être autorisé lorsqu'il existe un autre recours approprié et elle a énoncé les facteurs à prendre en considération pour décider s'il en existe un (à la page 588) :

Pour évaluer si le droit d'appel de l'appelant au comité du sénat constituait un autre recours approprié et même un meilleur recours que de s'adresser aux cours par voie de brefs de prérogative, il aurait fallu tenir compte de plusieurs facteurs dont la procédure d'appel, la composition du comité du sénat, ses pouvoirs et la façon dont ils seraient probablement exercés par un organisme qui ne constitue pas une véritable cour d'appel et qui n'est pas tenu d'agir comme s'il en était une, ni n'est susceptible de le faire. D'autres facteurs comprennent le fardeau d'une conclusion antérieure, la célérité et les frais.

[4]                  Cet arrêt a été cité et appliqué dans Anderson c. Canada (Forces armées), [1997] 1 C.F. 273, à la page 278 (C.A.F.). S'appuyant sur ce même arrêt et sur l'omission du détenu de se prévaloir d'un autre recours approprié, la Cour a rejeté la demande de contrôle judiciaire dans Fehr c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles) (1995), 93 F.T.R. 161, et elle l'a radiée dans Mackie c. Établissement de Drumheller (1997), 134 F.T.R. 76. Dans ces deux affaires, le demandeur n'avait pas épuisé tous les recours en appel prévus par le Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.


[5]                  En l'espèce, le demandeur fait valoir ce qui suit dans ses observations écrites :

[Traduction] Le demandeur n'a pas déposé de plainte officielle, mais il a tenté et il tente toujours, de vive voix et par écrit, d'obtenir un règlement à l'échelon de l'établissement en interjetant appel devant le directeur et ses subalternes.

                                                                 (...)

Le demandeur allègue que sa demande (T-882-02) « s'ajoute » au recours informel à la procédure de règlement des griefs.

Le demandeur soutient que ce recours informel équivaut à l'application des articles 74 à 82 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et des articles 90 et 91 de la loi correspondante. La documentation du demandeur comprend un certain nombre de pages d'observations rédigées à simple interligne et un grand nombre de pièces jointes. Il est cependant difficile de déterminer si la démarche informelle a donné quelque résultat, mais le demandeur dit persister dans cette voie.


[6]                  Si j'interprète bien toutes ses observations, le demandeur prétend que la procédure établie pour le règlement des griefs ne satisfait pas aux exigences de l'article 90 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20. Cette disposition prévoit l'établissement d'une procédure de règlement juste et expéditive des griefs des délinquants sur des questions qui relèvent du commissaire du Service correctionnel. Selon moi, la Cour n'est pas saisie en l'espèce d'une question de compétence, mais simplement de la question de savoir si la procédure est juste et expéditive. La Cour a dit que, de prime abord, la procédure constitue un autre recours approprié par rapport à la demande de contrôle judiciaire : pour arriver à cette conclusion, elle s'est demandée si la procédure est juste et expéditive. Dans la présente affaire, le demandeur n'a offert aucun élément de preuve selon lequel la procédure de règlement des griefs n'a pas été ou ne serait pas, dans son cas particulier, juste, expéditive et appropriée. Je m'explique.


[7]                  De toute évidence, le demandeur ne s'est pas prévalu d'une procédure de règlement des griefs à la fois simple, peu coûteuse et relativement rapide. Il ne m'a pas non plus convaincu que cette procédure est de quelque manière inappropriée. À cet égard, j'ai pris connaissance de ses observations non assermentées. Certaines tiennent de l'hérésie, d'autres sont équivoques ou reflètent un point de vue intéressé et d'autres encore constituent des conclusions fondées sur de l'information dont le demandeur a reconnu le caractère insuffisant. Par exemple, le demandeur invoque le rapport, rédigé par madame le juge Arbour, de la Commission d'enquête sur certains événements survenus à la Prison des femmes de Kingston (le rapport) et la décision Bordage c. Établissement Archambault, non publiée, 30 novembre 2000, [2000] A.C.F. no 1976. Dans cette décision, le juge Lemieux fait remarquer que, dans son rapport, le juge Arbour dit au paragraphe 34 « ...qu'elle ne dispose pas [de] suffisamment d'information lui permettant de formuler des commentaires sur l'ensemble du processus de règlement des plaintes et des griefs au sein du Service correctionnel » . Se fondant sur Giesbrecht c. Canada (1998), 148 F.T.R. 173 et Procureur général du Canada c. Richard St-Amand, décision non publiée, 12 juillet 2000, no 200-10-000972-005, où la Cour d'appel du Québec a statué que le Règlement, les directives et les instructions permanentes établissant et régissant le système interne de règlement des griefs constituent une procédure légale appropriée à laquelle il faut avoir recours avant de présenter une demande de contrôle judiciaire, le juge Lemieux a conclu que la procédure de règlement des griefs en cause, qui était la même que celle considérée en l'espèce, était appropriée :

[36] Les arrêts Giesbrecht et St-Amand sont à l'effet que le système de griefs prévu par la Loi, le Règlement, la Directive no 540 du commissaire et ses Instructions permanentes constituent une procédure statutaire appropriée qui doit être épuisée avant de déclencher une demande de contrôle judiciaire lorsqu'il s'agit d'une question afférente à une cote de sécurité ou de placement. Les circonstances de l'arrêt St-Amand sont identiques à celles de l'espèce et j'en viens à la conclusion que la demande de contrôle judiciaire du demandeur, Marc Bordage doit être rejetée pour non-respect du principe de l'épuisement des autres recours.

Le juge Lemieux a donc rejeté la demande de contrôle judiciaire.

        Dans Giesbrecht c. Canada, précité, le juge Rothstein, maintenant juge à la Section d'appel, a estimé que la procédure de règlement des griefs établie par le Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition constituait, de prime abord, un autre recours approprié par rapport au contrôle judiciaire. Selon lui, elle était expéditive, moins coûteuse que le contrôle judiciaire et plus simple (à la page 84) :


[10]       À première vue, le régime législatif régissant les griefs constitue une autre voie de recours appropriée par rapport au contrôle judiciaire. Les griefs doivent être traités rapidement et les directives du commissaire fixent des délais. Rien ne laisse croire que ce processus est coûteux. Il est probablement même moins coûteux et plus simple qu'une procédure de contrôle judiciaire. Un détenu peut interjeter appel d'une décision sur le fond au moyen de la procédure de grief et un tribunal d'appel peut substituer sa décision à celle du tribunal dont la décision est contestée. Le contrôle judiciaire ne vise pas le fond de la décision et une issue favorable au détenu aurait simplement pour conséquence de renvoyer l'affaire pour que le tribunal dont la décision a été contestée en rende une nouvelle.

Comme l'a également signalé le juge Rothstein, lorsque la demande de contrôle judiciaire est accueillie, l'affaire est simplement renvoyée au tribunal dont la décision est contestée pour qu'il rende une nouvelle décision. En l'espèce, le contrôle judiciaire, à supposer qu'il soit approprié et que le demandeur ait gain de cause, donnerait lieu non pas à une décision au fond, mais plutôt au renvoi de l'affaire à l'établissement dont la décision est contestée.


[9]                  La requête du défendeur visant la radiation de la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Je dois donc décider si, une fois modifiée, la demande aurait la moindre chance d'être accueillie. En plus de considérer la modification dans l'abstrait, j'ai examiné la documentation que le demandeur a déposée de pair avec la requête connexe, et qu'il veut ajouter à celle qui accompagne sa demande de contrôle judiciaire. Elle ne renferme rien de pertinent et de nouveau. Elle reprend plutôt en partie les arguments déjà avancés par le demandeur, ce qui n'est d'aucun secours. De plus, la documentation supplémentaire fait état de nombreuses autres allégations de manquement à des obligations et de perpétration d'actes criminels, par nombre d'individus au sein du système pénal, mettant en cause de nombreuses décisions, sur diverses questions, pendant une longue période. De telles allégations ne sauraient faire l'objet d'une seule demande de contrôle judiciaire ni être visées par elle. En résumé, ni les éléments mentionnés par le demandeur ni quelque élément concevable n'appuient la thèse du demandeur. La demande est prématurée. La demande de contrôle judiciaire est donc radiée, sans possibilité de la modifier. Faute de demande en ce sens, aucuns dépens ne sont adjugés.

(S) « John A. Hargrave »

                                                                                               Protonotaire

Vancouver (Colombie-Britannique)

29 octobre 2002

Traduction certifiée conforme

Claire Vallée, LL.B.


                                                   COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

REQUÊTES EXAMINÉES PAR ÉCRIT SANS COMPARUTION DES PARTIES

DOSSIER :                                                                     T-882-02

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                      Brad Marek c. Le procureur général du Canada

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :                  le protonotaire Hargrave

DATE DES MOTIFS :                                                 29 octobre 2002

OBSERVATIONS ÉCRITES:

Brad Marek                                                                      DEMANDEUR

Lorne Lachance                                                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Brad Marek                                                                      Pour son propre compte

Vancouver (Colombie-Britannique)

Morris A. Rosenberg                                                    POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Vancouver (Colombie-Britannique)

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