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Date : 20190906


Dossier : IMM-971-19

Référence : 2019 CF 1143

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 6 septembre 2019

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

DILDEEP SINGH TOOR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision d’une agente des visas de rejeter la demande de permis de travail ouvert de M. Toor. L’agente des visas n’était pas convaincue que le mariage du demandeur était authentique ni qu’il quitterait le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

II.  Contexte

[2]  M. Toor et son épouse sont citoyens de l’Inde. Son épouse et lui se sont rencontrés en mars 2012 et se sont mariés en février 2018. Son épouse est en situation régulière au Canada, ayant un permis d’études. Elle étudie à temps plein à l’Université polytechnique Kwantlen, à Surrey, en Colombie-Britannique.

[3]  M. Toor a présenté une demande de permis de travail ouvert dans le cadre du Programme de mobilité internationale au titre des articles 200 et 205 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement]. En novembre 2018, M. Toor a été reçu en entrevue à New Delhi. On a alors refusé de lui accorder un permis de travail.

[4]  En décembre 2018, environ un mois après le refus, M. Toor a présenté une nouvelle demande et il a de nouveau essuyé un refus en février 2019. Ce second refus est la décision visée par la présente demande de contrôle judiciaire [la décision].

III.  La décision faisant l’objet du contrôle

[5]  L’agente des visas [l’agente] n’était pas convaincue que M. Toor quitterait le Canada à la fin de son séjour. Les notes versées dans le Système mondial de gestion des cas [SMGC] indiquent que l’agente a examiné la demande, les documents à l’appui, les notes d’entrevue de novembre 2018 et le refus de visa précédent, et qu’elle n’était pas convaincue que le demandeur avait fourni de nouveaux renseignements établissant que son mariage avec [traduction] l’« inviteuse » était authentique, étant donné que le seul élément de preuve présenté concernant leur relation était un certificat de mariage. Par conséquent, l’agente n’était pas d’avis que M. Toor satisfaisait aux exigences liées à la délivrance d’un permis de travail ouvert à titre d’époux selon les articles 200 et 205 du Règlement.

IV.  Les questions en litige et norme de contrôle

[6]  M. Toor soutient que la décision était à la fois déraisonnable et injuste. Le refus d’accorder un de résident temporaire est une question mixte de faits et de droit appelant l’application de la norme de la décision raisonnable (Henry c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1039, au par. 16), alors que la norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, au par. 54). Une demande de visa de résident temporaire appelle une norme très restreinte d’équité procédurale (Thedchanamoorthy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 690, au par. 14).

V.  Analyse

A.  La décision était-elle raisonnable?

[7]  M. Toor fait valoir que l’agente n’a pas tenu compte de certains éléments de preuve et n’a pas fourni de motifs suffisants. Le défendeur soutient pour sa part qu’il incombe au demandeur de fournir des éléments de preuve suffisants à l’appui de sa demande, ce que M. Toor n’a pas fait. Le défendeur ajoute que les motifs de l’agente étaient suffisants.

[8]  En ce qui concerne le premier argument de M. Toor, celui-ci fait valoir que l’agente a fait fi d’éléments de preuve qui témoignent de l’authenticité de son mariage, à savoir des photographies antérieures au mariage, des photographies des fiançailles, des photographies postérieures au mariage, des renseignements sur le compte bancaire conjoint, l’historique de clavardage WhatsApp, des détails sur les appels téléphoniques et des détails Facebook – documents qui sont annexés à l’affidavit qu’il a préparé en vue du présent contrôle judiciaire.

[9]  Toutefois, rien n’indique que l’agente disposait de ces documents. Ils ne figurent pas dans le dossier certifié du tribunal [DCT]. La thèse de l’absence de ces documents est conforme aux notes versées dans le SMGC, qui ne font aucunement mention de ces documents. Elle est également conforme à la conclusion de l’agente selon laquelle elle n’était pas convaincue que [traduction] « de nouveaux renseignements ont été fournis pour établir que le mariage du demandeur avec l’inviteuse est authentique – seul un certificat de mariage a été fourni comme preuve de la relation ».

[10]  Par conséquent, il serait faux de dire que l’agente a fait fi des documents si ceux-ci ne faisaient pas partie des documents qui lui ont été présentés. M. Toor a eu deux occasions distinctes de contester le DCT, à savoir (i) lorsque le DCT a été produit pour la première fois par le défendeur, puis (ii) lorsque quatre pages supplémentaires qui avaient été omises ont par la suite été produites par le défendeur. À ni l’une ni l’autre de ces occasions M. Toor n’a mentionné quoi que ce soit au sujet d’une lacune dans le dossier ou n’a contesté par ailleurs le contenu du DCT.

[11]  L’article 17 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22 (les Règles), impose aux agents des visas l’obligation de produire un dossier contenant tous les documents pertinents qui sont en la possession ou sous le contrôle du tribunal (Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 639, au par. 22). Si le dossier présenté à la Cour est incomplet – autrement dit, si l’article 17 des Règles n’est pas respecté, la décision de l’agent des visas peut être annulée. La présomption qui oriente l’examen est celle selon laquelle le DCT est complet (Togtokh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 581, au par. 16; Ogbuchi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 764, au par. 18).

[12]  Il incombe au demandeur de prouver qu’un document qui n’est pas dans le DCT était en fait devant le décideur (Ogbuchi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 764, au par. 15). Lorsque le DCT ne contient pas un document et n’en fait aucune mention, une simple affirmation de la part du demandeur selon laquelle le document en question a été envoyé ne signifie pas que le demandeur s’est acquitté de ce fardeau (El Dor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1406, au par. 32). La preuve produite doit plutôt appuyer la thèse selon laquelle l’agent des visas disposait du document en question (Ajeigbe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 534, au par. 16).

[13]  Bien qu’une présomption de véracité s’applique à l’affidavit du demandeur, cette présomption « trouvera application jusqu’à un certain point » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Pereira, 2014 CF 574, au par. 30). En effet, l’agent des visas n’a aucune obligation expresse de combler les lacunes de la preuve ni de donner le bénéfice du doute au demandeur (Désir c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 50, au par. 19). En l’espèce, M. Toor a soutenu que l’agente des visas disposait d’une série de documents, mais il n’a pas présenté d’éléments de preuve à l’appui de cette thèse, si ce n’est une simple affirmation dans son affidavit.

[14]  Compte tenu de la jurisprudence susmentionnée, je ne suis pas convaincu par les arguments de M. Toor. En soutenant que son affidavit doit être accepté à moins d’être contesté avec succès par le défendeur, ou d’être contredit par un affidavit en réponse de l’agente, il tente simplement d’inverser le fardeau qui lui incombe de démontrer que le décideur disposait en fait des documents qui n’étaient pas dans le DCT.

[15]  Je ne suis pas convaincu non plus par le dernier argument de M. Toor selon lequel les motifs étaient insuffisants. L’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses], confirme que l’insuffisance des motifs ne permet pas à elle seule d’annuler une décision (au par. 14). Au terme de l’analyse quant au caractère raisonnable de la décision, le décideur administratif n’a pas à tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit‑il, qui a mené à sa conclusion finale (Newfoundland Nurses, au par. 16).

[16]  M. Toor, ayant été reçu en entrevue et informé des lacunes de sa demande, puis ayant reçu un refus, était manifestement au courant des lacunes précises de sa première demande, à savoir l’insuffisance de la preuve non seulement sur le mariage, mais aussi sur sa probabilité de conformité. Il avait, après tout, échoué à plusieurs tentatives précédentes d’obtenir un visa canadien. Or, le consultant en immigration de M. Toor a présenté les mêmes documents au bureau des visas environ un mois après le premier refus, en quête d’un résultat différent. Comme M. Toor a choisi de présenter ce qui équivalait au même dossier de demande, sans nouveaux éléments de preuve et sans explications écrites pour combler les lacunes relatives à sa première entrevue et à son premier refus de permis de travail, l’agente n’était pas tenue de rédiger des motifs détaillés. Elle avait les mêmes préoccupations que celles de l’agent précédent. Il lui était loisible d’entretenir ces préoccupations.

[17]  La longueur et la profondeur des motifs de l’agente étaient tout à fait appropriées, compte tenu du type de demande et de son contexte. À mon avis, ces motifs énoncent clairement les préoccupations de l’agente, essentiellement conformes à celles du refus précédent. Les motifs étaient brefs, mais suffisants. Le travail de devinette ne joue aucun rôle en l’espèce. L’agente a pris note du certificat de mariage et a conclu qu’il n’était pas suffisant comme preuve de la relation. Par conséquent, l’agente n’était pas d’avis que M. Toor satisfaisait aux exigences liées à la délivrance d’un permis de travail ouvert, étant donné l’absence de preuve de leur relation. L’agente pouvait raisonnablement tirer cette conclusion.

B.  La décision était-elle équitable sur le plan de la procédure?

[18]  M. Toor soutient ensuite que l’agente ne l’a pas informé des préoccupations qu’elle entretenait et ne lui a pas donné l’occasion d’y répondre. Le défendeur fait valoir pour sa part que les agents des visas n’ont pas l’obligation d’éclaircir une demande déficiente, en s’appuyant sur décision Charara c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1176, aux par. 26 et 27 [Charara]. Dans cette affaire, le juge Shore a déclaré qu’« [u]n demandeur qui ne se décharge pas de son fardeau de preuve, qui soumet un dossier incomplet ou qui laisse planer le doute quant à l’objectif véritable du séjour souhaité au Canada, ne peut s’attendre à ce que l’agent l’informe des lacunes de son dossier ou lui donne l’occasion de s’expliquer ».

[19]  En l’espèce, je conviens avec le ministre qu’il incombait à M. Toor de présenter des éléments de preuve suffisants. Les instructions opérationnelles du Programme de mobilité internationale visant les époux ou conjoints de fait d’étudiants à temps plein [C42] au titre de l’alinéa 205c)(ii) du Règlement prévoient que le demandeur doit « fournir la preuve qu’il est l’époux ou le conjoint de fait d’un titulaire de permis d’études qui étudie à temps plein ». Bien que M. Toor affirme que l’agente a vraiment tiré des conclusions quant à la crédibilité qui auraient dû déclencher l’obligation de tenir une autre entrevue, ce n’est pas ce qu’indique la décision, et il n’y avait aucune raison de procéder à une nouvelle entrevue.

[20]  Comme dans l’affaire Charara, l’agente n’était nullement tenue de donner au demandeur des conseils ou un avis à ce sujet. En fait, M. Toor avait déjà été dûment avisé des problèmes liés à sa demande la première fois. Il a décidé de ne pas tenir compte des avertissements qu’il a reçus à l’entrevue, puis des problèmes clairement exposés dans le refus initial. Il ne peut maintenant pas se présenter devant la Cour en affirmant qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale; comme il a été mentionné précédemment, les demandes de visa de résident temporaire entraînent l’application d’une norme d’équité procédurale peu exigeante.

[21]  Il était tout à fait acceptable que l’agente ne convoque pas M. Toor à une seconde entrevue si tôt après la première, alors que rien n’avait changé et qu’aucun nouveau renseignement n’avait été fourni. Non seulement M. Toor n’a pas contesté le refus initial ni soulevé quoi que ce soit à ce sujet dans sa demande subséquente, mais il n’a pas présenté les éléments de preuve voulus pour s’acquitter du fardeau qui lui incombait de fournir une preuve claire et convaincante du mariage et, en particulier, pour surmonter les lacunes constatées dans la preuve à l’appui de la première demande.

VI.  Conclusion

[22]  Après le premier refus, M. Toor a eu l’occasion de présenter une demande solide, une demande permettant de répondre directement aux préoccupations et de combler directement les lacunes relevées dans le premier refus, un mois à peine avant de déposer sa seconde demande. Malheureusement, au lieu de faire de son mieux pour aider sa cause, M. Toor a choisi de recourir à l’immobilisme, en espérant qu’un second essai donnerait un résultat différent. La manœuvre n’a pas porté fruit. La faute revient au demandeur et à son consultant en immigration, et non à l’agente, qui a agi de façon raisonnable et équitable en refusant de nouveau sa demande. La présente demande est rejetée. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification.


JUGEMENT dans le dossier IMM-971-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification, et l’affaire n’en soulève aucune.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 19e jour de septembre 2019

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-971-19

 

INTITULÉ :

DILDEEP SINGH TOOR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 AOÛT 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 6 SEPTEMBRE 2019

 

COMPARUTIONS :

Baldev S. Sandhu

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Tasneem Karbani

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sandhu Law Office

Avocat

Surrey (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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