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Date : 20190823


Dossier : IMM‑397‑19

Référence : 2019 CF 1096

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 août 2019

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

HASSAN ADNAN HASSAN HASSAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION,

DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Hassan Adnan Hassan Hassan sollicite le contrôle judiciaire de la décision d’un agent de migration [l’agent] de rejeter sa demande de visa de résident permanent. M. Hassan a demandé la résidence permanente à titre de candidat d’une province dans le cadre du Programme des candidats de la province [le PCP] de l’Île‑du‑Prince‑Édouard [l’Î.‑P.‑É.].

[2]  Chaque province négocie son propre accord en matière d’immigration avec le Canada au sujet des candidats des provinces. Les accords ne sont pas uniformes. Un agent de migration qui propose de substituer sa propre appréciation à celle d’une province participante doit tenir compte des modalités convenues par le Canada et la province, et effectuer l’analyse en conséquence. L’agent ne l’a pas fait, et la décision était donc déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

II.  Le contexte

[3]  M. Hassan est un citoyen de l’Iraq. Il vit et travaille aux Émirats arabes unis [les EAU], où il est propriétaire et exploitant d’une entreprise d’impression, de conception et d’illustration. Il compte plus de 25 ans d’expérience dans ce domaine. Il souhaite déménager au Canada avec sa famille et lancer une entreprise semblable à Charlottetown.

[4]  En 2010, M. Hassan a demandé un visa de résident permanent à titre de membre de la catégorie « immigration économique », aux termes du paragraphe 12(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Il a présenté une demande en tant que « travailleur autonome », au sens des paragraphes 88(1) et 100(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le Règlement]. Le 26 novembre 2014, un agent de migration a rejeté la demande de M. Hassan, au motif que son aptitude pour la langue anglaise, telle qu’elle a été évaluée par l’International English Language System [l’IELTS], était insuffisante pour lui permettre de réussir son établissement économique au Canada.

[5]  Le 12 mai 2015, M. Hassan a demandé une désignation provinciale dans le cadre du volet de la propriété totale du PCP. Le bureau d’immigration de l’Î.‑P.‑É. a conclu qu’il répondait à toutes les exigences du PCP. La note globale de M. Hassan aux tests de l’IELTS était de 4,0, ce qui constituait le minimum acceptable.

[6]  En décembre 2015, M. Hassan s’est rendu à l’Î.‑P.‑É. aux fins d’une visite de prospection. Il a rencontré les gens d’affaires locaux en vue de discuter de ses plans et de se renseigner au sujet du marché local. Il a également rencontré deux agents de l’immigration de l’Î.‑P.‑É. pour une entrevue. Les agents ont interrogé M. Hassan en anglais; il n’a pas demandé d’interprète et aucun interprète ne fut nécessaire. Il a été désigné par l’Î.‑P.‑É. aux fins de la résidence permanente dans le cadre du PCP le 18 janvier 2016.

[7]   Le 31 janvier 2016, M. Hassan a présenté à Citoyenneté et Immigration Canada [CIC] une demande de visa de résident permanent. Le 13 avril 2016, l’agent a envoyé à M. Hassan un courriel préalable au rejet, dans lequel il faisait part de ses préoccupations au sujet de sa compétence en langue anglaise, comme l’indiquait sa note de l’IELTS. Le 19 juin 2016, M. Hassan a répondu par l’entremise de son avocat. En plus de présenter des observations écrites, l’avocat de M. Hassan a fourni une preuve documentaire du travail de M. Hassan en anglais ainsi que des notes plus élevées à l’IELTS.

[8]  M. Hassan n’a reçu aucune réponse ni aucune communication de CIC pendant plus de deux ans. Il a finalement été informé que l’agent avait rejeté sa demande le 20 novembre 2018.

III.  La décision faisant l’objet du contrôle

[9]  Dans sa lettre de rejet, l’agent a fait remarquer qu’une désignation provinciale ne constitue pas un indicateur suffisant en soi de l’aptitude d’un demandeur à réussir son établissement économique au Canada (citant le paragraphe 87(3) du Règlement). L’agent a ensuite substitué son appréciation aux critères prévus au paragraphe 87(2) du Règlement. L’agent a fait remarquer que ses préoccupations avaient déjà été communiquées à M. Hassan dans le courriel préalable au rejet et il a accusé réception de la réponse fournie par l’avocat de M. Hassan. Toutefois, la réponse n’a pas dissipé les préoccupations de l’agent. L’agent a précisé qu’un autre agent de migration avait confirmé le rejet, conformément au paragraphe 87(4) du Règlement.

[10]  Selon les notes consignées dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC], l’agent a reconnu que l’entreprise de M. Hassan aux EAU était exploitée en anglais; des exemples de ses travaux imprimés et publiés en anglais ont été fournis; il pouvait communiquer en anglais avec son avocat; il pouvait discuter en anglais avec les gens d’affaires à l’Î.‑P.‑É.; son entrevue avec les agents de l’immigration de l’Î.‑P.‑É. a été effectuée en anglais. L’agent a également accepté les arguments de M. Hassan selon lesquels son entreprise aurait déjà dû être en défaillance si un niveau élevé d’anglais était nécessaire pour l’exploiter, ainsi que le fait que ses compétences linguistiques se perfectionneraient rapidement une fois qu’il aurait déménagé au Canada.

[11]  Néanmoins, l’agent a conclu que la capacité de M. Hassan à faire des affaires en anglais aux EAU n’indiquait pas nécessairement sa capacité de faire de même au Canada. L’agent a relevé des cas de fautes de grammaire ou d’anglais guindé dans les exemples des travaux de M. Hassan. L’agent a reconnu le soutien constant de l’Î.‑P.‑É. à l’égard de la demande de M. Hassan ainsi que ses notes améliorées à l’IELTS, mais il a finalement conclu que les compétences de M. Hassan en langue anglaise étaient insuffisantes pour lui permettre de réussir son établissement économique au Canada.

IV.  La question en litige

[12]  Dans sa plaidoirie devant la Cour, l’avocat de M. Hassan a limité son argumentation à une seule question : l’omission de l’agent d’appliquer la présomption prévue à l’article 3.9 de l’annexe A de l’Accord de collaboration Canada‒Île‑du‑Prince‑Édouard sur l’immigration [l’Accord] rend‑elle la décision déraisonnable?

V.  La norme de contrôle

[13]  La décision de l’agent de substituer son appréciation au certificat de désignation provinciale peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire par la Cour selon la norme de la décision raisonnable (Parveen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 473, au par. 14 [Parveen]).

[14]  La norme de la décision raisonnable est une norme déférente qui tient principalement à la justification de la décision ainsi qu’à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel. La Cour n’interviendra que si la décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2018 CSC 31, au par. 55, citant Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 47).

VI.  Analyse

[15]  Selon l’article 8 de la LIPR, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [le ministre] peut, « [p]our l’application de la présente loi, […] conclure un accord avec une province […] ». L’alinéa 8(2)a) exige que « la sélection et le parrainage des étrangers, ainsi que l’acquisition d’un statut, sous le régime de la présente loi » soient conformes aux accords fédéraux‑provinciaux. M. Hassan soutient que, en rejetant sa demande, l’agent a agi d’une manière qui était incompatible avec l’Accord, et donc avec la LIPR.

[16]  L’annexe A de l’Accord concerne les candidats de la province. Les articles 3.1, 3.8 et 3.9 de l’annexe A prévoient ce qui suit :

3.1 L’Île‑du‑Prince‑Édouard a la responsabilité exclusive et non transférable d’évaluer et de désigner les candidats dont elle estime qu’ils :

a. contribueront à son développement économique;

  1. pourront très probablement réussir leur établissement économique à l’Île‑du‑Prince‑Édouard.

3.1 Prince Edward Island has the sole and non‑transferable responsibility to assess and nominate candidates who, in Prince Edward Island’s determination:

a. will be of benefit to the economic development of Prince Edward Island; and

have a strong likelihood of becoming economically established in Prince Edward Island.

[…]

[…]

3.8 Sur réception du certificat de désignation de l’Île‑du‑Prince‑Édouard, le Canada :

a. prend la décision finale en matière de sélection, conformément aux dispositions réglementaires pertinentes;

b. détermine l’admissibilité du candidat et des personnes à sa charge à l’égard des exigences législatives, notamment en ce qui concerne la santé, la criminalité et la sécurité;

c. délivre des visas de résident permanent au candidat de la province et aux personnes à charge qui l’accompagnent, sous réserve qu’ils répondent à toutes les conditions d’entrée et d’admissibilité prévues par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, son règlement d’application, ainsi que la présente annexe.

3.8 Upon receipt of the Certificate of Nomination from Prince Edward Island, Canada will:

a. exercise the final selection in accordance with the relevant regulations;

b. determine the admissibility of the nominee and his or her dependants with respect to legislative requirements including health, criminality and security; and

c. issue permanent resident visas to Provincial Nominees and accompanying dependants who meet all the eligibility and admissibility requirements of the Immigration and Refugee Protection Act and Regulations and of this Annex.

 

3.9 Le Canada considère le certificat de désignation délivré par l’Île‑du‑Prince‑Édouard comme une indication que le candidat contribuera au développement économique de la province, et que celle‑ci a fait preuve d’une diligence raisonnable pour s’assurer que le demandeur a la capacité et de bonnes chances de réussir son établissement économique à l’Île‑du‑Prince‑Édouard.

3.9 Canada will consider a Certificate of Nomination issued by Prince Edward Island as a determination that admission is of benefit to the economic development of Prince Edward Island and that Prince Edward Island has conducted due diligence to ensure that the applicant has the ability and is likely to become economically established in Prince Edward Island.

[17]  M. Hassan met l’accent sur le libellé impératif de l’article 3.9 de l’annexe A de l’Accord. Selon cette disposition, le Canada doit considérer le certificat de désignation délivré par l’Î.‑P.‑É. comme déterminant pour ce qui est de deux questions factuelles : a) le candidat contribuera au développement économique de la province; b) celle‑ci a fait preuve d’une diligence raisonnable pour s’assurer que le demandeur a la capacité et de bonnes chances de réussir son établissement économique à l’Î.‑P.‑É.

[18]  Le texte précis contenu à l’article 3.9 peut être comparé au texte moins précis figurant aux accords en matière d’immigration conclus entre le Canada et d’autres provinces. Par exemple, l’article 4.9 de l’annexe A de l’Accord Canada‑Saskatchewan sur l’immigration de 2005, précise que « [l]e Canada considère le certificat de désignation […] comme une première preuve ». De même, l’article 4.11 de l’annexe A de l’Accord Canada‑Ontario sur l’immigration réserve expressément aux agents des visas fédéraux le droit d’exiger des documents supplémentaires du candidat désigné et de substituer son appréciation aux termes du paragraphe 87(3) du Règlement.

[19]  Le ministre fait valoir que la décision de l’agent de rejeter la demande de M. Hassan était conforme à l’Accord. Conformément à l’article 1.14, le Canada est ultimement responsable « de la sélection et de l’admission des immigrants […] qui souhaitent résider à l’Île‑du‑Prince‑Edouard ». La responsabilité du Canada de prendre la décision finale en matière de sélection, conformément aux dispositions réglementaires pertinentes, est expressément reconnue à l’article 3.8 de l’annexe A de l’Accord. La jurisprudence de la Cour confirme que les agents des visas fédéraux ne sont pas obligés de tenir compte des mêmes critères que leurs homologues provinciaux (citant Chaudhry c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1072, au par. 28; Singh Sran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 791, au par. 13 [Sran]).

[20]  M. Hassan souligne que le Guide opérationnel, Traitement des demandes à l’étranger, chapitre 7‑B, « Candidats des provinces » (janvier 2014), d’IRCC, à l’article 5.0 [OP 7‑B], énonce que les gouvernements provinciaux sont les mieux placés pour déterminer si les candidats des provinces ont de fortes chances de réussir leur établissement sur le plan économique. Bien que les guides opérationnels ne lient pas les agents des visas fédéraux, ils peuvent aider la Cour à apprécier le caractère raisonnable d’une décision (Sran, au par. 17). Dans Kikeshian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 658, au par. 14 [Kikeshian], le juge Robert Barnes a conclu que le chapitre OP 7‑B créait une présomption que les candidats des provinces auraient la capacité de s’établir sur le plan économique au Canada.

[21]  Le ministre admet que la détermination de l’Î.‑P.‑É. selon laquelle M. Hassan possède des compétences suffisantes en langue anglaise pour réussir son établissement économique au Canada a créé une présomption à cet effet. Lorsque la Cour l’a interrogé au sujet de la différence entre le libellé de l’Accord et celui d’accords semblables conclus avec d’autres provinces canadiennes, l’avocate du ministre a laissé entendre que le libellé impératif figurant dans l’Accord pourrait nécessiter des motifs plus [traduction] « complets » pour justifier une substitution d’appréciation par un agent de migration fédéral.

[22]  Ni la lettre de rejet ni les notes consignées dans le SMGC ne mentionnent l’article 3.9 de l’annexe A de l’Accord. Ils ne renvoient pas non plus à l’accord du Canada de considérer un certificat de désignation délivré par l’Î.‑P.‑É. comme déterminant que M. Hassan contribuera au développement économique de la province. Ils ne reconnaissent pas non plus qu’aux termes de l’Accord, l’Î.‑P.‑É. est réputée avoir fait preuve de diligence raisonnable pour s’assurer que M. Hassan a la capacité et a de bonnes chances de réussir son établissement économique à l’Î.‑P.‑É.

[23]  Je n’écarte pas la possibilité selon laquelle, dans des circonstances appropriées, les agents fédéraux peuvent être en mesure de réfuter la forte présomption créée par l’Accord et substituer leur propre appréciation d’une personne désignée par l’Î.‑P.‑É. Toutefois, en l’espèce, l’agent a omis de reconnaître le libellé impératif de l’article 3.9 de l’annexe A de l’Accord et d’effectuer l’analyse en conformité avec la norme prescrite.

[24]  Chaque province négocie son propre accord en matière d’immigration avec le Canada concernant les candidates des provinces. Les accords ne sont pas uniformes. Un agent de migration qui propose de substituer sa propre appréciation à celle d’une province participante doit tenir compte des modalités convenues par le Canada et la province, et effectuer l’analyse en conséquence. L’agent ne l’a pas fait, et la décision était donc déraisonnable.

VII.  Conclusion

[25]  La demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’affaire est renvoyée à un autre agent de migration pour nouvelle décision. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier en vue d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’affaire est renvoyée à un autre agent de migration pour nouvelle décision.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 13e jour de septembre 2019

Christian Laroche, LL.B., juriste‑traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑397‑19

 

INTITULÉ :

HASSAN ADNAN HASSAN HASSAN c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

HalifaX (Nouvelle‑Écosse)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 5 août 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

le 23 août 2019

 

COMPARUTIONS :

Guilhem de Roquefeuil

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Kaitlin Duggan

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

North Star Immigration Law

Avocats

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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