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Date : 20190904


Dossier : IMM-4614-18

Référence : 2019 CF 1135

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 septembre 2019

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

LIVINGSTONE WASHINGTON OMABOE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  APERÇU

[1]  En juin 2017, environ deux mois après être arrivé au Canada en provenance de l’Afrique du Sud, le demandeur a présenté une demande d’asile à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [la CISR]. Dans son formulaire Fondement de la demande d’asile, le demandeur s’est présenté comme étant Livingstone Washington Omaboe, né au Ghana le 6 juillet 1988 et citoyen de ce pays. Il a expliqué qu’il demandait l’asile parce que, en tant qu’homme bisexuel, il craignait avec raison d’être persécuté dans son pays.

[2]  La demande du demandeur a été renvoyée à la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la CISR en vue d’une audience. Celle-ci a eu lieu les 11 mai et 16 août 2018. Dans ses motifs écrits datés du 24 août 2018, la SPR a conclu que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger parce qu’il n’avait pas établi son identité. La SPR a aussi conclu, au titre du paragraphe 107(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], que la demande était dénuée d’un minimum de fondement.

[3]  Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la SPR au titre du paragraphe 72(1) de la LIPR. Il ne conteste pas la conclusion selon laquelle il n’a pas établi son identité. Il conteste uniquement la conclusion de la SPR selon laquelle sa demande est dénuée d’un minimum de fondement, laquelle conclusion est, selon lui, déraisonnable.

[4]  Pour les motifs qui suivent, je ne souscris pas à l’avis du demandeur. La demande de contrôle judiciaire sera, par conséquent, rejetée.

II.  CONTEXTE

[5]  Dans son formulaire Fondement de la demande d’asile signé le 7 juin 2017, le demandeur a indiqué qu’il était né au Ghana le 6 juillet 1988. Il a déclaré s’être enfui en Afrique du Sud en avril 2016 après avoir été surpris alors qu’il se livrait à des activités de nature sexuelle avec un autre homme. Lors de l’instruction de sa demande d’asile, le demandeur a précisé qu’il avait utilisé son propre passeport ghanéen pour prendre un vol depuis le Ghana vers l’Afrique du Sud. Il a ajouté qu’il avait perdu son passeport alors qu’il se trouvait en Afrique du Sud. Il n’a jamais tenté de le faire remplacer.

[6]  Le demandeur a déclaré que, en février 2017, il avait commencé à craindre d’être expulsé de l’Afrique du Sud et d’être renvoyé au Ghana. Il a donc pris des dispositions auprès d’un agent (avec l’aide de sa mère) afin de quitter l’Afrique du Sud pour se rendre au Canada. Selon les renseignements fournis dans les documents présentés à l’appui de la demande d’asile (aussi signée le 7 juin 2017), le demandeur est arrivé à Montréal le 20 avril 2017 sur un vol direct en provenance de l’Afrique du Sud. Il a déclaré qu’il avait voyagé au moyen d’un faux passeport sud-africain délivré au nom de Modise Meshack que l’agent lui avait fourni. Ce passeport n’était toutefois plus en sa possession.

[7]  Le 25 août 2017, le ministre a avisé de son intention d’intervenir dans la demande d’asile du demandeur pour des motifs de crédibilité. Dans le cadre de cette intervention, le ministre a présenté des renseignements qui indiquaient que le département de la Sécurité intérieure des États-Unis avait signalé une correspondance entre les empreintes du demandeur, prises lors du traitement de sa demande d’asile au Canada, et celles d’une personne entrée aux États-Unis le 22 avril 2017 par l’aéroport de Chicago. Cette personne avait été identifiée comme étant Meshack Makhubu, un ressortissant sud-africain né le 10 mars 1975. Une photo de cette personne prise à l’aéroport de Chicago a aussi été présentée. Cette personne voyageait munie d’un passeport sud-africain portant le numéro A04198161. Selon les dossiers du Canada, une personne voyageant au moyen du même passeport était entrée au Canada par l’aéroport de Montréal le 22 avril 2017.

[8]  Une enquête approfondie menée par les autorités canadiennes a révélé que, en février 2017, cette même personne avait obtenu un visa de visiteur au Canada pour assister à une réunion d’affaires à Montréal durant la période du 28 avril au 4 mai 2017. Une copie d’un passeport sud-africain délivré au nom de Meshack Makhubu (né le 10 mars 1975) et portant le numéro A04198161 avait été présentée à l’appui de la demande de visa. Une copie de ce passeport a été présentée à la SPR.

[9]  Lors de l’instruction de sa demande d’asile, le demandeur a reconnu qu’il s’était rendu à Montréal depuis Chicago au moyen du passeport sud-africain en question. Sa photo figurait sur le passeport. Dans son témoignage, il a déclaré que, au moment où il avait rempli les documents en lien avec sa demande d’asile, il s’était trompé au sujet de son itinéraire vers le Canada et au sujet du nom inscrit sur le passeport qu’il avait utilisé parce qu’il avait peur et qu’il [traduction] « n’arrivait pas à se concentrer ». Le commissaire de la SPR a rejeté cette explication. Il a conclu que le demandeur avait « sciemment fourni de faux renseignements sur tous les aspects de son voyage au Canada ». Il a également conclu que « cela min[ait] la crédibilité générale du demandeur d’asile et met[tait] en doute son identité personnelle ».

[10]  Malgré les renseignements présentés par le ministre, le demandeur a maintenu être un ressortissant du Ghana répondant au nom de Livingstone Washington Omaboe (né le 6 juillet 1988). Pour appuyer ses dires, le demandeur a présenté ce qu’il prétendait être son permis de conduire ghanéen ainsi qu’une photocopie de ce qu’il prétendait être son certificat de naissance. (Lors de la première audience devant la SPR, le demandeur a mentionné qu’il produirait son certificat de naissance original, mais la SPR ne l’a jamais obtenu.)

[11]  Le commissaire de la SPR a conclu que le permis de conduire « n’[était] pas valide et qu’il [avait] été obtenu de manière frauduleuse ». En outre, le commissaire a donné plusieurs raisons pour expliquer sa conclusion selon laquelle le certificat de naissance n’avait pas « été obtenu de la façon appropriée ». Il a conclu que la copie présentée par le demandeur ne constituait pas « un élément de preuve fiable ou digne de foi pour établir l’identité du demandeur d’asile ». Le demandeur ne conteste aucune des conclusions du commissaire quant à ces pièces d’identité. (Le demandeur a présenté d’autres documents pour appuyer sa demande, mais le commissaire de la SPR a conclu qu’aucun d’eux n’avait de valeur probante pour ce qui est d’établir l’identité ou la nationalité du demandeur.)

III.  LES PRINCIPES JURIDIQUES APPLICABLES

[12]  Les principes juridiques applicables à la présente demande ne sont pas contestés. Les conclusions tirées par la SPR sur les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit sont assujetties à la norme de la décision raisonnable. Ces conclusions comprennent celles relatives à l’identité et à l’appréciation des pièces d’identité, des conclusions fondées sur les faits qui sont au cœur même de l’expertise de la SPR (Rahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319, au paragraphe 48; Su c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 743, au paragraphe 5 [Su]; Behary c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 794, au paragraphe 7 [Behary]). La même norme s’applique aussi à la conclusion de la SPR sur l’absence d’un minimum de fondement (Hernandez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 144, au paragraphe 3; Mohamed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 598, au paragraphe 22 [Mohamed]).

[13]  Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable « s’intéresse au caractère raisonnable du résultat concret de la décision ainsi qu’au raisonnement qui l’a produit » (Canada (Procureur général) c Igloo Vikski Inc., 2016 CSC 38, au paragraphe 18). La cour de révision s’intéresse « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » et décide si la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir]). Ces critères sont satisfaits si « [les motifs] permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16). Par conséquent, la cour de révision doit examiner à la fois les motifs et le résultat (Delta Airlines Inc. v Lukács, 2018 CSC 2, au paragraphe 27). Lorsqu’elle procède à un contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable, la Cour ne doit pas soupeser de nouveau les éléments de preuve ni substituer la solution qu’elle juge elle-même appropriée à celle qui a été retenue (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 59 et 61).

[14]  Il est essentiel pour toute personne qui demande l’asile de faire la preuve de son identité. Sans cette preuve, il ne peut y avoir « de fondement solide permettant de vérifier les allégations de persécution, ou même d’établir la nationalité réelle d’un demandeur » (Jin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et l’Immigration), 2006 CF 126, au paragraphe 26; voir aussi Liu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 831, au paragraphe 18 [Lui] et Behary, au paragraphe 61). L’omission de prouver l’identité entraîne d’emblée le rejet de la demande. Il n’y a pas lieu de poursuivre l’examen des éléments de preuve ou de la demande (voir Elmi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 773, au paragraphe 4; Diallo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 878, au paragraphe 3; Liu, au paragraphe 18; Ibnmogdad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 321, au paragraphe 24; et Behary, au paragraphe 61).

[15]  L’importance d’établir l’identité d’un demandeur est soulignée à l’article 11 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256 [les Règles] :

11 Le demandeur d’asile transmet des documents acceptables qui permettent d’établir son identité et les autres éléments de sa demande d’asile. S’il ne peut le faire, il en donne la raison et indique quelles mesures il a prises pour se procurer de tels documents.

11 The claimant must provide acceptable documents establishing their identity and other elements of the claim. A claimant who does not provide acceptable documents must explain why they did not provide the documents and what steps they took to obtain them.

[16]  L’article 106 de la LIPR établit un lien direct entre l’obligation de produire des documents acceptables qui permettent d’établir l’identité (ou d’expliquer pourquoi de tels documents n’ont pas été produits) et la crédibilité d’un demandeur. Cet article est ainsi libellé :

106 La Section de la protection des réfugiés prend en compte, s’agissant de crédibilité, le fait que, n’étant pas muni de papiers d’identité acceptables, le demandeur ne peut raisonnablement en justifier la raison et n’a pas pris les mesures voulues pour s’en procurer.

106 The Refugee Protection Division must take into account, with respect to the credibility of a claimant, whether the claimant possesses acceptable documentation establishing identity, and if not, whether they have provided a reasonable explanation for the lack of documentation or have taken reasonable steps to obtain the documentation.

[17]  La LIPR et les Règles ne définissent pas ce que sont « des papiers d’identité acceptables »; il appartient à la SPR de le décider dans chaque cas (décision qui peut évidemment faire l’objet d’un appel à la Section d’appel des réfugiés (la SAR) ou d’une demande de contrôle judiciaire). Pris ensemble, l’article 11 des Règles et l’article 106 de la LIPR imposent au demandeur le fardeau de produire des documents acceptables pour établir son identité. Si un demandeur ne peut pas obtenir de tels documents, il doit raisonnablement en justifier la raison et démontrer que des mesures raisonnables ont été prises pour les obtenir. Il s’agit là d’un lourd fardeau (Su, au paragraphe 4; Malambu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 763, au paragraphe 41; Tesfagaber c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 988, au paragraphe 28). Si un demandeur ne produit pas de documents acceptables établissant son identité et qu’il n’en justifie pas raisonnablement la raison ou qu’il ne démontre pas que des mesures raisonnables ont été prises pour obtenir de tels documents, cela pourrait, à tout le moins, avoir un effet néfaste sur sa crédibilité.

[18]  Enfin, le paragraphe 107(2) de la LIPR prévoit que si la SPR « estime, en cas de rejet, qu’il n’a été présenté aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel elle aurait pu fonder une décision favorable, [elle] doit faire état dans sa décision de l’absence de minimum de fondement de la demande ». Une telle conclusion revêt une grande importance puisqu’elle exclut le droit habituel d’interjeter appel à la SAR ainsi que le sursis à l’exécution de la mesure de renvoi prévu par la loi en attendant l’issue d’un tel appel et toute demande subséquente d’autorisation et de contrôle judiciaire (voir la LIPR, à l’alinéa 110(2)c), et le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, au paragraphe 231(1)). Par conséquent, comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale relativement à la même phrase contenue dans la loi antérieure, la SPR « ne devrait pas systématiquement statuer qu’une revendication n’a pas un minimum de fondement lorsqu’elle conclut que le revendicateur n’est pas un témoin crédible » (Rahaman c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), [2002] 3 CF 537, 2002 CAF 89, au paragraphe 51). La SPR ne peut rendre cette décision que s’il n’y a aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel elle pourrait se fonder pour reconnaître le statut de réfugié au revendicateur. Si la SPR conclut qu’il existe un élément de preuve crédible ou digne de foi quelconque sur lequel elle pourrait fonder une décision favorable, il « n’est pas loisible à la Commission de conclure que la demande d’asile est dénuée d’un minimum de fondement, même si, au bout du compte, elle conclut que cette demande n’a pas été établie selon la prépondérance des probabilités » (Ramón Levario c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 314, au paragraphe 19). Ainsi, il a été jugé que le paragraphe 107(2) de la LIPR établit un seuil élevé qui doit être respecté avant que le paragraphe puisse être invoqué (Mahdi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 218, au paragraphe 10).

IV.  LES PRINCIPES APPLICABLES

[19]  En l’espèce, le commissaire de la SPR a tiré deux conclusions importantes. D’abord, il a jugé, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur « n’[avait] pas fourni suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour établir son identité en tant que ressortissant du Ghana comme l’exigent l’article 106 de la LIPR et la règle 11 des Règles de la Section de la protection des réfugiés ». Pour ce motif, il a conclu que le demandeur n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. Deuxièmement, le commissaire a déclaré que la demande était dénuée d’un minimum de fondement puisque « le tribunal n’[avait] pas jugé le demandeur d’asile crédible et qu’aucune autre preuve crédible ou digne de foi n’[avait] été présentée ».

[20]  Comme il a été mentionné précédemment, le demandeur ne conteste que la deuxième de ces conclusions. À mon avis, la conclusion du commissaire selon laquelle la demande était dénuée d’un minimum de fondement répond à la norme du caractère raisonnable énoncé dans l’arrêt Dunsmuir. Fait crucial, le commissaire n’a pas simplement conclu que le demandeur ne s’était pas acquitté du fardeau qui lui incombait d’établir son identité et sa nationalité selon la prépondérance des probabilités. Il « n’a pas jugé le demandeur d’asile crédible » et a expressément conclu « qu’aucune autre preuve crédible ou digne de foi n’[avait] été présentée ». Lue dans le contexte de l’ensemble des motifs, cette dernière déclaration est manifestement liée aux éléments de preuve quant à l’identité et à la nationalité.

[21]  Bien que les motifs invoqués par le commissaire pour conclure que la demande était dénuée d’un minimum de fondement soient énoncés très brièvement, et peut-être formulés de façon peu élégante, les motifs dans leur ensemble démontrent que le demandeur n’a pas simplement négligé de fournir une preuve suffisamment crédible et fiable de son identité et de sa nationalité. De l’avis du commissaire, aucun élément de preuve crédible ou fiable ne prouvait que le demandeur était bien la personne qu’il prétendait être. Le commissaire a donc rejeté le témoignage et la preuve documentaire du demandeur à l’égard de ce point crucial. Il a déclaré que le demandeur avait tenté d’établir son identité au moyen d’un permis de conduire qui « n’[était] pas valide et [avait] été obtenu de manière frauduleuse » ainsi qu’au moyen d’une copie d’un certificat de naissance qui, pour plusieurs raisons, semblait ne pas avoir « été obtenu[e] de la façon appropriée ». Ces conclusions doivent aussi être examinées en fonction des éléments de preuve présentés par le ministre, lesquels donnaient à penser que le demandeur était en fait un ressortissant sud-africain du nom de Meshack Makhubu (né le 10 mars 1975) et à l’égard desquels le demandeur n’a pas été en mesure d’opposer une réfutation crédible.

[22]  L’article 106 de la LIPR exige expressément de la SPR qu’elle « [prenne] en compte, s’agissant de crédibilité, le fait que, n’étant pas muni de papiers d’identité acceptables, le demandeur ne peut raisonnablement en justifier la raison et n’a pas pris les mesures voulues pour s’en procurer ». En l’espèce, le demandeur ne s’est pas présenté devant la SPR sans documents visant à établir son identité et en ayant l’obligation de l’établir d’une autre manière. Il ne s’est pas non plus présenté muni de documents dont le poids a été jugé insuffisant. Le demandeur a plutôt tenté d’établir son identité au moyen de documents qui, selon le commissaire de la SPR, avaient été obtenus « de manière frauduleuse » ou « de façon irrégulière ». Le commissaire a conclu que les documents en question ne méritaient pas d’être pris en considération relativement à la question de l’identité. Il a aussi conclu que le demandeur avait sciemment fourni de faux renseignements « sur tous les aspects de son voyage au Canada », ce qui a miné « la crédibilité générale du demandeur d’asile et [mis] en doute son identité personnelle ». En somme, le commissaire a rejeté l’ensemble de la preuve présentée par le demandeur quant à son identité et à sa nationalité. Au vu du dossier dont il disposait, il était raisonnablement loisible au commissaire de tirer cette conclusion, que le demandeur ne conteste pas de toute façon.

[23]  Si le commissaire n’avait pas conclu que l’ensemble de la preuve présentée par le demandeur quant à son identité manquait de crédibilité, ou s’il avait négligé d’expliquer suffisamment les motifs justifiant sa conclusion, on aurait pu faire valoir que la conclusion d’absence de minimum de fondement était déraisonnable (voir Mohamed, au paragraphe 36; Omar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 20, au paragraphe 20; et Hadi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 590, au paragraphe 54). Cependant, le commissaire a expressément affirmé qu’il n’y avait aucun élément de preuve crédible ou fiable prouvant que le demandeur était celui qu’il prétendait être. Cette conclusion (qui, je le répète, n’est pas contestée par le demandeur) appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47). Les motifs qui sous-tendent la conclusion du commissaire sont justifiés, transparents et intelligibles. Compte tenu de ce qui précède, le commissaire n’était pas tenu d’analyser la demande d’asile ou les éléments de preuve de façon plus approfondie avant de pouvoir raisonnablement conclure que la demande d’asile était dénuée d’un minimum de fondement (voir les décisions citées au paragraphe 14).

[24]  En résumé, le commissaire a conclu de façon raisonnable qu’il n’y avait pas d’éléments de preuve crédibles ou fiables permettant d’établir l’identité du demandeur. De ce fait, il pouvait aussi conclure de façon raisonnable que la demande était dénuée d’un minimum de fondement sans d’abord examiner les éléments de preuve portant sur la bisexualité du demandeur ou sur la situation dans le pays en cause. Compte tenu de l’absence totale d’éléments de preuve crédibles ou fiables quant à l’identité du demandeur, rien n’aurait pu justifier une décision favorable.

V.  CONCLUSION

[25]  Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[26]  Les parties n’ont soulevé aucune question grave de portée générale à certifier au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR, et je conviens que l’affaire n’en soulève pas.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-4614-18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est énoncée.

« John Norris »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 23e jour de septembre 2019.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4614-18

 

INTITULÉ :

LIVINGSTONE WASHINGTON OMABOE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 MARS 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE NORRIS

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 4 SEPTEMBRE 2019

 

COMPARUTIONS :

Dov Maierovitz

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Nicole Paduraru

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dov Maierovitz

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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