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Date : 20021206

Dossier : IMM-241-02

Référence neutre : 2002 CFPI 1266

Ottawa (Ontario), le vendredi 6 décembre 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

ENTRE :

                                                             YUN IE LEE

SUNG HEE JIE

JUNG WON JIE

                                                                                                                            demandeurs

                                                                       et

                                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                               défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE KELEN


[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée conformément à l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, à l'encontre de la décision par laquelle la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SSR) a déclaré, le 10 décembre 2001, que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention visés à l'article 2 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2.

LES FAITS

[2]                Yun Ie Lee est la demanderesse principale. Elle est citoyenne de la République de Corée et revendique le statut de réfugié pour le motif qu'elle serait maltraitée par son ex-conjoint si elle était renvoyée en Corée. Elle allègue que son conjoint continue à s'intéresser à elle et qu'en Corée, l'État ne fournit pas de protection. Les autres demandeurs sont les deux enfants mineurs de la demanderesse principale, sa fille Sung Hee Jie et son fils Jung Won Jie.


[3]                La demanderesse principale, son conjoint et ses deux enfants sont arrivés au Canada en 1994 avec des visas canadiens de visiteur (les VCV) dans l'intention de présenter une demande d'immigration depuis le pays. La demanderesse principale a témoigné que c'était elle qui avait eu l'idée d'émigrer au Canada dans l'espoir de permettre au couple de recommencer. Ils ont été autorisés à demeurer au Canada à la suite du renouvellement de leurs VCV, mais leur demande d'immigration a été rejetée. Par la suite, le conjoint de la demanderesse principale a commencé à la maltraiter, ce qui a occasionné leur séparation au mois de décembre 1996. Le conjoint a commencé à voir d'autres femmes; en 1998, il a été accusé d'avoir agressé une femme. Le 23 juillet 1998, le conjoint a quitté le Canada et une attestation de départ a été déposée par le ministre. La demanderesse principale a revendiqué le statut de réfugié en l'an 2000. Elle affirme que ses enfants et elle ne seraient pas en sécurité s'ils retournaient en Corée.

DÉCISION DE LA SSR ET FONDEMENT DU CONTRÔLE

[4]                En se fondant sur la conclusion défavorable qu'elle avait tirée au sujet de la crédibilité de la demanderesse principale, la SSR a conclu que les demandeurs n'avaient pas raison de craindre d'être persécutés et qu'ils n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention. Les demandeurs soutiennent que la décision de la SSR devrait être infirmée, et ce, pour les raisons ci-après énoncées :

(i)          la conclusion du tribunal selon laquelle le conjoint de la demanderesse ne continuait pas à s'intéresser à la demanderesse après 1996 était fondée sur des considérations non pertinentes et ne tenait pas compte d'éléments cruciaux de la preuve fournie par les demandeurs;

(ii)         le tribunal n'a pas fourni de motifs valables à l'appui de la conclusion défavorable qu'il a tirée au sujet de la crédibilité;

(iii)        le tribunal a commis une erreur en concluant que la revendication n'était pas fondée à cause d'un retard.


LA NORME DE CONTRÔLE

[5]                Premièrement, la Cour doit ici examiner les conclusions de fait tirées par la SSR. La Cour doit se demander si la SSR « a rendu une décision [...] fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont [elle] dispos[ait] » tel qu'il est énoncé à l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale. Voir également Matharu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 19. Deuxièmement, la Cour doit examiner l'appréciation défavorable que la SSR a faite au sujet de la crédibilité. La norme utilisée par la Cour en ce qui concerne les conclusions tirées par la SSR au sujet de la crédibilité est celle de la décision manifestement déraisonnable : voir Aguebor c. ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.).

ANALYSE

[6]                La Cour conclut que le tribunal n'a pas agi d'une façon déraisonnable en concluant que les demandeurs n'avaient pas raison de craindre d'être persécutés.


1.          Considérations non pertinentes

[7]                La décision du tribunal selon laquelle le conjoint ne continuait pas à s'intéresser à la demanderesse principale n'était pas fondée sur des considérations non pertinentes. Les conclusions qui, selon les demandeurs, ne seraient pas pertinentes étaient des incohérences et des invraisemblances relevées dans le Formulaire de renseignements personnels et dans le témoignage de la demanderesse principale. Le tribunal s'est fondé sur ces conclusions pour conclure que la demanderesse principale n'était pas digne de foi en ce qui concerne les relations qu'elle entretenait avec son ex-conjoint. Il est de droit constant que le tribunal peut à bon droit se fonder sur des incohérences et sur des invraisemblances lorsqu'il a apprécié la crédibilité d'une façon défavorable.


[8]                Les demandeurs affirment que le tribunal n'a pas tenu compte d'une lettre de Rainbow Information and Social Services Inc. indiquant que la demanderesse principale et son conjoint avaient eu recours à un conseiller matrimonial après 1997 ainsi que du témoignage du ministre de l'église de la demanderesse principale qui avait personnellement vu le conjoint agresser cette dernière à deux reprises entre 1996 et 1998. Le tribunal n'a pas omis de tenir compte de l'un ou l'autre élément de preuve. Dans ses motifs, le tribunal a expressément mentionné la lettre de Rainbow et le témoignage du ministre de l'église de la demanderesse, mais il a conclu que ni l'un ni l'autre de ces éléments ne suffisait pour établir que le conjoint continuait à s'intéresser à la demanderesse principale. La Cour estime qu'eu égard à la preuve, les conclusions de fait tirées par le tribunal sont raisonnables.

2.          Absence de motifs valables

[9]                Le tribunal s'est acquitté de l'obligation de fournir des motifs suffisants à l'appui de la conclusion défavorable qu'il avait tirée au sujet de la crédibilité; cette obligation est énoncée dans l'arrêt Moreno c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 298 (C.A.). Dans la décision Griffith c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 171 F.T.R. 240, paragraphes 24 et 25, Monsieur le juge Campbell a souligné jusqu'à quel point il est important de fournir des motifs à l'appui d'une appréciation défavorable de la crédibilité lorsqu'une revendication est fondée sur la violence conjugale :

Même si le témoignage d'expert ne peut pas être considéré comme pratique ou nécessaire dans certains cas, cependant, je suis d'avis qu'il appartient au membre du tribunal de posséder les connaissances nécessaires et de les appliquer d'une manière compréhensive et sensible lorsqu'il tranche des questions de violence conjugale, de manière à parvenir à un résultat équitable et pour éviter le risque de commettre une erreur susceptible de contrôle judiciaire en tirant ses conclusions de fait, dont la plus importante est la conclusion quant à la crédibilité du revendicateur.

Des motifs doivent être donnés au revendicateur qui n'est pas cru. Dans le cas des conclusions relativement à la crédibilité des femmes victimes de violences conjugales, à mon avis, l'exigence de motifs devient spécifique : les motifs doivent être sensibles à ce qui est connu des femmes qui se trouvent dans cette situation. Les Directives portant sur le sexe sont, en fait, un effort en vue de mettre en place la formation professionnelle nécessaire pour atteindre cet objectif.                                               [notes de bas de page omises]


Les motifs du tribunal répondaient à la situation de la demanderesse principale. Ils étayent la conclusion selon laquelle la demanderesse principale n'était pas digne de foi pour ce qui est des relations qu'elle entretenait avec son conjoint et un certain nombre de cas dans lesquels le témoignage de la demanderesse principale était incohérent et invraisemblable ont été cités.

3.          Le fait que la demanderesse principale a tardé à revendiquer le statut de réfugié


[10]            Le tribunal a également tenu compte du fait que la demanderesse avait tardé à revendiquer le statut de réfugié après le départ de son conjoint, en 1998. Le fait qu'une personne tarde à revendiquer le statut de réfugié peut être pris en considération aux fins de l'appréciation de la gravité des prétentions d'un demandeur (voir Hue c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1988] A.C.F. no 283 (QL)), mais la SSR doit se montrer prudente lorsqu'elle applique la présomption relative au retard aux cas dans lesquels une revendication est fondée sur des motifs « non traditionnels » comme la violence conjugale (voir Williams c. Canada (Secrétaire d'État), [1995] A.C.F. no 1025 (QL), paragraphe 7). Au paragraphe 28 de la décision Griffith, précitée, Monsieur le juge Campbell a bien dit qu'il ne fallait pas utiliser la norme objective de l' « homme raisonnable » en appréciant la question du retard lorsque la revendication est fondée sur la violence conjugale. Voir également Elcock c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 175 F.T.R. 116.

[11]            La demanderesse principale prend la position selon laquelle le tribunal a commis une erreur en omettant de tenir compte de l'explication qu'elle avait fournie, à savoir qu'elle avait demandé conseil, mais qu'on lui avait erronément dit que les citoyens de la République de Corée ne pouvaient pas revendiquer le statut de réfugié. À la page 6 de ses motifs, le tribunal a mentionné le témoignage de la demanderesse principale en ce qui concerne la question du retard :

[...] Le tribunal ne croit pas que la revendicatrice principale a tardé à revendiquer le statut de réfugié en raison d'un manque d'information depuis le départ de son mari, soit de juillet 1998 à mai 2000, un retard de 22 mois, ou depuis leur séparation en décembre 1996, un retard de 41 mois. Les VCV des revendicateurs ont été renouvelés, un visa américain était requis pour leur demande d'immigration et la revendicatrice a fait 12 années dtudes. Le tribunal demande à la revendicatrice d'expliquer pourquoi elle n'a pas suivi la recommandation formulée à leur entrevue à des fins d'immigration, soit celle de ne demander conseil en matière d'immigration qu'aux personnes représentant Immigration Canada. La revendicatrice a déclaré qu'elle avait honte de son statut d'immigrante clandestine pendant cette période, que des organismes et son groupe confessionnel la conseillaient et qu'elle avait déjà communiqué avec CIC pour les procédures d'immigration. Compte tenu de ce qui précède, le tribunal n'ajoute donc pas foi aux explications de la revendicatrice selon lesquelles elle ntait pas au courant du processus du statut de réfugié ou du fait que la violence conjugale pouvait s'avérer un motif de la Convention, ni selon lesquelles elle n'a été au courant de rien pendant des années suivant son arrivée au Canada.

                                                                                                                 [notes de bas de page omises]

[12]            La Cour conclut que le tribunal n'a pas tenu compte de l'explication donnée par la demanderesse principale et qu'il n'a pas commis d'erreur en rejetant cette explication. Contrairement à la demanderesse dans l'affaire Williams, précitée, paragraphe 7, la demanderesse principale n'a pas fourni une « explication tout à fait crédible » pour justifier le retard. Il n'était pas déraisonnable pour la SSR de conclure que l'explication de la demanderesse principale était invraisemblable étant donné que cette dernière a réussi à faire renouveler les VCV des demandeurs, à présenter une demande d'établissement et à obtenir un visa américain tout en affirmant ne pas avoir été au courant de la procédure de revendication pendant les six années qui ont suivi son arrivée. Quoi qu'il en soit, la conclusion que le tribunal a tirée au sujet du retard n'était pas essentielle à sa décision. Même si le tribunal avait commis une erreur en ne tenant pas compte de l'explication fournie par la demanderesse principale, cela ne constituerait pas une erreur susceptible de révision (voir Elcock, précité, paragraphe 18).

[13]            Ni l'un ni l'autre avocat n'a soutenu que l'affaire soulevait une question grave de portée générale qui devait être certifiée en appel.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE PAR LES PRÉSENTES :

1.          La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.          Aucune question n'est certifiée.

« Michael A. Kelen »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad.a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

Date : 20021206

Dossier : IMM-241-02

ENTRE :

                            YUN IE LEE

SUNG HEE JIE

JUNG WON JIE

                                                          demandeurs

                                      et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                             défendeur

                                                                            

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                            


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 IMM-241-02

INTITULÉ :                                                                YUN IE LEE et autres

c.

MCI

DATE DE L'AUDIENCE :                                        le 26 novembre 2002

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          Toronto (Ontario)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE                           

ET ORDONNANCE :                                                Monsieur le juge Kelen

DATE DES MOTIFS :                                               le 6 décembre 2002

COMPARUTIONS :

M. Gregory James                                                        POUR LES DEMANDEURS

Mme Angela Marinos                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Gregory James                                                         POUR LES DEMANDEURS

Mamann et associés

74, rue Victoria

Bureau 303

Toronto (Ontario)

M5C 2A5

Mme Angela Marinos                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Ministère de la Justice

130, rue King Ouest, bureau 3400, C.P. 36

Toronto (Ontario)

M5X 1K6

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