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Date : 20041214

Dossier : T-104-04

Référence : 2004 CF 1739

ENTRE :

                            L'ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

                                                             et CATHY MURPHY

                                                                                                                                     demanderesses

                                                                             et

                                             PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                             défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE SUPPLÉANT MacKAY

[1]                Les demanderesses sollicitent le contrôle judiciaire d'une décision non datée de la Commission canadienne des droits de la personne, reçue par elles le 18 décembre 2003, par laquelle la Commission décidait, en application de l'alinéa 41(1)c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6, et modifications (la Loi), de ne pas donner suite à leur plainte.


[2]                Selon la plainte, les défendeurs désignés alors, à savoir l'Agence des douanes et du revenu du Canada, le ministre du Revenu national et le Commissaire des douanes et du revenu, s'étaient livrés à des actes discriminatoires en imposant des sommes forfaitaires payées à la demanderesse, Mme Murphy, et à de nombreuses autres personnes représentées par l'Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC), sommes qui résultaient d'un accord d'équité salariale conclu après qu'un tribunal canadien des droits de la personne eut fait droit à une plainte d'acte discriminatoire déposée contre le Conseil du Trésor, qui rémunérait moins ses employés de sexe féminin que ses employés de sexe masculin pour le même travail. Les plaintes se rapportaient en définitive aux paiements effectués durant la période allant de 1985 à 1999, année où l'accord d'équité salariale fut conclu. Les paiements prévus par l'accord ont été effectués en 2000.


[3]                Les sommes versées variaient en fonction des années de service. Les bénéficiaires étaient autorisées à les déclarer aux fins de l'impôt sur le revenu comme des sommes reçues en 2000, ce qui entraînait pour elles des impôts plus élevés, sur les sommes en question, que ce n'aurait été le cas autrement, ou bien, par une modification apportée en 1999 à la Loi de l'impôt sur le revenu, les bénéficiaires pouvaient affecter aux années d'imposition antérieures une partie du paiement forfaitaire. Dans ce dernier cas, les sommes ainsi affectées étaient imposées selon les taux d'imposition théoriques applicables aux années antérieures, mais les impôts ainsi payables étaient assujettis jusqu'à la date du paiement à des taux d'intérêt composés. Il semble que, dans la quasi-totalité des cas, la seconde méthode, celle qui consistait à affecter les paiements d'équité salariale aux années antérieures, entraînait pour les bénéficiaires un revenu net moindre. Quelle que soit la méthode fiscale employée, il est clair que les bénéficiaires recevaient finalement, pour le même travail, une rémunération moindre, après impôts, que leurs homologues masculins, qui avaient reçu leurs salaires année après année et qui payaient leurs impôts annuels sans intérêts, ou sans les taux d'imposition marginaux plus élevés qui étaient applicables aux paiements forfaitaires d'équité salariale reçus en 2000.

[4]                La plainte des demanderesses a été déposée auprès de la Commission le 11 mars 2002 et, le 28 mars, les parties désignées comme défenderesses étaient priées de répondre à la plainte. Le dossier fut assigné à une enquêtrice le 2 mai 2002. La réponse des défendeurs a été reçue en décembre 2002, et la réplique des demanderesses l'a été en mars 2003. Le 23 mai, l'enquêtrice de la Commission signait un rapport qui indiquait que la plainte concernait les articles 5, 7 et 11 de la Loi et qui examinait les arguments des parties. Sans autre enquête ou analyse, le rapport recommandait à la Commission de ne pas donner suite à la plainte, en application de l'alinéa 41(1)c) de la Loi, parce que les faits allégués par les plaignantes ne constituaient pas un acte discriminatoire.


[5]                Ce rapport a été communiqué aux parties et chacune a présenté des observations écrites sur le rapport de l'enquêtrice et sur les observations écrites de l'autre partie. Aucun point n'était soulevé à propos du processus suivi par la Commission pour assurer l'équité du processus, du moins en ce qui a trait à la possibilité pour les parties de s'exprimer avant que la Commission ne rende sa décision.

[6]                La Commission avait devant elle, au moment de sa décision, le rapport de l'enquêtrice et les observations écrites des parties. La décision de la Commission, communiquée à Mme Murphy, précisait que :

[traduction]

« [...] la Commission a décidé, en application de l'alinéa 41(1)c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de ne pas donner suite à la plainte parce que :

                ·               les faits allégués par la plaignante, en particulier le fait que des intérêts composés sont appliqués en conformité avec la LIR [c'est-à-dire la Loi de l'impôt sur le revenu], ne constituaient pas un acte discriminatoire.

[7]                L' « enquête » menée au nom de la Commission, après le dépôt de la plainte, avait consisté à examiner les observations écrites des défendeurs désignés concernant la plainte, et à examiner la réaction des plaignantes à telles observations. Puis le rapport de l'enquêtrice avait été préparé et distribué aux parties, et chacune avait eu l'occasion de s'exprimer par écrit. Le rapport et les observations écrites avaient alors été présentés à la Commission. Il n'y avait pas eu d'autre enquête.


[8]                Dans le rapport de l'enquêtrice, il était fait état des observations des défendeurs, pour qui l'affaire n'était pas de la compétence de la Commission, selon ce que prévoit l'alinéa 41(1)c), et il était fait état des observations contraires des plaignantes. Le rapport contient aussi une brève mention d'autres processus auxquels les plaignantes auraient pu recourir autrement qu'en déposant une plainte selon la Loi, mais il n'apparaît pas que cette mention d'autres processus ait pu motiver la décision de la Commission, et l'on ne trouve nulle part, que ce soit dans la décision de la Commission ou dans le rapport de l'enquêtrice, une explication de la conclusion affirmant l'incompétence de la Commission selon l'alinéa 41(1)c), c'est-à-dire que les motifs de cette conclusion sont inexistants.

[9]                En principe, lorsque la Commission fonde sa décision sur le rapport d'un enquêteur et qu'elle fait sienne la conclusion de l'enquêteur sans autre explication ou exposé de motifs, les motifs de l'enquêteur sont alors réputés être ceux de la Commission. En l'espèce, la Commission n'expose pas de motifs à l'appui de sa conclusion, et l'enquêtrice n'expose pas de motifs pouvant appuyer sa conclusion.

[10]            La conclusion non motivée de la Commission ne répond pas, selon moi, à l'esprit ni à la lettre du paragraphe 42(1), qui précise, sous réserve d'une exception qui n'est pas ici applicable, ce qui suit :


[...] la Commission motive par écrit sa décision auprès du plaignant dans les cas où elle décide que la plainte est irrecevable.

[...] when the Commission decides not to deal with a complaint, it shall send a written notice of its decision to the complainant setting out the reason for its decision.



[11]            À mon avis, les circonstances de la présente affaire ne sont pas sans rappeler celles de l'affaire Kidd c. Greater Toronto Airports Authority, 2004 CF 683 (1re inst.), un cas où le juge Mosley, de la Cour fédérale, a conclu à une erreur de droit sujette à révision parce que la Commission n'avait pas répondu au seuil minimal d'exercice de sa compétence, un seuil établi par les principes de common law relatifs à l'équité procédurale, et par les exigences du paragraphe 42(1) de la Loi. Cette erreur justifie l'intervention de la Cour.

[12]            Je relève que, au cours de l'instruction de la présente affaire, les plaignantes ont soulevé plusieurs points sur les moyens qui permettraient de conclure à l'incompétence de la Commission, opposant l'irrecevabilité de tels moyens eu égard à la jurisprudence. Compte tenu des circonstances en l'espèce, je refuse d'examiner ces points car ce serait conjecturer sur les motifs possibles de la décision de la Commission. C'est à la Commission qu'il appartient d'exposer ses motifs, non à la Cour d'imaginer ce qu'ils auraient pu être ou ce qu'auraient pu être les motifs de la conclusion de l'enquêtrice qui a été acceptée par la Commission.

[13]            J'examinerai brièvement certains des points soulevés au nom du défendeur.

1)         D'abord, le défendeur dit que le procureur général du Canada est le défendeur approprié dans la présente instance, conformément à l'article 302 des Règles de la Cour fédérale (1998). L'avocat des demanderesses n'a pas fait opposition, et la Cour a ordonné que désormais la présente instance désigne, comme défendeur, uniquement le procureur général du Canada. Une ordonnance distincte en ce sens a été rendue à la suite de l'audience.


            2)         De l'avis du défendeur, la norme de contrôle est la norme de la décision raisonnable et, de l'avis des plaignantes, c'est la norme de la décision correcte. Puisque le point à décider ici concerne la compétence et puisque je n'examine pas le fond de la demande, si ce n'est la question de l'équité, la conclusion de la Commission n'étant pas motivée, contrairement à ce qu'exige la Loi, ce qui en fait une question de droit, la seule norme qui vaille ici est celle de la décision correcte. À mon avis, la Commission a commis une erreur parce qu'elle ne s'est pas conformée au droit.

            3)         L'imposition d'un revenu par l'ADRC, l'un des défendeurs désignés, ne serait pas un service selon la Loi, un point qu'il ne m'est pas nécessaire de décider à ce stade.

            4)         On affirme que l'ADRC ne peut appliquer la loi que selon ses termes et qu'elle était tenue de donner effet à la Loi de l'impôt sur le revenu et à son Règlement se rapportant aux taux d'intérêt. Je ne prétends pas décider ce point à titre définitif, mais cela me semble une simplification quelque peu excessive, car l'ADRC est tenue, comme toutes autres instances chargées d'appliquer les lois fédérales, de les appliquer d'une manière conforme à la Loi canadienne sur les droits de la personne.


            5)         Le défendeur dit qu'aucun acte discriminatoire n'était imputable à l'ADRC selon l'article 7 de la Loi, un point qu'il n'est pas nécessaire de décider aux fins de la présente décision.

[14]            Pour les motifs exposés, une ordonnance est rendue, qui fait droit à la demande de contrôle judiciaire et qui renvoie l'affaire à la Commission canadienne des droits de la personne, pour examen, le procureur général du Canada représentant vraisemblablement l'intérêt de toutes les branches du gouvernement du Canada dans la présente affaire.

[15]            À titre de remarque gratuite, je ferais observer que les parties concernées, après avoir passé des années à résoudre les plaintes portant sur l'équité salariale et à tenter de les résoudre d'une manière équitable, devraient revoir le processus que les plaignantes ici voient comme un processus qui perpétue les paiements inéquitables et auquel il devait être mis fin. Le fondement de la plainte ici est que l'application d'intérêts aux impôts exigibles est vue comme une mesure génératrice de paiements inéquitables, reniant du même coup la promesse d'une rémunération égale pour un travail d'égale valeur.

[16]            Une ordonnance est rendue, qui fait droit à la demande de contrôle judiciaire, qui annule la décision contestée de la Commission et qui renvoie la plainte des demanderesses à la Commission, pour réexamen, avec les dépens sollicités par les demanderesses.

                                                                      _ W. Andrew MacKay _              

                                                                                                     Juge                             

Ottawa (Ontario)

le 14 décembre 2004

Traduction certifiée conforme

D. Laberge, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                   T-104-04

INTITULÉ :                                  L'ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA ET CATHY MURPHY

c.

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :            OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :          LE 9 DÉCEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                  LE JUGE W. ANDREW MACKAY

DATE DES MOTIFS :                 LE 14 DÉCEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

David Yazbeck                                                                          POUR LES DEMANDERESSES

Sonia Barrette                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raven, Allen, Cameron

Ballantyne & Yazbeck

Ottawa (Ontario)                                                                       POUR LES DEMANDERESSES

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Ottawa (Ontario)

K1A 0H8                                                                                  POUR LE DÉFENDEUR


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