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Date : 20190808


Dossier : IMM-3832-18

Référence : 2019 CF 1059

Ottawa (Ontario), le 8 août 2019

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

LESTER SANTELIZ OBANDO ET

LUISA OBANDO

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Contexte

[1]  Le demandeur, Lester Santeliz Obando, est citoyen du Nicaragua. Le 27 février 2017, il entre au Canada en provenance des États-Unis accompagné de sa mère, Luisa Obando. Ils présentent une demande d’asile dans laquelle ils allèguent une crainte d’être persécutés par des formations politiques au Nicaragua.

[2]  Le 26 mai 2017, la mère du demandeur est informée par la Section de la protection des réfugiés [SPR] que sa demande d’asile est irrecevable au motif que le statut de réfugié lui a déjà été conféré et que ce statut ne lui a pas été retiré.  Le demandeur continue toutefois d’être représenté par sa mère devant la SPR, puisqu’il est mineur, étant âgé de dix-sept (17) ans.

[3]  Le 22 février 2018, la SPR tient une audience. Le demandeur témoigne ainsi que sa mère. Il est représenté par avocat. Le 10 mars 2018, le demandeur transmet des représentations écrites à la SPR.

[4]  Le 13 avril 2018, la SPR rejette la demande d’asile pour des motifs de crédibilité. Après avoir noté qu’un demandeur jouit d’une présomption de véracité, elle estime que les récits du demandeur et de sa mère manquent de détails sur les événements allégués de harcèlement et de violence et qu’ils démontrent plutôt un embellissement de la demande d’asile. De plus, elle est d’avis que le témoignage du demandeur à l’égard de l’un des événements de violence allégués est contradictoire et manque de spontanéité. Bien qu’elle accepte que le demandeur ait subi de la violence verbale et physique, la SPR considère que le demandeur n’a pas démontré que cette violence était liée au refus du demandeur de se joindre aux groupes politiques progouvernements. Elle ajoute que la documentation objective ne confirme pas non plus l’existence de violence politique  contre des personnes qui ne sont pas impliquées activement dans le débat politique. La SPR rejette donc l’allégation du demandeur selon laquelle il serait considéré comme « un ennemi » de l’état. Après examen des allégations de crainte particulières à la mère du demandeur, la SPR conclut que le demandeur n’a pas établi une possibilité sérieuse de persécution en raison de ses opinions politiques réelles ou imputées.

[5]  La SPR conclut également que le demandeur n’est pas une personne à protéger au sens de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. Elle réitère que le demandeur n’a pas démontré que la violence dont il a été victime était liée à ses opinions politiques ni qu’il était probable que de la violence similaire se reproduise dans le futur. Elle souligne que les trois (3) événements de violence n’impliquaient pas les mêmes personnes et n’ont pas eu de suite. Elle note de plus que le risque que de tels événements se reproduisent est limité puisque le demandeur a indiqué vouloir se concentrer uniquement sur ses études, ne pas souhaiter s’impliquer politiquement au Nicaragua et ne pas avoir dénoncé aux autorités les individus qui l’auraient attaqué.

[6]  Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.  Il reproche notamment à la SPR : (1) d’avoir violé l’équité procédurale en ayant omis de considérer l’affidavit du demandeur et celui d’un autre témoin; (2) d’avoir fait preuve de partialité en exprimant des commentaires désobligeants à l’égard du procureur du demandeur lors de l’audience; (3) d’avoir conclu de manière déraisonnable qu’il y avait des contradictions et des incohérences au dossier du demandeur; et (4) d’avoir omis de tenir compte de la Directive numéro 3 du président : Les enfants qui revendiquent le statut de réfugié [Directive].

II.  Analyse

[7]  Il est bien reconnu qu’une décision de la SPR fondée sur des questions de crédibilité est hautement factuelle et est susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir ce Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 53 [Dunsmuir]; Doualeh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 531 au para 16; Kanziga c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1014 au para 21; Rahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319 au para 22; Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 (QL) au para 4).

[8]  Lorsque la norme du caractère raisonnable s’applique, le rôle de la Cour est de déterminer si la décision appartient aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Si « le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité », il n’appartient pas à cette Cour d’y substituer l’issue qui lui serait préférable (Dunsmuir au para 47; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 59 [Khosa]).

[9]  Quant à l’allégation de manquement à l’équité procédurale, la Cour d’appel fédérale a récemment précisé que les questions d’équité procédurale ne se prêtent pas nécessairement à une analyse relative à une norme de contrôle. Le rôle de cette Cour est plutôt de déterminer si la procédure est équitable compte tenu de toutes les circonstances (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54; Dunsmuir au para 79).

[10]  La Cour estime que la décision de la SPR est raisonnable et que les arguments du demandeur concernant un manquement à l’équité procédurale sont sans fondement.

A.  Manquement à l’équité procédurale

[11]  Le demandeur soutient d’abord que la SPR ne pouvait rejeter les affidavits du demandeur et d’un témoin qui mentionnaient clairement que le demandeur avait été battu. Il allègue que le fait d’accorder peu de valeur probante à cette preuve constitue une violation à l’équité procédurale.

[12]  La Cour ne peut souscrire à cet argument pour les raisons suivantes.

[13]  Premièrement, il ne s’agit pas d’une question d’équité procédurale, mais plutôt d’une question relative à l’évaluation de la preuve.

[14]  Deuxièmement, la présomption de véracité établie dans l’affaire Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 (CA) (QL) [Maldonado] peut être réfutée en présence d’éléments de preuve contradictoires. En l’instance, la SPR considère qu’il y avait suffisamment d’éléments permettant de douter de la véracité du témoignage du demandeur, réfutant ainsi la présomption de l’affaire Maldonado.

[15]  Troisièmement, le fait que le demandeur s’est fait battre n’est pas contesté par la SPR. Elle estime cependant que cette violence n’a aucun fondement politique.

[16]  Quatrièmement, la SPR est présumée avoir considéré l’ensemble de la preuve. En l’instance, elle mentionne explicitement la preuve du témoin. Elle juge toutefois que le témoignage du demandeur sur l’incident décrit par le témoin dans son affidavit et l’omission de mentionner l’existence de ce témoin dans le formulaire de demande d’asile [FDA] initial et le FDA amendé ont pour effet de miner la crédibilité du demandeur.

[17]  Le procureur du demandeur soutient également que le membre de la SPR a fait preuve de partialité en exprimant des commentaires désobligeants à son égard. Il allègue notamment que le membre lui aurait posé les questions suivantes quant à ses origines ethniques : « De quel pays il vient, que mange-t-il dans son pays, il mange du foufou, est-il capable de faire des soumissions en anglais, etc. » Pour soutenir cette allégation, le procureur du demandeur s’appuie sur des notes qu’il a préparées et qui semblent faire office de transcription.

[18]  La Cour n’accorde aucune valeur à cette transcription. D’abord, elle n’est ni signée ni datée. De plus, elle n’est pas conforme à la transcription certifiée qui se trouve au dossier transmis par la SPR conformément à l’article 17 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés (DORS/93-22).

[19]  Bien qu’il soit vrai que le membre de la SPR ait demandé au procureur du demandeur s’il était confortable en anglais et en français, cette question a été posée dans le cadre d’une discussion portant sur les représentations que ferait le procureur du demandeur. Quant aux autres questions alléguées par le demandeur, celles-ci n’apparaissent pas dans la transcription contenue au dossier du tribunal.

[20]  Le demandeur allègue également que le membre de la SPR aurait fait des commentaires inappropriés envers le demandeur et sa mère avant l’audience. À nouveau, les allégations du demandeur ne sont tout simplement pas soutenues par la preuve.

B.  Raisonnabilité des conclusions de crédibilité

[21]  Le demandeur soutient qu’il était déraisonnable pour la SPR de conclure qu’il y avait des contradictions et incohérences dans le dossier.

[22]  Après examen du dossier et de la décision de la SPR, la Cour est d’avis que cet argument est sans fondement. Les incohérences et omissions soulevées lors des témoignages et dans les documents soumis au soutien de la demande d’asile permettaient à la SPR de douter de la crédibilité du demandeur et de ses allégations.

[23]  À titre d’exemple, la SPR souligne les éléments suivants :

  1. En réponse à la question 2a) de son FDA (sur lequel reposait celui du demandeur) qui cherche à savoir si la personne a déjà subi un préjudice, de mauvais traitements ou des menaces dans le passé de la part d’une personne ou d’un groupe, la mère du demandeur indique qu’elle a personnellement été maltraitée par un groupe progouvernemental. Ensuite, en réponse à la question 2b) du FDA où l’on demande d’expliquer en détail le préjudice, mauvais traitements ou menaces que la personne subirait advenant un retour dans le pays d’origine, la mère du demandeur indique que les malfaiteurs pourraient briser les fenêtres de sa maison puisqu’ils l’ont fait à d’autres. Puis, au paragraphe 17 de son affidavit daté du 30 janvier 2018, la mère du demandeur indique que les fenêtres de sa maison ont été brisées au mois de mars 2016. Appelée à expliquer cette incohérence lors de son témoignage, la mère du demandeur indique qu’elle n’était pas certaine qui avait brisé ses fenêtres et qu’elle était nerveuse au moment de compléter son FDA. La SPR rejette cette explication étant d’avis que si les fenêtres avaient été brisées, la demanderesse l’aurait indiqué dans son FDA. Le rajout de cet élément neuf (9) mois plus tard n’a que pour but d’embellir la demande d’asile.

  2. Concernant le troisième incident de violence allégué par le demandeur, celui-ci indique lors de l’audience qu’après l’agression physique, il a continué à marcher chez lui parce qu’il n’y avait personne pour l’aider. Après avoir pris une pause, le demandeur ajuste son témoignage pour préciser qu’un homme inconnu lui serait venu en aide et aurait repoussé ses agresseurs. Cet ajustement reflète l’affidavit du témoin discuté plus haut. Lorsque la SPR questionne le demandeur sur l’incohérence dans son témoignage, le demandeur ne fait que répéter la description ajustée de l’incident. La SPR note que cet homme inconnu n’est ni mentionné dans le FDA initial ni dans le FDA amendé du demandeur.

c.  Le FDA de la mère mentionne deux (2) événements, soit le 19 juillet 2014 et en octobre 2014. Le FDA amendé du demandeur, signé par sa mère, fait référence à trois (3) événements, le 19 juillet 2014, octobre 2014 et avant de quitter le Nicaragua. Ailleurs dans son FDA amendé, le demandeur traite également d’événements ayant lieu en mars 2016 et en octobre 2016, qu’il caractérise comme étant le dernier incident. Pour sa part, l’affidavit de la mère fait référence à trois (3) événements, le 19 juillet 2014, en mars 2016 et en octobre 2016. Le demandeur explique qu’il s’agit d’une erreur et que l’information correcte se trouve dans l’affidavit de sa mère. Tout en reconnaissant que l’erreur est humaine, et plus particulièrement, lorsqu’elle est commise par un mineur, la SPR souligne que les erreurs ont été commises à deux (2) reprises par la mère du demandeur.

[24]  Puisque ces incohérences et omissions portent sur des éléments centraux de la demande d’asile, il était tout à fait raisonnable pour la SPR de conclure que la crédibilité du demandeur avait été minée.

[25]  Bien que le demandeur ne soit pas d’accord avec les conclusions de la SPR, il ne revient pas à cette Cour de réévaluer et de soupeser la preuve de nouveau pour en arriver à une conclusion qui serait favorable au demandeur (Khosa au para 59).

C.  Omission de considérer la Directive

[26]  À cet égard, le demandeur affirme qu’il ne suffit pas de mentionner dans les motifs de la décision que la Directive a été prise en considération. Il reproche notamment à la SPR d’avoir omis de considérer la Directive dans son évaluation de la crédibilité du demandeur et d’avoir « pris tout son temps à contre-interroger de manière vigoureuse et stricte, seul le mineur du début à la fin de l’audience ».

[27]  Cet argument ne peut réussir.

[28]  D’abord, il a déjà été démontré que les conclusions de la SPR relatives à la crédibilité du demandeur étaient raisonnables à la lumière du dossier.

[29]  Ensuite, le demandeur avait dix-sept (17) ans lors de l’audience. Il était la seule personne pouvant témoigner sur les événements de violence qu’il avait subis. Si la SPR avait rejeté la demande d’asile du demandeur sans le questionner, le demandeur aurait sans doute fait valoir que la SPR avait l’obligation de l’interroger afin qu’il puisse fournir sa version des événements allégués.

[30]  Puis, comme il l’a été mentionné plus haut, la mère du demandeur a également témoigné lors de l’audience.

[31]  Enfin, alors qu’il aurait été possible pour le demandeur ou sa mère de déposer une déclaration assermentée sur le déroulement de l’instance devant la SPR,  il n’y a aucune preuve au dossier pouvant soutenir les allégations du demandeur et encore moins celle selon laquelle il aurait pleuré lors de l’audience.

III.  Conclusion

[32]  Pour ces motifs, la Cour est d’avis que la décision de la SPR appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » et qu’elle est justifiée d’une manière qui satisfait aux critères de transparence et d’intelligibilité du processus décisionnel (Dunsmuir au para 47).

[33]  Ainsi, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’a été soumise aux fins de certification et la Cour est d’avis que cette cause n’en soulève aucune.


JUGEMENT au dossier IMM-3832-18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3832-18

INTITULÉ :

LESTER SANTELIZ OBANDO ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 FÉVRIER 2019

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 8 AOÛT 2019

COMPARUTIONS :

Tshiombo Achille Kabongo

Pour leS demandeurS

Sarah Jiwan

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Achille Kabongo Law Office

Ottawa (Ontario)

Pour leS demandeurS

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

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