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Date : 20190822


Dossier : T‑457‑15

Référence : 2019 CF 1083

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario) le 22 août 2019

En présence de madame la juge St‑Louis

ENTRE :

ZARA NATURAL STONES INC.

demanderesse

et

INDUSTRIA DE DISENO TEXTIL, S.A

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS DU JUGEMENT

[1]  Zara Natural Stones Inc. (Natural Stones) interjette appel de la décision rendue le 16 janvier 2015 par la Commission des oppositions des marques de commerce (la Commission) au nom du registraire des marques de commerce, lequel rejetait sa demande d’enregistrement de la marque de commerce « ZARA » (la marque). En résumé, la Commission a déterminé que la marque pouvait créer de la confusion avec une autre marque de commerce, « ZARA HOME ».

[2]  Pour les motifs exposés ci‑dessous, il sera fait droit à l’appel, et l’affaire sera renvoyée à un tribunal de la Commission différemment constitué pour que celui‑ci statue à nouveau sur l’affaire.

I.  CONTEXTE

[3]  Le 18 juin 2012, Natural Stones a déposé une demande d’enregistrement de la marque, la demande no 1582505, fondée sur le fait que la marque est utilisée au Canada depuis au moins le 29 août 2011, pour les produits suivants (les produits) :

[traduction]

Blocs de pavage, nommément blocs de pavage calibrés, ensembles de blocs de pavage circulaires, blocs de pierres des champs, ensembles de blocs de pavage octogonaux, blocs de pavage et de jardin, blocs de pavage à surface brossée, blocs de pavage à surface nettoyée au jet de sable, blocs de pavage mosaïques ou blocs de pavage irréguliers, blocs de pavage taillés en carré, blocs de pavage polis.

Pavés, nommément pavés calibrés, ensembles de pavés circulaires, pierres des champs, ensembles de pavés octogonaux, dalles de pavage et de jardin, pavés à surface brossée, pavés à surface nettoyée au jet de sable, pavés mosaïques ou pavés irréguliers, dalles taillées en carré, pavés polis.

Petites dalles, nommément petites dalles calibrées, ensembles de petites dalles circulaires, petites pierres des champs, ensembles de petites dalles octogonales, petites dalles de pavage et de jardin, petites dalles à surface brossée, petites dalles à surface nettoyée au jet de sable, petites dalles mosaïques ou petites dalles irrégulières, petites dalles taillées en carré, petites dalles polies.

Pierres, nommément pierres à bords arrondis, pierres de bordures de trottoirs, pierres de bordures, pierres de couronnement taillées à la main, bordures, pierres naturelles à bords arrondis à la main pour dessus de poteau, pierres de murs et de maçonnerie pour aires piétonnières, parcs et jardins, pierres à pourtours de piscine, pierres taillées à la main pour dessus de poteau, pierres avec bordures moulées pour dessus de poteau, pierres lisses pour dessus de poteau, pierres de gué, globes en pierre lisse pour dessus de poteau, pierres pour la construction d’assises rocheuses, pierres pour la construction d’escaliers, pierres pour la construction de murs, chaperons.

[4]  À ce moment‑là, Industria de Diseno Textil, S.A. (Industria) détenait déjà un certain nombre de marques de commerce déposées, y compris plusieurs marques de commerce « ZARA » ainsi que la marque de commerce « ZARA HOME ». En outre, Industria avait présenté une demande d’enregistrement d’une autre marque de commerce « ZARA HOME », la demande n1191134, pour une foule de produits, entre autres [traduction« revêtements de plancher, notamment planches à parquet, pavés, tuiles ».

[5]  Le 13 février 2013, la demande présentée par Natural Stones a été annoncée à des fins d’opposition, ce qui confirmait encore une fois que la demande était fondée sur l’utilisation de la marque (dossier du demandeur, aux pages 38 et 39).

[6]  Le 21 février 2013, Industria a déposé une déclaration d’opposition, en vertu de l’article 38 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T‑13 [la Loi]. Dans cet avis d’opposition, Industria expose quelque 16 motifs d’opposition, incluant les motifs prévus aux alinéas 16(3)a), b) et c) de la Loi, qui concernent l’enregistrement d’une marque de commerce projetée (déclaration d’opposition, paragraphes 3.1 à 3.3). Il convient de souligner dès le départ que le paragraphe 16(1) de la Loi concerne l’enregistrement fondé sur l’utilisation.

[7]  Au premier paragraphe de sa déclaration d’opposition, Industria mentionne que la demande de Natural Stones est fondée sur l’utilisation. Toutefois, dans le reste de sa déclaration d’opposition, lorsqu’il est question de l’un des motifs d’opposition prévus à l’article 16 de la Loi, Industria renvoie uniquement au paragraphe 16(3), où il est question des marques de commerce que l’on projette d’employer, en utilisant des termes tirés du paragraphe 16(3), à savoir [traduction« emploi projeté » et [traduction« date de production de la demande », ce qui révèle que cette supposée confusion date seulement du jour où Natural Stones a déposé sa demande.

[8]  Le 3 mai 2013, Natural Stones a déposé sa contre‑déclaration, dans laquelle, essentiellement, elle nie chacun des motifs d’opposition d’Industria.

[9]  Le 7 janvier 2014, avec l’autorisation du registraire, Industria a modifié sa déclaration d’opposition dans le seul but d’ajouter des marques de commerce à sa liste. Industria n’a rien changé aux motifs d’opposition.

[10]  Devant la Commission, Natural Stones a présenté l’affidavit de M. Hasnain Ali Khatau, président de Natural Stones, souscrit le 17 décembre 2013, dans le but de prouver le type de produits vendus par Natural Stones et l’emploi de la marque. À titre d’élément de preuve à l’appui de son opposition, Industria a présenté l’affidavit de Mme Marie‑Pier Desbiens, stagiaire en droit, souscrit le 13 mai 2013, et y a joint des copies des marques de commerce et des demandes de marque de commerce dont il est question dans la déclaration d’opposition. Industria a également présenté l’affidavit de Mme Rosemarie Isabel Santos, directrice générale d’une filiale d’Industria, souscrit le 28 août 2013, prouvant l’utilisation par Industria de sa marque de commerce, ZARA, au Canada.

[11]  Les observations écrites présentées par Industria à la Commission tiennent en trois paragraphes, et il n’y est pas question des alinéas 16(1) ou 16(3) de la Loi. Industria fait plutôt valoir, en termes généraux, que Natural Stones [traduction« n’est pas une personne ayant droit à l’enregistrement d’une marque de commerce ».

[12]  Le 27 novembre 2014, la Commission a tenu audience pour entendre l’opposition d’Industria. Pendant l’audience, Industria a demandé verbalement l’autorisation de modifier sa déclaration d’opposition afin de remplacer tous les renvois au paragraphe 16(3) de la Loi par des renvois au paragraphe 16(1). La Commission a autorisé cette modification.

[13]  Le 16 janvier 2015, la Commission a rejeté la demande de Natural Stones, fondée uniquement sur l’alinéa 16(1)b) de la Loi, que le demandeur avait été autorisé à modifier. Dans sa décision, après avoir expliqué aux parties le fardeau respectif qui leur incombait, la Commission a d’abord parlé de la demande visant à modifier sa déclaration d’opposition présentée verbalement par Industria. La Commission a mis dans la balance les quatre critères énoncés dans la Pratique concernant la procédure d’opposition en matière de marque de commerce : (1) la demande d’autorisation de modifier la déclaration a été présentée à une étape avancée de la procédure d’opposition; (2) aucune explication n’a été donnée quant à la raison pour laquelle la modification n’a pas été apportée plus tôt, étant donné en particulier que la déclaration d’opposition avait déjà été modifiée une fois; (3) la modification est indiscutablement importante; (4) le tort qui serait causé à Natural Stones est minime, puisque Industria a clairement indiqué, dans sa déclaration d’opposition, que cette demande était fondée sur l’utilisation au Canada et puisque Natural Stones, dans sa contre‑déclaration, renvoie de manière générale à l’article 16. La Commission a conclu que Natural Stones a toujours su que l’intention d’Industria était d’invoquer le paragraphe 16(1). La Commission ajoute qu’Industria voulait s’appuyer sur le paragraphe 16(1) de la Loi et que le renvoi au paragraphe 16(3) découle tout simplement d’une erreur typographique. La Commission a conclu que les répercussions des deux derniers critères l’emportent sur les conséquences préjudiciables pour Industria des deux premiers critères, et elle accorde à Industria l’autorisation de modifier sa déclaration d’opposition.

[14]  Ensuite, la Commission a sommairement rejeté la plupart des 16 motifs d’opposition d’Industria, retenant uniquement ceux qui ont trait à la possibilité d’une confusion entre la marque et les marques de commerce d’Industria, à savoir l’alinéa 12(1)d), « marque de commerce enregistrable », les alinéas 16(1)a) et b), « droit à l’enregistrement », et l’article 2 de la Loi, « distinctive », pour, au bout du compte, retenir uniquement le motif d’opposition lié à l’alinéa 16(1)b).

II.  OBSERVATIONS DES PARTIES

A.  Position de Natural Stones

[15]  Devant le tribunal, Natural Stones a déposé des éléments de preuve supplémentaires, conformément au paragraphe 56(5) de la Loi : (1) l’affidavit de M. Hasnain Ali Khatau, souscrit le 9 août 2015; (2) l’affidavit de M. Brandon Chung, étudiant en droit, souscrit le 10 août 2015; (3) la transcription du contre‑interrogatoire de M. Khatau et de M. Chung.

[16]  Natural Stones affirme que (1) la Commission n’aurait pas dû autoriser Industria à modifier sa déclaration d’opposition; (2) les éléments de preuve supplémentaires présentés pendant la procédure vont avoir une incidence importante sur la décision de la Commission, alors que la norme de contrôle devrait être la norme du bien‑fondé; (3) la décision de la Commission n’est pas raisonnable; (4) la décision de la Commission est incorrecte.

[17]  En ce qui concerne l’autorisation de modifier la déclaration d’opposition, Natural Stones soutient que la Commission a mal évalué le critère énoncé dans le document Pratique concernant la procédure d’opposition en matière de marque de commerce puisqu’elle a autorisé la modification malgré le fait qu’un seul critère privilégiait Industria, à savoir l’importance de la modification.

[18]  En ce qui concerne la norme de contrôle, Natural Stones soutient que la norme applicable devrait être celle du caractère raisonnable, sauf si de nouvelles informations pouvant avoir une incidence importante sur la décision de la Commission étaient versées au dossier, auquel cas la Cour devra en venir à ses propres conclusions en ce qui concerne le bien‑fondé de la décision (Les Brasseries Molson, Société en nom collectif c. John Labatt Ltée, [2000], CF 159 (ACF), au paragraphe 28).

[19]  En ce qui concerne les éléments de preuve supplémentaires, Natural Stones affirme que les nouveaux éléments versés au dossier auraient une incidence importante sur l’analyse des trois facteurs qui, selon la Commission, penchent en faveur d’Industria : le degré de ressemblance, le genre de produits et les voies de commercialisation. Natural Stones fait valoir que la Commission n’avait reçu aucun élément de preuve touchant l’utilisation de la marque de commerce ZARA HOME d’Industria, les voies de commercialisation associées à cette marque ou la nature des activités commerciales de Natural Stones. Natural Stones soutient qu’elle a présenté des éléments de preuve à ce sujet au présent tribunal et que, selon ces nouveaux éléments de preuve, la Commission en serait arrivée aux conclusions suivantes : (1) les [traduction« pavés » visés par la marque de commerce ZARA HOME d’Industria sont en fait du revêtement de plancher, c’est‑à‑dire un matériau destiné à recouvrir des planchers existants, ce en quoi les tuiles sont différentes des matériaux de construction de Natural Stones; (2) les voies de commercialisation des deux parties sont différentes.

[20]  Natural Stones soutient que la conclusion de la Commission, selon laquelle une confusion est probable, est tout à la fois déraisonnable et incorrecte. Elle affirme que, en ce qui concerne la confusion, le critère applicable est « celui de la première impression que laisse dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé [la vue de la marque] […] [qui] ne s’arrête pas pour réfléchir à la question en profondeur […] » (Veuve Clicquot, au paragraphe 20). Le demandeur affirme que, compte tenu des nouveaux éléments de preuve, les facteurs énoncés au paragraphe 6(5) de la Loi devraient favoriser une conclusion selon laquelle la confusion au Canada est peu probable : (1) le « genre de produits ou d’entreprise » avantage Natural Stones. En effet, en Espagne, Industria utilise la marque de commerce ZARA HOME pour des articles d’ameublement et de décoration résidentiels, et ses produits, des revêtements de plancher, figurent dans le système de classification de Nice sous la catégorie 27, tandis que les produits de Natural Stones, des matériaux de construction non métalliques, y figurent dans la catégorie 19; (2) le facteur des « voies de commercialisation » avantage Natural Stones : essentiellement, Industria exploite des magasins de détail dans des centres commerciaux, tandis que Natural Stones exploite une zone d’embarquement située à l’extérieur d’un centre urbain, et les preuves de l’utilisation réelle sont pertinentes et l’emportent sur toute spéculation (Joseph E Seagram & Sons Ltd c Seagram Real Estate Ltd (1990), 33 CPR (3d) 454 (CF 1re inst.), à la page 469; McDonald’s Corp c Coffee Hut Stores Ltd (1994), 55 CPR (3d) 463 (CF 1re inst.), à la page 473; Jacques Vert Group Limited c YM Inc (Sales), 2014 CF 1242, au paragraphe 45 [Jacques Vert]; Alticor Inc c Nutravite Pharmaceuticals Inc, 2005 CAF 269, au paragraphe 37; Sum‑Spec Canada Ltd c Imasco Retail Inc (1990), 30 CPR (3d) 7 (Fed TD), à la page 13); (3) le « caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus » n’avantage ni l’une ni l’autre partie; (4) le facteur « période » avantage Natural Stones, qui utilise la marque de commerce ZARA depuis au moins le 29 août 2011, tandis qu’Industria n’a pas su prouver à quel moment elle a commencé à utiliser la marque de commerce ZARA HOME; (5) il ne faut pas accorder trop de poids au facteur du « degré de ressemblance », étant donné les différences entre les produits et les voies de commercialisation (Jacques Vert, au paragraphe 45; et (5); aucun élément de preuve n’a été présenté relativement au facteur de la ressemblance ou d’une confusion réelle.

B.  Position d’Industria

[21]  Industria répond (1) que la Commission n’a pas rendu une décision incorrecte ou déraisonnable lorsqu’elle l’a autorisée à modifier sa déclaration d’opposition; (2) que la norme de contrôle applicable est celle du caractère raisonnable étant donné que les éléments de preuve supplémentaires présentés par Natural Stones n’auraient pas eu une incidence importante sur les conclusions de la Commission (Mattel, Inc. c 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, au paragraphe 40 [Mattel]; United Grain Growers Ltd c Lang Michener, 2001 CAF 66, au paragraphe 8); (3) que la décision de la Commission n’est ni déraisonnable ni incorrecte.

[22]  En ce qui concerne l’autorisation de modifier la déclaration, Industria soutient que la Commission a tenu compte de manière appropriée des critères pertinents. Plus particulièrement, elle affirme que le critère relatif à « la raison pour laquelle la modification n’a pas été apportée plus tôt » n’est pas un critère décisif dans les circonstances, puisqu’elle n’avait pas l’intention d’ajouter un nouveau motif d’opposition ou d’élargir un motif existant. En outre, Industria fait valoir que le tort que subirait Natural Stones est minime puisque rien n’a été fait par surprise et que la modification était de nature purement technique.

[23]  Industria allègue que la Commission a appliqué les facteurs énoncés au paragraphe 6(5) de manière raisonnable et correcte et que la preuve présentée devant le tribunal par Natural Stones n’aurait pas influé sur la décision de la Commission.

[24]  En ce qui concerne le caractère distinctif inhérent des marques et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues, Industria soutient que la preuve additionnelle ne laisse en rien entendre que le mot « ZARA » est un prénom courant au Canada et que, quoi qu’il en soit, Natural Stones ne conteste pas la conclusion de la Commission à cet égard.

[25]  En ce qui concerne la période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage, Industria soutient que la preuve additionnelle ne montre pas que la marque a été employée au sens où l’entend le paragraphe 4(1) de la Loi et qu’il faut donc n’accorder qu’un poids limité à cette preuve. Industria ajoute que, d’une manière ou d’une autre, ce facteur n’est important que pour montrer que la marque de commerce est réellement et véritablement devenue distinctive, ce que Natural Stones a été incapable de faire (Mattel, au paragraphe 77).

[26]  En ce qui concerne le genre de produits, Industria soutient que la Commission a conclu à juste titre que les deux parties offrent des produits qui se recoupent, c’est‑à‑dire des produits qui [traduction« ont quelque chose en commun », ajoutant que la description des produits, dans une demande, ne doit pas être considérée comme étant exhaustive (Mattel, au paragraphe 53; Fisher Controls International Inc c Merak Products Ltd, 2003, CanLII 71292 (COMC), à la page 6). De plus, Industria soutient qu’il n’est pas nécessaire que les parties œuvrent dans le même secteur pour qu’il y ait une probabilité de confusion (Mattel, au paragraphe 65), ajoutant que, pour le consommateur ordinaire, le terme « pavés » désigne aussi bien les pavés proprement dits que les petites dalles et que la classification de Nice n’est pas en vigueur au Canada (Liverton Hotels International Inc c Maribel Linfield, 2012 COMC 8, au paragraphe 51). Industria ajoute que les éléments de preuve supplémentaires sont inutiles puisque les demandes [traduction« disent ce qu’elles disent » et que, contrairement à ce que soutient Natural Stones, il n’est pas nécessaire qu’Industria prouve qu’elle vend des petites dalles. (Exposé des faits et du droit d’Industria, au paragraphe 67).

[27]  En ce qui concerne la nature du commerce, Industria affirme que les éléments de preuve supplémentaires ne sont pas pertinents puisqu’ils ne montrent pas que la marque de commerce ZARA HOME est employée en association avec des pavés ou des dalles. En conséquence, tout élément de preuve touchant les voies de commercialisation est purement spéculatif. Industria soutient en outre que c’est une erreur d’insister sur la nature différente des produits et du commerce plutôt que de considérer la probabilité de confusion (Miss Universe Inc c Bohna (1995), 58 CPR (3d) 381 (ACF)). Industria ajoute qu’il est possible que les deux clientèles se recoupent et qu’il suffit qu’il existe une possibilité que les produits des parties soient vendus dans les mêmes points de vente (Caplan Industries Inc c 9158‑1298 Québec Inc, 2016 COMC 147, aux paragraphes 75 et 81; Cartier Men’s Shops Ltd c Cartier Inc (1981), 58 CPR (2d) 68 (CFPI), au paragraphe 72 [Cartier]).

[28]  En ce qui concerne le degré de ressemblance entre les marques de commerce, Industria fait remarquer que le premier élément d’une marque de commerce est souvent le plus important et que ce facteur est susceptible d’avoir le plus d’importance dans l’analyse relative à la confusion (Conde Nast Publications Inc c Union des éditions modernes (1979), 46 CPR (2d) 183 (CFPI); Masterpiece Inc c Alavida Lifestyles Inc, [2011] 2 RCS 387, au paragraphe 49).

[29]  Enfin, Industria souligne que les éléments de preuve touchant une réelle confusion ne sont pas pertinents, puisque le critère applicable est plutôt la probabilité d’une confusion (Cartier, au paragraphe 73).

III.  ANALYSE

[30]  Les parties ont soulevé un certain nombre de questions. Comme je l’explique plus loin, j’ai conclu que la décision de la Commission, qui, pendant l’audience, a autorisé Industria à modifier sa déclaration d’opposition, est déraisonnable dans les circonstances, et c’est pourquoi je fais droit à l’appel.

[31]  La Cour d’appel fédérale a procédé au contrôle d’une décision concernant l’autorisation de modifier une déclaration d’opposition en se fondant sur la norme du caractère raisonnable, dans McDowell c Automatic Princess Holdings, LLC, 2017 CAF 126, au paragraphe 30 [McDowell]; j’utiliserai donc la même norme.

[32]  Dans l’affaire dont a été saisie la Cour d’appel fédérale, Mme McDowell s’opposait à la demande d’enregistrement d’une marque de commerce déposée par une autre entreprise. Elle a demandé à la Commission l’autorisation d’invoquer l’enregistrement de ses propres marques de commerce, lequel s’était fait après qu’elle avait déposé sa déclaration d’opposition. La Commission lui a refusé l’autorisation de modifier sa déclaration d’opposition, et la Cour fédérale a maintenu ce refus. La Cour d’appel fédérale a déterminé que le refus était déraisonnable et renvoyé l’affaire à la Commission en lui ordonnant d’autoriser la modification.

[33]  La Cour d’appel fédérale a examiné certains facteurs et en est arrivée aux conclusions suivantes : (1) Mme McDowell a présenté sa demande de modification à une étape avancée des procédures, à savoir après que l’autre partie a présenté ses observations écrites, ce facteur étant toutefois atténué par le fait que le tort subi par l’autre partie pouvait être réparé par le seul fait de lui accorder du temps supplémentaire; (2) l’explication donnée était l’inadvertance; (3) l’autre partie était probablement au courant de l’omission de Mme McDowell puisque la déclaration d’opposition originale indiquait que l’enregistrement des marques de commerce était imminent et que, dans l’affidavit présenté plus tard par Mme McDowell, les enregistrements ont été déposés en preuve. La Cour d’appel fédérale ajoute que tout le temps qu’il a fallu pour traiter la première demande d’enregistrement constitue un facteur important qui aurait dû amener la Commission à autoriser la modification, puisque le refus d’une telle autorisation aurait eu pour effet de prolonger l’incertitude quant à cette demande. Ces délais extraordinaires ont contribué à faire de la décision de la Commission une décision déraisonnable.

[34]  Les faits ayant trait aux procédures actuelles, par rapport à ceux de McDowell, justifieraient de ne pas autoriser la modification. Premièrement, Industria a demandé cette modification seulement après le début de l’audience devant la Commission, et Natural Stones n’a pas obtenu de délai supplémentaire. Ensuite, Industria n’a donné aucune explication, même pas celle de l’inadvertance. Enfin, contrairement à ce que la Commission a conclu à ce chapitre, il n’est pas si clair que cela que Natural Stones savait qu’Industria avait l’intention d’invoquer le paragraphe 16(1) de la Loi, malgré ses références au paragraphe 16(3). De fait, l’erreur d’Industria ne semble pas être [traduction« une simple erreur typographique » comme la Commission l’avait conclu. En plus de citer des passages du paragraphe 16(3) de la Loi, la déclaration d’opposition d’Industria invoque uniquement la [traduction« date de production de la demande », soit la date qu’il convient d’utiliser pour évaluer le droit à l’enregistrement d’une marque de commerce en vertu du paragraphe 16(3), non pas du paragraphe 16(1).

[35]  De plus, la Commission a déclaré qu’Industria [traduction« avait clairement indiqué, dans sa déclaration d’opposition, que la demande produite était fondée sur l’usage au Canada ». Toutefois, même après avoir mentionné cet emploi dans son paragraphe d’introduction, Industria parle constamment de [traduction« l’emploi projeté » ou [traduction« la date de production de la demande » dans tout le reste de sa déclaration (Déclaration d’opposition, aux paragraphes 1.1, 1.2, 1.3, 1.5, 3.1, 3.2, 3.3). Au paragraphe 3.5, Industria va jusqu’à dire qu’il n’y a aucun droit à l’enregistrement, étant donné que [traduction« l’emploi de la marque n’est pas projeté, il est effectif ». La référence au paragraphe 16(3) ne peut donc pas raisonnablement être associée à une erreur typographique.

[36]  Compte tenu des facteurs exposés par la Cour d’appel fédérale dans McDowell et à la lumière des circonstances en l’espèce, je conclus que la décision de la Commission de permettre à Industria de modifier sa déclaration d’opposition n’est pas raisonnable dans les circonstances. Cette décision est incompréhensible et ne fait pas partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

[37]  Compte tenu de mes conclusions en l’espèce, il n’est pas nécessaire d’analyser les autres questions.


JUGEMENT dans le dossier T‑457‑15

LA COUR STATUE que :

  1. Il est fait droit à l’appel, et l’affaire est renvoyée à un tribunal de la Commission différemment constitué pour que celui‑ci statue à nouveau sur l’affaire;

  2. Des dépens sont accordés à la demanderesse, Zara Natural Stones Inc.

« Martine St‑Louis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 24e jour de septembre 2019.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

T‑457‑15

 

INTITULÉ :

ZARA NATURAL STONES INC. ET INDUSTRIA DE DISENO TEXTIL, S.A.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 MARS 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ST‑LOUIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 22 AOÛT 2019

COMPARUTION :

Michael Adams

 

POUR LA DEMANDERESSE

Catherine Bergeron

 

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Riches, McKenzie et Herbert LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDRESSE

Robic, S.E.N.C.R.L.

Avocats

Montréal (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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