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Date : 20190822


Dossier : IMM‑3879‑18

Référence : 2019 CF 1090

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 août 2019

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

demandeur

et

AHMED HASSAN MOHAMED HASSAN

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Contexte

[1]  Le demandeur conteste la décision rendue le 24 juillet 2018, par laquelle la Section d’appel de l’immigration [la SAI] a accordé au défendeur un sursis de trois (3) ans à la mesure d’interdiction de séjour prise contre lui le 31 décembre 2016.

[2]  Le défendeur est un citoyen de l’Égypte. Il est médecin de profession et se spécialise en médecine interne. Il a exercé principalement en Arabie saoudite.

[3]  Le 27 mai 2013, il est devenu résident permanent du Canada avec son épouse et leurs trois (3) filles. La famille est demeurée au Canada jusqu’au 10 juin 2013, moment où elle est retournée en Égypte et en Arabie saoudite.

[4]  Le défendeur et sa famille sont revenus au Canada le 24 juillet 2016. Le défendeur est reparti le 19 septembre 2016 et il est revenu le 30 décembre 2016 pour passer deux (2) semaines avec sa famille au Canada.

[5]  À son arrivée au point d’entrée au Canada, un agent d’immigration a établi un rapport d’interdiction de territoire en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Le rapport a été produit au motif que le défendeur ne s’était pas conformé à l’obligation de résidence énoncée à l’article 28 de la LIPR. L’agent d’immigration a noté que le défendeur : (i) était en possession d’un billet de retour vers l’Arabie saoudite, prévu pour le 14 janvier 2017; (ii) prévoyait seulement déménager et s’établir au Canada à l’été 2017; (iii) avait été effectivement présent au Canada pendant un total de soixante-treize (73) jours depuis qu’il était devenu résident permanent du Canada; (iv) ne pourrait accumuler cinq cent quarante-deux (542) jours supplémentaires pour un total de six cent quinze (615) jours que s’il restait au Canada jusqu’à la fin de la période de référence de cinq (5) ans. L’agent d’immigration a conclu que le défendeur ne s’était pas conformé à l’exigence réglementaire de résidence de sept cent trente (730) jours, et qu’il ne serait pas en mesure de le faire.

[6]  Le lendemain, un délégué du ministre a examiné le rapport de l’agent d’immigration, a confirmé la conclusion d’interdiction de territoire et a pris une mesure d’interdiction de séjour contre le défendeur.

[7]  Le défendeur a interjeté appel de la mesure d’interdiction de séjour à la SAI le 3 janvier 2017. Il n’a pas contesté la validité juridique de la mesure d’interdiction de séjour, mais il a demandé à la SAI de surseoir à son renvoi, en invoquant des circonstances d’ordre humanitaire justifiant de passer outre son manquement à l’obligation de résidence.

[8]  En attendant que son appel soit entendu, le défendeur a quitté le Canada et il a continué de travailler à l’étranger. Il est revenu au Canada à trois (3) autres occasions pour de courtes périodes, chacune de moins de vingt (20) jours. Le défendeur est entré au Canada pour la dernière fois le 7 mai 2018.

[9]  La SAI a entendu l’appel du défendeur le 18 juin 2018. Le 24 juillet 2018, la SAI a prononcé un sursis à la mesure de renvoi prise contre le défendeur pour une période de trois (3) ans, sous réserve de certaines conditions. L’une des conditions était que le défendeur soit effectivement présent au Canada pendant au moins sept cent trente (730) jours au cours de la période de trois ans. Le défendeur doit également se présenter à l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) tous les six (6) mois.

[10]  Dans ses motifs, la SAI a d’abord conclu que la mesure d’interdiction de séjour était valide en droit. Elle a ensuite cerné certains des facteurs pertinents dont il faut tenir compte pour établir s’il existe des circonstances d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales : (1) le degré de non-conformité; (2) le degré d’établissement initial et continu; (3) les motifs du départ; (4) les tentatives raisonnables de retour au Canada; (5) les liens familiaux au Canada; et (6) les difficultés pour le défendeur et les membres de sa famille. Après avoir examiné et soupesé chacun de ces facteurs, la SAI a conclu qu’il existait des motifs d’ordre humanitaire justifiant un sursis à la mesure de renvoi.

[11]  Le demandeur demande maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la SAI. Le demandeur soutient que la SAI a commis une erreur en concluant que : (1) l’établissement futur, prospectif ou hypothétique au Canada est un facteur qui peut permettre de surmonter le manquement à l’obligation de résidence; (2) l’établissement de membres de la famille au Canada peut servir à démontrer l’établissement du défendeur au Canada; et (3) l’intérêt supérieur des enfants est un facteur prépondérant dans l’analyse des motifs d’ordre humanitaire. Le demandeur soutient également que la SAI n’a pas tenu compte des arguments importants présentés par le demandeur.

[12]  Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que l’intervention de la Cour n’est pas justifiée.

II.  Analyse

[13]  Il est bien établi que la décision de la SAI de prendre ou non des mesures spéciales pour des considérations d’ordre humanitaire relève de sa discrétion et emporte une analyse de questions de faits ou de questions de droit et de faits. Les conclusions de la SAI sont assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable et commandent une grande retenue de la part de la Cour (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux par. 57 et 58 [Khosa]; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Abderrazak, 2018 CF 602, au par. 16 [Abderrazak]; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Abou Antoun, 2018 CF 540, au par. 15 [Abou Antoun]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Hassan, 2017 CF 413, aux par. 21 et 22 [Hassan]; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Lotfi, 2012 CF 1089, au par. 13 [Lofti]).

[14]  Lorsque la norme de la décision raisonnable s’applique, le rôle de la Cour lors du contrôle judiciaire consiste à établir si la décision « appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir]). Il peut y avoir plusieurs résultats raisonnables et « si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable » (Khosa, au par. 59).

A.  L’établissement du défendeur

(1)  Établissement futur prospectif et conjectural

[15]  Le demandeur fait valoir que la décision de la SAI est erronée, parce qu’elle est fondée sur un facteur non pertinent, soit les [traduction] « possibilités d’établissement futur » du défendeur au Canada. À l’appui de cet argument, le demandeur souligne plusieurs passages de la décision de la SAI. Par exemple, la SAI a écrit que le défendeur est « prêt à revenir immédiatement au Canada » (paragraphe 13) et qu’il « a clairement affirmé en l’espèce qu’il est prêt, pour retrouver les membres de sa famille et commencer leur vie ensemble, à rompre immédiatement tout lien avec l’Arabie saoudite, et a précisé que son contrat prendra fin en 2018 » (paragraphe 16). De l’avis du demandeur, ce libellé laisse entendre que le défendeur ne s’était, en fait, pas établi au Canada et qu’il avait l’intention de le faire seulement après septembre 2018, date à laquelle son contrat en Arabie saoudite devait prendre fin.

[16]  Je conviens avec le demandeur que la détermination de l’établissement n’est pas un exercice prospectif. La SAI doit simplement tenir compte de l’établissement réel au moment de rendre sa décision (Nassif c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 873, au par. 33; Abderrazak, au par. 30; Abou Antoun, au par. 27; Hassan, au par. 24; Lotfi, aux par. 21 et 23; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mukerjee, 2012 CF 310, au par. 7).

[17]  Toutefois, en passant en revue la décision de la SAI ainsi que le dossier qui lui a été soumis, on remarque que la décision n’était pas fondée sur les possibilités d’établissement futur du défendeur au Canada et que l’établissement futur n’était pas un facteur important dans la conclusion de la SAI d’accorder une mesure spéciale au défendeur.

[18]  Les éléments de preuve présentés à la SAI démontrent clairement que le défendeur avait effectivement commencé à s’établir au Canada. Le défendeur a déclaré qu’il avait quitté son emploi en Arabie saoudite en avril 2018 et qu’il n’y retournerait pas, même si son contrat devait se terminer en septembre 2018. Il a également déclaré qu’il avait vendu sa voiture et ses meubles en Arabie saoudite et qu’il n’avait plus de résidence là-bas. Il a aussi expliqué qu’il s’était renseigné sur la façon de pratiquer la médecine (ou une profession connexe) au Canada. Il a également déclaré que, depuis son retour au Canada, il suivait des cours de formation linguistique.

[19]  La preuve documentaire corroborait le témoignage du défendeur. Le rapport du Système intégré de l’exécution des douanes [SIED] de l’ASFC a révélé que la plus récente entrée du défendeur au Canada remontait au 7 mai 2018. Dans une lettre datée du 3 avril 2018, le chef de la médecine interne et directeur médical de l’hôpital où le défendeur travaillait en Arabie saoudite a également déclaré que le défendeur y était employé jusqu’au 3 avril 2018.

[20]  Après avoir lu la décision dans son ensemble, je suis convaincue que la SAI avait compris que le défendeur était revenu au Canada. Je reconnais que la formulation utilisée par la SAI dans les paragraphes sur lesquels le demandeur s’appuie (paragraphes 13 et 16) peut porter à croire que la SAI était d’avis que le défendeur n’était pas encore revenu au Canada et qu’il avait l’intention de le faire seulement à la fin de son contrat en septembre 2018. Toutefois, les éléments de preuve présentés à la SAI démontrent le contraire. La SAI a examiné ces éléments de preuve ailleurs dans la décision. Au paragraphe 12 de ses motifs, la SAI a reconnu que le défendeur était de retour au Canada lorsqu’elle a écrit « [m]aintenant que son époux est ici, que les enfants sont un peu plus âgées et qu’elles sont mieux adaptées à leur nouvelle vie, elle pourra, avec un peu de chance, travailler comme graphiste et contribuer à la société ».

[21]  Après avoir examiné la preuve, la SAI a explicitement conclu que le défendeur n’avait pas de degré initial d’établissement et qu’il n’est « lui-même pas totalement [établi] aujourd’hui, contrairement à sa famille ». Bien que la SAI ait tenu compte des mesures prises récemment par le défendeur pour s’établir au Canada et de sa contribution financière au bien-être de sa famille dans son analyse du facteur de l’établissement, elle n’a pas précisé explicitement si le degré d’établissement du défendeur au Canada était un facteur favorable ou défavorable dans l’analyse globale des considérations d’ordre humanitaire. Toutefois, la SAI a bel et bien réitéré, dans son analyse du facteur des difficultés, que « le manquement est considérable et il n’y avait aucun fort degré d’établissement » (au par. 15). Compte tenu de cet énoncé, je ne suis pas d’accord pour dire que la SAI a tiré une conclusion favorable au sujet de l’établissement du défendeur au Canada, et je ne suis pas non plus d’accord pour dire que l’établissement a été un facteur important dans sa décision de surseoir au renvoi du défendeur. Je suis convaincue que la SAI a dûment tenu compte de l’établissement du défendeur et que son évaluation était raisonnablement étayée par la preuve.

(2)  L’établissement de la famille du défendeur

[22]  Le demandeur soutient également que la SAI a mal interprété les faits de l’affaire et qu’elle a commis une erreur en assimilant l’établissement de la famille à celui du défendeur.

[23]  Premièrement, le demandeur fait valoir que la SAI a déclaré à tort que la famille du défendeur est revenue au Canada « [p]eu après leur départ » le 10 juin 2013, alors qu’elle était effectivement à l’étranger pendant plus de trois (3) ans. Selon le demandeur, l’utilisation des mots « [p]eu après leur départ » pour caractériser la durée de cette absence est inexplicable. Deuxièmement, le demandeur soutient que la SAI a commis une erreur en déclarant que, étant donné que les filles du défendeur étaient arrivées au Canada en 2016, il était venu au Canada « plus fréquemment, soit six fois environ » (au par. 6). La preuve a plutôt démontré que le défendeur était revenu au Canada quatre (4) fois après son séjour du 24 juillet 2016 au 19 septembre 2016. Troisièmement, le demandeur soutient que la SAI a commis une erreur en minimisant l’obligation de résidence, du fait qu’elle a accepté que le défendeur n’ait qu’à faire établir sa famille au Canada et contribuer à son bien-être financier pour maintenir son statut, même s’il a continué de vivre et de travailler à l’étranger. Selon le demandeur, la situation du défendeur est très semblable à celle de l’affaire Abou Antoun.

[24]  Je ne suis pas convaincue par ces arguments.

[25]  Premièrement, bien que la SAI ait noté que l’épouse du défendeur et leurs trois (3) filles sont retournées au Canada « [p]eu après leur départ » en mai 2013, la SAI a correctement relevé qu’elles étaient revenues en 2016. La SAI savait clairement que la famille du défendeur était absente du Canada du 10 juin 2013 au 24 juillet 2016. De plus, le nombre de jours où le défendeur a été effectivement présent au Canada n’est pas contesté, et la SAI a raisonnablement conclu que le degré du manquement était élevé. À mon avis, le fait que la SAI a utilisé l’expression « [p]eu après leur départ » ne constitue pas une erreur susceptible de révision.

[26]   Deuxièmement, je suis également d’avis qu’il n’y a pas de différence importante entre conclure que le défendeur est revenu au Canada « six fois environ » ou quatre (4) fois. La SAI a formulé ces commentaires dans le contexte de l’examen de l’établissement du défendeur au Canada, et elle a finalement conclu qu’il n’y avait pas de degré d’établissement initial solide. La SAI a fort probablement noté que le défendeur était revenu au Canada « six fois environ » en s’appuyant sur le rapport du SIED, lequel contient six (6) entrées depuis que le défendeur a obtenu le droit d’établissement au Canada le 27 mai 2013.

[27]  Troisièmement, je reconnais que la SAI a tenu compte des contributions effectuées et des sacrifices déployés par le défendeur pour établir les membres de sa famille au Canada, et que les membres de sa famille étaient effectivement établis depuis 2016. Toutefois, la SAI n’a pas déclaré que cela était déterminant pour l’établissement du défendeur au Canada. Le demandeur a raison de dire que l’établissement de membres de la famille au Canada ne peut être assimilé à l’établissement d’un demandeur individuel. Toutefois, en l’espèce, contrairement à l’affaire Abou Antoun, la SAI n’a jamais conclu qu’il suffisait que les membres de la famille du défendeur soient établis au Canada. Au lieu de cela, comme il a été mentionné précédemment, la SAI a expressément conclu que le défendeur n’était pas lui-même pleinement établi, contrairement à sa famille.

(3)  Le défaut d’examiner des arguments et la jurisprudence

[28]  Enfin, le demandeur soutient que la SAI n’a pas tenu compte de ses arguments et de la jurisprudence pertinente concernant les questions mentionnées ci-dessus. À l’audience de la SAI, le demandeur a déposé des sommaires de décisions portant sur ces questions. La SAI n’a examiné aucun d’entre eux. Le demandeur fait valoir que le défaut de la SAI de faire la distinction entre le cas du défendeur et les situations factuelles et les principes juridiques énoncés dans les affaires Abou Antoun, Lofti et Hassan équivaut à un défaut de tenir compte de la preuve.

[29]  Je ne suis pas de cet avis.

[30]  Premièrement, le demandeur n’a pas démontré en quoi une analyse de la jurisprudence constitue un examen de la preuve.

[31]  Deuxièmement, l’arrêt de la Cour suprême du Canada Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses] mentionne que les motifs n’ont pas besoin d’inclure tous les arguments et la jurisprudence (Newfoundland Nurses, au par. 16). Ce qui importe est de savoir si les motifs permettent à la cour de révision de comprendre pourquoi le tribunal a rendu sa décision et si la conclusion appartient aux issues acceptables. En l’espèce, je suis convaincue que les motifs de la SAI répondent à ces deux critères.

[32]  Troisièmement, bien que la SAI n’ait pas expressément mentionné les décisions par leur nom, elle y a fait référence lorsqu’elle a fait remarquer que, « contrairement à [la situation dans] d’autres affaires semblables », le défendeur a déclaré qu’il était prêt à rompre tous les liens avec l’Arabie saoudite pour être avec sa famille et s’engager dans leur vie ici ensemble (au par. 16). Il s’agit d’un facteur à prendre en considération, « car il arrive souvent dans ce type d’affaires que les appelants affirment qu’ils doivent encore rester à l’étranger pendant quelques années » (au par. 13). Ce libellé est conforme à la jurisprudence citée par le demandeur, de sorte qu’il n’était pas nécessaire que la SAI renvoie à ces affaires.

B.  L’intérêt supérieur des enfants

[33]  Le demandeur soutient que la SAI a commis une erreur en concluant que l’intérêt supérieur des enfants est un « facteur essentiel » dans l’analyse des motifs d’ordre humanitaire. La jurisprudence établit clairement que l’intérêt supérieur des enfants est un facteur parmi d’autres (Semana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1082, au par. 28 [Semana]). Autrement, presque tous les appels de la SAI concernant des enfants seraient accueillis (Semana, au par. 28). Selon le demandeur, l’analyse de la SAI à cet égard est incompatible avec le principe selon lequel la prise de mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire constitue un recours exceptionnel et extraordinaire (Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 187, aux par. 25 et 26). Enfin, le demandeur soutient que la conclusion de la SAI selon laquelle le défendeur est « très présent dans la vie de ses enfants » est déraisonnable, puisqu’il était essentiellement absent du Canada de 2013 à 2018, à l’exception de brèves visites.

[34]  Je ne suis pas convaincue que l’utilisation par la SAI du terme « essentiel » visait à faire en sorte que l’intérêt supérieur de l’enfant l’emporte sur tous les autres facteurs d’ordre humanitaire. En fait, la SAI a clairement indiqué que « l’aspect le plus important » du dossier du défendeur était le facteur relatif aux liens familiaux du défendeur au Canada. Par conséquent, je ne peux conclure que le critère de l’intérêt supérieur de l’enfant a « prim[é] » sur les autres facteurs à prendre en considération dans la présente demande pour des motifs d’ordre humanitaire, comme l’a formulé le juge Denis Gascon à des fins de mise en garde dans l’arrêt Semana. Je remarque également que la SAI a utilisé le mot « essentiel » lorsqu’elle a fait référence aux principes directeurs énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy]. À mon avis, l’utilisation de ce terme par la SAI illustre simplement que la SAI était consciente de la notion selon laquelle l’intérêt supérieur des enfants est un facteur important à prendre en considération, comme il est énoncé dans l’arrêt Kanthasamy.

[35]  De plus, le demandeur n’a pas réussi à me convaincre qu’il était déraisonnable pour la SAI de conclure que le défendeur est « très présent dans la vie de ses enfants ». La SAI a entendu le témoignage du défendeur et de son épouse. Il incombait à la SAI d’examiner et de soupeser les éléments de preuve. Après examen de la preuve, je suis convaincue que cette conclusion lui était loisible. Le demandeur aurait procédé à une appréciation différente de la preuve; toutefois, le rôle de la Cour dans le cadre du contrôle judiciaire n’est pas de pondérer la preuve à nouveau afin d’en arriver à un résultat différent.

III.  Conclusion

[36]  Compte tenu de la déférence que la Cour doit à la SAI à l’égard des motifs d’ordre humanitaire et de la nature hautement discrétionnaire de ces décisions, je conclus que le demandeur n’a pas démontré l’existence d’une erreur susceptible de révision justifiant l’intervention de la Cour. La SAI a soupesé les facteurs d’ordre humanitaire pertinents à la lumière de la preuve. Elle a finalement conclu que la mesure de redressement appropriée consistait à surseoir à la mesure de renvoi pour une période de trois (3) ans, sous réserve de conditions, y compris l’obligation pour le défendeur de demeurer au Canada pendant au moins deux (2) de ces trois (3) ans. La décision est justifiée, transparente et intelligible (Dunsmuir, au par. 47).

[37]  Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’a été proposée aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑3879‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 18e jour de septembre 2019

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3879‑18

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE c AHMED HASSAN MOHAMED HASSAN

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 FÉVRIER 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 22 AOÛT 2019

COMPARUTIONS :

Daniel Latulippe

POUR LE DEMANDEUR

Ohannes Kechichian

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

Kechichian Avocats

Avocats

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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