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Date : 20190821


Dossier : IMM-1283-19

Référence : 2019 CF 1088

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 21 août 2019

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

XIANGDONG YU

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

(Prononcés à l’audience à Vancouver (Colombie-Britannique) le 19 août 2019.)
(La syntaxe et la grammaire ont été corrigées.)

I.  Aperçu

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration [la SAI] a accueilli l’appel interjeté par le demandeur, jugeant qu’il existait des considérations d’ordre humanitaire suffisantes pour lever l’interdiction de territoire pour fausses déclarations visant le défendeur. Je suis d’avis de rejeter la demande de contrôle judiciaire pour les motifs qui suivent.

II.  Le contexte

[2]  Le défendeur, M. Yu, s’est établi au Canada à titre d’immigrant investisseur avec sa première épouse et son fils en novembre 2011. Dans sa demande de résidence permanente, ainsi que plusieurs fois par la suite, il a omis de déclarer qu’il avait eu deux filles avec une autre femme, qui est aujourd’hui sa seconde épouse.

[3]  M. Yu a quatre enfants : (i) un fils qu’il a eu avec sa première épouse et qui l’accompagnait lorsqu’il s’est établi au Canada à titre de résident permanent avec cette dernière; (ii) deux filles qu’il a eues avec sa seconde épouse, qu’il n’a pas déclarées dans ses formulaires d’immigration, et qui sont nées aux États-Unis avant que M. Yu obtienne le statut de résident permanent au Canada; (iii) puis une troisième fille qui est née au Canada de l’union entre M. Yu et sa seconde épouse.

[4]  L’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] a eu connaissance de la fausse déclaration de M. Yu lorsqu’il a présenté une demande en vue de parrainer sa seconde épouse. L’ASFC a par conséquent mené une enquête. Lors d’un interrogatoire, M. Yu a reconnu avoir omis de déclarer qu’il avait deux filles au moment de son établissement au Canada.

[5]  L’affaire a ensuite été déférée à la Section de l’immigration [la SI], qui a conclu que M. Yu avait fait une fausse déclaration aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], et pris une mesure de renvoi contre lui. M. Yu a alors interjeté appel devant la SAI.

III.  La décision examinée

[6]  Bien que la SAI ait conclu que la mesure de renvoi était valide puisque nul ne contestait le fait que M. Yu avait omis de divulguer l’existence de ses filles, elle a jugé que l’intérêt supérieur de tous les enfants touchés était suffisant pour prendre une mesure spéciale en vertu de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR. La SAI a aussi fourni d’autres raisons pour lesquelles elle estimait que M. Yu méritait l’octroi d’une dispense, dont les points saillants sont repris dans la conclusion de sa décision, reproduite ci-dessous :

[41] En l’espèce, les fausses déclarations étaient délibérées et sérieuses, mais l’appelant n’a pas acquis son statut de résident permanent grâce à ces fausses déclarations. En appliquant le principe de la proportionnalité à l’appréciation des facteurs d’ordre humanitaire, il s’ensuit qu’il n’est pas nécessaire que les facteurs favorables soient irrésistibles. Cela étant dit, les facteurs favorables sont nombreux dans la présente affaire et appuient une issue favorable.

[42] L’appelant a exprimé ses remords, non seulement à l’audience de la SAI, mais aussi au début de 2014 quand il a commencé à se rendre compte de l’importance de son erreur. Le temps qu’il a passé au Canada – une présence intermittente pendant quatre ans grâce à un permis de travail et, depuis 2011, à titre de résident permanent – est d’ampleur moyenne. Le degré d’établissement de l’appelant et de sa famille au Canada est important.

[43] Les motifs d’ordre humanitaire les plus favorables sont l’intérêt supérieur des enfants de l’appelant, les liens familiaux au Canada et les effets négatifs qu’aurait la séparation du demandeur d’avec sa famille. Même si l’intérêt supérieur des enfants n’est pas à lui seul déterminant pour le présent appel, l’intégration du fils et des filles de l’appelant à la société canadienne constitue un facteur important en l’espèce. Il serait trop sévère d’arracher les filles de l’appelant à leur vie au Canada, ou de les séparer de leur père, en raison de fausses déclarations qui n’ont avantagé personne. Les filles de l’appelant semblent s’épanouir au Canada, et l’appelant est en mesure de leur assurer et d’assurer à son épouse une vie stable. En outre, il est dans l’intérêt supérieur du fils de l’appelant que son père maintienne une relation étroite avec lui et demeure proche de lui, même s’il aborde l’âge adulte. J’accorde un poids important à l’intérêt supérieur des enfants et je conclus que la famille subirait des difficultés déraisonnables si l’appelant était renvoyé du Canada.

[44] L’exécution de la mesure de renvoi serait une sanction disproportionnée pour les fausses déclarations de l’appelant. À la lumière des circonstances de la présente affaire, y compris l’intérêt supérieur des enfants comme je l’ai signalé ci-dessus, j’estime qu’il y a des motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales. Il est fait droit à l’appel.

[7]  Par ailleurs, il convient de noter que l’alinéa 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (DORS/2002-227) n’a fait l’objet d’aucune allégation ou question au cours de l’instance devant la SAI.

IV.  La question en litige et la norme de contrôle applicable

[8]  La question en litige consiste à savoir si la décision de la SAI était raisonnable. Les décisions de la SAI prises en vertu de sa compétence en equity prévue à l’alinéa 67(1)c) de la LIPR, en fonction de considérations d’ordre humanitaire, doivent être examinées au regard de la norme de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, par. 57‑59).

V.  Analyse

La décision était-elle raisonnable?

[9]  Le ministre soutient qu’il était déraisonnable pour la SAI de conclure qu’il existait des considérations d’ordre humanitaire suffisantes pour lever l’interdiction de territoire visant le défendeur, étant donné que ces considérations étaient fondées sur l’intérêt supérieur d’enfants dont le statut au Canada est temporaire. Toutefois, je juge que la décision de la SAI est raisonnable.

[10]  La SAI a examiné attentivement (i) la gravité des fausses déclarations de M. Yu; (ii) les difficultés et perturbations qu’il subirait si la mesure de renvoi était exécutée; (iii) les remords qu’il a exprimés; (iv) l’établissement de sa famille et lui au Canada; et, finalement, (v) l’intérêt supérieur de ses enfants. Elle a jugé de façon raisonnable que l’exécution de la mesure de renvoi serait une conséquence disproportionnée au regard des fausses déclarations de M. Yu. La SAI a conclu qu’« il conv[enait] de signaler que la divulgation de l’existence de ses deux filles en 2011 n’aurait probablement eu aucune incidence sur l’obtention de son statut au Canada » (décision, par. 19).

[11]  La jurisprudence établit que la gravité des fausses déclarations et leur incidence sur l’acquisition du statut constituent un facteur pertinent pour l’analyse des considérations d’ordre humanitaire (Duquitan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 769, par. 10; Qureshi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 238, par. 19‑21).

[12]  Je conviens avec le défendeur que la SAI savait que les deux filles de M. Yu n’avaient qu’un statut temporaire, mentionnant qu’elles se trouvaient au Canada à titre de « visiteuses » depuis 2014 et qu’elles étaient munies de visas d’étudiants. La SAI savait aussi que l’ASFC avait pris connaissance des fausses déclarations de M. Yu en raison de la demande qu’il avait présentée en vue de parrainer son épouse, et des deux filles à charge visées dans la demande. En outre, la SAI a également tenu compte de l’intérêt supérieur des deux autres enfants (voir, par exemple, les paragraphes 35 et 37-39 de la décision).

[13]  Tous les facteurs pris en compte dans l’analyse des considérations d’ordre humanitaire ont été jugés favorables. Par conséquent, même si j’étais d’accord avec le ministre pour dire que la SAI n’a pas [traduction] « entièrement soupesé » le fait que deux des filles de M. Yu ont un statut temporaire au Canada, cela ne rendrait pas la décision de la SAI déraisonnable pour autant, vu les divers autres facteurs qui ont été jugés favorables à M. Yu.

[14]  Enfin, je conclus que le bien-fondé des décisions sur lesquelles s’est appuyé le ministre, chacune ayant des faits et des circonstances qui lui sont propres, n’ébranle aucunement les conclusions factuelles et juridiques tirées par la SAI ni le caractère raisonnable de sa décision. Les décisions en question sont les suivantes : Yuan c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 578, Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 841, Lovo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 329, ainsi que ma décision dans l’affaire Yu c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2018 CF 1281.

VI.  Conclusion

[15]  La SAI a effectué une appréciation équilibrée des diverses considérations d’ordre humanitaire, y compris le statut au Canada des personnes à charge, les remords exprimés, l’établissement au Canada, la gravité des fausses déclarations ainsi que l’intérêt supérieur des enfants. La demande de contrôle judiciaire est rejetée sans dépens.


JUGEMENT dans le dossier IMM-1283-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 3e jour de septembre 2019

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER 


DOSSIER :

IMM-1283-19

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c XIANGDONG YU

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 août 2019

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :

Le juge DINER

DATE DES MOTIFS :

Le 21 août 2019

COMPARUTIONS :

Brett Nash

POUR LE DEMANDEUR

Aleksandar Stojicevic

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DEMANDEUR

Maynard Kischer Stojicevic

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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