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Date : 20050419

Dossier : IMM-6188-04

Référence : 2005 CF 520

Ottawa (Ontario), le 19 avril 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

ENTRE :

ROUKOZ FRANÇOIS

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]       François Roukoz est un citoyen du Liban qui prétend craindre avec raison dtre persécuté du fait de sa participation à l'aile étudiante des Forces libanaises (FL).

[2]       La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande de M. Roukoz au motif qu'une grande partie de son témoignage ntait pas crédible. M. Roukoz demande maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la


Commission en alléguant que plusieurs conclusions de la Commission en matière de crédibilité étaient manifestement déraisonnables.

Allégations de M. Roukoz

[3]       M. Roukoz est un chrétien maronite et membre des FL. Les FL sont un groupement chrétien qui appuie le retrait des forces syriennes du Liban. Les FL ont étéabolies officiellement en 1994 mais le groupe existe toujours clandestinement. Il est interdit par la loi dtre membre des FL au Liban.

[4]       M. Roukoz dit qu'il faisait partie de l'aile étudiante des FL en 1996. En 1999, il est devenu officiellement membre de l'organisation.

[5]       M. Roukoz dit qu'en 2000, il a été détenu par les services de renseignements libanais qui tentaient d'obtenir de l'information sur les FL. Il prétend avoir étémaltraité pendant sa détention.

[6]       Le 7 août 2001, M. Roukoz a participé à une manifestation de protestation. Les manifestants demandaient le retrait des forces syriennes du Liban. Pendant la manifestation, les membres de la police secrète (tant syrienne que libanaise) ont attaquécertains protestataires. Cependant, M. Roukoz affirme qu'il s'en est tiré indemne.


[7]       Deux jours plus tard, les membres des services de renseignements libanais ont de nouveau arrêté M. Roukoz qui a été interrogé au sujet de sa participation à la manifestation. Après sa détention, M. Roukoz a été mis sous surveillance, vraisemblablement par les services de renseignements du Liban.

[8]       M. Roukoz a fait l'objet d'une nouvelle menace, cette fois, des balles de Kalachnikov ont été déposées devant sa maison. M. Roukoz a quitté immédiatement son village et il s'est rendu chez ses parents à Beyrouth, où il a continué de participer aux activités des FL.

[9]       M. Roukoz affirme qu'au printemps 2002, il a été détenu et interrogé à deux reprises par la police secrète libanaise concernant les activités des FL. Le 26 avril 2002, M. Roukoz assistait à une réunion des FL quand des coups ont été tirés sur M. Roukoz et ses collègues des FL, Ramzi, Eid et Mrad. Personne n'a été blessé et tous ont pu s'enfuir. C'est cet incident qui a incité M. Roukoz à fuir le Liban.

[10]     M. Roukoz est arrivé au Canada le 16 mai 2002, et il a demandé l'asile le 30 mai 2002.


Décision de la Commission

[11]     La question déterminante, selon la Commission, était celle de la crédibilité du demandeur. Dans sa décision, la Commission a mentionnéplusieurs raisons de conclure que M. Roukoz ntait pas un témoin crédible.

[12]     Après avoir conclu que M. Roukoz ntait pas crédible, la Commission a ajouté qu'il n'avait pas prouvé qu'il avait été persécuté au Liban ni qu'il y avait plus qu'une simple possibilité qu'il serait persécuté s'il devait retourner au Liban. Sa demande d'asile a donc été rejetée.

Question en litige

[13]     La seule question en litige dans la présente demande est de savoir si les conclusions de la Commission en matière de crédibilité étaient manifestement déraisonnables.

Analyse

[14]     M. Roukoz conteste plusieurs conclusions de la Commission. Après avoir examiné le dossier, notamment la transcription de l'audience, ainsi que les rapports sur la situation dans le pays en cause, je suis d'avis que la Commission pouvait raisonnablement tirer un grand nombre des conclusions contestées et qu'il n'y a pas lieu de les modifier.


[15]     Cependant, pour les motifs décrits plus loin et malgré la très grande retenue dont le tribunal doit faire preuve lors du contrôle judiciaire de ce type de décision, je suis d'avis que la Commission a commis une erreur relativement à plusieurs conclusions qui seront examinées tour à tour.

La carte de membre

[16]     M. Roukoz a dit, dans son témoignage, qu'il était membre des FL depuis 1999. Il a produit en preuve, à l'appui de son allégation, une copie de sa carte de membre. Selon cette carte, la « date d'affiliation » de M. Roukoz serait le 01/06/2001. La Commission a donc conclu que M. Roukoz ntait pas crédible quand il affirmait être devenu membre des FL en 1999.

[17]     Lorsque cette contradiction apparente a étésignalée à M. Roukoz pendant l'audience, ce dernier a expliqué qu'il avait perdu sa première carte de membre et que la carte produite à l'audience avait été émise par les FL comme carte de remplacement. M. Roukoz a souligné que le numéro de la carte était le 574/99. Selon M. Roukoz, cela établissait qu'il était devenu membre des FL en 1999.


[18]     La Commission n'a pas retenu l'affirmation de M. Roukoz selon laquelle il avait perdu sa carte. Elle a dit qu'elle préférait se fonder sur la « date d'affiliation » inscrite sur la carte. La Commission n'a toutefois pas mentionné que le numéro de la carte était le 574/99 et elle n'a pas non plus expliquépourquoi elle avait rejeté l'argument de M. Roukoz selon lequel ce chiffre établissait qu'il stait joint aux FL en 1999.

[19]     Un organisme juridictionnel est réputé avoir examiné toute la preuve dont il est saisi. Toutefois, lorsqu'il y a une preuve importante qui contredit carrément la conclusion de la Commission sur une question fondamentale, la Commission est tenue d'analyser cette preuve et d'expliquer pourquoi elle en a préféré une autre : Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35 (C.F. 1re inst.).

[20]     Certes, il est loisible à la Commission de préférer une preuve documentaire à celle d'un demandeur d'asile, mais lorsque la preuve documentaire permet de tirer deux conclusions différentes, la Commission doit expliquer pourquoi elle a choisi une conclusion plutôt qu'une autre. Il en est particulièrement ainsi lorsque, comme en l'espèce, l'appartenance de M. Roukoz aux FL et les conséquences qui s'en suivent sont fondamentales pour ce qui touche sa demande d'asile.


L'emprisonnement

[21]     Dans son témoignage, M. Roukoz a dit qu'il avait été détenu à au moins quatre reprises. Toutefois, le 30 mai 2002, M. Roukoz a signé un formulaire concernant sa demande d'asile dans lequel il dit qu'il n'a jamais été détenu ou emprisonné au Liban. La Commission en a tiré une conclusion négative contre M. Roukoz et elle a décidé qu'il n'avait jamais été détenu ou emprisonné.

[22]     M. Roukoz a étéinterrogé au sujet de cette contradiction dans son témoignage. Il a expliqué qu'il n'avait pas rempli le formulaire lui-même, mais que ctait une dame du Bureau de l'Immigration et de la Citoyenneté qui l'avait rempli. Le formulaire avait été rempli en anglais, une langue que M. Roukoz ne comprend pas très bien.

[23]     Les motifs de la Commission ne permettent pas de conclure qu'elle a tenu compte de cette explication. La question de savoir si M. Roukoz a été détenu pendant qu'il vivait au Liban était fondamentale relativement à sa demande. Ainsi, encore une fois, alors que la Commission pouvait rejeter le témoignage de M. Roukoz à cet égard, elle ne pouvait toutefois pas en faire abstraction.


La lettre de Sarkis

[24]     M. Roukoz a remis une lettre de Joseph Sarkis à la Commission. M. Sarkis est le président du « Kateab et Forces Libanaises » à Ottawa. La lettre confirme la participation continue de M. Roukoz au Kateab et aux FL au Canada depuis son arrivée en mai 2002.

[25]     La lettre mentionne également que la situation demeure instable au Liban pour tous les membres des FL, surtout les dirigeants du mouvement étudiant.

[26]     La Commission n'a pas reconnu la valeur probante de la lettre en invoquant qu'elle aurait dû mentionner que M. Rouzok lui-même serait exposé à un risque s'il retournait au Liban, à cause de son appartenance à l'organisation canadienne.


[27]     La Commission n'a pas mis en doute l'authenticité de la lettre qui établit clairement l'engagement continu de M. Roukoz à lgard de la cause des FL. La lettre affirme, à tort ou à raison, que tous les membres des FL sont exposés à un risque au Liban. La Commission était tenue dvaluer la valeur probante de la lettre raisonnablement et de prendre à cet égard la décision qui lui semblait opportune. Toutefois, la question de savoir si M. Roukoz lui-même serait exposé à un risque s'il devait retourner au Liban était une question à laquelle la Commission, plutôt que M. Sarkis, devait répondre. Compte tenu de la description faite par M. Sarkis de la situation à laquelle font face tous les membres des FL au Liban, il était, selon moi, manifestement déraisonnable pour la Commission de rejeter la lettre pour la raison qu'elle a invoquée.

Conclusion

[28]     J'ai conclu que la Commission n'avait pas commis d'erreur en tirant plusieurs conclusions de fait, mais elle s'est trompée au sujet de plusieurs autres conclusions qui sont fondamentales pour ce qui touche la demande d'asile de M. Roukoz. Il est vrai, comme le prétend le défendeur, qu'il faut lire la décision dans son ensemble et qu'il ne faut pas l'examiner à la loupe, mais je ne puis affirmer, avec certitude, que la Commission aurait tiré la même conclusion relativement à la demande si elle n'avait pas commis ces erreurs. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

Certification

[29]     Aucune des parties n'a proposé une question de certification et aucune question ne sera certifiée.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :


1.          La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la question est renvoyée à un tribunal différemment constituée pour nouvelle décision.

2.          Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

                 « Anne Mactavish »

Juge


                                                       COUR FÉDÉRALE

                                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                 IMM-6188-04

INTITULÉ:                                 ROUKOZ FRANÇOIS

                                  demandeur

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

L=IMMIGRATION

                                   défendeurs

LIEU DE L'AUDIENCE :         OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :        LE 12 AVRIL 2005

MOTIFS DE L=ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :              MADAME LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :               LE 19 AVRIL 2005

COMPARUTIONS:

ME NICOLE GOULET

POUR LE DEMANDEUR


ME ALEXANDER GAY

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

NICOLE GOULET

HULL (QUÉBEC)

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS, c.r.

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

POUR LE DÉFENDEUR


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