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Date : 20040706

Dossier : T-2041-03

Référence : 2004 CF 961

Ottawa (Ontario), le 6 juillet 2004

EN PRÉSENCE DE L'HONORABLE JUGE BEAUDRY

ENTRE :

                                                            WILFRID COMEAU

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                            AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

                                                                             

                                                                                                                                      défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision du ministre du Revenu national (Ministre) rendue le 7 octobre 2003 en vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), c. 1 (LIR) laquelle décision accueillait partiellement une demande d'annulation d'intérêts par le demandeur.


FAITS

[2]                Le 12 mai 1993, le demandeur a produit sa déclaration d'impôt pour l'année 1992. Le 1er novembre 1995, l'Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC) attribuait de façon interne aux fins de vérification le dossier de la société d'exploration minière Explorations Acabit Inc. (Acabit), société dans laquelle le demandeur avait investi 50 000 $ en 1992, pour bénéficier d'un abri fiscal.

[3]                En effet, 45 000 $ étaient déductibles du revenu du contribuable et ce dernier se voyait obtenir une ristourne de 18 000 $ par une autre compagnie. En mars 1996, l'ADRC a décidé de faire une enquête plus approfondie sur Acabit car cette dernière était soupçonnée de fraude.

[4]                Le 26 juin 1997, une nouvelle cotisation pour l'année 1992 était acheminée au demandeur. Cette cotisation avait pour effet, entre autre, de réduire de façon importante la déduction de 45 000 $ initialement prévue. Le 10 juillet 1997, M. Comeau envoyait un chèque de 8 271,65 $ et détaillait le calcul de ce qu'il estimait devoir à l'ADRC. Le 5 août, le demandeur déposait un avis d'opposition concernant la cotisation du 26 juin 1997.


[5]                La Cour supérieure du Québec trouvait Acabit coupable de fraude fiscale en 2000. Le 11 septembre 2000, le demandeur se voyait émettre une nouvelle cotisation pour l'année 1992. Le 13 octobre de la même année, il présentait une première demande d'annulation des intérêts qui lui fut refusée le 2 octobre 2001. Sa deuxième demande d'annulation des intérêts est datée du 6 novembre 2001 et cette demande a été refusée le 15 novembre 2001. Il présenta donc une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale. Dans une ordonnance rendue le 28 mai 2003 (dossier T-2222-01), la Cour annulait la décision négative du 15 novembre 2001 et renvoyait le dossier pour qu'une nouvelle décision soit prise par l'ADRC après qu'elle ait considéré les nouvelles représentations écrites de la part du demandeur.

DÉCISION CONTESTÉE

[6]                Le 7 octobre 2003, pour se conformer à l'ordonnance rendue par le juge Martineau et suite aux recommandations formulées par le Comité, Sylvain St-Denis, sous-commissaire intérimaire, Direction générale des appels, a rendu une décision selon laquelle les intérêts sur arriérés étaient annulés pour la période du 24 mai 1996 au 9 juin 1997 et ce, afin de tenir compte du délai dans le traitement du dossier du demandeur.

QUESTION EN LITIGE

[7]                La décision du 7 octobre 2003 est-elle manifestement déraisonnable?

[8]                Pour les motifs suivants, je réponds par l'affirmative et j'accueillerai donc la présente demande de contrôle judiciaire en partie.

ANALYSE


[9]                Une décision fondée sur la disposition relative à l'équité (paragraphe 220(3.1) de la LIR) est une décision qui est de nature discrétionnaire. La norme de contrôle applicable est celle de l'erreur manifestement déraisonnable (Barron c. Canada (ministre du Revenu national) (1997), 209 N.R. 392 (C.A.), [1997] A.C.F. no 175 (QL); Cheng c. Canada (2001), 213 F.T.R. 85, 2001 CFPI 1114; Laviolette c. Canada (Agence des douanes et du revenu), [2004] A.C.F. no 229 (QL), 2004 CF 176).

[10]            Selon le demandeur, la décision du 7 octobre 2003 n'est pas conforme à l'ordonnance du juge Martineau ni aux règles applicables à l'ADRC, et elle révèle la mauvaise foi de l'ADRC.

[11]            Selon la défenderesse, la décision du 7 octobre 2003 respecte le paragraphe 220(3.1) de la LIR, les Lignes directrices concernant l'annulation des intérêts et des pénalités, IC-92-2 (Lignes directrices) et l'ordonnance du juge Martineau.

[12]            Le paragraphe 220(3.1) de la LIR prévoit ce qui suit :


(3.1) Le ministre peut, à tout moment, renoncer à tout ou partie de quelque pénalité ou intérêt payable par ailleurs par un contribuable ou une société de personnes en application de la présente loi, ou l'annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 152(4) à (5), le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation.

(3.1) The Minister may at any time waive or cancel all or any portion of any penalty or interest otherwise payable under this Act by a taxpayer or partnership and, notwithstanding subsections 152(4) to 152(5), such assessment of the interest and penalties payable by the taxpayer or partnership shall be made as is necessary to take into account the cancellation of the penalty or interest.


[13]            Les articles suivants des Lignes directrices prévoient ce qui suit :



5. Il sera convenable d'annuler la totalité ou une partie des intérêts ou des pénalités, ou de renoncer à ceux-ci, si ces intérêts ou ces pénalités découlent de situations indépendantes de la volonté du contribuable ou de l'employeur. Voici des exemples de situations extraordinaires qui pourraient empêcher un contribuable, un agent d'un contribuable, l'exécuteur d'une succession ou un employeur de faire un paiement dans les délais exigés ou de se conformer à d'autres exigences de la Loi de l'impôt sur le revenu :

a) une calamité naturelle ou une catastrophe provoquée par l'homme comme une inondation ou un incendie;

b) des troubles civils ou l'interruption de services comme une grève des postes;

c) une maladie grave ou un accident grave;

d) des troubles émotifs sérieux ou une souffrance morale grave comme un décès dans la famille immédiate.

6. L'annulation des intérêts ou des pénalités ou la renonciation à ceux-ci peuvent également être justifiées si ces intérêts ou pénalités découlent principalement d'actions attribuables au Ministère comme dans les cas suivants :

a) des retards de traitement, ce qui a eu pour effet que le contribuable n'a pas été informé, dans un délai raisonnable, de l'existence d'une somme en souffrance;

b) des erreurs dans la documentation mise à la disposition du public, ce qui a amené des contribuables à soumettre des déclarations ou à faire des paiements en se fondant sur des renseignements erronés;

c) une réponse erronée qu'un contribuable ou un employeur a reçue concernant une demande de

renseignements comme dans le cas où le Ministère a informé par erreur un contribuable qu'aucun acompte provisionnel n'est nécessaire pour l'année en cours;

d) des erreurs de traitement;

e) des renseignements fournis en retard comme dans le cas où un contribuable n'a pu faire les paiements voulus d'acomptes provisionnels ou d'arriérés parce qu'il n'avait pas les renseignements nécessaires.

10. Le Ministère tiendra compte des points suivants dans l'étude des demandes d'annulation des intérêts ou des pénalités ou de renonciation à ceux-ci :

a) si le contribuable ou l'employeur a respecté, par le passé, ses obligations fiscales;b) si le contribuable ou l'employeur a, en connaissance de cause, laissé subsister un solde en souffrance qui a engendré des intérêts sur arriérés;

c) si le contribuable ou l'employeur a fait des efforts raisonnables et s'il n'a pas fait preuve de négligence ni d'imprudence dans la conduite de ses affaires en vertu du régime d'autocotisation;

d) si le contribuable ou l'employeur a agi avec diligence pour remédier à tout retard ou à toute omission.

5. Penalties and interest may be waived or cancelled in whole or in part where they result in circumstances beyond a taxpayer's or employer's control. For example, one of the following extraordinary circumstances may have prevented a taxpayer, a taxpayer's agent, the executor of an estate, or an employer from making a payment when due, or otherwise complying with the Income Tax Act:

(a) natural or human-made disasters such as, flood or fire;

(b) civil disturbances or disruptions in services such as, a postal strike;

(c) a serious illness or accident; or

(d) serious emotional or mental distress such as, death in the immediate family.

6. Cancelling or waiving interest or penalties may also be appropriate if the interest or penalty arose primarily because of actions of the Department, such as:

(a) processing delays which result in the taxpayer not being informed, within a reasonable time, that an amount was owing;

(b) material available to the public contained errors which led taxpayers to file returns or make payments based on incorrect information;

(c) a taxpayer or employer receives incorrect advice such as in the case where the Department wrongly advises a taxpayer that no instalment payments will be required for the current year;

(d) errors in processing; or

(e) delays in providing information such as the case where the taxpayer could not make the appropriate instalment or arrears payments because the necessary information was not available.

10. The following factors will be considered when determining whether or not the Department will cancel or waive interest or penalties:

(a) whether or not the taxpayer or employer has a history of compliance with tax obligations;

(b) whether or not the taxpayer or employer has knowingly allowed a balance to exist upon which arrears interest has accrued;

(c) whether or not the taxpayer or employer has exercised a reasonable amount of care and has not been negligent or careless in conducting their affairs under the self-assessment system;

(d) whether or not the taxpayer or employer has acted quickly to remedy any delay or omission.


[14]            Mon analyse portera sur trois périodes.

Période avant le début de la vérification du 1er novembre 1995

[15]            Le mandat du Comité était de déterminer s'il y avait eu des délais non raisonnables entre le 26 juillet 1993, date de la cotisation initiale pour l'année 1992 et le 11 septembre 2000, date du traitement de l'opposition par l'émission d'une nouvelle cotisation.

[16]            Les conclusions du Comité à ce sujet se retrouvent au compte-rendu du 23 septembre 2003 :

Une annulation des intérêts pour la période qui précède le 24 novembre 1995, date du début de la vérification, n'est pas justifiée. Le système fiscal en est un d'autocotisation et la Loi de l'impôt sur le revenu ( « la Loi » ) prévoit un délai normal de nouvelle cotisation qui permet de vérifier, contrôler et maintenir ce système.

[17]            Je ne considère pas cette conclusion comme manifestement déraisonnable.


Période du début de la vérification à la nouvelle cotisation du 26 juin 1997

[18]            Voici ce que le compte-rendu de la réunion du Comité du 23 septembre 2003 établit :

La période de 18.5 mois qui s'est écoulée entre le 24 novembre 1995, date du début de la vérification et le 9 juin 1997, date des mesures de cotisation, est supérieure à la norme de 6 mois qui est considéré raisonnable pour effectuer une vérification. M. Comeau ne devrait pas être pénalisé du fait que les sociétés minières ont fait l'objet d'une enquête et que celle-ci a contribué au délai mis à émettre la nouvelle cotisation du 26 juin 1997. Basé sur cette norme de 6 mois, la vérification de dossier de M. Comeau aurait dû normalement se terminer en mai 1996.

[...]

Basé sur ce qui précède, le Comité recommande d'annuler les intérêts pour la période de 12.5 mois qui s'est écoulée entre le 24 mai 1996, date à laquelle une vérification aurait pris fin selon la norme de 6 mois, et le 9 juin 1997, date des mesures de cotisation.

[19]            En regardant la Chronologie établie par l'ADRC, je note que la vérification a débuté le 1er novembre 1995 avec l'établissement de la formule T979 et l'attribution du cas Exploration Acabit, et non lors du début de la vérification sur place le 24 novembre 1995.

[20]            Je ne puis dire que la décision de l'ADRC concernant cette période est manifestement déraisonnable à l'exception de la date du début de la vérification soit le 1er novembre 1995. En conséquence, le « délai normal de vérification » de 6 mois se termine le 1er mai 1996. Cela signifie que les intérêts doivent être annulés du 1er mai 1996 au 9 juin 1997.


Période après la cotisation du 26 juin 1997 jusqu'au 11 septembre 2000, date du traitement de l'opposition et la nouvelle cotisation pour l'année 1992.

[21]            Le compte-rendu de la réunion mentionne ce qui suit :

M. Comeau a été informé de l'existence d'un solde en souffrance avant de soumettre son avis d'opposition et il a laissé subsister ce solde qui a engendré des intérêts sur arriérés. Par conséquent, la période qui s'est écoulée au stage (sic) de l'opposition, telle que l'attente du résultat des poursuites contre les fraudeurs et la période qui s'est écoulée avant que M. Comeau n'ait eu la certitude qu'une fraude avait été commise, ne justifie pas une annulation des intérêts.

[22]            Le Comité a tenu compte de l'article 10b) des Lignes directrices pour en arriver à cette détermination. Je ne peux donc conclure que la décision de M. St-Denis est manifestement déraisonnable concernant la demande d'annulation des intérêts après la période du 26 juin 1997.

[23]            Le demandeur allègue des erreurs de traitement dans sa cotisation du 26 juin 1997. Il prétend aussi que l'ADRC a considéré à deux reprises comme gain de capital la ristourne de 18 000 $ qu'il a reçue. Je suis d'accord avec les représentations de la défenderesse que le présent recours n'est pas approprié. En effet, la contestation du bien-fondé d'une cotisation se fait par la signification d'une opposition et, par la suite par un appel à la Cour canadienne de l'impôt.


[24]            M. Comeau soutient que la décision de la défenderesse est entachée de mauvaise foi. Je ne suis pas d'accord, car le Comité a considéré les représentations supplémentaires de M. Comeau tel qu'exigé par l'ordonnance du juge Martineau. De plus, avant de faire des recommandations finales, le Comité a demandé des renseignements supplémentaires concernant la vérification et l'enquête menée dans le dossier du demandeur. Il a aussi considéré l'esprit et l'intention du paragraphe 220(3.1) de la Loi.

[25]            Pour ce qui est des réponses de Mme Suzanne Albert au nom de l'ADRC à l'interrogatoire écrit du demandeur, je ne puis dire qu'elles démontrent de la mauvaise foi. Cette personne s'est occupée au nom de la défenderesse à préparer la documentation nécessaire pour l'examen de la demande d'annulation d'intérêts du demandeur. Elle était présente à la réunion du 23 septembre 2003 et n'a pas participé à la vérification ou à l'enquête menée dans le dossier du demandeur. Il m'est impossible à la lumière de la documentation déposée, d'identifier de la mauvaise foi à l'encontre de cette personne.

[26]            Le demandeur se plaint aussi qu'on l'aurait forcé à signer une renonciation le 5 juin 1996. Il est évident que si cette renonciation n'avait pas été signée, la défenderesse aurait émis une nouvelle cotisation immédiatement au lieu du 26 juin 1997 . D'ailleurs le demandeur aurait pu révoquer sa renonciation selon le paragraphe 152 (4) de la Loi.

CONCLUSION

[27]            La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie partiellement. La décision du 7 octobre 2003 être annulée. Le présent dossier est renvoyé à la défenderesse pour qu'un de ses représentants autorisé n'ayant pas participé aux décisions relatives au dossier prenne une nouvelle décision qui respectera la directive suivante de la Cour.


[28]            En raison des dates erronées utilisées pour calculer le début de la vérification et l'avis de la nouvelle cotisation en 1997, les intérêts auraient dû être annulés du 1er mai 1996 au 9 juin 1997 (et non du 24 mai 1996 au 9 juin 1997). L'ADRC devra donc annuler les intérêts pour ces journées supplémentaires. Il n'y aura pas de frais car le succès est partagé.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

1.         La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie partiellement. La décision du 7 octobre 2003 être annulée. Le présent dossier est renvoyé à la défenderesse pour qu'un de ses représentants autorisé n'ayant pas participé aux décisions relatives au dossier prenne une nouvelle décision qui respectera la directive suivante de la Cour.

2.         En raison des dates erronées utilisées pour calculer le début de la vérification et l'avis de la nouvelle cotisation en 1997, les intérêts auraient dû être annulés du 1er mai 1996 au 9 juin 1997 (et non du 24 mai 1996 au 9 juin 1997). L'ADRC devra donc annuler les intérêts pour ces journées supplémentaires.

3.         Il n'y aura pas de frais car le succès est partagé.

                "Michel Beaudry"                

Juge


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                     

DOSSIER :                                         T-2041-03

INTITULÉ :                                        WILFRID COMEAU c.

AGENCE DES DOUANES ET DU

REVENU DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                            Le 30 juin 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   L'HONORABLE JUGE BEAUDRY

DATE DES MOTIFS :                                   Le 6 juillet 2004

COMPARUTIONS :

Wilfrid Comeau                                     POUR LE DEMANDEUR

(se représente lui-même)

Marie-Claude Landry                            POUR LE DÉFENDEUR

Maria Grazia Bittichesu

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Wilfrid Comeau                                     POUR LE DEMANDEUR

Brossard (Québec)                                (se représente-lui-même)

Morris Rosenberg                                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)


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