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Date : 20041116

Dossier : IMM-9512-03

Référence : 2004 CF 1611

Toronto (Ontario), le 16 novembre 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

ENTRE :

                                                     HILARIO IBARRA-LERMA

EUGENIA DIAZ-CAZARES

MARGARITA IBARRA-DIAZ

VANESSA ALEMAN-DIAZ

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                          défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                En l'espèce, les demandeurs sont des citoyens du Mexique qui demandent la protection des réfugiés face aux autorités gouvernementales mexicaines, au motif de leurs opinions politiques. Il s'agit de : Hilario Ibarra Lerma (le demandeur d'asile masculin), sa conjointe de fait, Eugenia Diaz Cazares (la demanderesse d'asile féminine), ainsi que leurs enfants, Margarita Ibarra Diaz (la première demanderesse d'asile mineure) et Vanessa Aleman Diaz (la seconde demanderesse d'asile mineure).


[2]                Dans sa décision rejetant la revendication du demandeur, la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a fait le résumé suivant du contexte, résumé qui n'est pas contesté :

Les demandeurs d'asile sont originaires de Durango, dans ltat de Durango. La demandeure d'asile est la fille de Mme Maria Eugenia Casares (la « mère » ), qui a obtenu le statut de réfugiée au sens de la Convention en février 2000, après avoir été victime de persécution par suite de ses efforts en vue d'obtenir justice pour sa fille, Yessica Yadira ( « Yessica » ), violée par trois agents de la police judiciaire de Durango en mars 1997. Yessica et sa mère se sont battues pour obtenir justice pour ce crime, mais elles ont plutôt été victimes et persécutées par les représentants de ltat de Durango. Cette persécution a entraîné la mort de Yessica en juin 1997. Après le décès de Yessica, les membres de la famille de sa mère ainsi que d'autres personnes qui les appuyaient ont entrepris de divulguer cet événement à lchelle nationale et internationale.

En conséquence, les membres de la famille de la mère ont été victimes d'intimidation et de harcèlement, ont fait l'objet de diffamation publique, ont été battus et/ou torturés, ont été la cible de coups de feu, et des automobilistes ont tenté de les renverser.

(Décision, p. 1)

[3]                Suite à la persécution des membres de la famille de la mère, telle que décrite, les demandeurs ont quitté Durango en juin 1998. Selon leur témoignage, ils ont cherché à échapper aux agents de persécution en se rendant ailleurs au Mexique, notamment à La Paz, à Tijuana et à Aguacalientes. Bien que la SPR n'ait pas accepté leur preuve au sujet d'une crainte justifiant la fuite après que les demandeurs eussent quitté Durango, elle a néanmoins tiré la conclusion suivante :

Le tribunal admet qu'il existe une possibilité sérieuse que les demandeurs d'asile soient persécutés s'ils devaient retourner au Mexique aujourd'hui et vivre à Durango. Cependant, pour obtenir le statut de réfugiés au sens de la Convention, ils doivent remplir tous les critères énoncés dans la définition de « réfugié au sens de la Convention » , y compris la responsabilité de prouver qu'ils n'ont aucune possibilité de refuge intérieur (PRI) au Mexique. Deux PRI ont été trouvées, soit Mexico et Aguacalientes.

(Décision, p. 3)


[4]                Tous conviennent que le rejet de demande de protection est motivé par la conclusion de la SPR que les demandeurs d'asile ont une PRI à Mexico. Le fond de cette conclusion est énoncé comme suit :

S'il est vrai que les agents dtat à Mexico ont trouvé la mère en mai 1998, je suis d'avis que le dossier du demandeur d'asile est différent de celui de la mère. En mai 1998, la mère venait tout juste de quitter Durango et les agents l'avaient suivie à Mexico. Dans l'affaire qui nous intéresse, il y a un écart de six ans.

Par conséquent, le tribunal conclut, à la lumière de l'analyse qui précède, qu'il n'existe pas de possibilité sérieuse que les agents de l'État de Durango persécutent les demandeurs d'asile s'ils devaient retourner au Mexique aujourd'hui et vivre à Mexico. Voilà qui répond au premier volet du critère d'une PRI, conformément à l'affaire Rasaratnam. [Non souligné dans l'original.]

(Décision, p. 8)

[5]                La question à trancher consiste à savoir si la preuve au dossier justifie la conclusion qu'il existe une PRI à Mexico. Pour les raisons que j'exposerai, je réponds à cette question par la négative.

[6]                Un ombudsman mexicain, qui a témoigné en faveur des demandeurs, a fait état devant la SPR des sévices qu'il avait subis pour avoir appuyé les demandeurs qui cherchaient à obtenir justice. En conséquence, l'ombudsman a demandé, et obtenu, le statut de réfugié au Canada. Parti du Mexique en mars 2001, il a obtenu le statut de réfugié peu de temps avant de témoigner devant la SPR.

[7]                Voici la description que l'ombudsman a faite des motifs de la crainte qui lui a permis d'obtenir la protection accordée aux réfugiés :


[traduction]

LE TÉMOIN :         C'est parce que je présentais des enquêtes sur les faits au gouvernement, ainsi que des photos, que les droits humains des enfants, des garçons et des filles au Mexique, et particulièrement l'affaire de Jessica, qui a eu un retentissement national et international, à tout le moins aux États-Unis. Avec cela je démontrais qu'ils ne respectaient pas des décisions des tribunaux relatives à la convention des droits des enfants, à laquelle le Mexique a adhéré. Puis-je ajouter quelque chose?

L'AVOCAT :          Allez-y.

LE TÉMOIN :         Et aussi ceci démontrerait que l'affaire de Jessica (inaudible) moi et mon bureau, ainsi que les autres organisations des droits de la personne comme Amnistie internationale, session mexicaine, le Centre des droits de la personne, la collectivité à l'appui des enfants au Mexique et autres. Nous faisions la démonstration des liens étroits qui existaient et qui existent toujours entre le gouverneur de l'État de Durango (inaudible) la justice, et les autres membres de l'État de Durango et les cartels de la drogue (inaudible) comme l'a démontré la mère de Jessica à un moment donné à la presse internationale.

(Dossier du tribunal, p. 284)

[8]                Dans son témoignage, l'ombudsman a confirmé que dans le cadre des persécutions qu'on lui a infligées il a été menacé alors qu'il était à Mexico. De plus, s'agissant de la possibilité d'une PRI n'importe où au Mexique pour les demandeurs, il a témoigné comme suit :

[traduction]

L'AVOCAT :          Maintenant, je vous ai demandé de témoigner aujourd'hui dans l'affaire des demandeurs en l'espèce, Eugenia et Hilario, et ceci aidera le tribunal à comprendre si maintenant, ou à l'avenir, cette famille continue à avoir de bonnes raisons de craindre s'ils devaient retourner au Mexique, savoir auraient-ils de bonnes raisons de craindre (inaudible) s'ils devaient retourner. Considérez-vous que cette famille aurait d'autres problèmes si elle retournait au Mexique maintenant?

LE TÉMOIN :         Oui, absolument.

L'AVOCAT :          Quelles sont vos raisons pour croire cela?


LE TÉMOIN :         J'ai trois raisons, non pas de croire mais d'être certain, et la première est que la situation des droits de la personne au Mexique, contrairement à des situations comme la situation économique, par exemple, la situation des droits de la personne est de moins en moins bonne. Il y a eu une persécution constante des activistes en matière de droits de la personne et de leur famille, et particulièrement de la première avocate de la famille, une avocate (inaudible) qui a été assassinée il y a deux ans à Mexico, et on a trouvé une note sur son corps disant qu'ils continueraient à traiter les activistes en matière de droits de la personne de la même façon, chacun à leur tour.

La deuxième raison est que personnellement, une personne de l'État de Durango, une personne (inaudible) de l'État de Durango, m'a dit de ne pas continuer à créer des ennuis au gouverneur, parce qu'ils feraient alors la même chose qu'ils avaient faite à Jessica; c'est-à-dire, la violer et la mener à la mort, avec toutes les autres filles de toutes (inaudible) y compris Beatrice, bien sûr.

Ma dernière raison est que le gouverneur a déjà menacé cette femme et lui a dit : « Je suis comme un tigre. Je les laisse faire, et ensuite je tends la patte et je mets fin (inaudible). » Parce qu'il est membre, un membre dans toute son horreur, de la (inaudible), des droits de la personne et les organisations des droits de la personne au Mexique ont (inaudible) la capacité et aussi ils n'ont pas la volonté d'appuyer les gens qui sont dans un tel cas.

(Dossier du tribunal, p. 285 et 286)

Il a continué comme suit :

[traduction]

L'AVOCAT :          Maintenant, vous avez mentionné qu'il y avait trois raisons pour lesquelles vous croyez que leur crainte était toujours justifiée. Je vous demande de revenir à la première raison que vous avez citée, alors que vous avec mentionné que la situation des droits de la personne au Mexique se détériorait. Bon, le tribunal sait que depuis que cette famille est venue au Canada il y a eu un changement de gouvernement. Dites-vous que, même avec le changement de gouvernement, après l'arrivée au pouvoir du président Fox, que cette famille est toujours en danger?

LE TÉMOIN :         S'agissant des droits de la personne, comme je l'ai déjà dit, ma réponse est oui. Ceci est dû au fait que le parti du président Fox et le parti (inaudible) d'avant (inaudible) lié, ce qui n'avait pas été très visible auparavant, et le président Fox n'a pas eu la volonté de s'attaquer à la question des droits de la personne parce qu'il ne veut pas provoquer les puissants membres du parti qui étaient au pouvoir auparavant. Jusqu'à aujourd'hui, il y a toujours (inaudible) le pays, des parties du pays, comme une autre guerre.


L'AVOCAT :          Bien, se trouve-t-il quelque part au Mexique un endroit où cette famille pourrait aller, là où ces gens ne sont pas au pouvoir, un endroit où ils pourraient vivre en sécurité?

LE TÉMOIN :         Non, ils ne le peuvent certainement pas, parce que lorsque l'on en parle aux gens qui sont impliqués dans la drogue (inaudible) ils ont des liens à travers toute la république.

[Non souligné dans l'original.]                        

(Dossier du tribunal, p. 287)

[9]                Je n'ai trouvé aucune preuve au dossier qui justifierait la conclusion qu'après un « écart de six ans » il existait une PRI viable à Mexico pour les demandeurs. En fait, il y a une preuve substantielle au dossier qui indique qu'à l'époque de l'audience de la SPR, les demandeurs ne pouvaient se prévaloir d'une PRI à Mexico, non plus que nulle part ailleurs au Mexique. La décision de la SPR ne mentionne aucunement cette preuve. Par conséquent, je conclus que la conclusion de la SPR qu'il existait une PRI à Mexico est arbitraire, puisqu'il s'agit de simples spéculations.

[10]            En conséquence, je conclus que la SPR, dans sa décision, a commis une erreur ouvrant droit à révision qui rend sa décision manifestement déraisonnable.


                                        ORDONNANCE

En conséquence, j'annule la décision de la SPR et renvoie la question à un tribunal différemment constitué pour réexamen.

« Douglas R. Campbell »

                                                                                                     Juge                          

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                    IMM-9512-03

INTITULÉ :                                                    HILARIO IBARRA-LERMA

EUGENIA DIAZ-CAZARES

MARGARITA IBARRA-DIAZ

VANESSA ALEMAN-DIAZ

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 16 NOVEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :                                   LE 16 NOVEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Douglas Lehrer                                                 POUR LES DEMANDEURS

Lorne McClenaghan                                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Douglas Lehrer                                                 POUR LES DEMANDEURS

Barrister & Solicitor                  

Toronto (Ontario)        

Morris Rosenberg                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)


                                               

                               COUR FÉDÉRALE

Date : 20041116

Dossier : IMM-9512-03

ENTRE :

HILARIO IBARRA-LERMA

EUGENIA DIAZ-CAZARES

MARGARITA IBARRA-DIAZ

VANESSA ALEMAN-DIAZ             

demandeurs

                                                                                               

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                               

                                                                      

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                      



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