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Date : 20190621

Dossier : IMM‑4706‑18

Référence : 2019 CF 849

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]

Ottawa (Ontario), le 21 juin 2019

En présence du juge en chef

ENTRE :

XIN LIU

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Mme Liu a fait une fausse déclaration sur un fait important dans une demande de résidence permanente présentée au titre de la catégorie de l’expérience canadienne [demande au titre de la CEC]. Toutefois, cette demande a été rejetée pour d’autres motifs. Mme Liu a donc présenté une deuxième demande de résidence permanente au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada [demande au titre de la catégorie des époux], qui a été accueillie.

[2]  En accueillant la demande au titre de la catégorie des époux, l’agent d’immigration chargé de l’évaluation s’est concentré sur l’authenticité de la relation entre Mme Liu et son époux et sur les autres exigences énoncées à l’article 124 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le Règlement]. Il ne semble pas avoir tenu compte des fausses déclarations faites par Mme Liu dans sa demande au titre de la CEC, que l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] avait entre‑temps découvertes et portées à l’attention du ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration et sur lesquelles elle avait commencé à enquêter.

[3]  Cela étant dit, deux autres agents ayant participé au traitement du dossier ont tenu compte de fausses déclarations semblables. Le premier agent, qui a participé à l’examen de la demande au titre de la catégorie des époux à une étape antérieure, a simplement fait une observation [traduction« générale » selon laquelle il y avait des motifs raisonnables de croire que l’entreprise que Mme Liu avait désignée comme son employeur dans cette demande n’était pas une véritable entreprise. Le deuxième agent semble avoir été responsable de la délivrance d’un permis de travail à Mme Liu après l’approbation initiale de sa demande au titre de la catégorie des époux. Cet agent a inséré une note [traduction« générale » indiquant que même si Mme Liu avait falsifié une partie de ses antécédents professionnels dans sa demande de permis de travail, sa demande au titre de la catégorie des époux était [traduction« initialement » approuvée en raison du fait que sa relation avec son époux était authentique. L’agent a ajouté : [traduction« La cliente n’a donc pas fait de fausses déclarations. »

[4]  Plus de trois ans plus tard, un représentant du ministre a déféré pour enquête un rapport préparé en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi]. Le rapport a conclu que Mme Liu est interdite de territoire au Canada pour avoir, directement ou indirectement, fait une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui a entraîné ou a risqué d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi, comme le prévoit l’alinéa 40(1)a) de la Loi.

[5]  Mme Liu soutient que la décision du représentant du ministre devrait être annulée pour les trois raisons suivantes :

  1. Une ou plusieurs des doctrines de la contestation indirecte, de la chose jugée (préclusion découlant d’une question déjà tranchée) et de l’abus de procédure interdisaient au représentant du ministre de déférer l’affaire pour enquête sur le fondement de ses fausses déclarations antérieures.

  2. Ses faux antécédents professionnels, qu’elle a reconnus, n’auraient pu être la cause d’une erreur dans l’application de la Loi, car sa demande au titre de la CEC a été rejetée pour d’autres motifs.

  3. Ses fausses déclarations n’étaient pas « graves », comme l’exige le critère énoncé dans la décision Ribic c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1986), [1985] DSAI no 4 (Commission d’appel de l’immigration).

[6]  Je ne suis pas d’accord. Pour les motifs qui suivent, la demande sera rejetée.

II.  Le contexte

[7]  Après avoir étudié au Canada de 2004 à 2009, puis travaillé au Canada pendant un certain temps, Mme Liu a présenté sa demande au titre de la CEC au début de 2012. Dans cette demande, elle a indiqué qu’elle avait travaillé au Canada pour « NCK Electric Inc. » [NCK] comme généraliste en ressources humaines pendant une période donnée en 2010 et 2011.

[8]  La demande au titre de la CEC de Mme Liu a été rejetée en août 2012 parce que Mme Liu ne répondait pas aux exigences linguistiques.

[9]  Environ un mois plus tard, Mme Liu a épousé Billy Wite‑Keenn Chau, un citoyen canadien.

[10]  Peu de temps après, l’ASFC a exécuté des mandats de perquisition dans des propriétés qu’elle soupçonnait d’être utilisées pour mettre en œuvre un stratagème frauduleux d’immigration à grande échelle. Ce stratagème a été orchestré par un citoyen canadien, M. Xun « Sunny » Wang, et impliquait un certain nombre de sociétés qu’il contrôlait, dont New Can Consultants (Canada) Ltd. [New Can].

[11]  Au cours de leur perquisition des locaux en question, les agents de l’ASFC ont trouvé des documents contenant le nom de Mme Liu, y compris sa demande au titre de la CEC, des lettres confirmant son emploi chez NCK, des talons de paye de NCK, des feuillets T4 et un contrat entre elle et New Can.

[12]  En janvier 2013, Mme Liu a déposé sa demande au titre de la catégorie des époux. Dans cette demande, elle a de nouveau indiqué qu’elle avait travaillé pour NCK à titre de généraliste en ressources humaines pendant une période donnée en 2010 et 2011.

[13]  En septembre 2013, Mme Liu a déposé une demande de prolongation de son permis de travail.

[14]  En mai 2014, un agent d’immigration a conclu que la relation entre Mme Liu et M. Chau était authentique. Suivant cette conclusion, Mme Liu a franchi la première étape de sa demande au titre de la catégorie des époux et a obtenu un permis de travail ouvert.

[15]  Après les vérifications habituelles de sécurité et d’antécédents criminels et l’évaluation de son admissibilité sur le plan médical, Mme Liu a franchi la deuxième étape de la demande au titre de la catégorie des époux et est devenue résidente permanente le 16 août 2014.

[16]  Le 15 octobre 2014, M. Wang a été accusé de diverses infractions en matière d’immigration et de fraude fiscale. Il a fini par plaider coupable à certaines des accusations et a été condamné à sept ans de prison et à une amende de 900 000 $.

III.  La décision faisant l’objet du contrôle

[17]  Le dossier déféré par le représentant du ministre en vertu du paragraphe 44(2) de la Loi consistait simplement en deux documents d’une seule page. Le premier était un formulaire indiquant que le représentant du ministre avait examiné le rapport et le déférait à la Section de l’immigration pour enquête afin que celle‑ci détermine si Mme Liu était une personne visée à l’alinéa 40(1)a) de la Loi. Le deuxième document présentait un bref résumé des facteurs pris en compte dans la préparation du rapport, ainsi que des déclarations selon lesquelles le représentant du ministre (i) a souscrit à la recommandation de l’agent de déférer Mme Liu pour enquête et (ii) a estimé que le rapport était bien fondé, comme le prévoit le paragraphe 44(2) de la Loi.

[18]  L’un des facteurs relevés par le représentant du ministre dans ce dernier document était [traduction« la gravité, la complexité et les motifs des fausses déclarations ».

[19]  Les parties semblent s’entendre sur le fait que la décision faisant l’objet du contrôle en l’espèce comprend les conclusions formulées dans le rapport.

[20]  Le rapport indiquait notamment qu’à la suite de la perquisition et de la saisie impliquant M. Wang et ses sociétés (New Can et Wellong International Investments Ltd.), il s’est avéré que NCK avait été créée [traduction« uniquement dans le but de créer une illusion d’emploi pour ses clients afin de satisfaire aux obligations de résidence ou, en l’occurrence, de satisfaire aux normes de qualification pour la [demande au titre de la CEC] ».

[21]  Le rapport indiquait en outre que Mme Liu avait [traduction« participé activement aux fausses déclarations dans la [demande au titre de la CEC], car les observations indiquent que ses antécédents professionnels étaient faux ». Le rapport indiquait également que Mme Liu avait [traduction« conclu un accord avec l’entreprise de Sunny WANG pour falsifier des documents d’emploi afin de satisfaire aux exigences de la demande ». À cet égard, il ne semble pas contesté que, conformément à l’entente entre Mme Liu et New Can, elle a transféré des fonds à cette société ou à M. Wang, puis qu’elle a reçu un faux « salaire » et des « talons de paye » frauduleux qui faisaient état de prétendues déductions fiscales et autres.

[22]  Compte tenu de ce qui précède, l’auteur du rapport a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que Mme Liu avait [traduction« directement ou indirectement fait de fausses déclarations dans [la demande au titre de la CEC] en omettant de déclarer des antécédents professionnels exacts ou véridiques ». (Non souligné dans l’original.) Le rapport ajoutait : [traduction« Ce faisant, elle a empêché un agent de déterminer si elle satisfaisait aux exigences du programme de la CEC prévues au paragraphe 87.1(2) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés ». En conséquence, le rapport énonçait : [traduction« elle a donc entraîné ou risqué d’entraîner une erreur dans l’application de la [Loi] et du Règlement ».

[23]  En plus de ce qui précède, le rapport indiquait que Mme Liu avait également fait des fausses déclarations au sujet de son emploi à NCK dans sa demande de parrainage au titre de la catégorie des époux. À cet égard, le rapport indiquait ce qui suit : [traduction« Cependant, comme il s’agissait d’une demande d’établissement au titre du parrainage d’un époux, la demande n’a pas été évaluée en fonction de l’emploi antérieur de Mme Liu, mais plutôt en fonction de l’authenticité de sa relation. »

[24]  Vers la fin du rapport, certaines observations présentées par Mme Liu relativement aux motifs d’ordre humanitaire ont été examinées. Le rapport a conclu que ces considérations ne l’emportaient pas sur la gravité de ses fausses déclarations, y compris le fait qu’après le rejet de sa demande présentée au titre de la CEC, [traduction« Mme Liu a encore une fois inscrit une société fictive comme employeur dans sa demande d’établissement au titre du parrainage d’un époux ».

IV.  Les dispositions législatives applicables

[25]  Aux fins de la présente demande, les dispositions législatives applicables sont l’alinéa 40(1)a) et les paragraphes 44(1) et 44(2) de la Loi. Ces dispositions sont ainsi libellées :

Interdictions de territoire

Inadmissibility

Fausses déclarations

40 (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

Misrepresentation

40 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

[…]

[…]

Constat de l’interdiction de territoire

Report on Inadmissibility

Rapport d’interdiction de territoire

44 (1) S’il estime que le résident permanent ou l’étranger qui se trouve au Canada est interdit de territoire, l’agent peut établir un rapport circonstancié, qu’il transmet au ministre.

Preparation of report

44 (1) An officer who is of the opinion that a permanent resident or a foreign national who is in Canada is inadmissible may prepare a report setting out the relevant facts, which report shall be transmitted to the Minister.

Suivi

(2) S’il estime le rapport bien fondé, le ministre peut déférer l’affaire à la Section de l’immigration pour enquête, sauf s’il s’agit d’un résident permanent interdit de territoire pour le seul motif qu’il n’a pas respecté l’obligation de résidence ou, dans les circonstances visées par les règlements, d’un étranger; il peut alors prendre une mesure de renvoi.

Referral or removal order

(2) If the Minister is of the opinion that the report is well‑founded, the Minister may refer the report to the Immigration Division for an admissibility hearing, except in the case of a permanent resident who is inadmissible solely on the grounds that they have failed to comply with the residency obligation under section 28 and except, in the circumstances prescribed by the regulations, in the case of a foreign national. In those cases, the Minister may make a removal order.

V.  Les questions en litige

[26]  À mon avis, les trois questions soulevées par la demanderesse devraient être reformulées ainsi :

  1. L’une ou l’autre des doctrines de la contestation indirecte, de la chose jugée (préclusion découlant d’une question déjà tranchée) et de l’abus de procédure empêche‑t‑elle le représentant du ministre de déférer Mme Liu pour enquête?

  2. Était‑il déraisonnable pour le représentant du ministre de conclure que les fausses déclarations de Mme Liu auraient pu être la cause d’une erreur dans l’application de la Loi?

  3. Était‑il déraisonnable pour le représentant du ministre de conclure que les fausses déclarations de Mme Liu étaient « graves », comme le prévoit le critère établi dans la décision Ribic?

VI.  La norme de contrôle

[27]  Les questions soulevées par les doctrines énoncées au premier point sont généralement susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte : Kanyamibwa c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 66, au para 58, citant Toronto (Ville) c Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), section locale 79, 2003 CSC 63, au para 15.

[28]  Toutefois, dans la présente instance, aucune de ces questions n’a été préalablement tranchée, parce qu’elles ne semblent pas avoir été soulevées ni devant le représentant du ministre ni devant l’auteur du rapport. Dans ce contexte, la fonction de la Cour est de déterminer si les circonstances sont telles qu’une ou plusieurs des doctrines de la contestation indirecte, de la chose jugée (préclusion découlant d’une question déjà tranchée) et de l’abus de procédure empêchent le représentant du ministre de déférer Mme Liu pour enquête.

[29]  Le deuxième point soulève une question d’interprétation législative et une question mixte de fait et de droit. Les questions d’interprétation de la « loi constitutive » d’un décideur sont présumées être assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable, à moins que cette présomption ne soit réfutée : Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2018 CSC 31, aux par. 27‑28. Aucune des parties à la présente instance n’a laissé entendre que cette présomption est ou devrait être réfutée, et je ne vois pas pourquoi cette présomption ne devrait pas s’appliquer.

[30]  La question mixte de fait et de droit soulevée par le deuxième point énoncé ci‑dessus est également susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, aux par. 51‑53 [Dunsmuir]; Kazzi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 153, au para 17 [Kazzi].

[31]  Le troisième point soulevé par Mme Liu, concernant la conclusion du représentant du ministre quant à la « gravité » de ses fausses déclarations, a trait à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de ce dernier que lui confère le paragraphe 44(2) de la déférer pour enquête. L’exercice de ce pouvoir discrétionnaire peut faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable et commande un degré élevé de retenue : McAlpin c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 422, aux par. 51 et 53.

[32]  Pour déterminer si une décision est raisonnable, la Cour s’attache généralement à évaluer si cette décision est suffisamment intelligible, transparente et justifiée. À cet égard, la Cour aura pour tâche de déterminer si elle est en mesure de comprendre pourquoi la décision a été prise et de vérifier si la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir, précité, au para 47; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au para 16. Une décision ayant « un fondement rationnel » appartient généralement à ces issues : Halifax (Regional Municipality) c Nouvelle‑Écosse (Human Rights Commission), 2012 CSC 10, au para 47.

VII.  Analyse

A.  L’une ou l’autre des doctrines de la contestation indirecte, de la chose jugée (préclusion découlant d’une question déjà tranchée) et de l’abus de procédure empêche‑t‑elle le représentant du ministre de déférer Mme Liu pour enquête?

(1)  La contestation indirecte

[33]  Mme Liu soutient que la décision constitue une contestation indirecte de la décision antérieure d’accueillir sa demande au titre de la catégorie des époux, malgré le fait que ses fausses déclarations antérieures concernant ses antécédents professionnels étaient connues.

[34]  À l’appui de sa position, Mme Liu souligne que les documents publiés par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] indiquent clairement que, lorsqu’il est établi que les demandeurs appartiennent à la catégorie du regroupement familial, leur admissibilité doit être évaluée, notamment en ce qui a trait aux fausses déclarations : IRCC, « Admissibilité et décisions finales pour les demandes de la catégorie du regroupement familial », Instructions relatives à l’exécution des programmes (Ottawa : accessible en ligne, modifié le 2 janvier 2019); IRCC, « Traitement des demandes présentées au titre de la catégorie du regroupement familial : Admissibilité », Instructions relatives à l’exécution des programmes (Ottawa : accessible en ligne, modifié le 2 janvier 2019). Des extraits pertinents des Instructions relatives à l’exécution des programmes figurent à l’annexe de la présente décision.

[35]  Par conséquent, Mme Liu soutient que le ministre aurait dû adopter la position selon laquelle elle était interdite de territoire soit au moment du traitement de sa demande au titre de la catégorie des époux, soit dans le cadre d’une demande présentée ultérieurement à la Cour en vue du contrôle judiciaire de la décision d’accueillir la demande au titre de la catégorie des époux. Il est entendu que Mme Liu soutient que, même si l’on pouvait dire que ses antécédents professionnels antérieurs n’étaient pas pertinents aux fins de sa demande au titre de la catégorie des époux, le ministre ou un représentant d’IRCC aurait pu soutenir qu’elle était interdite de territoire au Canada en raison de ses fausses déclarations liées à sa demande au titre de la CEC.

[36]  Parce que le ministre a omis de se prévaloir de ces recours pour contester directement sa demande au titre de la catégorie des époux, Mme Liu affirme qu’il ne peut contester indirectement cette demande au moyen de la décision de la déférer pour enquête.

[37]  Je ne suis pas d’accord.

[38]  L’arrêt Garland c Consumers’ Gas Co, 2004 CSC 25, au para 71, a résumé la doctrine de la contestation indirecte :

La règle interdisant les contestations indirectes empêche une partie d’attaquer les ordonnances antérieures d’un tribunal judiciaire ou administratif (voir l’arrêt Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, [2003] 3 R.C.S. 77, 2003 CSC 63 (CanLII); D. J. Lange, The Doctrine of Res Judicata in Canada (2000), p. 369‑370). En général, cette règle est invoquée lorsqu’une partie tente de contester la validité d’une ordonnance exécutoire devant un tribunal non compétent en la matière, c’est‑à‑dire lorsque la validité de l’ordonnance est contestée dans le cadre de procédures autres que celles dont cette partie disposait pour la contester directement (c.‑à‑d. l’appel ou le contrôle judiciaire).

[39]  Lorsque la demande au titre de la catégorie des époux de Mme Liu a été approuvée le 1er mai 2014, l’enquête de l’ASFC sur son stratagème frauduleux avec M. Wang et ses sociétés affiliées était toujours en cours. Cette enquête était aussi en cours lorsque Mme Liu a obtenu le droit d’établissement à titre de résidente permanente le 16 août 2014 et lorsque le délai pour demander le contrôle judiciaire de cette décision a expiré environ 30 jours plus tard. 

[40]  Le 15 octobre 2014, M. Wang a été arrêté et accusé de plusieurs infractions. Le lendemain, l’ASFC a obtenu un deuxième mandat de perquisition et trouvé des éléments de preuve relatifs à d’autres infractions. Ces éléments de preuve ont donné lieu à d’autres accusations en mars 2015. En mai 2015, l’ASFC a obtenu une ordonnance de communication qui a mené à l’obtention d’éléments de preuve supplémentaires. Finalement, en juillet 2015, M. Wang a plaidé coupable à plusieurs des infractions dont il était accusé.

[41]  Étant donné la chronologie des événements susmentionnée, la doctrine de la contestation indirecte n’empêchait pas le représentant du ministre de déférer Mme Liu pour enquête en vertu du paragraphe 44(2) de la Loi. Bref, l’enquête de l’ASFC sur le stratagème frauduleux auquel Mme Liu a participé était toujours en cours aux moments où, selon elle, l’ASFC aurait dû contester directement la décision d’accueillir sa demande au titre de la catégorie des époux. Par conséquent, ni le ministre, ni son délégué, ni l’ASFC n’étaient tenus de prendre les mesures qui, selon Mme Liu, auraient dû être prises au moment de l’évaluation de sa demande au titre de la catégorie des époux, ou immédiatement après l’octroi de sa demande.

[42]  Je ferai simplement remarquer en passant que Mme Liu n’a cité aucune jurisprudence à l’appui de sa position selon laquelle le ministre ou son délégué était tenu d’adopter à la première occasion la position selon laquelle elle est interdite de territoire au Canada.

(2)  La chose jugée

[43]  Mme Liu soutient que la doctrine de la chose jugée, précisément la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, empêche le représentant du ministre de la déférer aux fins d’enquête, et ce, pour deux raisons. Premièrement, elle soutient qu’une décision explicite a été prise selon laquelle elle n’avait [traduction« pas fait de fausses déclarations ». Deuxièmement, elle affirme qu’au moment où sa demande au titre de la catégorie des époux a été accueillie, on a implicitement conclu qu’elle n’était pas interdite de territoire au Canada.

[44]  Je ne suis pas d’accord.

[45]  Il y a trois conditions préalables à l’application de la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée :

  1. la même question doit déjà avoir été tranchée;

  2. la décision judiciaire antérieure invoquée comme créant la préclusion doit être définitive;

  3. les parties (ou leurs représentants) à la décision antérieure doivent être les mêmes que les parties engagées dans l’affaire où le principe de la préclusion est soulevé.

Danyluk c Ainsworth Technologies Inc, 2001 CSC 44, au para 25.

[46]  À mon avis, Mme Liu n’a pas rempli la première des conditions susmentionnées. En fait, la question de l’interdiction de territoire de Mme Liu pour avoir fait une fausse déclaration concernant ses antécédents professionnels dans sa demande au titre de la CEC n’a pas été tranchée, explicitement ou implicitement, au moment où sa demande au titre de la catégorie des époux a été acceptée.

[47]  Rien ne prouve que la ou les personnes qui ont initialement approuvé puis finalement accueilli la demande au titre de la catégorie des époux de Mme Liu ont tenu compte du fait qu’elle avait fait une fausse déclaration concernant ses antécédents professionnels dans sa demande au titre de la CEC. En effet, rien dans le dossier certifié du tribunal [DCT] n’indique que cette ou ces personnes ont tenu compte du fait qu’elle avait fait des déclarations semblables à l’appui de sa demande au titre de la catégorie des époux.

[48]  Les notes informatisées du Système mondial de gestion des cas [SMGC] sur lesquelles se fonde Mme Liu à l’appui de cet argument ont été prises par deux autres personnes. Comme il est indiqué au paragraphe 3 ci‑dessus, la première de ces personnes a simplement fait observer que Mme Liu avait indiqué dans sa demande qu’elle travaillait pour NCK et qu’il existait des motifs raisonnables de croire que NCK n’était pas une société réelle. Ces notes, qui sont reproduites à la page 25 du DCT, semblent avoir été prises relativement à la demande au titre de la catégorie des époux. Les notes ont été qualifiées de notes [traduction« générales » plutôt que de notes relatives à [traduction« l’admissibilité » de Mme Liu; elles ont été prises par quelqu’un d’autre que le décideur, et rien n’indique qu’une décision finale ait été prise relativement aux fausses déclarations de Mme Liu. 

[49]  En ce qui concerne la deuxième série de notes du SMGC sur lesquelles se fonde Mme Liu, elles semblent avoir été prises par une personne qui était responsable de la délivrance d’un permis de travail à Mme Liu après l’approbation initiale de sa demande au titre de la catégorie des époux. Ces notes sont ainsi rédigées :

[traduction]

La cliente a été déférée pour enquête parce qu’elle a peut‑être embauché un consultant fantôme à des fins d’immigration. L’ASFC affirme que l’un des employeurs précédents de la cliente, NCK Electronics Inc., n’existe pas. La première demande de résidence permanente de la cliente, qui a été refusée le 29 août 2012, a été présentée au titre de la catégorie de l’expérience canadienne, tandis que sa deuxième demande de résidence permanente a été présentée au titre de la catégorie du regroupement familial. La cliente et son conjoint ont été interrogés par l’unité de traitement des demandes au Canada qui a conclu, selon la prépondérance des probabilités, à l’existence d’une relation authentique. Par conséquent, bien que la cliente ait falsifié une partie de ses antécédents professionnels dans sa demande de permis de travail, l’approbation initiale de sa résidence permanente repose sur sa relation conjugale qui s’avère authentique. Par conséquent, la cliente n’a pas fait de fausses déclarations.

(Non souligné dans l’original.)

[50]  Il ressort clairement du passage qui précède que son auteur a simplement estimé que Mme Liu n’avait pas fait de fausses déclarations aux fins de la demande de prolongation de son permis de travail. Cela peut s’expliquer par le fait que l’auteur a mis l’accent sur l’alinéa 207b) du Règlement, c’est‑à‑dire sur la question de savoir si Mme Liu appartenait à la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada prévue à la section 2 de la partie 7 du Règlement. Quoi qu’il en soit, cette personne n’est certainement pas parvenue, dans le passage cité ci‑dessus, à une conclusion explicite ou implicite quant à savoir si Mme Liu avait fait de fausses déclarations relativement à sa demande au titre de la CEC. Autrement dit, aucune décision explicite ou implicite n’a été prise à l’égard des fausses déclarations de Mme Liu relativement à la demande qui faisait l’objet de la décision du représentant du ministre, à savoir la demande au titre de la CEC.

[51]  Compte tenu de ce qui précède, je suis convaincu qu’aucune décision n’a déjà été prise quant à l’interdiction de territoire de Mme Liu au Canada pour avoir fait une fausse déclaration concernant ses antécédents professionnels dans sa demande au titre de la CEC.

[52]  Il demeure entendu qu’en l’absence de toute indication dans le DCT voulant que quelqu’un se soit demandé si Mme Liu pouvait être interdite de territoire au Canada pour avoir falsifié ses antécédents professionnels dans sa demande au titre de la CEC, je refuse de conclure qu’une décision implicite sur cette question a été prise lorsque sa demande au titre de la catégorie des époux et sa demande de permis de travail ont été accueillies. Au contraire, il ressort clairement du dossier que la seule décision qui a été prise à ce moment‑là était qu’elle n’avait pas fait de fausses déclarations aux fins de la demande de permis de travail.

[53]  Ma conclusion à cet égard est renforcée par le fait que l’enquête de l’ASFC sur le stratagème frauduleux auquel Mme Liu a participé semble avoir été en cours au moment où la demande de permis de travail et la demande au titre de la catégorie des époux de Mme Liu ont été approuvées.

[54]  Mme Liu soutient qu’elle a le droit de se fonder sur le caractère définitif de la décision d’accueillir sa demande au titre de la catégorie des époux, et qu’il est injuste que le ministre demande maintenant qu’elle soit déclarée interdite de territoire pour une question qui a été réglée en 2014. Je ne suis pas d’accord. Rappelons que la question de savoir si Mme Liu a fait des fausses déclarations dans le cadre de sa demande au titre de la CEC n’a fait l’objet d’aucune décision, explicite ou implicite, en 2014. En outre, il serait injuste pour les personnes qui fournissent des renseignements véridiques et exacts à l’appui de leur demande de résidence permanente et pour celles qui sont déclarées interdites de territoire pour fausses déclarations, de permettre à Mme Liu d’éviter maintenant les conséquences de telles fausses déclarations. En fait, une telle action minerait l’intégrité du système d’immigration du Canada et, par conséquent, l’un des objectifs sous‑jacents de l’alinéa 40(1)a) : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Sidhu, 2018 CF 306, au para 33.

(3)  L’abus de procédure

[55]  Mme Liu recycle essentiellement les observations susmentionnées pour soutenir que le représentant du ministre a commis un abus de procédure en la déférant pour enquête. En résumé, elle soutient que perturber la vie établie d’un résident permanent au Canada en réexaminant des fausses déclarations potentielles qui ont déjà été pardonnées constitue un abus de procédure. Elle ajoute que le maintien de la décision contestée porterait « atteinte aux principes d’économie des ressources judiciaires, de cohérence, de caractère définitif des instances et d’intégrité de l’administration de la justice »

[56]  Je ne suis pas d’accord. Pour les raisons que j’ai expliquées, Mme Liu n’a jamais été pardonnée d’avoir fait une fausse déclaration concernant ses antécédents professionnels dans sa demande au titre de la CEC. Par conséquent, aucune question de cohérence ou de caractère définitif ne se pose. En outre, puisque Mme Liu ne semble pas s’être déjà adressée à la Cour ou à un autre tribunal dans le cadre de sa demande au titre de la CEC, aucune question d’économie des ressources judiciaires ne se pose. De plus, l’intégrité de l’administration de la justice serait minée si l’on permettait à une personne ayant participé à un stratagème actif et complexe conçu pour déformer ses antécédents professionnels d’échapper aux conséquences d’une telle malhonnêteté, simplement parce qu’elle a réussi à trouver un autre moyen pour obtenir le statut de résident permanent au Canada.

B.  Était‑il déraisonnable pour le représentant du ministre de conclure que les fausses déclarations de Mme Liu auraient pu être la cause d’une erreur dans l’application de la Loi?

[57]  Mme Liu soutient que même si ses antécédents professionnels falsifiés pouvaient être considérés comme « important[s] » et en rapport avec un « objet pertinent », comme le prévoit l’alinéa 40(1)a) de la Loi (voir le paragraphe 25 ci‑dessus), ils ne pouvaient « entraîner une erreur dans l’application de la [...] loi » comme l’exige cette disposition.

[58]  Plus particulièrement, Mme Liu soutient que ses fausses déclarations n’auraient pas pu entraîner une erreur dans l’application de la Loi parce que sa demande au titre de la CEC a été rejetée au motif que Mme Liu ne satisfaisait pas aux exigences linguistiques prévues pour ce type de demande. Compte tenu de ce rejet, elle soutient que ses fausses déclarations n’ont pas eu et ne pouvaient pas avoir d’incidence sur la demande.

[59]  Je ne suis pas d’accord.

[60]  À l’appui de sa position, Mme Liu invoque la décision Murugan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 547 [Murugan]. Dans cette affaire, le demandeur a fait une fausse déclaration qui n’aurait pas pu entraîner une erreur dans l’application de la Loi, car elle n’avait aucun rapport avec la demande en question. En d’autres termes, la fausse déclaration n’avait aucune pertinence réelle ou potentielle quant à l’examen de la demande en question par l’agent des visas. Par conséquent, la juge Simpson a conclu que la fausse déclaration n’aurait pas pu amener l’agent à prendre une décision erronée, et n’aurait donc pas pu entraîner une erreur dans l’application de la Loi.

[61]  À mon avis, les faits de l’affaire Murugan, précitée, se distinguent de ceux de l’espèce parce que les déclarations de Mme Liu risquaient d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi au moment où les fausses déclarations ont été faites : Innocentes c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1187, au para 16; Kazzi, précitée, aux par. 36‑38. À l’époque, Mme Liu ne savait pas que ses compétences linguistiques ne répondaient pas aux exigences de la demande au titre de la CEC. Par conséquent, il était possible, à ce moment‑là, que ses fausses déclarations concernant ses antécédents professionnels puissent entraîner une erreur dans l’application de la Loi, comme le prévoit l’alinéa 40(1)a). Cette erreur se serait manifestée par l’octroi de la demande au titre de la CEC, au motif qu’elle remplissait les diverses conditions préalables à l’octroi de cette demande, y compris celles relatives à ses antécédents professionnels. En fait, il semble que c’est précisément ce que Mme Liu espérait et cela explique pourquoi elle a payé M. Wang pour l’aider à faire une fausse déclaration concernant ses antécédents professionnels.

[62]  Compte tenu de ce qui précède, le fait que la demande au titre de la CEC de Mme Liu ait finalement été rejetée pour d’autres motifs, n’ayant rien à voir avec ses fausses déclarations, n’est pas pertinent pour déterminer si ces fausses déclarations étaient susceptibles, au moment où elles ont été faites, d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi. Autrement dit, Mme Liu ne peut échapper aux conséquences de ses fausses déclarations simplement parce que sa supercherie n’a pas réussi à l’aider à obtenir un résultat favorable à sa demande au titre de la CEC : Kazzi, précitée, aux par. 39‑40. De telles tentatives de frauder le système d’immigration du pays ne peuvent être ignorées simplement parce qu’elles n’ont pas entraîné dans les faits une erreur dans l’application de la Loi. Le mot « risque » à l’alinéa 40(1)a) désigne la gamme complète des erreurs dans l’application de la Loi qui étaient possibles au moment où une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, a été faite.

[63]  Je suis donc convaincu qu’il n’était pas déraisonnable pour le représentant du ministre de conclure que les exigences prévues à l’alinéa 40(1)a) avaient été respectées. Autrement dit, il n’était pas déraisonnable pour le représentant du ministre de rejeter l’allégation de Mme Liu selon laquelle ses fausses déclarations n’auraient pas pu entraîner une erreur dans l’application de la Loi parce que sa demande au titre de la CEC avait échoué, et était vouée à l’échec, étant donné qu’elle ne répondait pas aux exigences linguistiques pour ce type de demande. 

[64]  Comme il est indiqué dans la décision contestée, n’eût été les fausses déclarations de Mme Liu, [traduction« il est probable que la [demande au titre de la CEC] aurait été refusée à la fois pour des facteurs linguistiques et pour des facteurs liés à l’emploi » (non souligné dans l’original), plutôt que pour les seuls motifs linguistiques. À mon avis, la décision contestée était adéquatement justifiée, transparente et intelligible. Elle appartient certainement « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir, précité.

C.  Était‑il déraisonnable pour le représentant du ministre de conclure que les fausses déclarations de Mme Liu étaient « graves », comme l’exige le critère établi dans la décision Ribic?

[65]  Pour faire valoir sa position sur ce point, Mme Liu recycle encore une fois certains des arguments qu’elle a avancés à l’appui de sa position sur les questions analysées ci‑dessus.

[66]  En bref, elle déclare que ses fausses déclarations ne peuvent raisonnablement être qualifiées de « graves » au regard du critère établi dans la décision Ribic pour deux raisons. Premièrement, elle répète que ses antécédents professionnels n’auraient pas pu avoir d’incidence sur l’issue de sa demande au titre de la CEC, parce que cette demande a été rejetée pour d’autres motifs. Deuxièmement, elle déclare qu’il a été conclu que les fausses déclarations ne constituaient pas une présentation erronée aux fins de sa demande au titre de la catégorie des époux. Elle soutient que [traduction« cela signifie que les fausses déclarations ne sont pas graves au regard du critère établi dans la décision Ribic ».

[67]  En outre, Mme Liu affirme que la « gravité » d’une fausse déclaration doit être évaluée en fonction de chacun des trois éléments de l’alinéa 40(1)a), à savoir l’importance de la fausse déclaration, sa pertinence pour la décision à prendre et son incidence sur cette décision. Plus précisément, elle soutient que la gravité d’une fausse déclaration doit être évaluée en fonction de son degré­ d’importance, de pertinence et d’incidence.

[68]  Je ne suis pas d’accord.

[69]  Les facteurs établis dans la décision Ribic ont été élaborés dans le contexte de l’évaluation, par la Section d’appel de l’immigration, de la question de savoir s’il existe des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu l’ensemble des circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales : Ribic c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] DSAI no 4 (QL). Les facteurs qui doivent être examinés sont les suivants :

  1. la gravité de l’infraction à l’origine de la mesure d’expulsion;

  2. la possibilité de réadaptation;

  3. la période passée au Canada et le degré d’établissement de l’appelant;

  4. la présence de membres de la famille au pays et les bouleversements que l’expulsion de l’appelant leur occasionnerait;

  5. le soutien dont bénéficie l’appelant au sein de sa famille et de la collectivité;

  6. l’importance des difficultés que causerait à l’appelant le retour dans son pays de nationalité.

Chieu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, aux par. 41 et 90.

[70]  Par comparaison, le pouvoir discrétionnaire d’un représentant du ministre au titre du paragraphe 44(2) de la Loi est très limité : Sharma c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CAF 319, au para 24.

[71]  Dans le contexte de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre ou de son représentant de déférer une personne pour enquête en vertu du paragraphe 44(2) de la Loi, une variation des facteurs établis dans la décision Ribic semble être utilisée pour refléter la nature particulière de cette disposition. À cet égard, l’un de ces facteurs est [traduction« la gravité, la complexité et les motifs des fausses déclarations ».

[72]  Dans la décision contestée, il a été conclu que [traduction« Mme LIU doit être déférée pour enquête, car les motifs d’ordre humanitaire ne l’emportent pas sur la gravité des fausses déclarations faites dans sa demande d’établissement initiale présentée au titre de la CEC. Après le rejet de la demande, Mme LIU a encore une fois inscrit une société fictive comme employeur dans sa demande d’établissement présentée au titre du parrainage d’un époux. »

[73]  À mon avis, cette conclusion n’était pas déraisonnable. Elle était suffisamment justifiée, transparente et intelligible. Bref, au moment où elles ont été faites, les fausses déclarations de Mme Liu risquaient fort d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi. Mme Liu a également joué un rôle actif dans le stratagème frauduleux et trompeur auquel elle a participé avec M. Wang pour entraîner cette erreur et ainsi miner l’intégrité de la Loi. En outre, ce stratagème semble avoir été très complexe, en particulier pour augmenter les chances de succès du stratagème. En outre, les fausses déclarations de Mme Liu ont été répétées dans sa demande présentée au titre de la catégorie des époux.

[74]  Compte tenu de ce qui précède, je n’ai aucune hésitation à statuer que la conclusion à laquelle est parvenu le représentant du ministre, telle qu’elle est formulée au paragraphe 72 ci‑dessus, appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. 

[75]  J’ajouterai simplement au passage que Mme Liu n’a pas non plus cité de jurisprudence à l’appui de sa position selon laquelle la gravité d’une fausse déclaration doit être évaluée en fonction de son degré d’importance, de pertinence et d’incidence réelle. Pour les raisons que j’ai déjà données, il n’est pas nécessaire d’établir qu’une fausse déclaration a eu une incidence réelle sur l’application de la Loi. Il suffit que le ministre ou son délégué puisse raisonnablement conclure qu’une fausse déclaration a risqué d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi, au moment où elle a été faite.

VIII.  Conclusion

[76]  Pour les motifs qui précèdent, la demande est rejetée.

[77]  À la fin de l’audience, l’avocat de Mme Liu a proposé trois questions aux fins de certification. La première portait sur la question de savoir si le représentant du ministre pouvait réexaminer une fausse déclaration faite avant l’octroi du statut de résident permanent pour d’autres motifs. L’avocat a laissé entendre que cette question pourrait être reformulée afin de déterminer si l’octroi de la demande présentée par Mme Liu au titre de la catégorie des époux et le fait qu’elle n’ait pas été jugée interdite de territoire pour fausses déclarations constituaient une décision définitive à l’égard de ses fausses déclarations antérieures sur ses antécédents professionnels à NCK. La deuxième question visait à déterminer si l’obligation de franchise s’inscrit dans les paramètres stricts de l’alinéa 40(1)a). La troisième question visait à déterminer les facteurs à prendre en compte pour évaluer la gravité d’une fausse déclaration selon le critère établi dans la décision Ribic.

[78]  Aux termes de l’alinéa 74d) de la Loi, une question aux fins de certification doit être « une question grave de portée générale », ce qui a été interprété comme signifiant que la « question doit être déterminante quant à l’issue de l’appel, transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale ». En outre, la question ne peut être de la nature d’un renvoi ou dépendre des faits qui sont uniques à l’affaire : Lunyamila c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22, au para 46.

[79]  À mon avis, aucune des questions proposées au nom de Mme Liu ne répond à ces exigences. En bref, les deux formulations de la première question semblent reposer sur les faits uniques de l’espèce. L’avocat n’a fait référence à aucune autre affaire dans laquelle cette question particulière avait déjà été soulevée. On ne peut donc dire qu’il s’agit d’une question grave de portée générale. En ce qui concerne les deuxième et troisième questions, elles sont de la nature d’un renvoi.

[80]  Par conséquent, aucune question ne sera certifiée.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑4706‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est rejetée.

  2. Aucune question ne sera certifiée au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR.

« Paul S. Crampton »

Juge en chef


ANNEXE 1 ‑ Extraits des Instructions relatives à l’exécution des programmes

Admissibilité et décisions finales pour les demandes de la catégorie du regroupement familial

Évaluer l’admissibilité

Une fois qu’il est établi que le demandeur appartient à la catégorie, son admissibilité doit être évaluée.

Prendre une décision finale

Reconfirmer le respect des exigences

Au moment de délivrer le visa, l’agent doit toujours être convaincu que le demandeur et les membres de sa famille [R1(3)], qui l’accompagnent ou non, ne sont pas interdits de territoire et qu’ils satisfont à toutes les exigences de la catégorie du regroupement familial prescrites au paragraphe L11(1), à savoir : […]

Traitement des demandes présentées au titre de la catégorie du regroupement familial : Admissibilité

Pour toute demande de parrainage, un agent doit déterminer si la personne parrainée appartient à la catégorie du regroupement familial. Après avoir déterminé que le demandeur est membre de la catégorie du regroupement familial ou de celle des époux ou conjoints de fait au Canada, le bureau de traitement doit procéder à des examens médicaux, à des vérifications des antécédents criminels et à des contrôles de sécurité afin d’établir si le demandeur et tous les membres de sa famille, qu’ils demandent la résidence permanente ou non, sont admissibles. Pour obtenir plus de renseignements au sujet de la détermination de l’admissibilité, y compris les fausses déclarations, consultez le document suivant : ENF 2/OP 18. […]


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

IMM‑4706‑18

INTITULÉ :

XIN LIU c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 26 MARS 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE EN CHEF CRAMPTON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 21 juin 2019

COMPARUTIONS :

Masao Morinaga

POUR LA DEMANDERESSE

 

Brett J. Nash

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lawrence Wong & Associates

Richmond (Colombie‑Britannique)

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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