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Date : 2019 08 01


Dossiers : T‑1960‑18

T‑2093‑18

T‑435‑19

T‑806‑19

Référence : 2019 CF 1039

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 1er août 2019

En présence de monsieur le juge Pentney

Dossier : T‑1960‑18

ENTRE :

BAYER INC. et

BAYER INTELLECTUAL PROPERTY GMBH

demanderesses

et

TEVA CANADA LIMITÉE

défenderesse

Dossier : T‑2093‑18

ET ENTRE :

BAYER INC. et

BAYER INTELLECTUAL PROPERTY GMBH

demanderesses

et

APOTEX INC.

défenderesse

Dossier : T‑435‑19

ET ENTRE :

BAYER INC. et

BAYER INTELLECTUAL PROPERTY GMBH

demanderesses

et

TARO PHARMACEUTICALS INC.

défenderesse

Dossier : T‑806‑19

ET ENTRE :

BAYER INC. et

BAYER INTELLECTUAL PROPERTY GMBH

demanderesses

et

SANDOZ CANADA INC.

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La question que notre Cour est appelée à trancher consiste à déterminer si Taro Pharmaceuticals Inc. (Taro) et Sandoz Canada Inc. (Sandoz) doivent être constituées parties défenderesses relativement à l’instruction des questions communes actuellement prévue dans le cadre des actions intentées par Bayer Inc. et Bayer Intellectual Property GmbH (Bayer) contre Teva Canada Limitée (Teva) et Apotex Inc. (Apotex). Les actions que Bayer a engagées contre Taro et Sandoz portent sur le même médicament, les mêmes brevets et les mêmes questions d’invalidité que dans les actions visant Teva et Apotex. La différence entre les actions tient principalement au moment où elles ont été engagées. Les actions contre Teva et Apotex ont été intentées à un mois d’intervalle, tandis que les actions contre Taro et Sandoz n’ont été intentées que quatre et six mois plus tard, respectivement.

II.  Contexte

[2]  Le contexte de ces affaires est exposé dans l’ordonnance rendue le 14 février 2019 par la protonotaire Mireille Tabib, en sa qualité de juge responsable de la gestion de l’instance, et publiée sous la référence 2019 CF 191 (l’ordonnance de février 2019). Un résumé permettra de mieux comprendre la question que doit trancher la Cour. Bayer a intenté contre Teva et Apotex des actions en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133 [le Règlement], en réaction à leurs demandes d’approbation pour la production et la mise en marché d’une version générique du rivaroxaban. Bayer affirme que ces produits constitueront une contrefaçon de plusieurs de ses brevets.

[3]  Dans l’ordonnance de février 2019, la juge responsable de la gestion de l’instance a ordonné la tenue d’une audience sur les questions communes liées à l’interprétation des revendications et à l’invalidité dans le cadre des actions intentées contre Teva et Apotex. Les passages qui suivent résument l’essentiel du raisonnement qui sous‑tend cette ordonnance :

[22] [L]’instruction conjointe des questions communes dans ces cas complexes constitue l’utilisation la plus efficace du temps et des ressources de la Cour et des parties. Par contre, comme en l’espèce, lorsque deux actions qui soulèvent les mêmes questions d’invalidité concernant les mêmes brevets sont intentées et doivent être réglées dans un intervalle d’à peine un mois, interdire à la Cour d’ordonner l’instruction conjointe de ces questions obligerait la Cour à instruire deux procès essentiellement identiques dans un intervalle d’un mois, ce qui nécessiterait que les mêmes avocats, les mêmes inventeurs et peut‑être les mêmes experts soient disponibles pour deux procès, donc pour une durée deux fois plus longue que si le procès était conjoint. Il sera alors plus difficile de trouver des dates de disponibilité communes et il pourrait y avoir des retards inutiles. Il pourrait également être impossible de s’assurer que le même juge soit disponible pour les deux procès dans les délais précisés par le Règlement, ce qui entraînerait une perte d’efficacité et pourrait prolonger le temps requis pour rendre une décision. La perspective d’un procès conjoint sert également à inciter les parties dans les deux actions à coordonner et à mener des interrogatoires préalables conjoints des inventeurs, éliminant ainsi le risque de retards qu’entraînerait la participation répétée de multiples inventeurs à deux séries d’interrogatoires préalables.

[…]

[24] Les motifs susmentionnés mènent également à la conclusion inévitable qu’une telle ordonnance permettra de régler sur le fond de manière juste et de la façon la plus expéditive et la moins coûteuse les questions en litige dans les deux actions, et qu’elle est dans l’intérêt de la justice.

[4]  Comme l’a fait remarquer la juge responsable de la gestion de l’instance, les actions contre Teva et Apotex ont été intentées à un mois d’intervalle, en réaction aux avis d’allégation signifiées à Bayer par les défenderesses. Toutefois, Taro et Sandoz ont signifié leurs avis d’allégation de plusieurs mois plus tard, de sorte que Bayer n’a intenté les actions contre elles que des mois plus tard. Le tableau ci‑dessous présente les dates pertinentes :

Défenderesse

Date de signification des avis d’allégation

Date des déclarations

24 mois

Teva

28 septembre 2018

9 novembre 2018

9 novembre 2020

Apotex

23 octobre 2018

7 décembre 2018

7 décembre 2020

Taro

23 janvier 2019

8 mars 2019

8 mars 2021

Sandoz

2 avril 2019

17 mai 2019

17 mai 2021

[5]  En arrière‑plan de l’aperçu exposé ci‑dessus, un autre brevet lié au médicament en cause (le brevet 561) – un brevet dont la validité n’est contestée par aucune des défenderesses – arrivera à expiration le 11 décembre 2020. S’agissant des affaires en instance dans le cas de Teva et d’Apotex, cette date coïncide plus ou moins avec l’expiration du délai de 24 mois dans lequel le Règlement exige qu’une décision soit rendue dans ces affaires. Teva et Apotex s’entendent pour dire qu’aucune d’entre elles n’aura l’« avantage d’être la première à entrer sur le marché » après l’expiration du brevet 561 si elles obtiennent gain de cause à l’issue de ces procès, parce qu’une décision scellant le sort des affaires portant sur ces autres brevets connexes aura été rendue peu avant le 11 décembre 2020. Elles affirment qu’elles ont fait en sorte que la date de signification de leurs avis d’allégation coïncide avec la date d’expiration du brevet 561 et qu’elles ne devraient pas perdre l’avantage commercial qu’elles ont ainsi obtenu sur Taro et Sandoz, qui n’ont pas agi au moment opportun.

III.  Argumentation des parties

[6]  Selon Teva et Apotex, le fait de constituer parties de nouvelles défenderesses au stade actuel de l’instance leur portera préjudice, notamment en raison des délais très serrés fixés pour l’étape préparatoire aux procès et pour les procès qui permettront de disposer de leurs affaires. Elles font remarquer que les décisions récentes de la Cour concernant l’instruction de questions communes dans d’autres affaires concernant des médicaments brevetés (avis de conformité) portent toutes sur des actions intentées sur une très courte période; elles renvoient à l’ordonnance de février 2019 rendue dans la présente instance, ainsi qu’à une ordonnance semblable rendue dans Biogen Canada Inc. c Taro Pharmaceuticals Inc., 2018 CF 1034 [Biogen], où les actions contre les deux défenderesses ont été engagées sur une période légèrement supérieure à cinq semaines. Dans les cas où les dates limites pour régler le sort d’actions sont rapprochées, il y a un avantage évident pour les parties de coordonner l’étape préparatoire au procès et le procès lui‑même, qui peut être obtenu au moyen d’une ordonnance portant sur l’instruction de questions communes. Concrètement, aucune des défenderesses dans l’une ou l’autre de ces affaires ne pouvait tirer l’avantage commercial important d’être la première sur le marché en raison du calendrier de ces procès.

[7]  Toutefois, Teva et Apotex soutiennent que le fait de constituer Taro et Sandoz parties défenderesses relativement à l’instruction des questions communes leur causera préjudice à plusieurs égards. Premièrement, comme nous l’avons indiqué ci‑dessus, elles soutiennent que Taro et Sandoz n’ont pas fait coïncider la signification de leurs avis d’allégation à Bayer avec l’expiration du brevet 561, et qu’elles ont donc renoncé à un possible avantage commercial. Constituer Taro et Sandoz parties défenderesses au stade actuel de la tenue de l’audience commune reviendrait à leur permettre de brûler les étapes normalement traversées dans le délai de 24 mois prescrit par le Règlement, et de regagner ainsi l’avantage commercial qu’elles ont perdu.

[8]  En outre, Teva et Apotex soulignent que les calendriers initialement prévus pour leurs actions ont été fixés par la juge responsable de la gestion de l’instance avant même que les déclarations ne soient produites dans les affaires Taro et Sandoz. Les quatre actions se trouvent donc à des étapes fort différentes de leurs calendriers respectifs qui doivent être établis de manière à respecter les délais très serrés prescrits par le Règlement. Elles soutiennent que leur arrivée tardive dans l’instance en accroîtra inévitablement la complexité, entraînera des coûts supplémentaires et occasionnera des retards tant à l’étape préparatoire au procès en cours qu’à l’instruction proprement dite des questions communes.

[9]  Teva et Apotex soutiennent qu’elles ont travaillé ensemble pour se préparer pour l’instruction des questions communes et harmoniser leurs actes de procédures. Cette collaboration a nécessité davantage de temps et entraîné des coûts supplémentaires, mais elle pourrait leur permettre de réaliser des économies ou à tout le moins, de partager les coûts associés à la préparation du procès et au procès lui‑même. Des dates provisoires ont déjà été fixées pour l’audience et la préparation du procès est déjà bien avancée.

[10]  Teva et Apotex soutiennent en outre que tous les coûts supplémentaires que Bayer devra assumer si Taro et Sandoz ne sont pas constituées parties défenderesses relativement à l’instruction des questions communes sont simplement le résultat de sa décision d’intenter ces actions contre les quatre défenderesses et qu’il s’agit d’une conséquence naturelle du régime établi par le Règlement.

[11]  Bayer soutient que Taro et Sandoz devraient être constituées parties défenderesses relativement à l’instruction des questions communes, étant donné que le déroulement sera généralement le même pour toutes les actions et que le fait de les constituer relativement à cette étape précise ne devrait pas retarder sensiblement l’instance. Bayer fait valoir qu’elle sera en mesure de poursuivre ses préparatifs en vue du procès et de s’acquitter de ses obligations envers toutes les parties en ce qui concerne la production de documents et les interrogatoires préalables, et que l’arrivée de deux autres défenderesses ne retardera pas ses travaux. Bayer souligne également les avantages évidents d’un procès commun pour les quatre défenderesses, où seront vraisemblablement examinées les mêmes questions en litige et où seront présentés les mêmes témoins et des arguments juridiques identiques ou très similaires. Il est également préférable d’éviter que des procès distincts ne mènent à des résultats différents, alors que les questions touchant à l’interprétation des revendications et à l’invalidité sont pratiquement identiques.

[12]  Bayer fait valoir que le fait pour les autres défenderesses de ne pas être constituées parties à la présente instance lui causera préjudice, car elle devra assumer les coûts et le fardeau supplémentaires découlant du chevauchement d’obligations multiples liées à la communication de documents, aux interrogatoires préalables et à la préparation de chacun des différents procès. Bayer souligne que les étapes préparatoires au procès se dérouleront à peu près au même moment puisqu’il est nécessaire de régler toutes les affaires dans les délais fixés par le Règlement.

[13]  Bayer soutient que la Cour devrait rejeter l’argument selon lequel Teva et Apotex perdront leur « avantage d’être les premières à entrer sur le marché » si Taro et Sandoz sont constituées parties défenderesses relativement à l’instruction des questions communes, et ce, pour les raisons données par la juge responsable de la gestion de l’instance dans l’ordonnance de février 2019 (au par. 7) :

[7] Aucune des parties dans l’affaire Biogen n’a soutenu que l’instruction conjointe de certaines des questions en litige constituait une réunion des actions, qui est interdite par l’article 6.02 du Règlement. Cependant, Taro s’est opposée à l’audience commune proposée au motif que cela pourrait mener à des jugements concordants et lui faire perdre l’avantage commercial d’être la première à commercialiser une version générique de son produit. La Cour a examiné les arguments de Taro et a conclu qu’une ordonnance prescrivant la tenue d’une audience commune pour les questions d’invalidité ne voulait pas nécessairement dire qu’Apotex obtiendrait un jugement en même temps que Taro, tout comme l’inverse ne garantissait pas que Taro soit la première à commercialiser le produit. Dans tous les cas, la Cour a conclu que rien dans le Règlement ne donnait au fabricant de génériques qui est le premier à envoyer un avis d’allégation au sujet d’un médicament en particulier le droit d’être le premier à obtenir un jugement dans une action intentée en vertu du Règlement.

[14]  Bayer souligne également qu’en l’espèce, Apotex a déposé sa présentation abrégée de drogue nouvelle auprès de Santé Canada en 2015, mais qu’elle a attendu la fin de 2018 pour envoyer son avis d’allégation. Cette situation fait voir qu’un certain nombre de considérations dictent le moment opportun pour l’accomplissement des démarches et que la Cour ne devrait pas être indûment influencée par des arguments selon lesquels les parties qui entreprennent des démarches en premier devraient être celles qui en tirent un avantage commercial.

[15]  Taro soutient que l’argument de Teva et d’Apotex, selon lequel elles devraient tirer un avantage commercial pour avoir entamé leurs démarches au moment où elles l’ont fait, devrait être rejeté parce qu’il tient pour acquis que les premiers à faire leur entrée sur le marché ont droit à une période d’exclusivité sur le marché alors que le législateur n’a pas prévu une telle période lorsqu’il a modifié le Règlement. Bien que le cadre établi par le Règlement témoigne d’un désir de certitude et d’efficacité, il ne garantit aucune période d’exclusivité pour le premier fabricant de médicaments génériques à signifier un avis d’allégation. Une telle disposition a expressément été écartée des modifications apportées récemment au Règlement, et la Cour ne devrait pas en prononçant ses décisions de nature procédurale créer une telle garantie.

[16]  En outre, Taro fait valoir qu’elle a en fait « rejoint » Teva et Apotex dans ses préparatifs en vue du procès et que le fait qu’elle soit constituée partie défenderesse relativement à la présente étape ne retardera pas l’instance. L’instruction des questions communes est conforme aux objectifs généraux de l’article 3 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, puisqu’elle permettrait « [de rendre une décision au fond] qui soit juste et la plus expéditive et économique possible » sur les questions communes. Taro souligne que ses actes de procédure sont plus simples que celles des autres parties, puisqu’elle allègue l’invalidité d’un seul des brevets en cause, tandis que les autres défenderesses allèguent que trois brevets sont invalides. Les avocats chevronnés et compétents sauront comment harmoniser les actes de procédures et coordonner les préparatifs en vue du procès, comme c’est le cas dans de nombreuses autres affaires. Le surplus de temps et d’argent qui devra être consacré au fait de constituer Taro partie défenderesse relativement à la présente étape, ou la complexité accrue qui en découlera, seront largement absorbées par les économies et les avantages réalisés par l’instruction des questions que toutes ces affaires ont en commun.

[17]  Selon Taro, le point le plus important à retenir est que, sur le plan des exigences procédurales, elle a rejoint Teva et Apotex en ce qui concerne le calendrier fixé pour les étapes préparatoires au procès dans les affaires qui les visent et que le fait de la constituer partie défenderesse ne retardera pas l’instance. C’est le moyen le plus efficient, le plus efficace et le moins coûteux de régler ces questions communes.

[18]  Sandoz fait siens les arguments de Bayer et Taro et affirme qu’elle sera prête à respecter le calendrier fixé pour les étapes préparatoires au procès dans les affaires visant Teva et Apotex. Sandoz fait également valoir qu’il serait inéquitable qu’elle soit liée par les décisions sur l’interprétation des revendications et sur l’invalidité sans avoir eu la possibilité de présenter des éléments de preuve et des observations sur ces points. Si Sandoz n’est pas constituée partie défenderesse relativement à la présente étape, il est presque certain que les décisions sur les questions communes dans le cadre des affaires visant Teva et Apotex seront prises avant que Sandoz ait eu l’occasion de présenter des observations sur ces questions. Sandoz en subirait un préjudice, qui n’est pas nécessaire étant donné qu’elle peut respecter les délais impartis dans le calendrier actuel.

[19]  Teva et Apotex répliquent que l’arrivée de deux autres défenderesses fera inévitablement en sorte d’accroître la complexité des instances mises en commun, et les obligera à y consacrer plus de temps et d’argent. Qui plus est, un défendeur n’a pas le droit d’être entendu dans une instance distincte où les parties sont différentes, peu importe si les questions de fait et de droit sont les mêmes. Toute partie à un litige risque de devoir porter le poids des décisions prises dans d’autres instances (qu’il s’agisse d’actions ou d’appels distincts) où d’autres parties sont en cause, mais où sont tranchées des questions de fait ou de droit similaires. Cet état de fait n’est pas fondamentalement inéquitable pour les parties, quelles qu’elles soient.

[20]  Teva et Apotex soutiennent également que si Taro et Sandoz ne sont pas constituées parties défenderesses, elles pourraient profiter des décisions rendues en leur faveur, soit en évitant complètement un procès et en se préparant simplement leur entrée sur le marché si les brevets sont déclarés invalides soit en bénéficiant d’un procès plus court où seraient examinées des questions précises qui n’auraient pas été réglées dans le cadre de l’instance antérieure, à supposer que la décision entraîne ces conséquences. Dans les deux cas, Taro et Sandoz ne subiront aucun préjudice si elles ne peuvent pas participer à l’instruction des questions communes actuellement prévue au calendrier.

IV.  Analyse

[21]  La décision de constituer ou non Taro et Sandoz comme parties défenderesses relativement à l’instruction des questions communes actuellement fixée dans l’instance visant Teva et Apotex relève de l’exercice de la compétence inhérente de la Cour d’être maître de ses propres procédures. La Cour possède incontestablement une telle compétence (voir par exemple : Lee c Canada (Service correctionnel), 2017 CAF 228, Canada (Commission des droits de la personne) c Canadian Liberty Net, [1998] 1 RCS 626). Dans son appréciation des arguments, la Cour doit être guidée par les principes généraux énoncés à l’article 3 (consistant à « [rendre une décision au fond] qui soit juste et la plus expéditive et économique possible »), qui doivent être appliqués au cadre réglementaire particulier qui régit ce genre d’actions.

[22]  Deux considérations se rattachant à ce cadre sont particulièrement pertinentes en l’espèce : (i) l’obligation de trancher les affaires dans un délai de 24 mois et (ii) la recherche d’un équilibre global entre les droits des innovateurs et des fabricants de produits génériques, en tenant compte de leurs réalités et intérêts commerciaux respectifs, et ceux du public en général, qui se dégage du Règlement (voir Bristol‑Myers Squibb Co. c Canada (Procureur général), 2005 CSC 26).

[23]  Certes, j’estime que l’équilibre entre les réalités et les intérêts commerciaux sur lesquels est fondé le régime établi dans le Règlement constitue une considération de principe pertinente en l’espèce, mais je ne retiens pas l’argument de Teva et d’Apotex selon lequel la Cour devrait chercher, en règle générale, à protéger l’« avantage du premier à faire son entrée sur le marché ». Dans l’ensemble, je souscris aux motifs exposés par la juge responsable de la gestion de l’instance sur ce point dans la décision Biogen. Aucune partie n’a la garantie que la Cour tiendra une audience et statuera sur l’affaire qui la concerne avant les autres, et la Cour n’est pas tenue de régler les actions dans l’ordre chronologique de leur présentation.

[24]  J’estime que la présente décision doit être prise dans l’intérêt de la justice du point de vue de toutes les parties selon les circonstances particulières de ces affaires. Les deux camps ont présenté des arguments convaincants sur la question que doit trancher la Cour. D’une part, Teva et Apotex ont coopéré avec Bayer en préparation du procès de manière à respecter le calendrier fixé par la juge responsable de la gestion de l’instance. Ces préparatifs sont bien avancés et je ne doute pas que les parties devront faire preuve d’une coopération et d’une collaboration appréciables pour continuer à remplir leurs obligations respectives dans les courts délais prévus dans le calendrier. Je tiens à rappeler que le calendrier initial dans la présente instance a été fixé par la juge responsable de la gestion de l’instance le 13 décembre 2018, avant la date où les actions contre Taro et Sandoz ont été intentées. Le fait de constituer parties deux nouvelles défenderesses à la présente étape de l’instance accroîtra inévitablement la complexité des préparatifs nécessaires à l’instruction des questions communes et du déroulement de l’instruction.

[25]  En outre, Taro et Sandoz peuvent tirer un avantage d’être entendues en deuxième, car elles seront en mesure de s’adapter en fonction de l’issue des actions visant Teva et Apotex. Il se peut qu’en conséquence elles ne se rendent pas du tout à procès ou, si un procès a lieu, il est fort possible que les questions en litige soient plus restreintes ou mieux ciblées. Elles n’ont pas le droit absolu de participer aux audiences antérieures et elles ne seront pas lésées si elles n’ont pas cette possibilité. Le risque que des décisions différentes soient rendues est réduit parce que la responsabilité de toutes ces affaires a été confiée au même juge.

[26]  D’autre part, l’argument selon lequel Taro et Sandoz ont en réalité rejoint Teva et Apotex dans leurs préparatifs en vue du procès est très convaincant, de sorte que le fait de les constituer parties défenderesses relativement à l’instruction des questions communes ne retardera pas l’instance à ce stade‑ci. Bayer et la Cour réaliseront des économies évidentes de temps et d’argent en évitant deux, voire trois, audiences pour l’instruction des questions communes à toutes les affaires, puisque seulement quelques mois sépareraient les audiences. Si elles ne sont pas constituées parties défenderesses à l’instance, le calendrier prévu pour les étapes préparatoires au procès dans toutes ces affaires progressera inévitablement au même rythme, compte tenu des impératifs du calendrier et de la nécessité de régler leur sort dans le délai de 24 mois applicable à chaque affaire.

[27]  Un autre élément dont il faut tenir compte est le fait que Teva a présenté une défense et une demande reconventionnelle (je souligne que Sandoz a fait de même). Cet élément est pertinent en raison de la nature des réparations qui pourraient être accordées si Teva obtient gain de cause dans sa demande reconventionnelle, dans laquelle elle allègue que les trois autres brevets pertinents de Bayer sont invalides. Si Teva obtient gain de cause sur cette question, il semble qu’à l’expiration du brevet 561, les quatre défenderesses seront toutes en mesure de commercialiser leur version du rivaroxaban. La possibilité d’avoir l’« avantage du premier à entrer sur le marché » évoquée par Teva peut donc effectivement disparaître si elle obtient gain de cause dans sa demande reconventionnelle.

[28]  Il est également nécessaire de tenir compte des intérêts de Bayer, qui est la demanderesse dans toutes les affaires. Si Taro et Sandoz ne sont pas constituée parties défenderesses à la présente instance, Bayer fait valoir que le dédoublement et le risque de chevauchement quant aux préparatifs en vue d’audiences distinctes tenues sur des questions de droit et de fait similaires qui se tiendront à peu près au même moment lui causeront préjudice. En fait, Bayer a décidé qu’il était dans son intérêt d’intenter quatre actions distinctes à l’égard de ses brevets relatifs au rivaroxaban (remarque : au moment de la rédaction de la présente décision, Bayer avait intenté sept actions, dont une deuxième action contre Teva et de nouvelles actions contre Dr Reddy’s Laboratories Ltd. et al. (T‑1187‑19) et Accord Healthcare Inc. (T‑1221‑19)). C’est son droit, et il ne fait aucun doute que des considérations commerciales et pratiques l’ont motivée à le faire. Le Règlement permet à Bayer de bénéficie d’un sursis de 24 mois en intentant ces actions, mais elle peut également en subir les conséquences financières si elle est déboutée au fond. Tout cela fait partie de l’équilibre global des intérêts que le législateur visait dans le Règlement.

[29]  Dans les affaires que la Cour est appelée à trancher, Bayer estime peut‑être qu’elle n’avait guère d’autres moyens de défendre ses brevets qu’en intentant ces actions. Et, je le répète, c’est son droit. Toutefois, après avoir intenté quatre actions distinctes, Bayer peut difficilement prétendre à un préjudice injustifié, car elle doit désormais gérer plusieurs instances distinctes au cours de la même période. C’est une conséquence naturelle de ses actions ainsi que du régime établi dans le Règlement.

[30]  Il est vrai que Bayer peut tirer les mêmes avantages que Taro et Sandoz en ce qui concerne les procès qui suivront. En d’autres termes, selon l’issue possible des actions intentées contre Teva et Apotex, Bayer peut soit éviter la tenue d’au moins un procès contre Taro et Sandoz, soit profiter de questions en litige plus restreintes lors des procès suivants. Toutefois, si Taro et Sandoz ne sont pas constituées parties défenderesses à la présente instance, il est également possible que Bayer doive assumer la responsabilité de deux ou trois procès pour régler les mêmes questions en litige.

[31]  Les principes énoncés à l’article 3 des Règles commandent que le fardeau imposé à Bayer et que la Cour doit porter pour régler ces quatre actions ne doive pas être inutilement alourdi en présence d’une autre solution possible. Il est très important d’éviter que les décisions ne soient pas uniformes, en particulier si le calendrier actuellement fixé peut être respecté par toutes les défenderesses, même si cela représente un fardeau supplémentaire pour Taro et Sandoz.

[32]  Après avoir soigneusement examiné les observations des parties, je conclus qu’il est dans l’intérêt de la justice de constituer Taro et Sandoz parties défenderesses relativement à l’instruction des questions communes actuellement fixée dans les affaires visant Teva et Apotex. J’estime que deux considérations principales militent en faveur de ma conclusion.

[33]  Premièrement, l’arrivée des nouvelles défenderesses dans la présente instance la rendra certainement plus complexe et exigera des efforts accrus de coordination entre les avocats, mais il est évident que Taro et Sandoz sont prêtes et en mesure de respecter le calendrier déjà fixé dans les affaires visant Teva et Apotex. Je tiens à souligner que le fardeau supplémentaire, quel qu’il soit, sera supporté par toutes les parties, et j’ai confiance que les avocats chevronnés qui représentent toutes les parties dans ces affaires pourront collaborer afin de respecter calendrier. Il se peut que Taro et Sandoz doivent assumer un fardeau ou des dépenses supplémentaires pour respecter ce calendrier, mais elles ont accepté de le faire.

[34]  Deuxièmement, je conclus qu’il est dans l’intérêt de la justice d’entendre les témoins et les observations de toutes les parties avant de prendre une décision sur les questions touchant à l’interprétation des revendications et à l’invalidité. Les actions sont pratiquement identiques; la seule différence importante qui se dégage des actes de procédure est que Taro ne conteste qu’un seul des trois brevets attaqués par les autres défenderesses. Il est dans l’intérêt des parties et de la Cour d’éviter que des décisions différentes soient rendues dans ces affaires, et le moyen le plus efficace et le plus efficient d’y parvenir est de constituer Taro et Sandoz parties défenderesses relativement à l’instruction des questions communes dans la présente instance. De plus, il est dans l’intérêt de la justice que la Cour puisse entendre les témoins et les observations de toutes les parties à ces affaires avant de rendre une décision qui aura une incidence sur chacune d’elles.

[35]  L’arrivée de deux défenderesses à l’étape de l’instruction des questions communes prolongera vraisemblablement la durée de l’instruction. Par contre, cela prendra inévitablement moins de temps qu’il n’en faudrait pour tenir des audiences complètement distinctes sur ces questions. En outre, les parties seront tenues de coordonner leurs efforts afin d’éviter tout dédoublement dans les éléments de preuve ou dans les observations.

[36]  J’estime qu’il est important de tenir compte des délais serrés établis par le Règlement et des efforts que Teva et Apotex ont déployés, de concert avec Bayer, pour être à niveau dans les étapes préparatoires en vue du procès. En réalité, toutes les parties et la Cour sont tenues de respecter un délai très court de 24 mois qui comprend les étapes préparatoires en vue du procès, toute la durée du procès, ainsi que la rédaction et la publication de la décision. Ce délai est une partie intégrante de l’arrangement actuel prévu dans le Règlement, et il signifie que Taro et Sandoz doivent maintenant adapter leurs préparatifs en fonction du calendrier fixé dans les affaires visant Teva et Apotex.

[37]  Une deuxième conséquence du présent calendrier est que l’instruction des questions communes dans les affaires visant Teva et Apotex sera suivie d’audiences distinctes pour trancher la question de la contrefaçon dans leurs affaires respectives. Ces étapes devant être terminées dans un délai de 24 mois, il est donc probable que les audiences distinctes sur la contrefaçon dans les affaires visant Taro et Sandoz ne seront pas tenues avant le règlement complet de toutes les questions en litige dans les affaires visant Teva et Apotex. Cette séquence peut signifier que plusieurs mois s’écouleront entre les instances. Je tiens également à faire remarquer que les questions de contrefaçon ne soient pas du tout débattues dans les affaires visant Taro et Sandoz, selon l’issue des deux premières affaires. Il n’en découlera aucun préjudice pour les parties, puisqu’elles ont toutes convenu que chacune des défenderesses pourra débattre de la question de la contrefaçon dans le cadre d’une audience distincte.

V.  Conclusion

[38]  Pour ces motifs, je conclus que compte tenu des circonstances particulières de la présente instance, il est dans l’intérêt de la justice de constituer Taro et Sandoz parties défenderesses relativement à l’instruction des questions communes actuellement prévue pour les affaires visant Teva et Apotex.

[39]  Les préparatifs en vue du procès se poursuivront comme prévu dans le cas de toutes les défenderesses.


ORDONNANCE dans les dossiers T‑1960‑18, T‑2093‑18, T‑435‑19 et T‑806‑19

LA COUR ORDONNE que :

  1. Les questions communes dans les affaires Bayer Inc. et al. c Taro Pharmaceuticals Inc. (T‑435‑19) et Bayer Inc. et al. c Sandoz Canada Inc. (T‑806‑19) et les questions communes, pour lesquelles une date d’instruction a déjà été fixée dans les affaires Bayer Inc. et al. c Teva Canada Limitée (T‑1960‑18) et Bayer Inc. et al. c Apotex Inc. (T‑2093‑18), seront instruites conjointement.

  2. Les préparatifs en vue du procès se poursuivront conformément au calendrier actuellement établi pour les affaires visant Teva et Apotex.

« William F. Pentney »

Juge

Traduction certifiée conforme

Le 16e jour d’août 2019.

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

T‑1960‑18, T‑2093‑18, T‑435‑19, T‑806‑19

DOSSIER :

T‑1960‑18

INTITULÉ :

BAYER INC. ET BAYER INTELLECTUAL PROPERTY GMBH c TEVA CANADA LIMITÉE

DOSSIER :

T‑2093‑18

INTITULÉ :

BAYER INC. ET BAYER INTELLECTUAL PROPERTY GMBH c APOTEX INC.

DOSSIER :

T‑435‑19

INTITULÉ :

BAYER INC. ET BAYER INTELLECTUAL PROPERTY GMBH c TARO PHARMACEUTICALS INC.

DOSSIER :

T‑806‑19

INTITULÉ :

BAYER INC. ET BAYER INTELLECTUAL PROPERTY GMBH c SANDOZ CANADA INC.

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

PAR TÉLÉCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 JUIN 2019

ORDONNANCE ET MOTIFS RENDUS PAR :

LE JUGE PENTNEY

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

LE 1ER AOÛT 2019

COMPARUTIONS :

Christopher Van Barr

Will Boyer

Melissa Binns

POUR LES DEMANDERESSES

Bradley White

Faylene Lunn

Lilian Wallace

POUR LA DÉFENDERESSE

TEVA CANADA LIMITÉE

Harry Radomski

Carol Scott

POUR LA DÉFENDERESSE

APOTEX INC.

Kavita Ramamoorthy

Ben Wallwork

POUR LA DÉFENDERESSE

TARO PHARMACEUTICALS INC.

Carol Hitchman

Kelly McClellan

Kristina Zilic

POUR LA DÉFENDERESSE

SANDOZ CANADA INC.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling WLG

Avocats et conseillers juridiques

Ottawa (Ontario)

POUR LES DEMANDERESSES

Osler, Hoskin & Harcourt S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats et conseillers juridiques

Ottawa (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

TEVA CANADA LIMITÉE

Goodmans LLP

Avocats et conseillers juridiques

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

APOTEX INC.

Fineberg Ramamoorthy LLP

Avocats et conseillers juridiques

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

TARO PHARMACEUTICALS INC.

Sprigings Intellectual Property Law

Avocats et conseillers juridiques

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

SANDOZ CANADA INC.

 

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