Décisions de la Cour fédérale

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Date : 20050420

Dossier : T-1875-04

Référence : 2005 CF 554

Ottawa (Ontario), le 22 avril 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :

DAVID B. COFFEY

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA JUSTICE

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE            

[1]                Il s'agit d'une requête présentée en vertu de l'article 51 des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/2004, article 2, par laquelle l'appelant, le ministre de la Justice (le ministre ou l'appelant), interjette appel de l'ordonnance datée du 3 décembre 2004 par laquelle le protonotaire a rejeté la requête de l'appelant visant à faire retirer l'avis de demande du dossier de la Cour, ou à le faire radier, dans l'action T-1875-04 de la Cour fédérale.


Résumé des faits

[2]                L'intimé dans le présent appel, David Coffey (l'intimé), est résident permanent du Canada. Il a été membre du Corps des Marines des États-Unis et a reçu son certificat de libération honorable le ou vers le 12 février 1999. Le 13 février 1999, il a été arrêté et inculpé par la Caroline du Nord de trois infractions liées aux stupéfiants avant d'être mis en liberté sous caution. Le 5 mars 1999, les accusations portées contre l'intimé ont été retirées parce que l'affaire a été transférée au tribunal militaire des États-Unis (United States Military Court). Quand il a appris qu'il allait faire face à des accusations en vertu du Uniform Code of Military Justice, l'intimé est revenu au Canada.

[3]                Le 15 janvier 2004, un mandat d'arrêt a été délivré contre l'intimé en réponse à une demande d'extradition présentée par les États-Unis d'Amérique. L'intimé a été mis en liberté sur promesse de comparaître le 2 février 2004. L'audition de la demande d'extradition a commencé le 25 octobre 2004 devant le juge Sinclair de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba.

[4]                L'intimé a déposé son avis de demande en vertu de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, art. 1; 2002, ch. 8, art. 14, contestant la décision du ministre de prendre un arrêté introductif d'instance conformément à la Loi sur l'extradition, L.C. 1999, ch. 18 (la Loi). Le ministre a par la suite déposé une requête visant à faire radier l'avis de demande. Cette requête a été rejetée par le protonotaire le 3 décembre 2004.

Résumé des observations de l'appelant


[5]                L'appelant a soutenu que (i) le protonotaire a conclu à tort que la demande n'avait aucune chance d'être accueillie, (ii) la décision du ministre de prendre un arrêté introductif d'instance conformément à la Loi constitue une décision et la demande est donc prescrite, et (iii) la Cour devrait refuser d'exercer sa compétence de connaître du contrôle judiciaire, car il existe un autre recours adéquat en vertu de la Loi.

Résumé des observations de l'intimé

[6]                L'intimé a soutenu que (i) tous les arguments avancés par l'appelant comportent des conclusions discutables de nature juridique qui devraient être examinées à l'audience portant sur la demande de contrôle judiciaire, (ii) l'arrêté introductif d'instance n'est pas une « décision » au sens du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales et, par conséquent, n'est pas assujetti au délai de dépôt de trente jours, et (iii) en raison du rôle limité que jouent les juges d'extradition, on peut se demander s'il existe en vertu de la Loi un autre recours devant les tribunaux des provinces.

Questions en litige

[7]                1.          Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision du protonotaire?

2.          Le protonotaire a-t-il commis une erreur susceptible de contrôle?

Dispositions législatives pertinentes

[8]                Les dispositions pertinentes de la Loi sur les Cours fédérales, précitée, sont les suivantes :


18.1 (1) Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par l'objet de la demande.

(2) Les demandes de contrôle judiciaire sont à présenter dans les trente jours qui suivent la première communication, par l'office fédéral, de sa décision ou de son ordonnance au bureau du sous-procureur général du Canada ou à la partie concernée, ou dans le délai supplémentaire qu'un juge de la Cour fédérale peut, avant ou après l'expiration de ces trente jours, fixer ou accorder.

18.1 (1) An application for judicial review may be made by the Attorney General of Canada or by anyone directly affected by the matter in respect of which relief is sought.

(2) An application for judicial review in respect of a decision or an order of a federal board, commission or other tribunal shall be made within 30 days after the time the decision or order was first communicated by the federal board, commission or other tribunal to the office of the Deputy Attorney General of Canada or to the party directly affected by it, or within any further time that a judge of the Federal Court may fix or allow before or after the end of those 30 days.

[9]                Les dispositions pertinentes de la Loi sur l'extradition, précitée, sont les suivantes :

43. (1) L'intéressé peut, au plus tard trente jours après la délivrance d'une ordonnance d'incarcération, présenter ses observations au ministre sur toute question touchant son extradition éventuelle vers le partenaire.

49. L'intéressé peut faire appel de son incarcération et le procureur général - au nom du partenaire -, du refus de délivrer une ordonnance d'incarcération ou de l'arrêt de la procédure. L'appel est entendu par la cour d'appel de la province où la décision a été rendue et se fonde:

57. (1) Malgré la Loi sur les Cours fédérales, la cour d'appel de la province où l'incarcération a été ordonnée a compétence exclusive pour connaître, conformément au présent article, de la demande de révision judiciaire de l'arrêté d'extradition pris au titre de l'article 40.

43. (1) The person may, at any time before the expiry of 30 days after the date of the committal, make submissions to the Minister in respect of any ground that would be relevant to the Minister in making a decision in respect of the surrender of the person.

49. A person may appeal against an order of committal - or the Attorney General, on behalf of the extradition partner, may appeal the discharge of the person or a stay of proceedings - to the court of appeal of the province in which the order of committal, the order discharging the person or the order staying the proceedings was made,

57. (1) Despite the Federal Courts Act, the court of appeal of the province in which the committal of the person was ordered has exclusive original jurisdiction to hear and determine applications for judicial review under this Act, made in respect of the decision of the Minister under section 40.


Analyse et décision

[10]            Question 1

Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision du protonotaire?

Si la requête dont l'appelant a saisi le protonotaire devait être accueillie, sa demande prendrait fin. Comme la requête soulevait une question déterminante pour le sort du litige (voir Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.)), je dois exercer mon pouvoir discrétionnaire de novo.

[11]            Question 2

Le protonotaire a-t-il commis une erreur susceptible de contrôle?

La requête soumise au protonotaire visait à obtenir :

1.          une ordonnance prévoyant le retrait de l'avis de requête du dossier de la Cour ou sa radiation dans l'affaire T-1875-04;

2.          subsidiairement :

(a)         une ordonnance prorogeant de vingt jours, à compter de la date de la décision sur la requête, le délai prévu par l'article 318 des Règles de la Cour fédérale (1998) pour la transmission d'une copie certifiée des documents demandés par le demandeur, s'il y a lieu;

(b)         une ordonnance prorogeant de trente jours, à compter de la décision sur la requête, le délai prévu par l'article 306 des Règles de la Cour fédérale (1998) pour déposer et signifier l'affidavit du demandeur.

[12]                                    Les motifs invoqués dans la requête étaient les suivants :


1.          Le paragraphe 74(1) des Règles de la Cour fédérale (1998) porte qu'une ordonnance prévoyant le retrait d'un avis de demande peut être rendue lorsqu'un document n'a pas été déposé en conformité avec une loi fédérale. L'avis de demande n'a pas été déposé conformément à la Loi sur les Cours fédérales, précitée, parce qu'il a été déposé après l'expiration du délai de trente jours prévu par le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, précitée.

2.          La Cour a la compétence inhérente voulue pour radier un avis de demande.

3.          L'avis de demande n'a aucune chance d'être accueilli puisqu'il a été déposé après l'expiration du délai de trente jours prévu par le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, précitée; de plus, la date de la décision ou de sa communication au demandeur ne soulevait aucune question susceptible d'être débattue.

4.          La demande visant à obtenir une ordonnance de certiorari, annulant l'arrêté introductif d'instance, n'a aucune chance d'être accueillie parce que la Cour devrait toujours refuser d'exercer sa compétence pour procéder au contrôle judiciaire d'un arrêté introductif d'instance, car la Loi sur l'extradition, précitée, prévoit un autre recours adéquat.

5.          La demande d'une ordonnance d'interdiction visant à empêcher le ministre de la Justice d'extrader M. Coffey aux États-Unis d'Amérique n'a aucune chance d'être accueillie parce que la Cour n'a pas compétence en vertu de la Loi sur les Cours fédérales, précitée, pour réviser un arrêté d'extradition pris en vertu des articles 40 et 57 de la Loi sur l'extradition, précitée.


6.          L'avis de demande est un abus de procédure parce que M. Coffey tente d'obtenir la divulgation de documents dont il n'a pas le droit de prendre connaissance dans le cadre de la procédure d'extradition.

7.          Subsidiairement :

a. une ordonnance prorogeant le délai prévu par les Règles de la Cour fédérale (1998) peut être obtenue en vertu de l'article 8 de ces règles et, compte tenu des circonstances de l'espèce, il est juste et raisonnable que la Cour accorde la prorogation de délai demandée dans la requête.

[13]            En outre, l'intimé a demandé, tant devant le protonotaire que dans le présent appel, la tenue d'une audience pour instruire l'affaire. Après avoir examiné la jurisprudence pertinente, le protonotaire a décidé que l'espèce ne nécessitait pas d'audience. Je suis d'accord avec la décision du protonotaire et je conclus aussi que l'affaire ne nécessite pas la tenue d'une audience.

[14]            Le critère établi par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt David Bull Laboratories (Can.) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588, quant à la radiation d'un avis de requête introductif d'instance, est que l'avis doit être « manifestement irrégulier au point de n'avoir aucune chance d'être accueilli » .

Prescription

[15]            En réponse à l'argument de l'appelant voulant que l'avis de demande n'a pas été déposé dans le délai de trente jours prévu par le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, précitée, le protonotaire a dit au paragraphe 9 :


Le défendeur invoque une preuve par affidavit pour établir la prescription. Or, une requête en radiation fondée sur la prescription doit être présentée sous le régime de ce qui était l'alinéa 419(1)a) des Règles et qui en forme maintenant l'alinéa 21(1)a), ainsi que nous l'enseigne la Cour d'appel dans l'arrêt Sembawang Reefer Lines (Bahamas) Ltd. c. Lina Erre (Le navire) (1990), 114 N.R. 270, aux pages 270 et 271 :

[4] En général, un moyen de défense fondé sur la prescription fera partie de la défense au fond (Règle 409). Il pourrait aussi, dans des circonstances appropriées, faire l'objet d'une décision préliminaire (Règle 474) ou d'un exposé des faits (Règle 475) ou même d'une demande de jugement sommaire (Règle 341). Toutefois, lorsque, comme en l'espèce, la prescription de l'action constitue une question préliminaire et qu'elle est soulevée au moyen d'une simple demande de radiation, on doit se conformer à la Règle 419(1)a) dont voici le libellé :

Règle 419. (1) La Cour pourra, à tout stade d'une action, ordonner la radiation de tout ou partie d'une plaidoirie avec ou sans permission d'amendement, au motif :

a)    qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'action ou de défense, selon le cas;

[5] Une telle demande est assujettie à la restriction prévue par la Règle 419(2) :

(2) Aucune preuve n'est admissible sur une demande aux termes de l'alinéa (1)a).

[6] En l'espèce, pour pouvoir établir quel droit étranger était applicable et conclure que celui-ci avait pour effet d'éteindre le privilège maritime, le juge des requêtes devait considérer et évaluer un grand nombre d'éléments de preuve et choisir parmi eux pour connaître le contenu de ce droit étranger. C'est grâce aux affidavits déposés spécialement à l'appui ou à l'encontre de l'avis de requête qu'on trouve ces éléments de preuve au dossier. Ceux-ci n'étaient pas admissibles et le juge des requêtes n'aurait pas dû en tenir compte. En leur absence, la demande ne pouvait réussir et elle aurait dû être rejetée.

Le message principal de ce passage, pour ce qui concerne l'application des Règles de la Cour fédérale (1998) (les Règles), est qu'une requête en radiation fondée sur la prescription relève de l'alinéa 221(1)a) -- l'absence de cause d'action ou de défense valable -- et que le paragraphe 221(2) m'interdit de tenir compte de la preuve par affidavit produite par le défendeur à l'appui de sa requête. Cela porte un coup fatal au moyen du défendeur fondé sur la prescription, étant donné que son avocate invoque à cet égard une partie de l'affidavit de Me Robert Maertens, avocat au ministère de la Justice, plus précisément les paragraphes 5 et 6 de ce document.


[16]            Le protonotaire a signalé les divergences d'opinion entre les avocats sur la question de savoir si l'arrêté introductif d'instance est une décision assujettie au délai de trente jours prévu par le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, précitée. Les affaires invoquées par l'intimé (Friedman & Friedman Inc. c. Canada (Surintendant des faillites), 211 F.T.R. 161, et Peter G. White Management Ltd. c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 251 F.T.R. 235, 2004 CF 597) indiquent clairement que toutes les questions assujetties à un contrôle judiciaire par la Cour fédérale ne sont pas nécessairement des décisions ou des ordonnances elles aussi assujetties au délai de trente jours, et le demandeur ne conteste pas cette affirmation.

[17]            En l'espèce, l'appelant a soutenu que la juge Layden-Stevenson a statué dans Froom c. Canada (Ministre de la Justice), 2003 CF 1299, qu'un arrêté introductif d'instance est une décision visée par les dispositions de l'article 18.1. Elle a conclu au paragraphe 14 que « la question est formulée de cette manière parce que le défendeur a admis, au cours de l'audience, que [traduction] "d'après l'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, il est impossible de prétendre que la décision du ministre n'est pas une décision au sens de cet article" ou que la Cour n'a pas compétence pour en faire le contrôle » . L'intimé a fait valoir q'une décision finale n'a pas été rendue sur la question de savoir si un arrêté introductif d'instance est une décision visée par le paragraphe 18.1(2). Je souligne que la juge Layden-Stevenson n'a pas dit, dans Froom, précitée, qu'un arrêté introductif d'instance était une décision assujettie au délai de trente jours plutôt qu'une question visée par le paragraphe 18.1(1) à l'égard de laquelle la Cour pouvait aussi exercer son pouvoir de contrôle.


[18]            En conséquence, je suis d'accord avec la décision du protonotaire selon laquelle « il peut à l'évidence être soutenu qu'elle ne relève pas de l'exception aux règles générales énoncées dans l'arrêt David Bull, précité -- d'abord parce qu'il se pourrait que le délai de 30 jours ne soit pas applicable, ensuite parce qu'une question aussi sérieuse et importante ne doit pas être tranchée dans le cadre d'une requête en radiation » .

[19]            En réponse à l'argument de l'appelant selon lequel l'article 74 des Règles de la Cour fédérale, précitées, permet à la Cour de retirer l'avis de demande du dossier (et lui permet d'examiner la preuve par affidavit produite à l'appui d'une requête à cet égard), le protonotaire a dit qu'aucune jurisprudence n'avait été invoquée à l'appui de cette affirmation.

[20]            Pour appuyer sa prétention, l'appelant invoque la décision du protonotaire adjoint Giles dans Dutt c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.J. no 1518 (1re inst.), dans laquelle il a dit :

L'avis introductif de la présente demande a été présenté en retard, n'a pas été correctement déposé et doit être retiré du dossier de la Cour comme le prévoit la règle 74; cependant, aucune requête n'a été présentée en vertu de cette règle; seule une requête en radiation la été. Lorsque l'on considère si les circonstances sont telles que le rare recours à la radiation d'une demande devrait être accueilli, je considère le fait qu'une requête en vertu de la règle 74 -- si elle avait été présentée, elle aurait certainement était accueillie -- est suffisante pour demander que la requête en radiation soit accueillie.


[21]            Je ne suis pas d'accord pour dire que l'article 74 devait être utilisé pour obtenir le retrait du dossier d'un acte introductif d'instance. Cependant, même si on accepte cette proposition, comme j'ai confirmé la décision du protonotaire selon laquelle on peut se demander si un arrêté introductif d'instance est effectivement une décision assujettie au délai de trente jours, l'information contenue dans l'affidavit de Robert Maertens quant aux dates des événements n'est d'aucune utilité pour l'appelant dans le présent appel.

La demande en tant qu'abus de procédure

[22]            L'appelant a fait valoir devant le protonotaire que la demande est un abus de procédure et une tentative, de la part du demandeur, d'obtenir des documents dont il n'a pas le droit de prendre connaissance dans le cadre du processus d'extradition. Dans le présent appel, l'appelant a simplement souligné qu'en ce qui concerne la divulgation de documents, le processus d'extradition prévoit un régime de divulgation complète, élaboré dans des décisions rendues en matière de procédures d'extradition engagées en vertu de la Loi.

[23]            Dans la mesure où la question de la divulgation m'est soumise en l'espèce, je suis d'accord avec la décision du protonotaire de ne pas rejeter la demande sous prétexte qu'elle constitue un abus de procédure. La Cour suprême du Canada a statué, dans l'arrêt États-Unis d'Amérique c. Kwok, [2001] 1 R.C.S. 532, 2001 CSC 18, que la divulgation en vertu de la Loi est restreinte aux preuves sur lesquelles s'appuie l'État. Toutefois, le demandeur allègue qu'il s'agit en l'espèce du contrôle de la décision de prendre l'arrêté introductif d'instance et non de l'extradition elle-même.

Compétence


[24]            S'appuyant sur l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Froom c. Canada (Ministre de la Justice), 2004 CAF 352, l'appelant a soutenu que la Cour devait refuser d'exercer sa compétence pour statuer sur la demande de contrôle judiciaire de l'arrêté introductif d'instance présentée par le demandeur parce que la Loi sur l'extradition, précitée, prévoit un autre recours adéquat. L'appelant a ensuite fait remarquer que, premièrement, la Cour d'appel fédérale n'a pas affirmé, en termes non équivoques, que la Cour fédérale doit toujours refuser d'exercer sa compétence. De plus, comme l'a dit le juge Gibson dans Froom c. Canada (Ministre de la Justice), 2002 CFPI 1278, dans le cadre d'un appel de la décision rendue par le protonotaire sur une requête en radiation d'un avis de demande, si le législateur avait voulu retirer à la Cour fédérale la compétence pour effectuer le contrôle judiciaire des arrêtés introductifs d'instance, il aurait pu conférer cette compétence uniquement au juge d'extradition ou à la Cour d'appel de la province en cause. C'est le cas lors du contrôle de la décision du ministre d'extrader un individu en vertu du paragraphe 57(1) de la Loi.

[25]            Le protonotaire a dit au paragraphe 17 à propos de l'arrêt Froom, précité, de la Cour d'appel :

La compétence applicable en matière d'interdiction est [...] restreinte, mais dans la mesure où elle peut exister, je ne suis pas disposé à prononcer la radiation au motif d'incompétence. En fait, la Cour d'appel, dans Froom, ne dit ni explicitement ni implicitement que la Cour fédérale devrait toujours se déclarer inapte à connaître de la demande de contrôle judiciaire d'un arrêté introductif d'instance, car elle ajoute des réserves à cette proposition générale [...] la question est de savoir si le juge d'extradition est ou non compétent pour contrôler un arrêté introductif d'instance [...] Du point de vue de la Cour d'appel, le juge d'extradition, par exemple le juge saisi de l'affaire considérée au Manitoba, n'est pas compétent pour effectuer le contrôle judiciaire de l'arrêté introductif d'instance. La Cour d'appel, toujours dans Froom, examine ensuite d'autres recours possibles. Cependant, cette voie fait naître tant d'incertitudes que je ne suis pas disposé à radier la demande sur le fondement de cet argument relatif à la compétence [...]

[26]            En toute déférence, je ne suis pas d'accord avec l'interprétation faite par le protonotaire de la décision de la Cour d'appel dans Froom, précité. La Cour d'appel a convenu que « la Cour fédérale devrait dans tous les cas refuser d'exercer sa compétence pour statuer sur une demande de contrôle judiciaire relative à un arrêté introductif d'instance lorsque la demande est fondée sur des arguments qui relèvent carrément de la compétence du juge d'extradition » . Elle a également admis que « le juge d'extradition n'a pas compétence pour procéder au contrôle judiciaire de l'arrêté introductif d'instance » . Toutefois, la Cour d'appel a ensuite dit ce qui suit :


Cependant, je ne puis souscrire à l'avis de la juge selon lequel il s'ensuit nécessairement que le juge d'extradition n'a pas compétence pour accorder une réparation adéquate lorsque la délivrance de l'arrêté introductif d'instance est entachée d'une irrégularité importante de la part du ministre. Bien au contraire, j'estime que le juge d'extradition qui a devant lui des éléments de preuve indiquant que le ministre a agi de manière arbitraire ou de mauvaise foi lorsqu'il a délivré l'arrêté introductif d'instance ou qu'il a été motivé par des raisons inappropriées ou des facteurs non pertinents possède la compétence nécessaire pour accorder une réparation adéquate en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés ou en vertu de la compétence inhérente dont disposent les cours supérieures pour contrôler leurs propres procédures et empêcher l'utilisation abusive de celles-ci : États-Unis d'Amérique c. Cobb, [2001] R.C.S. 587, United States of America c. Gillingham (2004), 239 D.L.R. (4th) 320 (C.A. C.-B.).

En fait, un examen du dossier déposé en l'espèce, des douzaines de jugements cités par les deux avocats et des observations verbales et écrites de chacun d'eux ne révèlent aucun exemple de contestation de la validité d'un arrêté introductif d'instance pour lequel le juge d'extradition ou la cour d'appel provinciale ne pourrait accorder de réparation adéquate, eu égard aux décisions judiciaires qui ont été rendues depuis l'ordonnance portée en appel en l'espèce. L'éventail de réparations que peuvent accorder les juges d'extradition, et les cours d'appel provinciales siégeant dans les appels relatifs aux mandats d'extradition ou dans les demandes de contrôle judiciaire relatives aux décisions d'extradition du ministre, n'est pas aussi restreint qu'il semblait l'être lorsque la juge a été saisie de la demande de contrôle judiciaire de M. Froom.

[27]            Les motifs invoqués dans l'avis de demande ne présentent pas d'arguments qui ne relèvent pas de la compétence du juge d'extradition. Il est clair, d'après l'arrêt Froom, précité, de la Cour d'appel, que les procédures d'extradition comportent d'autres recours adéquats que l'exercice par la Cour fédérale de sa compétence pour effectuer le contrôle judiciaire d'un arrêté introductif d'instance. Outre la compétence inhérente de la Cour du Banc de la Reine, la Loi permet à l'intimé d'interjeter appel de l'ordonnance d'incarcération devant la Cour d'appel du Manitoba (article 49), lui donne la possibilité de présenter des observations au ministre avant qu'il décide de l'extrader ou non (article 43) et lui permet de demander une révision judiciaire à la Cour d'appel du Manitoba si le ministre ordonne l'extradition (article 57). Dans chacun de ces cas, les éléments sur lesquels repose la décision du ministre peuvent faire l'objet d'une révision judiciaire. Par conséquent, comme l'a conclu la Cour d'appel fédérale dans Froom, précité, il existe, en l'espèce, un autre recours adéquat que l'exercice par la Cour de sa compétence pour effectuer un contrôle judiciaire.


[28]            Je signale la lettre datée du 19 janvier 2005 dans laquelle l'avocat de l'intimé a indiqué à la Cour que la réponse de l'appelant n'est pas appropriée parce qu'elle constitue une tentative de sa part de débattre à nouveau sa preuve en invoquant de nouveaux arguments et jugements. Comme l'un des principaux arguments de l'appelant dans son mémoire était l'existence d'un autre recours en vertu de la Loi, aucun argument nouveau n'a été soumis à cet égard. On ne pourrait pas raisonnablement considérer qu'il est préjudiciable à l'intimé d'indiquer en réponse à la Cour les articles de la Loi qui précisent les options qui s'offraient à lui.

[29]            La date des jugements auxquels a fait référence l'intimé dans sa lettre est antérieure au dépôt de la requête interjetant appel de l'ordonnance du protonotaire. Même si l'intimé n'a soumis aucune jurisprudence établissant qu'il est préjudiciable pour la partie adverse de signaler la jurisprudence existante à la Cour à l'étape de la réponse, comme les présents motifs l'indiquent, je ne me suis pas appuyé sur la jurisprudence invoquée en l'occurrence pour prendre ma décision dans le présent appel.

[30]            Je conclus donc que le protonotaire a commis une erreur de droit et j'accueille l'appel. L'avis de demande sera radié parce qu'il n'a « aucune chance d'être accueilli » compte tenu de la décision de la Cour d'appel dans Froom, précité.

[31]            Chacune des parties a réclamé les dépens dans le présent appel. Le protonotaire a accordé à l'intimé des dépens de 1000 $, payables sans délai. Les parties ayant chacune eu gain de cause en partie, aucun dépens ne sont adjugés. L'ordonnance du protonotaire concernant les dépens demeure en vigueur.


ORDONNANCE

[32]            LA COUR ORDONNE que l'appel de l'ordonnance du protonotaire soit accueilli. L'avis de demande est radié parce qu'il n'a aucune chance d'être accueilli compte tenu de la décision de la Cour d'appel fédérale dans Froom, précité. Les parties ayant chacune eu gain de cause en partie, aucuns dépens ne sont adjugés. L'ordonnance du protonotaire concernant les dépens demeure en vigueur.

                « John A. O'Keefe »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 22 avril 2005

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        T-1875-04

INTITULÉ :                                         DAVID B. COFFEY

et

LE MINISTRE DE LA JUSTICE

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS :                      LE 22 AVRIL 2005

OBSERVATIONS ÉCRITES :

David H. Davis                                   POUR LE DEMANDEUR

Sharlene Telles-Langdon                  POUR L'INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Davis & Associates Law Office       POUR LE DEMANDEUR

Winnipeg (Manitoba)

John H. Sims, c.r.                               POUR L'INTIMÉ

Sous-procureur général

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