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Date : 20000908


Dossier : T-2016-99


ENTRE :


AB HASSLE et ASTRA PHARMA INC.,


demanderesses,



- et -





LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE

ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL et APOTEX INC.,


défendeurs.



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


Le juge McKEOWN

[1]          Le 19 novembre 1999, les demanderesses ont déposé une demande en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, modifié (le Règlement). Dans leur demande, les demanderesses veulent faire interdire au ministre de délivrer un avis de conformité à Apotex pour des gélules d'oméprazole en doses de 10, 20 et 40 mg administrées par voie orale, avant l'expiration du brevet canadien n º 2 025 668 (le brevet 668). Le 19 janvier 2000, la défenderesse Apotex a déposé une requête visant le rejet de la demande, selon l'alinéa 6(5)b) du Règlement, au motif qu'elle est frivole, vexatoire et constitue un abus de procédure.

[2]          La requête a été instruite avec le dossier n º T-2026-99. Néanmoins, les questions de la présente instance différant de celles du dossier n º T-2026-99, j'ai décidé de traiter les deux requêtes séparément.

[3]          La demanderesse AB Hassle est propriétaire du brevet 668, intitulé [TRADUCTION] « Utilisation de l'oméprazole comme agent antibactérien » . La demanderesse Astra Pharma Inc. (Astra) est une société canadienne s'occupant de production, de commercialisation et de vente d'une gamme de produits pharmaceutiques. Astra est reliée à AB Hassle, les deux sociétés étant membres du groupe de sociétés Astra.

[4]          Le brevet 668 contient trois revendications :

[TRADUCTION]
1      Utilisation du 5-méthoxy-2-[ [ (4-méthoxy-3, 5-diméthyl-2-pyridinyl) méthyl]- sulfinyl]-1H-benzimidazole ou d'un de ses sels acceptable en pharmacie pour la fabrication d'un médicament pour le traitement des infections à campylobacter.
2.      Utilisation du 5-méthoxy-2-[ [ (4-méthoxy-3, 5-diméthyl-2-pyridinyl) méthyl]- sulfinyl]-1H-benzimidazole ou d'un de ses sels acceptable en pharmacie pour le traitement des infections à campylobacter.
3.      Une préparation pharmaceutique destinée à être utilisée dans le traitement des infections à campylobacter, où la substance active est le 5-méthoxy-2- [[ (4-méthoxy-3, 5-diméthyl-2-pyridinyl) méthyl]-sulfinyl] - 1H-benzimidazole ou un de ses sels acceptable en pharmacie.

La troisième revendication est une revendication pour la préparation pharmaceutique en elle-même ainsi que pour l'utilisation du médicament dans un traitement.

[5]          Dans l'avis d'allégation, daté du 4 octobre 1999, Apotex déclare :

[TRADUCTION] S'agissant du brevet 2 025 668, nous alléguons qu'aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites par la fabrication, la construction, l'utilisation ou la vente par nous de gélules d'oméprazole administrées par voie orale en doses de 10 mg, 20 mg et 40 mg.
Cette allégation est fondée sur le droit et les faits suivants :
Les revendications du brevet concernent l'utilisation du médicament dans le traitement des infections à campylobacter. Notre produit ne sera pas fabriqué, utilisé ou vendu pour le traitement des infections à campylobacter et, plus précisément, nous ne cherchons pas à obtenir d'autorisation pour cet usage et cet usage ne sera pas inclus dans notre monographie de produit.

Dans l'avis d'allégation, Apotex n'a fait aucune déclaration concernant l'utilisation qu'elle entendait faire de son produit. Apotex n'a pas indiqué non plus le mode de commercialisation de son produit.

[6]          La question en litige est de savoir si, dans l'application de l'alinéa 6(5)b) du Règlement, la défenderesse Apotex a démontré que la demande « est inutile, scandaleuse, frivole ou vexatoire ou constitue autrement un abus de procédure » . Dans l'avis de demande par lequel AB Hassle et Astra Pharma Inc. cherchaient à obtenir une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité à Apotex, les demanderesses déclarent au paragraphe 7 :

[TRADUCTION] S'agissant du brevet 668, Apotex soutient que son produit ne sera pas « fabriqué, utilisé ou vendu pour le traitement des infections à campylobacter » et que « nous ne cherchons pas à obtenir d'autorisation pour cet usage et cet usage ne sera pas inclus dans notre monographie de produit » . Comme on l'a noté ci-dessus, les demanderesses n'ont obtenu aucun renseignement sur le contenu de la présentation de drogue nouvelle d'Apotex ni sur les indications pour lesquelles l'autorisation est demandée. De plus, le fondement sur lequel s'appuie Apotex ne justifie pas l'allégation visant le brevet. Apotex n'établit aucun fait qui explique comment la commercialisation du produit ne contrefera pas le brevet 668, sans égard à l'usage indiqué ou autorisé pour le produit.

[7]          La demanderesse, Astra, a déposé trois affidavits qui expliquent en quoi il y aura contrefaçon. Dans son affidavit, Mme Murphy, vice-présidente des Affaires médicales chez Astra Pharma Inc., a indiqué notamment :

     a)      Les demanderesses ne disposent d'aucune information ni n'ont accès à aucune information relative à l'existence, au contenu ou à la date de dépôt de la présentation de drogue nouvelle ayant trait aux produits d'oméprazole proposés par Apotex. Les demanderesses n'ont également aucune information sur les indications pour lesquelles Apotex a cherché ou peut chercher à obtenir une autorisation.
     b)      Les produits d'oméprazole ne sont disponibles pour le public que sur ordonnance d'un médecin. Les médecins connaissent l'efficacité de l'oméprazole dans le traitement de divers troubles gastro-intestinaux, notamment dans le traitement des ulcères duodénaux et de l'H. pylori (anciennement désigné campylobacter). La plupart des patients atteints d'ulcères duodénaux ont l'H. pylori. Les médecins prescrivent donc l'oméprazole, lorsque c'est indiqué, aux patients qui doivent être traités pour des infections à H. pylori. En général, le médecin remet au patient une ordonnance écrite et l'envoie à la pharmacie pour obtenir le médicament prescrit. Le pharmacien délivre au patient le médicament sous la forme d'un produit déterminé (marque).
     c)      Dans le cadre du processus d'autorisation réglementaire et aux termes du Règlement sur les aliments et drogues, l'avis de conformité énonce notamment les indications qui ont été demandées et autorisées pour un produit pharmaceutique donné. Le ministre et le titulaire de l'avis de conformité connaissent les indications précises pour lesquelles le produit générique a été autorisé, mais les médecins, les pharmaciens et les patients ne les connaissent pas et ne s'en préoccupent pas en général. D'habitude, seuls la disponibilité et le prix des marques génériques de médicaments font l'objet de promotion auprès des médecins et des pharmaciens. Les patients n'ont généralement pas accès aux indications autorisées pour un produit. Les médecins, les pharmaciens et les patients s'intéressent seulement en général à l'efficacité de la substance active dans le traitement de la maladie. Le CPS, ouvrage de référence largement utilisé, ne fournit pas d'indications au sujet des produits d'Apotex.
     d)      En admettant même que la présentation de drogue nouvelle d'Apotex ne vise pas l'obtention d'une autorisation de son produit d'oméprazole pour le traitement des infections à H. pylori, dès qu'une indication sera autorisée, le produit d'oméprazole d'Apotex sera effectivement utilisé pour le traitement des infections à H. pylori, étant donné le grand nombre de personnes au Canada qui souffrent d'infections à H. pylori. Ces personnes vont s'adresser à un médecin qui prescrira vraisemblablement l'oméprazole. Le médecin peut délivrer l'ordonnance en prescrivant l'appellation générique ( « oméprazole » ) ou le nom de marque ( « LOSEC » ). Le médecin ne sera pas au courant ou ne se préoccupera pas de savoir si une marque particulière d'oméprazole est officiellement autorisée pour le traitement des infections à H. pylori.
     e)      Que l'ordonnance soit rédigée pour un générique ou pour une marque, le patient la présente à la pharmacie et reçoit l'une ou l'autre des marques d'oméprazole disponibles que le pharmacien est autorisé à délivrer. Le pharmacien délivre généralement la marque la moins chère disponible, sauf si le patient demande autre chose. Selon la loi ontarienne, le pharmacien est tenu de délivrer un produit générique de moindre coût dans certaines circonstances. Le produit remis au patient ne comporte généralement aucun renseignement sur les indications autorisées.
     f)      Normalement, le pharmacien ne connaît pas la raison ou l'indication pour laquelle le médecin prescrit un médicament. Par conséquent, même s'il savait que le produit d'oméprazole d'Apotex n'est pas officiellement autorisé pour le traitement des infections à H. pylori, il ne serait pas au courant de la raison pour laquelle un patient en particulier a reçu une ordonnance d'oméprazole et délivrerait donc vraisemblablement la marque d'Apotex, réputée être un produit de moindre coût.
     g)      L'étiquette d'un médicament d'ordonnance comme l'oméprazole ne mentionne pas obligatoirement des indications.
     h)      Dans le cas présent, si Apotex obtient l'autorisation recherchée pour son produit d'oméprazole, sans égard au fait que le produit soit ou ne soit pas autorisé pour le traitement des infections à campylobacter, c'est le produit d'Apotex qui sera probablement effectivement utilisé pour ce traitement.

[8]          Les demanderesses auraient pu déposer une requête en vue d'obtenir des renseignements sur l'existence, le contenu ou la date de dépôt de la présentation de drogue nouvelle. Elles ne l'ont pas fait. Par conséquent, le seul élément de preuve au dossier en ce qui concerne l'avis d'allégation est celui qu'a produit la demanderesse Astra. Dans le cadre de la requête, je dois donc considérer cet élément de preuve comme vrai. Dans le cas où Apotex obtient une autorisation pour son produit, il s'ensuit, semble-t-il, que des patients emploieront le produit pour l'usage prévu au brevet. Le médecin et le pharmacien qui ont déposé des affidavits à l'appui d'Astra ont tous les deux déclaré que si le produit d'Apotex est autorisé, les patients vont l'utiliser pour les usages établis dans le brevet.

[9]          J'exposerai maintenant les articles pertinents du Règlement. S'agissant de l'avis d'allégation, le sous-alinéa 5(1)b)(iv) est ainsi conçu :
5. (1) Lorsqu'une personne dépose ou a déposé une demande d'avis de conformité à l'égard d'une drogue et la compare, ou fait référence, à une autre drogue pour en démontrer la bioéquivalence d'après les caractéristiques pharmaceutiques et, le cas échéant, les caractéristiques en matière de biodisponibilité, cette autre drogue ayant été commercialisée au Canada aux termes d'un avis de conformité délivré à la première personne et à l'égard de laquelle une liste de brevets a été soumise, elle doit inclure dans la demande, à l'égard de chaque brevet inscrit au registre qui se rapporte à cette autre drogue :
...
b) soit une allégation portant que
     ...
     (iv) aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites advenant l'utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par elle de la drogue faisant l'objet de la demande d'avis de conformité.

La définition de la « revendication pour le médicament en soi » figure à l'article 2 :

S'entend notamment d'une revendication, dans le brevet, pour le médicament en soi préparé ou produit selon les modes du procédé de fabrication décrits en détail et revendiqués ou selon leurs équivalents chimiques manifestes. (claim for the medicine itself)

[10]          Le 12 mars 1998, le Règlement a été modifié pour introduire au paragraphe 5(4) une disposition prévoyant que le moment pertinent pour examiner les indications en ce qui a trait à l'avis d'allégation est celui où les allégations ont été faites dans l'avis d'allégation. Comme on l'a mentionné ci-dessus, M. Sherman a refusé de divulguer ces renseignements.

[11]          Selon l'alinéa 6(5)b) du Règlement, la charge de la preuve et les critères à respecter sont très exigeants pour une requête en rejet de la demande. Dans l'examen d'une telle requête, tout élément de doute doit être laissé à la décision du juge de première instance. Une procédure ne doit pas être rejetée sommairement à moins qu'il ne soit hors de tout doute ou flagrant que la demande est si manifestement futile qu'elle n'a pas la moindre chance d'être accueillie. La Cour d'appel fédérale dans l'affaire Pharmacia Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-Être social) (1995), 58 C.P.R. (3d) 209 (C.A.F.), sur une requête en radiation d'un avis de requête introductive d'instance conformément à l'ancienne règle 419, a confirmé que la Cour ne peut rejeter une procédure de contrôle judiciaire que dans des cas exceptionnels. On peut lire à la page 217 :

     Pour ces motifs, nous sommes convaincus que le juge de première instance a eu raison de refuser de prononcer une ordonnance de radiation sous le régime de la Règle 419 ou de la règle des lacunes, comme il l'aurait fait dans le cadre d'une action. Nous n'affirmons pas que la Cour n'a aucune compétence, soit de façon inhérente, soit par analogie avec d'autres règles en vertu de la Règle 5, pour rejeter sommairement un avis de requête qui est manifestement irrégulier au point de n'avoir aucune chance d'être accueilli... Ces cas doivent demeurer très exceptionnels et ne peuvent inclure des situations comme celle dont nous sommes saisis, où la seule question en litige porte simplement sur la pertinence des allégations de l'avis de requête.

[12]          Dans ma décision concernant le rejet d'une procédure au titre de l'alinéa 6(5)b) du Règlement, je dois prendre en compte les considérations suivantes. En premier lieu, la question que soulève la requête n'est pas de trancher le fond de l'instance, mais de décider si la procédure est frivole, vexatoire ou constitue un abus de procédure. Je dois éviter de transformer une requête fondée sur l'alinéa 6(5)b) en une requête pour l'obtention d'un jugement ou pour trancher un point de droit, tous les faits établis devant moi n'étant pas en concordance. Dans l'examen des requêtes fondées sur l'alinéa 6(5)b), les tribunaux ont de manière constante refusé de trancher des questions de droit ou de fait lorsque le droit n'est pas bien établi, indiquant par là que la décision de ces questions litigieuses appartient au juge de l'instance qui instruit l'affaire au fond. Par exemple, dans Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc.(2000), 1 C.P.R. (4th) 358 (C.F. 1re inst.), le juge Lemieux a déclaré aux pages 369 et 370 :

Dans le contexte des questions d'interprétation légale, Madame le juge Reed, dans la décision R. c. Amway, [1986] 2_C.F. 312, à la page_326, a dit que lorsqu'il faut trancher une question, cette question, puisqu'elle n'est pas évidente et manifeste, doit être débattue à l'audience plutôt que d'être tranchée par le juge des requêtes au cours d'une procédure préliminaire.
...
À mon avis, toutes ces questions d'interprétation légale soulèvent de véritables questions qui doivent être tranchées au fond et non dans le cadre d'une requête en radiation.

[13]          En deuxième lieu, je dois également me demander si Apotex ne se trouverait pas ainsi à bénéficier d'un « aperçu furtif » des détails de l'argumentation au fond des demanderesses. Cette situation est particulièrement préjudiciable aux demanderesses étant donné qu'Apotex n'a pas encore produit sa preuve sur le fond. Enfin, je dois être persuadé que la requête des demanderesses ne peut être accueillie. Il s'agit essentiellement du même critère que celui qui s'applique à la requête en radiation d'une déclaration.

[14]          Il me faut aussi prendre en compte le fait qu'il appartient à la Cour d'exercer son pouvoir discrétionnaire pour trancher la requête fondée sur l'alinéa 6(5)b) .

[15]          Contrairement au dossier n º T-2026-99, qui concerne un brevet portant sur une composition et non un brevet de procédé, la question soulevée en l'espèce porte à la fois sur l'utilisation du médicament et sur la composition pharmaceutique. Le droit n'est pas aussi clair en ce cas qu'il l'est pour la question des brevets portant sur une composition.

[16]          Les questions de fait et de droit à trancher dans la présente procédure sont les suivantes. 1) Dans la mesure où une présentation de drogue nouvelle d'Apotex était en cours d'examen à la date pertinente, quelles sont les indications pour lesquelles Apotex cherche à obtenir une autorisation? 2) L'allégation d'Apotex est-elle justifiée en droit, d'après les faits et le droit sur lesquels Apotex la fonde? 3) Apotex elle-même contrefera-t-elle directement le brevet 668? 4) Apotex incitera-t-elle ou aidera-t-elle à commettre une contrefaçon du brevet 668? 5) Y aura-t-il, de manière générale, contrefaçon du brevet 668?

[17]          L'une des questions en litige est de savoir si l'allégation de non-contrefaçon à l'égard du brevet 668 est justifiée, compte tenu des explications détaillées fournies par Apotex. Apotex soutient que son produit « ne sera pas fabriqué, utilisé ou vendu pour le traitement des infections à campylobacter » . Les seuls explications ou détails à l'appui de cette allégation sont la déclaration d'Apotex, « nous ne cherchons pas à obtenir d'autorisation pour cet usage et cet usage ne sera pas inclus dans notre monographie de produit. »

[18]          Apotex prétend donc que son produit ne sera pas utilisé, entre autres usages, pour le traitement des infections à campylobacter, sur le fondement qu'elle ne cherche pas à obtenir d'autorisation pour cet usage et que cet usage ne sera pas compris dans son produit. À mon avis, l'autorisation dont fait mention Apotex n'a aucun rapport de fait ou de droit avec l'allégation de non-contrefaçon. Par exemple, le Règlement ne prévoit pas qu'il n'y a pas contrefaçon à l'égard de l' « utilisation » si le producteur du générique ne cherche pas à obtenir une « autorisation » de cet usage. De plus, il est établi que le produit d'oméprazole d'Apotex sera utilisé par les patients pour le traitement des infections à H. pylori, sans égard aux indications autorisées. À mon sens, le Règlement doit certainement prendre en compte l'usage des médicaments par les patients. Aussi, le droit et les faits sur lesquels se fonde Apotex ne me semblent pas justifier, dans les faits, l'allégation de non-contrefaçon.

[19]          S'agissant de la question de la contrefaçon directe du brevet 668 par Apotex, la revendication 3 porte sur le médicament en soi et sur l'utilisation du médicament dans un traitement. Apotex souhaite fabriquer et vendre l'objet de la revendication 3 (des préparations où la substance active est l'oméprazole), mais non pour l'usage exposé dans la revendication. Pour décider si Apotex contrefera cette revendication, la Cour devra interpréter la revendication et tirer des conclusions de fait sur les activités d'Apotex. Plus particulièrement, la Cour devra se prononcer sur la modification qu'apportent les mots « destinée à être utilisée » sur l'expression « préparation pharmaceutique » et devra considérer les intentions d'Apotex dans sa demande d'autorisation de la préparation pharmaceutique.

[20]          Une deuxième question concerne la possibilité qu'Apotex incite ou aide quelqu'un à commettre une contrefaçon du brevet 668. Toute partie qui incite ou aide une personne à contrefaire un brevet est elle-même responsable de contrefaçon. L'existence d'une incitation ou d'une aide à la contrefaçon dépendra des circonstances de l'espèce, des éléments de preuve, des déductions que pourra faire le juge des faits et de la crédibilité de la preuve. [Voir Windsurfing International Inc. v. Triatlantic Corp. (1985), 8 C.P.R. (3d) 241 (C.F.A.), aux pages 263 à 268.] Dans l'affaire The Copeland-Chatterson Company v. Hatton (1906), 10 R.C.E. 224, aux pages 246 et 247, la Cour a déclaré :

     [TRADUCTION] En vertu du pouvoir accordé par les lettres patentes canadiennes, le breveté, ses représentants légaux et ses ayants droit obtiennent pour la durée prescrite le droit, le privilège et la faculté exclusifs de fabriquer, construire, utiliser et vendre à d'autres, en vue de son utilisation au Canada, l'invention visée par le brevet. Et je n'estime pas aller trop loin en affirmant que toute atteinte à ce droit ou toute violation de ce droit constitue une contrefaçon du brevet. N'est-ce pas le cas aussi de celui qui, en connaissance de cause et pour ses propres fins, incite ou aide un autre à commettre une telle violation ou atteinte? Le cas échéant, l'acte de celui qui aide ou qui incite ne peut-il pas proprement être désigné comme une contrefaçon du brevet? Bref, ne contrefait-il pas lui-même le brevet celui qui, en connaissance de cause, pour ses propres fins et son propre avantage et au préjudice du breveté, incite ou aide une autre personne à contrefaire un brevet? Il me semble qu'en principe, cela revient au même.

[21]          Je dois également décider dans la présente instance si la monographie correspondante du produit d'Apotex fait référence au traitement des infections à campylobacter pylori ou H. pylori ou si la présentation de drogue nouvelle d'Apotex contient d'autres mentions de l'utilisation de l'oméprazole pour le traitement des infections à campylobacter pylori ou H. pylori. [Voir Procter & Gamble Pharmaceuticals Canada, Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2000] A.C.F. n º 510, T-1970-99 (17 avril 2000) (1re inst.).] Selon les éléments de preuve dont je suis saisi, les inscriptions d'Apotex dans le CPS ne limitent pas les indications pour lesquelles ses médicaments peuvent être utilisés. En outre, Apotex fera la promotion du prix et de la disponibilité de ses produits d'oméprazole.

[22]          Une question décisive est celle de décider s'il y aura contrefaçon du brevet 668 en général. L'intention du Règlement est d'interdire au ministre de délivrer un avis de conformité qui aurait pour effet la contrefaçon du brevet en général, sans égard à l'identité de l'auteur de la contrefaçon. Dans le cas où la délivrance d'un avis de conformité a pour effet toute contrefaçon en général, soit par un producteur de générique, par un pharmacien, par un médecin ou par un consommateur, une ordonnance d'interdiction est prononcée. Dans l'affaire Lishman c. Erom Roche Inc. (1996), 68 C.P.R. (3d) 72 (C.F. 1re inst.), le juge Rothstein a jugé à la page 77 que « [b]ien que la Loi sur les brevets ne renferme aucune définition de la contrefaçon, tout acte qui nuit à la pleine jouissance du monopole accordé constitue un acte de contrefaçon. »

[23]          Dans Zeneca Pharma Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-Être social) (1995), 61 C.P.R. (3d) 190 (C.F. 1re inst.), le brevet visé comportait six revendications, notamment des revendications pour le médicament en soi et une revendication pour l'utilisation du médicament. Dans cette affaire, Apotex alléguait qu'elle ne fabriquerait pas, ne construirait pas, n'utiliserait pas ou ne vendrait pas le médicament en cause. Le seul fondement de cette allégation était qu'Apotex disposait d'un stock de lisinopril en vrac qu'elle avait acquis avant la délivrance du brevet. Apotex avait l'intention de vendre simplement le produit aux pharmacies à même ce stock. Elle a soutenu devant le juge Richard qu'il reviendrait au médecin traitant et au patient, et non à elle, de décider quel usage serait fait du produit. Comme le produit pouvait être utilisé dans le traitement d'un grand nombre d'autres maladies que celles qui étaient mentionnées dans les revendications du brevet, on ne pouvait dire que l'usage des comprimés contrefaisait le brevet visé dans cette procédure.

[24]          Le juge Richard a traité la question des termes « destinée à être utilisée » à la page 203 :

     Toutefois, comme il a été indiqué ci-dessus, Apotex reconnaît que les utilisations pour lesquelles elle demande l'approbation gouvernementale englobent le traitement de l'insuffisance cardiaque globale. _En me fondant sur les documents dont je suis saisi, je conclus qu'Apotex a l'intention d'utiliser les comprimés de lisinopril, qui peuvent servir à cette fin, pour le traitement de l'insuffisance cardiaque globale. Il est indifférent qu'un médecin et un pharmacien agissent comme intermédiaires pour prescrire et vendre le médicament au consommateur. L'alinéa 55.2(4)e) de la Loi sur les brevets prévoit spécifiquement l'adoption de règlements régissant la délivrance d'un avis lorsque celle-ci peut avoir pour effet la contrefaçon d'un brevet. Dans ces circonstances, la revendication concernant l'utilisation énoncée dans le brevet 351 serait contrefaite, si ce n'est directement, du moins très certainement indirectement.

Cette décision a été infirmée en appel, mais non sur le point traité dans ces observations spécifiques.

[25]          En l'espèce, la preuve établit que les patients utiliseront le produit d'oméprazole proposé par Apotex pour le traitement des infections à H. pylori.

[26]          Bref, contrairement à la situation du dossier n º T-2026-99, je considère que la présente instance soulève un certain nombre de questions de fait et de droit litigieuses qu'il est préférable de déférer au juge qui entendra l'affaire au fond.

[27]          Pour les motifs qui précèdent, je rejette la requête d'Apotex fondée sur l'alinéa 6(5)b) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité).

[28]          La requête est rejetée. Dans ces circonstances, est également rejetée la requête

visant à autoriser Apotex à proroger, pour le dépôt de sa preuve, le délai de 30 jours à compter de la décision relative à la présente requête. Les dépens sont adjugés aux demanderesses, AB Hassle et Astra Pharma Inc.

     W. P. McKeown

     J.C.F.C.

Toronto (Ontario)

Le 8 septembre 2000





Traduction certifiée conforme


Martine Guay, LL.L.

    

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

    

Avocats et avocats inscrits au dossier



N º DU GREFFE :              T-2016-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :      AB HASSLE et ASTRA PHARMA INC.,

     demanderesses,

                     - et -
                     LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL et APOTEX INC.,

     défendeurs.

DATE DE L'AUDIENCE :          LE JEUDI 11 MAI 2000
LIEU DE L'AUDIENCE :          OTTAWA (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE McKEOWN

EN DATE DU :              LE VENDREDI 8 SEPTEMBRE 2000

ONT COMPARU :               M. Gunars A. Gaikis
                     et M. J. Sheldon Hamilton
                         Pour les demanderesses
                        
                     M. Andrew Brodkin
                     et Mme Julie Perrin

                    

                         Pour la défenderesse, Apotex Inc.

AVOCATS INSCRITS

AU DOSSIER :              Smart and Biggar

                     Barristers & Solicitors
                     Boîte postale 111, 1500-438 University Avenue
                     Toronto (Ontario)
                     M5G 2K8

                    

                         Pour les demanderesses
                     Goodman, Phillips & Vineberg
                     Barristers & Solicitors
                     2400-250 Yonge Street
                     Toronto (Ontario)
                     M5B 2M6
                         Pour la défenderesse, Apotex Inc.

                     Morris Rosenberg

                     Sous-procureur général du Canada

                         Pour le défendeur, le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social

                     COUR FÉDÉRALE DU CANADA


                                 Date : 20000908

                        

         Dossier : T-2016-99


                     ENTRE :

                     AB HASSLE et ASTRA PHARMA INC.,

     demanderesses,


                     - et -



                     LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL et APOTEX INC.,

     défendeurs.






                    


                     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                    





Date : 20000908


Dossier : T-2016-99

Toronto (Ontario), le vendredi 8 septembre 2000

EN PRÉSENCE DE :      Monsieur le juge McKeown

ENTRE :


AB HASSLE et ASTRA PHARMA INC.,


demanderesses,



- et -





LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE

ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL et APOTEX INC.,


défendeurs.




     ORDONNANCE

     La requête est rejetée. Dans ces circonstances, est également rejetée la requête visant à autoriser Apotex à proroger, pour le dépôt de sa preuve, le délai de 30 jours à compter de la décision relative à la présente requête. Les dépens sont adjugés aux demanderesses, AB Hassle et Astra Pharma Inc.

     W. P. McKeown

     J.C.F.C..




Traduction certifiée conforme


Martine Guay, LL.L.

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