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Date : 20190806


Dossier : T‑662‑16

Référence : 2019 CF 1047

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 août 2019

En présence de monsieur le juge Boswell

RECOURS COLLECTIF ‒ ENVISAGÉ

ENTRE :

VOLTAGE PICTURES, LLC,

COBBLER NEVADA, LLC,

PTG NEVADA, LLC,

CLEAR SKIES NEVADA, LLC,

GLACIER ENTERTAINMENT S.A.R.L.

OF LUXEMBOURG,

GLACIER FILMS 1, LLC, et

FATHERS & DAUGHTERS NEVADA, LLC

demanderesses

et

ROBERT SALNA, JAMES ROSE et LORIDANA CERRELLI, REPRÉSENTANTS DÉFENDEURS PROPOSÉS AU NOM D’UN GROUPE DE DÉFENDEURS

défendeurs

et

ROGERS COMMUNICATIONS INC.

tierce défenderesse

et

CLINIQUE D’INTÉRÊT PUBLIC ET DE POLITIQUE D’INTERNET DU CANADA

SAMUELSON‑GLUSHKO

intervenante

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  La présente affaire constitue la reprise de la requête des demanderesses en vue d’obtenir une ordonnance de type Norwich obligeant Rogers Communications inc. [Rogers] à leur communiquer les coordonnées et les renseignements personnels du défendeur Robert Salna. À titre de juge responsable de la gestion de l’instance, j’ai rendu une ordonnance le 28 juillet 2016 [l’ordonnance de type Norwich] obligeant Rogers à communiquer les coordonnées et les renseignements personnels du défendeur Robert Salna, alors désigné sous le nom de M. Untel.

[2]  La Cour suprême du Canada a renvoyé la requête à la présente cour afin de permettre à Rogers de prouver ses coûts raisonnables occasionnés pour se conformer à l’ordonnance de type Norwich. Dans leurs motifs, les juges majoritaires de la Cour suprême ont conclu que Rogers avait droit à ses coûts raisonnables occasionnés pour se conformer à l’ordonnance de type Norwich.

[3]  Les demanderesses [collectivement, Voltage] prétendent que Rogers ne devrait avoir droit à aucune indemnisation pour les coûts qu’elle engage en vue de se conformer à l’ordonnance de type Norwich en raison du caractère insuffisant de sa preuve; ou, subsidiairement, si la Cour se fonde sur la preuve de Rogers, selon Voltage, cette preuve montre que 3,50 $ à 5 $ sont des coûts raisonnables occasionnés en vue de la conformité.

[4]  Rogers affirme qu’elle a droit à une indemnisation pour toutes les mesures qu’elle a prises pour se conformer à l’ordonnance de type Norwich, selon des honoraires de 100 $ l’heure. Selon Rogers, la preuve démontre qu’il faut en moyenne 24 minutes (0,4 heure) aux employés de Rogers pour trouver une adresse de protocole Internet [IP] à deux références temporelles (ou 12 minutes par référence temporelle). L’ordonnance de type Norwich exigeait que Rogers identifie des renseignements à cinq références temporelles et, par conséquent, Rogers affirme qu’elle devrait être payée 100 $, plus TVH, pour le travail requis pour se conformer à l’ordonnance de type Norwich (c.‑à‑d. 5 x 12 minutes = 60 minutes).

I.  Les dispositions du régime d’avis et avis de la Loi sur le droit d’auteur

[5]  Les articles 41.25 et 41.26 de la Loi sur le droit d’auteur, LRC 1985, c C‑42 [la Loi], établissent ce qu’on appelle le régime d’avis et avis. Le régime d’avis et avis impose deux obligations expresses à un fournisseur de services Internet [FSI] comme Rogers.

[6]  Premièrement, après qu’un titulaire du droit d’auteur a envoyé un avis de prétendue violation à un FSI en conformité avec l’article 41.25 de la Loi, le FSI doit transmettre l’avis par voie électronique à la personne à qui appartient l’adresse IP aux termes de l’alinéa 41.26(1)a). La deuxième obligation est énoncée à l’alinéa 41.26(1)b). Elle exige qu’un FSI conserve un registre permettant d’identifier la personne à qui appartient l’adresse IP, et ce, pour une période de six mois à compter de la date de réception de l’avis de prétendue violation par le contrefacteur prétendu. Si le titulaire du droit d’auteur engage une procédure à l’égard de la prétendue violation et qu’il avise le FSI avant la fin de cette période de six mois, le FSI doit conserver le registre pour une période d’un an suivant la date de la réception de l’avis de prétendue violation par le contrefacteur prétendu.

[7]  Le paragraphe 41.26(2) de la Loi traite de la question de savoir si un FSI peut exiger des droits pour se conformer à ces obligations :

(2) Le ministre peut, par règlement, fixer le montant maximal des droits qui peuvent être exigés pour les actes prévus au paragraphe (1). À défaut de règlement à cet effet, le montant de ces droits est nul.

[8]  Le ministre n’a pas encore fixé de droits, de sorte qu’un FSI ne peut exiger de droits pour se conformer à ses obligations qu’impose le paragraphe 41.26(1) de la Loi.

II.  L’historique judiciaire

[9]  L’ordonnance de type Norwich a été rendue le 28 juillet 2016, à la suite d’une requête de Voltage visant à obliger Rogers à communiquer toutes les coordonnées et tous les renseignements personnels d’un représentant défendeur nommé M. Untel, sans qu’aucun droit ou déboursé ne soit payé à Rogers, conformément aux articles 41.25 et 41.26 de la Loi (Voltage Pictures, LLC c John Doe, 2016 CF 881 [Voltage CF]). À l’audience relative à la requête, Rogers n’a pas pris position quant à la question de savoir si Voltage avait le droit d’obtenir une ordonnance de type Norwich. Elle a toutefois maintenu que, si l’ordonnance était accordée, elle devrait avoir le droit de recouvrer auprès de Voltage ses coûts raisonnables occasionnés pour se conformer à l’ordonnance (lesquels étaient, selon les calculs de Rogers, de 100 $ de l’heure, plus TVH).

[10]  En réponse à la requête, Rogers a déposé un affidavit de Kristi Jackson, gestionnaire du groupe de Réponse pour l’accès légal [RAL] chez Rogers Communications Canada inc. (une filiale de Rogers). Elle a déclaré dans son affidavit que le groupe RAL n’avait pas accès à la plateforme d’avis et avis de Rogers, mais que, même si c’était le cas, la pratique du groupe RAL consistait à vérifier que les renseignements sur les clients étaient exacts avant de les communiquer aux organismes d’application de la loi ou de se conformer à une ordonnance judiciaire.

[11]  Mme Jackson a fourni des éléments de preuve selon lesquels il y avait plusieurs étapes à suivre pour répondre à une demande en lien avec une ordonnance de type Norwich. Dans son affidavit daté du 10 juin 2016, elle a décrit les étapes suivantes :

[TRADUCTION]

1.  La demande est enregistrée par un analyste de la sécurité. L’analyste saisit dans une base de données la date, l’heure, les renseignements demandés, les services touchés, la date d’échéance et l’information sur le demandeur.

2.  Dans le cas d’une recherche d’adresse IP, lorsque l’entrée du journal s’inscrit dans la file d’attente du travail à traiter, un deuxième analyste de la sécurité compare l’adresse IP à une ressource Internet afin de s’assurer qu’il s’agit bien d’une adresse IP de Rogers.

3.  L’analyste de la sécurité chargé de traiter la demande recherche l’adresse IP dans une base de données Rogers qui enregistre tous les utilisateurs d’une adresse IP donnée au cours des 12 derniers mois (environ). La requête est limitée à des paramètres précis de date et d’heure afin d’identifier un modem en particulier.

4.  L’information d’identification du modem est comparée à une liste de modems en double, afin de vérifier si le modem a été cloné.

5.  Le modem est recherché dans la base de données des clients de Rogers. Trois vérifications distinctes sont ensuite effectuées pour s’assurer que l’identification du client est exacte.

6.  Des captures d’écran des renseignements générés aux étapes 2 à 5 sont sauvegardées dans un fichier en tant que dossier justificatif.

7.  L’analyste de la sécurité crée un document contenant les résultats demandés et consigne la date d’achèvement.

8.  Un enquêteur du groupe RAL examine les captures d’écran et le document de résultats. Si l’enquêteur est satisfait du résultat, celui‑ci est transmis au demandeur. L’enquêteur consigne sa participation au processus, puis ferme le dossier.

[12]  Mme Jackson n’a pas fourni de ventilation du temps nécessaire pour effectuer ces étapes, mais elle a déclaré qu’il fallait environ 20 à 30 minutes pour identifier l’adresse IP d’un client.

[13]  En ce qui concerne le taux de 100 $ l’heure, plus la TVH, l’affidavit de Mme Jackson mentionnait ce qui suit :

[traduction]

24.  Rogers exige habituellement 100 $ l’heure, plus la TVH, pour le temps que ses employés consacrent à répondre à ces types de demandes dans les affaires civiles.

25.  Les employés qui travaillent dans le groupe Réponse pour l’accès légal sont des employés salariés. Une bonne estimation du coût horaire de ces employés pour Rogers se situe entre 25 $ et 40 $. Il y a aussi des enquêteurs et des gestionnaires mieux rémunérés qui sont nécessaires pour diriger le groupe et qui peuvent aussi participer directement au processus.

26.  De plus, Rogers engage des coûts d’exploitation et d’infrastructure pour l’entretien des systèmes spécialisés nécessaires à l’exécution de ce travail. Ceux‑ci comprennent les coûts indirects des biens immobiliers et de l’équipement (le groupe RAL travaille dans une installation sécurisée dotée de systèmes informatiques spécialisés), de même que la formation avancée sur l’utilisation des systèmes fournie par des cadres supérieurs et des gestionnaires du groupe RAL. En tout, Rogers estime que le coût est d’environ 100 $ l’heure.

[14]  Après la délivrance de l’ordonnance de type Norwich, Voltage a interjeté appel auprès de la Cour d’appel fédérale. La Cour d’appel a conclu que, bien que Rogers semble avoir satisfait à ses obligations prévues au régime d’avis et avis en réponse à la demande de communication de Voltage, « elle a utilisé un système complètement différent, un système utilisé pour les demandes provenant des services policiers […] afin de vérifier que le travail fait antérieurement et d’en assurer l’exactitude [et ses droits de 100 $ l’heure étaient fondés] principalement sur le coût de ce travail additionnel » (Rogers Communications Inc c Voltage Pictures, 2017 CAF 97, au par. 67 [Rogers CAF]). La Cour d’appel a annulé cette partie de l’ordonnance de type Norwich qui obligeait Voltage à rembourser à Rogers des droits de 100 $ l’heure, plus la TVH. La Cour d’appel a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve au dossier pour déterminer les coûts réels, raisonnables et nécessaires à la conformité de Rogers et a conclu que Rogers n’avait droit à aucun remboursement.

[15]  Rogers a formé un pourvoi à l’encontre de l’arrêt de la Cour d’appel devant la Cour suprême du Canada. La Cour suprême a conclu que, bien qu’un FSI ne soit pas tenu de fournir un nom et une adresse physique pour respecter ses obligations au titre de la Loi, un FSI n’est pas autorisé à recouvrer les coûts des mesures prises pour l’exécution de l’une ou l’autre des obligations, expresses ou implicites, prévues au paragraphe 41.26(1) de la Loi, après avoir reçu signification d’une ordonnance de type Norwich. La Cour suprême a également conclu qu’un FSI ne peut être indemnisé pour chacun des coûts qu’il supporte en vue de se conformer à une ordonnance de type Norwich; un FSI ne peut recouvrer que (1) les coûts raisonnables qui (2) découlent de la conformité à une ordonnance de type Norwich (Rogers Communications Inc c Voltage Pictures, LLC, 2018 CSC 38, aux par. 37 à 39 et 51 à 53 [Rogers CSC]).

III.  L’orientation donnée par la Cour suprême

[16]  Les juges majoritaires de la Cour suprême (jugement rendu par le juge Brown) ont ordonné à la Cour d’examiner ce qui suit :

[55]  Étant donné l’interdiction légale relative au recouvrement des coûts découlant du régime d’avis et avis, les juges des requêtes devraient examiner attentivement la preuve du FSI afin de décider si les droits qu’il propose sont « raisonnables », à la lumière des obligations qui lui incombent dans le cadre du régime d’avis et avis. Selon la preuve en l’espèce, par exemple, Rogers entreprend un processus manuel en huit étapes lorsqu’un tribunal lui ordonne de communiquer l’identité d’un de ses abonnés. [...]

[56]  À mon humble avis, le juge des requêtes a commis une erreur de droit en omettant de déterminer la pleine portée des obligations du FSI aux termes du par. 41.26(1), puis en omettant de se demander si l’une ou l’autre de ces huit étapes chevauche les obligations légales de Rogers pour lesquelles elle n’avait pas droit à un remboursement. La Cour d’appel fédérale a donc annulé à juste titre l’ordonnance du juge des requêtes. [...] En réponse à une ordonnance de type Norwich l’obligeant à fournir de tels renseignements (ou d’autres renseignements à l’appui), le FSI a donc droit aux coûts raisonnables des mesures nécessaires pour discerner l’identité d’une personne à partir du registre exact conservé au titre de l’al. 41.26(1)b). Bien que ces coûts, même combinés, puissent être minimes, je ne présume pas qu’ils seront toujours « négligeables », comme le prévoit la Cour d’appel fédérale.

[57]  Je suis toutefois d’accord avec la Cour d’appel fédérale pour dire que, selon la preuve au dossier, il est impossible de déterminer les coûts raisonnables occasionnés par Rogers pour se conformer à l’ordonnance dans la présente affaire. Comme il a déjà été mentionné, dans la mesure où le juge des requêtes a évalué les droits exigés par Rogers, cette évaluation n’a pas été entreprise en tenant compte de l’art. 41.26, dûment interprété. Dans les circonstances, qui comprennent les questions nouvelles et épineuses relatives à l’interprétation législative que soulève le présent pourvoi, je retournerais cette question au juge des requêtes afin de permettre à Rogers de prouver les coûts raisonnables occasionnés pour se conformer à l’ordonnance de type Norwich. Et, compte tenu de ces mêmes circonstances, Rogers devrait avoir le droit de présenter de nouveaux éléments de preuve pour prouver ces coûts.

[17]  Dans des motifs distincts, la juge Côté a exprimé son point de vue selon lequel l’ensemble du processus de Rogers pour répondre aux ordonnances de type Norwich n’est pas visé par la Loi, et Rogers avait donc droit à ses coûts. Voici ce qu’elle a déclaré :

[73]  Le problème en l’espèce découle du fait que le juge des requêtes ne semble pas avoir tiré une conclusion indépendante quant au caractère raisonnable du processus en huit étapes de Rogers. Il a conclu que les honoraires de 100 $ l’heure de Rogers étaient raisonnables — conclusion qui, selon le procureur de Voltage, a été [traduction] « exhaustivement débattue », et qui n’a donc pas besoin d’être examinée à nouveau. Mais la question de savoir si Rogers peut facturer 100 $ l’heure n’offre pas de réponse à la question de savoir ce que peut faire Rogers pour 100 $ l’heure.

[74]  Selon mon interprétation de la loi, évidemment, le processus en huit étapes de Rogers n’est pas inclus dans le régime d’avis et avis. Et comme je l’ai déjà mentionné, le juge des requêtes peut encore, selon les motifs du juge Brown, adopter cette interprétation et conclure que le processus de Rogers est par ailleurs raisonnable. Toutefois, même selon mon interprétation de la loi, je renverrais l’affaire pour que soit tranchée la question de savoir si le temps que Rogers a passé à suivre son processus en huit étapes était raisonnable. Le juge des requêtes devrait tirer une conclusion à ce sujet en première instance, conclusion qui doit être distincte et séparée de celle concernant le caractère raisonnable du taux horaire.

IV.  L’arrêt de la Cour suprême

[18]  S’exprimant au nom des juges majoritaires, le juge Brown a conclu qu’un FSI avait les obligations suivantes dans le cadre du régime d’avis et avis :

[36]  [...] étant donné qu’une ordonnance de […] type [Norwich], si elle est obtenue, oblige un FSI à communiquer le nom et l’adresse physique de la personne à qui a été envoyé l’avis dans le cadre du régime, Voltage affirme qu’il est simplement logique que ces détails soient d’abord établis au moment de la transmission de l’avis.

[37]  Soit dit en tout respect, je ne peux souscrire à cette argumentation. L’alinéa 41.26(1)a) exige que le FSI établisse à qui appartient l’adresse IP uniquement afin de lui « transmettre [...] par voie électronique une copie de l’avis ». L’exigence de livraison électronique (par opposition à la livraison en mains propres) peut être satisfaite de diverses façons qui n’obligent pas le FSI à connaître le nom et l’adresse physique de la personne visée. Dans la présente affaire, par exemple, Rogers affirme qu’elle transmet l’avis par voie électronique au moyen d’un courriel. L’alinéa 41.26(1)a) exige donc que le FSI (1) établisse à qui appartient l’adresse IP précisée dans l’avis, afin d’en permettre la transmission par voie électronique à cette personne, et (2) vérifie l’exactitude de l’identité de cette personne, afin de faire en sorte que la personne qui reçoit l’avis est, en fait, la personne à qui appartient l’adresse IP précisée dans l’avis. Encore une fois, pour être clair, l’al. 41.26(1)a) n’exige pas que le FSI identifie cette personne par son nom ou son adresse physique, mais simplement qu’il établisse que cette personne est propriétaire de l’adresse IP en cause.

[38]  Je fais remarquer que les mesures que doit prendre le FSI pour vérifier l’exactitude — c’est‑à‑dire pour vérifier qu’il a transmis l’avis à la bonne personne — peuvent dépendre de la méthode avec laquelle il transmet l’avis par voie électronique au titre de l’al. 41.26(1)a). Dans la présente affaire, par exemple, Rogers affirme que l’un des systèmes qu’elle utilise pour transmettre un avis par courriel met automatiquement en corrélation l’adresse IP en cause se trouvant dans l’avis du titulaire du droit d’auteur avec l’adresse courriel appartenant à la personne à qui appartenait cette adresse IP au moment de la prétendue violation. Ce système transmet ensuite l’avis du titulaire du droit d’auteur par courriel à cette personne et confirme au titulaire du droit d’auteur que l’avis a été transmis. Selon Rogers, rien n’indique que son système automatisé est imprécis. Toutefois, le système automatisé de Rogers n’est pas utilisé en toutes circonstances. Dans certains cas (y compris, semble‑t‑il, l’affaire dont nous sommes saisis), un employé de Rogers doit, à la réception de l’avis d’un titulaire de droit d’auteur, vérifier manuellement l’adresse courriel appartenant au propriétaire de l’adresse IP en cause. Compte tenu des différences entre ces deux systèmes, Rogers peut être tenue d’entreprendre diverses étapes de vérification lorsqu’elle doit utiliser son processus manuel, plutôt que son processus automatisé.

[…]

[43]  […] L’alinéa 41.26(1)b) n’exige pas que le FSI communique effectivement le registre auquel fait référence la disposition. Autrement dit, l’al. 41.26(1)b) ne prévoit pas qu’une personne autre que le FSI aura accès à son registre ou l’utilisera. À tout le moins, il ne découle pas du texte législatif que le registre (auquel n’ont pas accès les titulaires de droits d’auteur et les tribunaux) doive être conservé dans un format lisible qui permettrait aux titulaires de droits d’auteur et aux tribunaux d’établir l’identité d’une personne à partir de ce registre. […]

[…]

[47]  En bref, les trois obligations expresses énoncées aux alinéas 41.26(1)a) et 41.26(1)b) comportent plusieurs obligations implicites dont le FSI doit s’acquitter dans le cadre du régime d’avis et avis. Plus précisément, l’al. 41.26(1)a) exige que le FSI établisse, aux fins de la transmission d’un avis par voie électronique, l’identité de la personne à qui appartenait l’adresse IP. Il exige également que le FSI prenne toutes les mesures nécessaires pour vérifier qu’il l’a fait correctement, sous peine de voir sa responsabilité légale engagée s’il ne transmet pas l’avis à cette personne. Il n’exige pas, toutefois, que le FSI établisse le nom et l’adresse physique de cette personne.

[…]

[51] […]  En l’absence d’un règlement fixant le montant maximal des droits, le par. 41.26(2) interdit au FSI d’exiger des droits pour l’exécution de l’une ou l’autre de ses obligations découlant du régime d’avis et avis. À mon avis, ces obligations comprennent implicitement (1) l’identification, aux fins de la transmission de l’avis par voie électronique, de la personne à qui appartenait l’adresse IP en cause au moment de la prétendue violation; (2) la prise de toutes les mesures nécessaires pour vérifier que le FSI l’a fait correctement; et (3) la prise de toutes les mesures nécessaires pour vérifier l’exactitude du registre permettant au FSI d’établir le nom et l’adresse physique de la personne à qui l’avis a été transmis. Ces obligations découlent d’abord du par. 41.26(1) — c’est‑à‑dire avant les obligations du FSI résultant d’une ordonnance de type Norwich. Il s’ensuit qu’un FSI ne devrait pas être autorisé à recouvrer le coût des mesures prises pour l’exécution de l’une ou l’autre des obligations, expresses ou implicites, qui ont déjà pris naissance sous le par. 41.26(1) lorsqu’il les prend seulement après avoir reçu signification d’une ordonnance de type Norwich. […]

[52]  Pour être clair, il existe une distinction entre l’obligation du FSI dans le cadre du régime d’avis et avis d’assurer l’exactitude de son registre permettant d’identifier le propriétaire d’une adresse IP, et son obligation, aux termes d’une ordonnance de type Norwich, d’identifier effectivement une personne à partir de son registre. Alors que les coûts de cette dernière sont recouvrables, les coûts de la première obligation ne le sont pas. Toutefois, lorsque les mesures que le FSI dit devoir prendre pour vérifier l’identité d’une personne en réponse à une ordonnance de type Norwich impliquent, dans les faits, la vérification de l’exactitude du registre même qu’il était tenu de conserver aux termes du par. 41.26(1), le FSI ne peut recouvrer les coûts qui en découlent.

[53]  Enfin, il convient de mentionner que le FSI ne peut être indemnisé pour chacun des coûts qu’il supporte en vue de se conformer à une ordonnance de type Norwich (Voltage Pictures (2015)). Les coûts recouvrables doivent (1) être raisonnables et (2) découler de la conformité à l’ordonnance de type Norwich. Lorsque les coûts auraient dû être supportés par le FSI dans l’exécution de ses obligations légales aux termes du par. 41.26(1), ces coûts ne peuvent être considérés comme raisonnables ou comme découlant de la conformité à une ordonnance de type Norwich.

[19]  Pour la juge Côté :

[67]  [...] même si certaines étapes du processus de Rogers relatif aux ordonnances de type Norwich pouvaient être qualifiées de « vérifications » des renseignements ou registres préexistants, je dois avec égards rejeter la conclusion du juge Brown selon laquelle Rogers ne devrait pas pouvoir demander une indemnisation sur le fondement de toute obligation implicite qui découlerait du par. 41.26(1)

[68]  Tout d’abord, les renseignements relatifs aux clients, y compris les adresses physiques, les adresses électroniques et les numéros de téléphone, peuvent changer au fil du temps; une ordonnance de type Norwich peut être reçue bien après l’envoi initial de l’avis automatisé de violation au titulaire de compte. Il demeure nécessaire de vérifier l’exactitude de ces renseignements au moment où le titulaire du droit d’auteur demande l’identité du titulaire de compte. Après tout, ce sont les renseignements actuels permettant l’identification du titulaire de compte dont le demandeur a besoin afin d’intenter une action pour violation du droit d’auteur — et non les renseignements d’identification qui existaient quand l’avis automatisé de violation a été envoyé (ou, plus précisément, si et quand un avis automatisé a été envoyé). D’ailleurs, ce sont précisément ces renseignements que Voltage a demandés dans sa requête.

[69]  Toutefois, ce qui est encore plus important, c’est qu’il est évidemment possible que les millions d’avis de violation produits par la plateforme automatisée de Rogers ne soient pas tous envoyés au bon titulaire de compte conformément à l’al. 41.26(1)a). Dans certains cas, cela peut se produire sans que Rogers ait le moindre contrôle sur la situation — par exemple, lorsqu’un titulaire de compte n’indique pas la bonne adresse électronique dans son profil, ce qui fait en sorte que Rogers envoie l’avis à quelqu’un d’autre. Dans d’autres cas, il peut y avoir des complications qui ne peuvent être décelées que lorsqu’un employé de Rogers suit le processus de vérification manuelle, et que la plateforme automatisée ne peut déceler.

[70]  Pour le juge Brown, la réponse à ce problème est que Rogers ne peut demander d’indemnisation en contrepartie de la vérification d’une recherche déjà effectuée au moyen de sa plateforme automatisée. Dans les faits, Rogers doit tenir pour acquis que l’avis automatisé s’est rendu chaque fois à la bonne personne, pour chacune des millions de demandes d’avis qu’elle reçoit. Mais si nous acceptons la réalité selon laquelle la plateforme automatisée peut parfois causer des erreurs, seules deux possibilités s’offrent à Rogers, selon le juge Brown : soit elle doit réviser la conception de son système automatisé relativement aux besoins en matière d’identification qui touchent seulement un infime sous‑ensemble de ces cas; ou bien elle doit entreprendre gratuitement des vérifications manuelles en réponse à une ordonnance de type Norwich.

V.  La formulation des questions en litige

[20]  Rogers reconnaît que la Cour doit statuer sur des droits relativement faibles, mais la question des droits appropriés pour se conformer à une ordonnance de type Norwich a, à son avis, une importante valeur de précédent. Des entreprises liées à Voltage ont intenté de multiples poursuites pour violation du droit d’auteur devant la Cour fédérale et elles présentent de nombreuses requêtes de type Norwich contre Rogers dans le cadre desquelles des milliers de Canadiens sont poursuivis. Rogers fait remarquer qu’elle a été désignée tierce défenderesse dans un certain nombre de requêtes de type Norwich déposées à la Cour fédérale, y compris celle‑ci. Selon Rogers, l’issue de la présente requête pourrait fournir une orientation importante pour établir l’indemnisation raisonnable pour Rogers afin de répondre aux futures requêtes de type Norwich dans ces affaires.

[21]  Voltage affirme que la question à laquelle est confrontée la Cour est le droit de Rogers à ses coûts raisonnables concernant la présente ordonnance de type Norwich. Comme l’a déclaré la Cour suprême, les juges des requêtes doivent examiner attentivement la preuve du FSI pour décider si les droits qu’il propose sont raisonnables, à la lumière des obligations qui lui incombent dans le cadre du régime d’avis et avis. De l’avis de Voltage, Rogers a essayé de la présente affaire une cause type; quels que soient les droits fixés pour la présente ordonnance de type Norwich, ils sont propres aux faits et à la preuve dont la Cour est saisie.

[22]   À mon avis, la Cour doit examiner et apprécier le caractère raisonnable non seulement du processus de Rogers pour répondre aux ordonnances de type Norwich, y compris dans la présente demande, mais aussi si ses coûts de 100 $ l’heure, plus la TVH, sont raisonnables.

VI.  Les questions liées à la preuve

[23]  Rogers a déposé un affidavit d’une employée du groupe Réponse pour l’accès légal, Isabelle Freimuller, pour expliquer le processus qu’elle suit pour répondre aux ordonnances de type Norwich en général. Rogers affirme que la preuve de ses pratiques à cet égard peut équivaloir à ce qui a été fait dans le cas de M. Salna, et qu’il n’y a aucune preuve montrant que ce qu’elle a fait à l’égard de M. Salna était différent de ce qu’elle fait généralement pour répondre à une ordonnance de type Norwich. Si la preuve relative à la pratique fournie par Mme Freimuller n’est pas acceptée, Rogers prétend qu’il serait très coûteux de fournir des preuves individuelles pour chaque demande, et que cela serait également inefficace pour la Cour.

[24]  Rogers a également déposé un affidavit d’Andrew Yoo. Il participe à l’administration financière chez Rogers et, en particulier, à l’établissement de rapports financiers pour la partie des activités de Rogers qui comprend le groupe RAL.

[25]  Rogers a déposé un troisième affidavit, celui de Dianne Zimmerman. Elle est parajuriste au cabinet d’avocats dont Rogers retient les services. Cet affidavit contient, entre autres, huit affidavits de représentants des fournisseurs de services Internet qui ont obtenu l’autorisation d’intervenir dans l’affaire Rogers CSC.

[26]  Voltage fait remarquer qu’il incombe à Rogers de fournir la preuve des coûts raisonnables qu’elle a engagés pour se conformer à l’ordonnance de type Norwich. Selon Voltage, Rogers a omis de présenter des faits ou des éléments de preuve concernant les coûts engagés pour se conformer à l’ordonnance de communication de Salna, notamment en ce qui concerne (i) l’identité de l’enquêteur qui a vérifié l’identité de M. Salna, (ii) le temps qu’il a fallu et (iii) le taux horaire de l’enquêteur effectuant le travail.

[27]  Selon Voltage, les éléments de preuve que la Cour suprême a permis à Rogers de déposer dans le cadre de la présente requête sont rétrospectifs – les coûts que Rogers a réellement engagés lorsqu’elle s’est conformée à l’ordonnance de type Norwich en 2016. De l’avis de Voltage, aucun élément de preuve de Rogers ne porte sur les coûts réels qu’elle a engagés pour se conformer à l’ordonnance de type Norwich. Au lieu de déposer une preuve pertinente, Voltage affirme que Rogers a déposé des éléments de preuve de nature générale indiquant combien de temps il a fallu en 2019 pour vérifier l’identité de dix personnes à deux moments différents dans une instance distincte et non connexe.

[28]  Voltage prétend que Rogers a déposé tardivement une contre‑preuve inappropriée (après le dépôt de la preuve des demanderesses et les contre‑interrogatoires sur la preuve initiale de Rogers) afin de corriger les défauts de sa preuve initiale. Voltage affirme que les éléments de preuve concernant les divers coûts d’autres recherches effectuées dans le cadre d’autres ordonnances de type Norwich sont du ouï‑dire, et que Rogers n’a pas fourni de preuve directe au sujet de son système d’avis et avis.

[29]  À mon avis, les plaintes de Voltage au sujet de la preuve par affidavit de Rogers sont sans fondement. Il est malavisé d’invoquer l’arrêt Rosenstein c Atlantic Engraving Ltd, 2002 CAF 503, pour démontrer pourquoi Rogers ne peut pas présenter d’éléments de preuve supplémentaires. La présente affaire n’est pas une demande, comme ce fut le cas dans l’arrêt Rosenstein; l’article 312 des Règles des Cours fédérales ne s’applique pas non plus à la preuve de Rogers.

[30]  Il s’agit d’une requête. Le paragraphe 84(2) des Règles est ainsi libellé :

(2) La partie qui a contre‑interrogé l’auteur d’un affidavit déposé dans le cadre d’une requête ou d’une demande ne peut par la suite déposer un affidavit dans le cadre de celle‑ci, sauf avec le consentement des autres parties ou l’autorisation de la Cour.

[31]  Les facteurs pertinents à prendre en compte pour décider s’il y a lieu de permettre le dépôt d’un affidavit supplémentaire sont : la pertinence de l’affidavit proposé; l’absence de préjudice à la partie adverse; l’utilité pour la Cour; l’intérêt général de la justice (Pfzer Canada Inc c Rhoxalpharma Inc, 2004 CF 1685, aux par. 15 et 16).

[32]  En l’espèce, Voltage a choisi de contre‑interroger Mme Freimuller, en réponse à un avertissement très clair selon lequel Rogers présentait d’autres éléments de preuve par affidavit. Du fait de cet avis, Voltage ne peut pas se présenter maintenant devant la Cour et prétendre qu’elle a subi un préjudice en procédant au contre‑interrogatoire et qu’on lui a ensuite signifié d’autres éléments de preuve. Il n’y a pas eu de scission du dossier, comme le fait valoir Voltage.

[33]  Rogers a déposé tardivement une contre‑preuve inappropriée, mais il convient de lui accorder l’autorisation de déposer la preuve supplémentaire par affidavit, parce qu’elle est pertinente, que Voltage ne subit aucun préjudice, qu’elle sera utile pour la Cour et que l’intérêt général de la justice exige que cette preuve soit acceptée.

VII.  La réponse de Rogers à l’ordonnance de type Norwich

A.  La preuve de Mme Freimuller

[34]  Mme Freimuller a sélectionné dix adresses IP aléatoires d’une ordonnance de type Norwich (délivrée dans l’affaire POW Nevada, LLC c Doe #1 et al, T‑513‑18) qui exigeait que Rogers effectue des recherches. Elle a effectué tout le processus (selon les étapes décrites plus loin) pour établir l’identité et l’adresse actuelle des dix clients de Rogers. Chaque adresse IP indiquée dans l’ordonnance judiciaire comportait deux références temporelles, ce qui signifie qu’elle devait confirmer à quel client de Rogers appartenait l’adresse IP les deux fois.

[35]  Selon Mme Freimuller, le processus qu’utilise Rogers pour répondre à une ordonnance de type Norwich comporte les six phases ou étapes suivantes :

Phase

Temps requis

1. Examiner l’ordonnance judiciaire et établir les adresses IP pertinentes de Rogers;

33 minutes

2. Enregistrer la demande afin qu’elle puisse faire l’objet d’un suivi tout au long du processus de déroulement des travaux, et aussi pour s’assurer que les captures d’écran et les renseignements générés et sauvegardés pendant la recherche puissent être trouvés à l’avenir, au besoin;

14 minutes

3. Rechercher les registres d’adresses IP dans la base de données du protocole de configuration dynamique des hôtes [DHCP] pour trouver un identificateur alphanumérique [adresse MAC] du modem câble qui était lié à cette adresse IP à la date et à l’heure pertinentes;

31 minutes

4. Utiliser l’adresse MAC pour effectuer une recherche dans une base de données distincte de Rogers, Super System Graphic Interface [SGI], afin de trouver le client associé au modem câble au moment pertinent;

97 minutes

5. Compiler tous les renseignements dans un fichier Excel;

26 minutes

6. Demander à un enquêteur d’examiner les renseignements recueillis par les analystes de la sécurité, à titre de mesure de contrôle d’assurance de la qualité, de comparer les renseignements à une [traduction« liste de modems en double » et de finaliser le fichier Excel contenant les renseignements requis.

46 minutes

Temps total consacré

247 minutes pour trouver dix adresses IP et les renseignements connexes sur les clients à deux références temporelles

[36]  Selon Mme Freimuller, les deux premières étapes de ce processus s’expliquent d’elles‑mêmes. Elle affirme que les troisième et quatrième étapes sont celles qui permettent d’établir le nom et l’adresse du client de Rogers. La troisième étape consiste à trouver l’adresse IP. La quatrième étape lie l’adresse IP à l’adresse et au nom du client.

[37]  Au cours de la plaidoirie, Rogers a reconnu que la troisième étape chevauche potentiellement les renseignements dans son système d’avis et avis. L’affidavit de Mme Freimuller mentionne qu’il y a deux façons pour Rogers d’accéder à un lien entre les renseignements provenant du système d’avis et avis ainsi que le nom et l’adresse d’un client. La première consiste à effectuer une recherche dans la base de données DHCP (la méthode qu’utilise Rogers). La méthode DHCP examine l’adresse IP et la référence temporelle figurant dans une ordonnance de type Norwich pour trouver une adresse MAC de modem associée. La deuxième méthode consiste à utiliser les [traduction« renseignements sur le billet » du système d’avis et avis de Rogers connu sous le nom de Remedy.

[38]  Mme Freimuller affirme que les adresses IP peuvent être attribuées de façon permanente à un dispositif particulier (ce qu’on appelle une « adresse IP statique ») ou attribuées à un dispositif pendant un certain temps avant d’être réaffectées à un autre dispositif (une « adresse IP dynamique »). Bien qu’un petit nombre de clients de Rogers aient des adresses IP statiques, la très grande majorité d’entre eux ont des adresses IP dynamiques. Selon la référence temporelle, la même adresse IP peut être associée à une personne différente. Ainsi, si la méthode DHCP est utilisée, il faut vérifier chaque référence temporelle individuellement pour s’assurer que l’adresse IP était associée à la même adresse MAC en tout temps.

[39]  Lorsque Mme Freimuller a cherché les dix adresses IP à deux références temporelles en utilisant la méthode DHCP, le temps total était d’environ 31 minutes, soit 1,55 minute par recherche. Son affidavit mentionne également qu’un spécialiste de la cybersécurité chez Rogers a entrepris le travail nécessaire pour trouver les renseignements sur les billets, dans le système Remedy, associés aux 10 adresses IP. Ce travail, qui se ferait à la place de la troisième étape de la méthode DHCP, a pris 45 minutes, soit 2,25 minutes par adresse IP. Il a fallu 70 secondes de plus que le temps nécessaire en utilisant la base de données DHCP.

[40]  La quatrième étape utilise l’adresse MAC pour trouver le nom et l’adresse d’un client. Il s’agit de chercher l’adresse MAC dans la base de données SGI de Rogers. Cette étape fournit le lien entre le modem câble et le nom du client ainsi que son adresse actuelle au dossier dans le système de facturation de Rogers. Pour les dix adresses IP, ce travail a pris 97 minutes, soit 4,85 minutes par recherche.

[41]  La cinquième étape consiste à transférer les renseignements dans une feuille de calcul Excel. Pour chaque adresse IP demandée, l’analyste saisit le numéro de référence du dossier de Rogers correspondant, le nom et l’adresse du client, ainsi que toute note pertinente. L’analyste effectue également un contrôle additionnel d’assurance de la qualité à cette étape. Cela comprend la vérification des captures d’écran pour s’assurer que la bonne adresse IP a été demandée dans la base de données DHCP et la recherche dans la base de données SGI avec l’adresse MAC pour trouver la plage de temps correcte pour identifier le client correspondant. Pour les dix adresses IP, ce travail a pris 26 minutes, soit 1,3 minute par recherche.

[42]  La dernière étape exige que l’enquêteur effectue un contrôle additionnel d’assurance de la qualité et qu’il vérifie également que l’adresse MAC ne se trouve pas dans une liste de modems en double. Mme Freimuller affirme que les modems peuvent être reproduits pour diverses raisons, par exemple par ceux qui souhaitent masquer leur identité ou potentiellement voler le service Internet de Rogers. Si une adresse MAC de modem apparaît sur cette liste, le nom du client sera communiqué avec la mise en garde que le compte est associé à un modem en double. Selon Mme Freimuller, dans un scénario de modem en double, le client réel impliqué dans la violation du droit d’auteur ne peut pas être identifié. Pour les dix adresses IP, cette dernière étape a pris 46 minutes, soit 2,3 minutes par recherche.

B.  Les droits de Rogers

[43]  Au cours de l’audition relative à la présente requête, Rogers a déclaré que la majorité des ordonnances de communication qu’elle recevait (y compris les ordonnances de type Norwich) concernaient des questions pour lesquelles elle n’était pas en mesure d’obtenir un remboursement, alors qu’elle utilisait le même processus pour toutes les ordonnances de communication. Rogers affirme que cela démontre qu’elle n’étire pas le processus. Selon Rogers, elle est motivée à vérifier le nom de ses clients de manière efficace, ce qui démontre le caractère raisonnable de son processus.

[44]  Selon Rogers, la preuve montre que, en moyenne, il faut 24 minutes pour trouver le nom et l’adresse d’un client pour chaque adresse IP dans le cadre d’une ordonnance de type Norwich avec deux références temporelles. À 100 $ l’heure, Rogers déclare que cela représente 40 $ par adresse IP ou 20 $ par référence temporelle. Pour les cinq références temporelles de l’ordonnance de type Norwich, Rogers soutient que la preuve appuie sa demande d’indemnisation de 100 $ l’heure, plus la TVH (c.‑à‑d. 5 x 20 $).

[45]  En réponse à la question posée par la Cour pendant la plaidoirie, à savoir si le système DHCP créait les mêmes résultats que le système Remedy, Rogers a déclaré qu’il créait les mêmes résultats, mais qu’il y avait des cas où les étapes DHCP ne généraient pas de résultat et, par conséquent, qu’il fallait se fier au système Remedy. Rogers a ajouté qu’il n’y avait aucune preuve que les étapes DHCP produisaient des renseignements différents de ceux du système Remedy. Selon Rogers, il s’agit de renseignements équivalents. Le système Remedy contient le nom d’un client, tandis que les étapes DHCP utilisent une adresse MAC qui est saisie dans un autre système pour générer un nom et une adresse.

C.  Le point de vue de Voltage sur la réponse de Rogers

[46]  Voltage prétend que, pour les ordonnances de type Norwich liées au droit d’auteur, Rogers a son système Remedy en place et qu’il est raisonnable pour Rogers d’utiliser les renseignements facilement accessibles de ce système pour répondre aux ordonnances de type Norwich. De l’avis de Voltage, la plus grande partie de la preuve de Mme Freimuiler confirme simplement ce que le système Remedy fait déjà; c’est‑à‑dire identifier un client approprié. Selon Voltage, le nom, l’adresse électronique, le numéro de série du modem et le numéro de compte du client sont déjà enregistrés dans Remedy.

[47]  Voltage fait remarquer que, bien que les renseignements sur le billet Remedy ne contiennent pas d’adresse physique pour un client, Mme Freimuller a reconnu au cours de son contre‑interrogatoire qu’au lieu de prendre plusieurs minutes par adresse IP pour chercher l’adresse dans la base de données DHCP, on pouvait trouver l’adresse actuelle d’un client par le numéro de compte (qui est enregistré dans Remedy) en utilisant la base de données SGI de Rogers. Voltage affirme que ce processus prendrait moins d’une minute.

[48]  Voltage affirme que, en l’absence de tout autre élément de preuve de la part du spécialiste de la cybersécurité de Rogers, qui a entrepris les travaux nécessaires pour trouver les renseignements sur les billets dans le système Remedy associé aux dix adresses IP, un temps de six minutes (ou 0,1 heure) aurait été raisonnable pour Rogers dans sa quête des renseignements de M. Salna, comme l’exigeait l’ordonnance de type Norwich.

[49]  De l’avis de Voltage, aucune des étapes que le groupe RAL entreprend pour se conformer à une ordonnance de communication n’utilise les renseignements sur le billet Remedy conservés dans le cadre de son régime d’avis et avis. Voltage affirme que Mme Freimuller a admis au cours de son contre‑interrogatoire que le processus DHCP et le système Remedy étaient des voies indépendantes qui ne croisaient à aucun moment. Selon Voltage, les travaux de Mme Freimuller partent à zéro lorsqu’elle utilise le système DHCP, et les travaux (sauf la recherche d’adresses) ont déjà été effectués par le système Remedy et sont enregistrés dans les bases de données de Rogers, conformément aux exigences de l’article 41.26 de la Loi.

[50]  Même si le système Remedy ne produit pas des renseignements parfaitement exacts, Voltage affirme que Rogers refait le processus pour s’assurer qu’ils le sont et, par conséquent, n’a pas droit à ces coûts. Voltage ajoute qu’un FSI doit conserver des renseignements exacts et que, si cette vérification a été effectuée pour confirmer l’exactitude des renseignements de Remedy, les coûts qui y sont associés ne sont pas indemnisables (Rogers CSC, au par. 46).

D.  Analyse

[51]  L’opinion de Voltage – selon laquelle Rogers a droit à une indemnisation seulement si les registres de Remedy sont utilisés pour se conformer à une ordonnance de type Norwich – est viciée. La Cour suprême a expressément rejeté cette analyse (Rogers CSC, aux par. 44 et 45).

[52]  À mon avis, Voltage embrouille les obligations d’un FSI découlant du paragraphe 41.26(1) de la Loi, qui sont les suivantes : (1) identifier, aux fins de la transmission d’un avis par voie électronique, la personne à qui appartenait l’adresse IP au moment de la prétendue infraction; (2) prendre toutes les mesures nécessaires pour vérifier que le FSI l’a fait correctement; (3) prendre toutes les mesures nécessaires pour vérifier l’exactitude du registre permettant au FSI d’établir le nom et l’adresse physique de la personne à qui l’avis a été transmis.

[53]  Le régime d’avis et avis exige que le titulaire du droit d’auteur identifie l’adresse IP qui serait liée à la violation de son droit d’auteur et le moment où la violation a eu lieu. Le FSI doit transmettre l’avis par voie électronique au titulaire du compte de l’adresse IP. Si le titulaire du compte fournit un courriel erroné – qu’il ait été erroné au début ou modifié, ou que le courriel soit trouvé au moyen d’un système automatisé ou manuel – cela a une incidence sur la capacité du titulaire du compte de recevoir l’avis, mais cela n’a pas d’incidence sur une ordonnance de type Norwich. Prendre les mesures nécessaires pour vérifier l’exactitude du registre permettant à un FSI d’établir le nom et l’adresse physique de la personne à qui un avis a été transmis pourrait être respecté de diverses façons, y compris l’utilisation de renseignements enregistrés à l’extérieur d’un système d’avis et avis (dans ce cas, le système Remedy de Rogers).

[54]  L’alinéa 41.26(l)b) de la Loi n’oblige pas un FSI à conserver un registre sous une forme en particulier, que pourraient utiliser les titulaires de droits d’auteur (Rogers CSC, aux par. 42 et 43). À partir des renseignements enregistrés dans son système d’avis et avis, un FSI doit pouvoir utiliser ces renseignements, ou utiliser les renseignements pour établir un lien avec d’autres systèmes, afin de trouver le nom et l’adresse d’un client. Il n’est pas nécessaire de trouver le lien en une seule étape, mais les étapes requises doivent être raisonnables.

[55]  La preuve de Rogers montre que, lorsqu’un avis est envoyé au moyen de Remedy, il est traité et un billet est créé dans son système de suivi. Ces billets servent de registres indiquant que l’avis a été envoyé et ils peuvent être interrogés à l’aide de l’adresse IP et d’une référence temporelle. Le billet de Remedy conserve, entre autres, le nom du client, son adresse électronique, le numéro de série de son modem et son numéro de compte. Le système Remedy n’enregistre pas les renseignements sur l’adresse d’un client. Rogers a choisi de concevoir son système automatisé d’avis et avis de cette façon pour stocker ces renseignements; un autre FSI peut en décider autrement.

(1)  Y a‑t‑il un chevauchement?

[56]  J’examine maintenant à quel point les obligations de Rogers en tant que FSI, au titre du paragraphe 41.26(1) de la Loi, chevauchent les mesures qu’elle a prises dans le cadre de l’ordonnance de type Norwich.

[57]  Les deux premières étapes du processus de Rogers pour répondre à une ordonnance de type Norwich sont indemnisables. Elles sont directement liées à l’ordonnance de type Norwich. Elles sont également raisonnables parce que, si on ordonne à Rogers de communiquer les coordonnées d’un client, elle peut trouver les pièces justificatives.

[58]  La troisième étape du processus de Rogers pour vérifier les renseignements d’un client consiste à effectuer une recherche dans les registres d’adresses IP de la base de données DHCP pour trouver l’adresse MAC du modem câble qui était liée à l’adresse IP à la date et à l’heure pertinentes. Cela prend 1,55 minute par référence temporelle avec la méthode DHCP. Il faut 2,25 minutes par référence temporelle dans le système Remedy.

[59]  La troisième étape chevauche les obligations de Rogers en tant que FSI, au titre du paragraphe 41.26(1) de la Loi. Le temps que prend Rogers pour réaliser cette étape n’est pas indemnisable, parce qu’il s’agit d’une procédure ordonnée par le paragraphe 41.26(1). Les obligations de Rogers au titre de ce paragraphe comprennent ce qui suit : (1) l’identification, aux fins de la transmission de l’avis par voie électronique, de la personne à qui appartenait l’adresse IP en cause au moment de la prétendue violation; (2) la prise de toutes les mesures nécessaires pour vérifier que le FSI l’a fait correctement; (3) la prise de toutes les mesures nécessaires pour vérifier l’exactitude du registre permettant au FSI d’établir le nom et l’adresse physique de la personne à qui l’avis a été transmis. Ces obligations surviennent avant les obligations de Rogers découlant d’une ordonnance de type Norwich, et elle ne devrait pas être autorisée à recouvrer le coût des mesures prises pour l’exécution de ces obligations (Rogers CSC, au par. 51).

[60]  Pour la quatrième étape, Rogers utilise l’adresse MAC pour effectuer une recherche dans la base de données SGI afin de trouver le client associé au modem câble au moment pertinent. Cette étape fournit le lien entre le modem câble et le nom du client ainsi que son adresse actuelle consignée au registre dans le système de facturation de Rogers. Il faut 4,85 minutes par référence temporelle à un analyste de Rogers pour effectuer cette étape à l’aide de la méthode DHCP et 0,5 minute au moyen du système Remedy. La différence entre ces deux systèmes est d’environ 4,35 minutes par recherche. La question qui se pose est la suivante : ce délai supplémentaire est‑il raisonnable ou indemnisable?

[61]  Les activités commerciales de Rogers ne consistent pas à répondre aux ordonnances de type Norwich. Elle a établi un système qui s’applique aussi bien aux demandes de communication présentées par les organismes d’application de la loi qu’aux ordonnances de type Norwich. Le temps économisé pour le bénéficiaire d’une ordonnance de type Norwich lorsque Rogers utilise le système Remedy ne compense pas le désagrément imposé à Rogers qui doit traiter les ordonnances de type Norwich différemment. Comme il a été mentionné précédemment, les ordonnances de type Norwich comprennent une minorité de demandes de communication. À mon avis, il n’est pas déraisonnable pour Rogers d’utiliser la méthode de recherche DHCP plutôt que la méthode de recherche Remedy pour effectuer cette étape; la différence de temps entre les deux méthodes n’est pas importante.

[62]  Quoi qu’il en soit, le temps associé à la réalisation de la quatrième étape est indemnisable. Cette étape ne chevauche pas les obligations de Rogers en tant que FSI, au titre du paragraphe 41.26(1) de la Loi. Le temps que prend Rogers pour s’acquitter de son obligation dans le cadre d’une ordonnance de type Norwich d’identifier dans les faits une personne à partir de ses registres est indemnisable.

[63]  La cinquième étape consistant à compiler tous les renseignements dans un fichier Excel prend 2,6 minutes par adresse IP avec deux références temporelles (ou 1,3 minute par référence temporelle). Cela ne fait pas partie de la méthode de recherche de Remedy et c’est donc indemnisable. Le temps nécessaire pour réaliser cette étape n’est pas déraisonnable.

[64]  La dernière étape comprend des vérifications additionnelles de la qualité et une recherche relative aux listes de modems en double. Le système Remedy aurait dû identifier un client, ou indiquer qu’un client ne pouvait pas être identifié. Voltage affirme que, bien qu’un FSI doive maintenir des renseignements exacts, si la vérification de ces renseignements est effectuée pour confirmer l’exactitude d’une recherche dans Remedy, elle n’est pas indemnisable.

[65]  Un FSI est le mieux placé pour savoir qui accède à une adresse IP. Cela s’inscrit tout à fait dans ce que la Cour suprême a défini comme étant l’obligation d’un FSI d’établir, aux fins de l’envoi d’un avis par voie électronique, à qui appartenait l’adresse IP en cause au moment de la prétendue violation, et de prendre toutes les mesures nécessaires pour vérifier qu’il l’a fait correctement (Rogers, au par. 37). Ces obligations découlent de l’alinéa 41.26(1)a) de la Loi, et le temps que Rogers prend pour s’en acquitter ne devrait pas être inclus dans le temps pour lequel Rogers devrait être indemnisée. La dernière étape que Rogers dit devoir effectuer pour vérifier l’identité d’une personne en réponse à une ordonnance de type Norwich comporte, dans les faits, la vérification de l’exactitude du registre même qu’elle était tenue de conserver aux termes du paragraphe 41.26(1) et elle n’est pas indemnisable (Rogers CSC, au par. 52).

[66]  En résumé, les coûts que Rogers peut recouvrer pour se conformer à l’ordonnance de type Norwich sont la valeur du temps associé à ce qui suit :

  1. examiner l’ordonnance et établir les adresses IP pertinentes de Rogers; cette étape prend 1,65 minute par référence temporelle;

  2. enregistrer la demande afin qu’elle puisse faire l’objet d’un suivi tout au long du processus de déroulement du travail, et s’assurer que les captures d’écran et les renseignements générés et sauvegardés pendant la recherche puissent être trouvés à l’avenir, au besoin; cette étape prend 0,7 minute par référence temporelle;

  3. faire le lien entre le modem câble et le nom du client ainsi que son adresse actuelle dans le système de facturation de Rogers; cela prend 19,4 minutes par référence temporelle;

  4. compiler tous les renseignements dans un fichier Excel; cette étape prend 1,3 minute par référence temporelle.

[67]  Le temps que prend Rogers pour réaliser ces tâches totalise 23,05 minutes par référence temporelle. Pour les cinq références temporelles de l’ordonnance de type Norwich, il aurait fallu 115,25 minutes à Rogers pour identifier les renseignements sur les clients associés aux cinq adresses IP. À mon avis, le temps que Rogers a passé à répondre à l’ordonnance de type Norwich était raisonnable.

VIII.  Le calcul du tarif horaire

[68]  Je souscris à l’observation de Rogers selon laquelle le tarif de 100 $ l’heure n’a pas été rejeté par la Cour suprême du Canada. Rogers soutient que le montant des droits n’est pas en cause, puisqu’il a été jugé raisonnable en première instance (Voltage CF, au par. 19) et que ces droits n’ont pas été annulés par la Cour suprême du Canada. Selon Rogers, le montant de 100 $ l’heure ne peut faire l’objet d’une nouvelle décision, en raison de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ou d’un abus de procédure. Rogers affirme que ce n’est qu’à la Cour d’appel fédérale que le caractère raisonnable du tarif horaire était en cause.

[69]  Bien que la Cour d’appel fédérale ait conclu que le caractère raisonnable des droits de 100 $ l’heure aurait dû être apprécié (Rogers CAF, au par. 72), la Cour suprême n’a pas explicitement apprécié le caractère raisonnable du tarif horaire de Rogers pour se conformer à l’ordonnance de type Norwich. La Cour suprême s’est concentrée sur le chevauchement avec les dispositions du régime d’avis et avis de la Loi et sur le caractère raisonnable des mesures prises par Rogers pour se conformer à l’ordonnance de type Norwich.

[70]  Je ne suis pas d’accord avec Rogers pour dire que le montant de 100 $ l’heure ne peut faire l’objet d’une nouvelle décision, en raison de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ou d’un abus de procédure. À mon avis, il est nécessaire de revoir et d’apprécier le caractère raisonnable du tarif horaire de Rogers à la lumière de l’arrêt de la Cour d’appel ainsi que du silence de la Cour suprême sur cette question.

[71]  Rogers s’appuie sur l’affidavit de M. Yoo pour justifier son tarif horaire. Alors que Rogers cherche à se faire payer des droits de 100 $ l’heure, la preuve de M. Yoo indique que les coûts du groupe RAL (y compris les frais généraux) sont de 71,10 $ l’heure par employé. Son affidavit ne précise pas comment les 29,10 $ supplémentaires ont été calculés.

[72]  Rogers affirme qu’il en coûte 71,10 $ l’heure par employé pour les activités du groupe RAL au quotidien, et que ce montant ne comprend pas les coûts des employés du groupe juridique qui participent également à la réponse à une ordonnance de type Norwich. La différence entre les montants de 71,10 $ et de 100 $ provient de ce que Rogers prétend être les coûts additionnels attribuables à ses employés du groupe juridique.

[73]  Selon M. Yoo, le montant de 71,10 $ a été déterminé en prenant le nombre total d’heures de travail dans une année pour le groupe RAL, et en soustrayant les jours fériés et les congés mobiles (11 jours), les jours de vacances (20 jours), les congés de maladie (5 jours) et le temps consacré à des tâches administratives (30 jours) que les employés consacrent à des tâches non productives comme la formation, la participation à des réunions du personnel et les questions de ressources humaines. M. Yoo déclare que ce calcul donne un coût de 52,10 $ l’heure en salaires et avantages sociaux pour un employé du groupe RAL. De ce montant, M. Yoo a admis au cours de son contre‑interrogatoire que seulement 34,76 $ l’heure se rapportaient au salaire versé à un employé du groupe RAL, tandis que le reste constituait des avantages sociaux.

[74]  M. Yoo a ensuite ajouté d’autres coûts au montant de 52,10 $ l’heure pour arriver à un tarif horaire de 71,10 $. Plus précisément, il a ajouté les coûts de location, de chauffage, d’électricité, d’entretien et d’impôts fonciers, de même que les dépenses d’exploitation pour les installations ainsi que les dépenses en immobilisations pour les systèmes et les bâtiments utilisés par les employés du groupe RAL.

[75]  Selon Voltage, le montant de 52,10 $ l’heure devrait être inférieur, parce que les 30 jours consacrés à des tâches administratives ne devraient pas être inclus dans le calcul. Selon Voltage, si les jours consacrés à des tâches administratives sont supprimés, le taux horaire serait de 45,14 $ plutôt que de 52,10 $ l’heure pour les salaires et avantages sociaux (ou 34,76 $ l’heure pour les salaires seulement).

[76]  Voltage affirme également qu’aucun des frais généraux ou avantages sociaux de Rogers ne sont engagés pour se conformer à l’ordonnance de type Norwich et que, par conséquent, seuls les coûts directs de main‑d’œuvre sont indemnisables. Selon Voltage, il est déraisonnable d’inclure le temps consacré à des tâches administratives et les frais généraux dans le calcul du tarif horaire approprié. Voltage affirme que les droits de Rogers doivent être liés au respect de l’ordonnance de type Norwich et que la rémunération ne se fait pas selon un taux d’indemnisation complète.

[77]  Voltage ajoute que les renseignements utilisés par M. Yoo ne se rapportent pas à l’année de l’ordonnance de type Norwich. Voltage fait remarquer que le tarif horaire estimatif fourni par Kristi Jackson en 2016 était de 33 $ l’heure, ce qui est proche des 34,76 $ l’heure pour les salaires calculés lorsque les 30 jours consacrés à des tâches administratives et les avantages sociaux sont retirés. Voltage concède, par souci de simplicité et pour les besoins de la présente requête, qu’un tarif horaire raisonnable serait de 35 $ l’heure.

[78]  Voltage affirme que les coûts de Rogers sont limités à la recherche de renseignements à partir des registres exacts conservés aux termes de l’article 41.26 de la Loi, et non à partir de tout autre processus qu’elle utilise pour identifier les clients. Selon Voltage, cela découle de la conclusion de la Cour suprême selon laquelle : « En réponse à une ordonnance de type Norwich l’obligeant à fournir [des] renseignements [...], le FSI a [...] droit aux coûts raisonnables des mesures nécessaires pour discerner l’identité d’une personne à partir du registre exact conservé au titre de l’alinéa 41.26(1)b) » (Rogers CSC, au par. 56).

A.  Qu’est‑ce qu’un tarif horaire raisonnable?

[79]  Je commence mon analyse de ce qui constitue un tarif horaire raisonnable afin que Rogers se conforme à l’ordonnance de type Norwich, en notant les frais imposés par les FSI autres que Rogers.

[80]  Le dossier montre que les FSI autres que Rogers exigent les droits suivants :

FSI

Temps consacré par adresse IP

Montant exigé

Bell

De 20 à 45 minutes

50 $ par adresse IP

Cogeco inc.

Une heure

Non décrit

Québecor/Vidéotron

Non décrit

200 $ par IP (1 à 5 adresses) Diminution à 100 $ par IP (plus de 20 adresses)

SaskTel

Deux heures

50 $ lheure

Teksavvy

Dune à deux heures

Non décrit, mais cherche à recouvrer les frais juridiques, les frais administratifs et les débours raisonnables.

TELUS

30 minutes

100 $ lheure

X Plornet

De 15 minutes à 24 heures

Non décrit

Shaw

De 30 minutes à plusieurs heures

250 $ lheure

[81]  Ce qui précède montre que le montant exigé et le temps que consacrent les FSI pour répondre à une ordonnance de type Norwich ne sont pas uniformes. Toutefois, ces renseignements permettent d’apprécier si les coûts de Rogers et le temps qu’elle a consacré sont raisonnables.

[82]   L’affidavit de M. Yoo ne s’applique pas expressément à l’ordonnance de type Norwich. Il ne parle qu’en termes généraux. Au cours de la plaidoirie, Rogers a déclaré qu’elle tient des registres méticuleux sur la façon dont les demandes de communication sont traitées, et que, par conséquent, elle aurait dû soumettre les renseignements Excel pour la communication relative à M. Salna.

[83]  L’affidavit de M. Yoo présente plusieurs problèmes. Premièrement, les calculs de M. Yoo ont été effectués en fonction des données de 2017 à 2019, et non de 2016, année où M. Salna a été identifié par Rogers. Deuxièmement, il est difficile (voire impossible) d’établir la source des chiffres que M. Yoo a utilisés; par exemple, au lieu de fournir le salaire horaire d’un employé du groupe RAL, M. Yoo a utilisé le total des salaires et des avantages sociaux budgétés pour le groupe et a divisé ce total par le total des heures de travail disponibles par employé. Troisièmement, même en utilisant ce calcul obtus, le nombre total d’heures disponibles est fondamental pour les calculs de M. Yoo; plus ce chiffre est bas, plus le taux horaire équivalent est élevé.

[84]  Je suis d’accord avec Voltage pour dire qu’il était inapproprié d’inclure le temps consacré à des tâches administratives dans le calcul de M. Yoo d’un tarif horaire de 71,10 $ par employé du groupe RAL. En excluant les jours attribuables au temps consacré à des tâches administratives, on réduit le taux horaire à 45,14 $, plutôt que 52,10 $ l’heure, pour les salaires et les avantages sociaux (ou 34,76 $ l’heure pour les salaires seulement). Le temps consacré à des tâches administratives associé à la formation n’est pas indemnisable (Southworks Outlet Mall Inc c Bradley, 97 OR (3d) 796, au par. 26(ii)).

[85]  Le reste du calcul de M. Yoo relatif au montant de 71,10 $ l’heure a utilisé divers frais généraux associés au fonctionnement du groupe RAL. M. Yoo a attribué au groupe RAL sa quote‑part de ces coûts pour arriver à 19 $ l’heure, qui, ajouté aux 52,10 $ de l’heure pour les salaires et les avantages sociaux, totalise 71,10 $ l’heure. M. Yoo a admis au cours de son contre‑interrogatoire qu’aucun de ces frais généraux ne découlait de la conformité à l’ordonnance de type Norwich ou à toute autre ordonnance de communication. À mon avis, ces frais ne sont pas indemnisables, et seuls les coûts directs de main‑d’œuvre de Rogers sont recouvrables.

[86]  Je suis d’accord avec Voltage pour dire qu’aucun des coûts de Rogers quant aux frais généraux ou aux avantages sociaux des employés n’a été engagé pour se conformer à l’ordonnance de type Norwich et que, par conséquent, seuls les coûts directs de main‑d’œuvre sont indemnisables. De façon générale, les frais généraux de bureau normaux ne sont pas indemnisables sous forme de débours (Mark M. Orkin, The Law of Costs, 2e éd., Toronto : Canada Law Book) (publication à feuilles mobiles, mise à jour en avril 2018), section 219.6).

[87]  Les frais engagés par un FSI pour la communication, conformément à une ordonnance de type Norwich, ne visent pas à financer les coûts immobiliers ou l’infrastructure informatique. Une indemnisation raisonnable doit être directement liée au respect d’une ordonnance de communication (Glaxo Wellcome PLC c Ministre du Revenu national, [1998] ACF no 874, au par. 68, et Voltage Pictures LLC c John Doe, 2015 CF 1364, aux par. 36 à 38).

IX.  Conclusion

[88]  Compte tenu de ce qui précède, et de la concession faite par M. Yoo au cours de son contre‑interrogatoire selon laquelle seulement 34,76 $ l’heure étaient liés au salaire versé à un employé du groupe RAL, de même que de la concession de Voltage selon laquelle un taux horaire raisonnable serait de 35 $ l’heure, je conclus qu’un tarif horaire raisonnable pour que Rogers se conforme à l’ordonnance de type Norwich est de 35 $.

[89]  La preuve montre que, en moyenne, il faut 24 minutes à Rogers pour trouver le nom et les renseignements sur l’adresse du client pour une adresse IP avec deux références temporelles (ou 12 minutes par référence temporelle). Toutefois, compte tenu de ma conclusion ci‑dessus selon laquelle il aurait fallu 115,25 minutes à Rogers pour identifier les renseignements sur les clients associés aux cinq adresses IP dans l’ordonnance de type Norwich, Rogers a droit à une indemnisation de 67,23 $, plus TVH, pour la recherche ainsi que la communication du nom et des renseignements sur l’adresse du client qui sont associés aux cinq références temporelles dans l’ordonnance de type Norwich (c.‑à‑d. 35,00 $ x 115,25 minutes/60 minutes = 67,23 $). Voltage versera à Rogers le montant de 67,23 $, plus TVH, dans les 30 jours suivant la date de la présente ordonnance.

[90]  Voltage demande les dépens de la présente requête à un échelon élevé en raison de la nature prétendument abusive du dépôt tardif d’éléments de preuve par Rogers et de son mépris des directives de la Cour suprême quant aux éléments de preuve qu’elle pouvait déposer. Rogers ne demande pas de dépens à l’égard de la présente requête et demande une ordonnance enjoignant à Voltage de payer ses coûts raisonnables pour se conformer à l’ordonnance de type Norwich, soit 100 $ plus TVH.

[91]  Compte tenu des circonstances dans lesquelles cette requête a été renvoyée à la Cour, je refuse d’exercer ma compétence pour adjuger les dépens. Par conséquent, aucuns dépens ne seront adjugés à l’égard de la présente requête.


ORDONNANCE dans le dossier T‑662‑16

LA COUR ORDONNE que, pour les motifs susmentionnés, les demanderesses paient à Rogers Communications inc., dans les 30 jours suivant la date de la présente ordonnance, 67,23 $, plus TVH, pour le temps consacré et les coûts engagés par Rogers Communications inc. Afin d’assembler et de fournir des renseignements sur ses clients aux demanderesses.

LA COUR ORDONNE EN OUTRE qu’aucuns dépens ne soient adjugés.

« Keith M. Boswell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 18e jour de septembre 2019

Christian Laroche, LL.B., juriste‑traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑662‑16

 

INTITULÉ :

VOLTAGE PICTURES, LLC, COBBLER NEVADA, LLC, PTG NEVADA, LLC, CLEAR SKIES NEVADA, LLC, GLACIER ENTERTAINMENT S.A.R.L. OF LUXEMBOURG, GLACIER FILMS 1, LLC, et FATHERS & DAUGHTERS NEVADA, LLC
c ROBERT SALNA, JAMES ROSE et LORIDANA CERRELLI, REPRÉSENTANTS DÉFENDEURS PROPOSÉS AU NOM D’UN GROUPE DE DÉFENDEURS, et ROGERS COMMUNICATIONS INC., et CLINIQUE D’INTÉRÊT PUBLIC ET DE POLITIQUE D’INTERNET DU CANADA SAMUELSON‑GLUSHKO

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 JUIN 2019

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE BOSWELL

 

DATE DE L’ORDONNANCE

ET DES MOTIFS :

LE 6 AOÛT 2019

 

COMPARUTIONS :

Kenneth R. Clark

Patrick Copeland

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Andrew Bernstein

James Gotowiec

 

POUR LA TIERCE DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aird & Berlis LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Lipman, Zener & Waxman LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

Torys LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA TIERCE DÉFENDERESSE

 

David Fewer

Tamir Israel

 

POUR L’INTERVENANTE

 

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