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Date : 20190801


Dossier : IMM-829-19

Référence : 2019 CF 1037

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 1er août 2019

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

CARLOS HORACIO SALCEDO SANCHEZ

KARLA ALEXANDRA SALCEDO CONGOLINO

FRANCIA ELENA CONGOLNO DE SALCEDO

demandeurs

et

LE MINISTRE DE l’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ ET

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Les demandeurs, M. Carlos Horacio Salcedo Sanchez, son épouse, Mme Francia Helena Congolino De Salcedo, et leur fille de 26 ans, Mme Karla Alexandra Salcedo Congolino, sollicitent le contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés (la SPR) le 18 décembre 2018. La SPR a rejeté leur demande d’asile au motif qu’ils ne sont ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi].

II.  Le contexte

[2]  Les demandeurs sont citoyens de la Colombie. En plus de leur fille Karla Alexandra, M. Salcedo Sanchez et Mme Congolino De Salcedo ont sept autres enfants : cinq d’entre eux se sont vu reconnaître le statut de réfugié et vivent au Canada, tandis que les deux autres vivent à l’étranger.

[3]  Carlos, Jaminton, John et Kevin se sont vu reconnaître le statut de réfugiés au titre de l’article 96 de la Loi, le lien ayant été établi entre leur crainte de persécution et leur race afro‑colombienne. Wanda s’est quant à elle vu reconnaître la qualité de personne à protéger au titre du paragraphe 97(1) de la Loi, le lien entre la crainte de persécution et la race n’ayant pas été établi dans son cas.

[4]  M. Salcedo Sanchez et sa fille ont quitté la Colombie pour les États‑Unis le 20 juin 2017 et Mme Congolino De Salcedo est allée les rejoindre le 23 juillet 2017. Le 14 août 2017, ils sont venus au Canada en taxi, en passant par un point d’entrée en Colombie‑Britannique, et ils ont demandé l’asile au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi.

[5]  Le formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA) de M. Salcedo Sanchez, sur lequel s’appuient également sa fille et son épouse, indique que les demandeurs craignent d’être persécutés par les BACRIM, un groupe paramilitaire actif en Colombie, parce que Carlos a refusé d’obtempérer lorsque le groupe lui a proféré des menaces d’extorsion en octobre 2013.

III.  La décision de la SPR

[6]  La demande d’asile a été rejetée par la SPR le 18 décembre 2018. La SPR a d’abord conclu que les demandeurs n’avaient pas qualité de réfugiés au sens de la Convention aux termes de l’article 96 de la Loi, vu l’absence de lien entre leur demande d’asile et un motif énoncé dans la Convention. Elle a jugé que la raison pour laquelle les demandeurs avaient allégué avoir été ciblés était liée à une tentative d’extorsion faite par une organisation criminelle en octobre 2013 à l’endroit de Carlos, qui essayait de mettre sur pied une entreprise à Buenaventura. La SPR a examiné la question de la race, sur laquelle avait insisté le conseil des demandeurs. Selon elle, les allégations à cet égard indiquaient que Carlos, la personne visée au départ par les menaces d’extorsion criminelles, avait été ciblé non pas en raison de sa race, mais de son rôle à titre de propriétaire d’une petite entreprise.

[7]  La SPR a ensuite examiné la demande d’asile au regard de l’article 97 de la Loi, aux termes duquel les demandeurs devaient établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il était plus probable qu’improbable que leurs vies soient en danger ou qu’ils subissent des traitements ou peines cruels et inusités en Colombie du fait que Carlos avait été ciblé par les BACRIM. Selon la SPR, la principale difficulté se trouvait dans la preuve concernant la situation des trois demandeurs entre le moment des interrogations et des agressions des BACRIM, lorsque des criminels recherchaient Carlos en mai 2014, et leur départ de Colombie en juin et juillet 2017.

[8]  La SPR a jugé que les incohérences et les omissions dans la preuve des demandeurs compromettaient la crédibilité de leurs allégations selon lesquelles les BACRIM avaient tenté de trouver les parents ainsi que les frères et sœurs de Carlos après que ce dernier eut été agressé. Elle a donc conclu que les demandeurs ne s’étaient pas acquittés de leur fardeau de preuve.

[9]  La SPR est arrivée à cette conclusion en raison des incohérences entre les déclarations solennelles initiales des demandeurs, leur FDA et leurs témoignages, de même qu’en raison des explications peu convaincantes qu’ils avaient fournies au sujet de ces incohérences.

[10]  Le FDA que les demandeurs ont signé le 29 août 2017 ne mentionnait aucun incident entre l’automne 2014 et le moment où leur gardien de sécurité avait subi des voies de fait en juin 2017. Leurs déclarations solennelles du 14 août 2017 ne mentionnaient pas les voies de fait à l’endroit du gardien de sécurité; cependant, elles faisaient état d’engagements qui les empêchaient de quitter la Colombie. Dans son témoignage devant la SPR, M. Salcedo Sanchez a mentionné les incidents suivants : des menaces de mort que lui avaient adressées deux hommes conduisant des motocyclettes, à Cali, en mai 2019; des messages écrits laissés à ses enfants, en Colombie; des menaces proférées à sa fille Karla Alexandra, à Cali, quelque temps avant mai 2017; puis un document qui avait été laissé au dernier appartement où sa femme et lui avaient habité, dans lequel étaient formulées d’autres menaces.

[11]  Tout compte fait, la SPR a jugé que les explications des demandeurs étaient peu convaincantes et ne justifiaient pas les lacunes graves de la preuve dans les déclarations solennelles et l’exposé circonstancié du FDA, que les allégations de M. Salcedo Sanchez au sujet de ses problèmes de mémoire n’étaient pas fondées et que, dans les faits, les demandeurs essayaient de bonifier leur demande d’asile et leurs déclarations faites au point d’entrée en invoquant des incidents qui ne s’étaient pas produits. La SPR a aussi jugé que la preuve des demandeurs au sujet de leurs activités des dernières années indiquait qu’ils n’étaient pas activement recherchés par les BACRIM.

[12]  Enfin, la SPR s’est penchée sur la question de savoir s’il existait des éléments de preuve résiduels liés aux caractéristiques personnelles des demandeurs à partir desquels il était possible d’établir le fondement de leur demande d’asile. Elle a reconnu que la documentation sur la situation en Colombie faisait état des problèmes de discrimination à l’égard des Afro‑Colombiens. Cependant, elle a fait remarquer que les demandeurs d’asile n’avaient pas allégué qu’ils craignaient de subir des mauvais traitements de façon marquée et persistante, mis à part l’allégation selon laquelle ils étaient ciblés par les BACRIM; qu’ils avaient eux-mêmes admis cela dans leurs témoignages, et donc que la preuve résiduelle liée à leurs caractéristiques personnelles en tant qu’Afro‑Colombiens était insuffisante pour établir le fondement d’une demande d’asile.

[13]   Le 5 février 2019, les demandeurs ont présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de la SPR.

IV.  La position des parties

[14]  Les demandeurs n’ont pas contesté les conclusions de la SPR en matière de crédibilité. Ils contestent la décision de la SPR en faisant valoir deux motifs : (1) l’omission de la SPR de tenir compte de pièces justificatives et d’éléments de preuve importants concernant leur situation personnelle, lesquels avaient trait au fondement de leur demande d’asile au titre de l’article 96 de la Loi, à l’existence d’un lien du fait de leur race ou de leurs opinions politiques, de même que l’omission d’examiner la possibilité d’établir le lien en combinant ces deux motifs; (2) l’omission de la SPR de tenir compte d’éléments de preuve importants pour statuer sur leur demande en regard de leur profil de risque résiduel.

[15]  Les demandeurs soutiennent que la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable et que la Cour peut intervenir si la SPR a dénaturé ou passé sous silence des éléments de preuve qui étaient pertinents (Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425 [Cepeda‑Gutierrez]).

[16]  En ce qui a trait au à la question du lien, les demandeurs soutiennent que la SPR a omis d’examiner la question et de tenir compte des éléments de preuve substantiels suivants : (1) le document publié en 2014 par un centre d’information et d’orientation pour les victimes en Colombie qui confirme que les demandeurs ont été victimes de déplacement forcé; (2) les décisions antérieures de la SPR concernant les membres de leur famille, dans lesquelles le tribunal avait conclu que Carlos était le seul homme d’affaires dans sa région à avoir été ciblé à des fins d’extorsion, qu’il avait été ciblé du fait de sa race et que les Afro‑Colombiens sont des personnes risquant fortement d’être prises pour cible par les groupes paramilitaires; (3) le message de menaces de 2014 indiquant que la famille était une cible militaire.

[17]  En ce qui a trait à la question du profil de risque résiduel, les demandeurs soutiennent que la SPR a omis de tenir compte de ceci : (1) en 2014, un centre d’information et d’orientation pour les victimes en Colombie a reconnu que les demandeurs avaient été victimes de déplacement forcé; (2) les opérations paramilitaires de « nettoyage social » ciblent des personnes « indésirables » comme les demandeurs; (3) les demandeurs avaient été pris pour cible par les BACRIM jusqu’en 2014; (4) les demandeurs ont reçu un message des BACRIM les désignant comme des cibles militaires; (5) le témoignage des demandeurs.

[18]  Selon les demandeurs, lorsqu’un tribunal administratif dénature des éléments de preuve importants ou omet de les mentionner précisément et d’en faire une analyse dans ses motifs, la Cour est plus à même d’inférer de ce fait que le tribunal administratif a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] », alors qu’il est tenu d’analyser l’ensemble de la preuve qui lui est présentée (Cepeda‑Gutierrez; Giron c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 143 NR 238).

[19]  Les ministres conviennent que la décision de la SPR devrait être examinée selon la norme de la décision raisonnable, puisque l’affaire soulève uniquement des questions mixtes de fait et de droit (Gutierrez c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 4, par. 22‑25).

[20]  Les défendeurs soutiennent que la décision de la SPR était raisonnable. Selon eux, un demandeur d’asile doit établir l’existence d’un risque personnalisé; or, en l’espèce, la SPR ne disposait d’aucun élément de preuve indiquant que les demandeurs étaient personnellement pris pour cible du fait qu’ils sont afro‑colombiens (Banguera Palacios c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 950, par. 20‑21). En réponse à la prétention des demandeurs selon laquelle la SPR a omis de tenir compte de certains éléments de preuve concernant leur race, les défendeurs soutiennent que la conclusion de la SPR quant à l’absence de lien était raisonnable, puisque la SPR a examiné les documents relatifs à la situation en Colombie, entendu les témoignages de l’épouse et de la fille de M. Salcedo Sanchez dans lesquels elles avaient indiqué n’avoir éprouvé aucune difficulté en tant qu’Afro‑Colombiennes, et relevé les propos racistes qui lui avaient été présentés.

[21]  Les défendeurs soutiennent que, de toute façon, le facteur déterminant en l’espèce était celui de la crédibilité et que les demandeurs ne contestent aucune des conclusions de la SPR à cet égard. Selon eux, les demandeurs insistaient pour que la SPR accueille leur demande d’asile, comme elle l’avait fait dans des décisions antérieures en accordant l’asile aux autres membres de leur famille, alors que la SPR n’est pas tenue juridiquement de suivre les conclusions qu’elle a tirées dans ses décisions antérieures (Gutierrez, par. 53 et 58; McNally c Canada (Revenu national), 2015 CF 767, par. 36; Siddiqui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 6, par. 17). Ils relèvent le fait qu’en l’espèce, la SPR a jugé que les demandeurs n’étaient pas crédibles; leurs allégations étaient différentes de celles des autres membres de leur famille.

[22]  Les ministres concluent que les demandeurs voudraient que la Cour pondère la preuve à nouveau, ce qui n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire (Navarro Linares c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1250, par. 49).

V.  Analyse

[23]  Je conviens avec les parties que la norme de contrôle applicable aux conclusions de fait ainsi qu’aux conclusions mixtes de fait et de droit tirées par la SPR est celle de la décision raisonnable (Matsika c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 602, par. 11).

[24]  Il est bien établi que la SPR n’a pas besoin de mentionner tous les éléments de preuve dans ses décisions (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, par. 16; Jareno Gonzalez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 49, par. 28; Cepeda‑Gutierrez). S’il est vrai que « ne pas faire mention d’un élément de preuve convaincant relativement à un point crucial, ou d’un élément de preuve qui est en contradiction avec les conclusions d’un agent sur un tel point, peut constituer une erreur susceptible de contrôle » (Torres c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 150, par. 26), ce n’est cependant pas le cas en l’espèce.

[25]  Comme je l’ai mentionné à l’audience, la SPR a examiné la question de la race dans ses motifs et sa conclusion est raisonnable au regard de la preuve. Les documents que la SPR aurait omis d’examiner, selon les demandeurs, ne contredisent pas les conclusions de la SPR. Les demandeurs insistent sur l’importance du document publié en 2014 par un centre d’information et d’orientation pour les victimes en Colombie, mais ce document indique simplement que les demandeurs ont été victimes de déplacement forcé; il ne fait état d’aucun motif pouvant être lié à la Convention (dossier certifié du tribunal, p. 387).

[26]  De plus, les commissaires de la SPR ne sont pas tenus juridiquement de suivre les conclusions de fait tirées par leurs collègues (Gutierrez, par. 53‑58).

[27]  Enfin, malgré l’information contenue dans les documents concernant la situation en Colombie, les demandeurs ont témoigné ne jamais avoir été persécutés en raison de leur race afro‑colombienne, et les messages de menaces qu’ils invoquent n’indiquent aucunement que les demandeurs pourraient pris pour cible pour un motif énoncé dans la Convention (dossier certifié du tribunal, p. 412).

[28]  En définitive, la Cour conclut que la décision de la SPR était raisonnable compte tenu du dossier dont elle disposait, du droit et de la jurisprudence.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑829‑19

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée et qu’aucune question n’est certifiée.

« Martine St‑Louis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 23e jour de septembre 2019

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER 


 

DOSSIER :

IMM‑829‑19

 

INTITULÉ :

CARLOS HORACIO SALCEDO SANCHEZ ET AUTRES c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L’AUDIENCE :

vancouver (Colombie‑Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 31 juillet 2019

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :

La juge ST‑LOUIS

DATE DES MOTIFS :

Le 1er août 2019

COMPARUTIONS :

Robert J. Kincaid

POUR LEs DEMANDEURs

Hilla Aharon

POUR LEs DÉFENDEURs

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robert J. Kincaid Law Corporation

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LEs DEMANDEURs

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LEs DÉFENDEURs

 

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