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Date : 20190802


Dossier : IMM-538-19

Référence : 2019 CF 1046

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 2 août 2019

En présence de madame la juge St-Louis

 

ENTRE :

TANNAZ TABARI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Madame Tannaz Tabari sollicite le contrôle judiciaire de la décision d’un agent de la Section des visas de l’ambassade du Canada en Turquie, rejetant sa demande de permis d’études.

[2]  Mme Tabari, son époux, M. Ehsan Tajsanjarani, et leur fils, Karen, sont des citoyens de l’Iran. Mme Tabari s’est vu refuser un visa de résident temporaire (VRT) et un permis d’études, tandis que son fils et son époux se sont vu refuser un VRT pour séjours multiples. Leur fils était censé accompagner Mme Tabari au Canada, tandis que son époux devait leur rendre visite à l’occasion.

[3]  Mme Tabari, son époux et leur fils ont tous contesté devant la Cour le refus qui leur a été opposé. Le dossier de M. Tajsanjarani porte le numéro IMM 1311-19 et celui de Karen, le numéro IMM‑1480-19.

[4]  Les parties ont accepté que la Cour rende une seule décision, dans le dossier de Mme Tabari, qui s’appliquerait mutatis mutandis aux deux autres instances.

[5]  Pour les motifs énoncés ci-après, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale, que les motifs de l’agent, quoique brefs, sont appropriés et que la décision est raisonnable, puisqu’elle appartient aux issues possibles au regard des faits et du droit. En conséquence, la présente demande sera rejetée.

II.  Contexte

[6]  En 2011, Mme Tabari a terminé un baccalauréat en comptabilité en Iran et a commencé à travailler. En septembre 2014, elle est entrée en fonctions à l’Apadana Kavosh Iranian Co, une société d’exportations, et a quitté son emploi en décembre 2015 pour un congé de maternité prolongé.

[7]  Le 10 octobre 2018, l’Apadana Kavosh Iranian Co a fourni une lettre à Mme Tabari autorisant son retour au travail, sous réserve qu’elle réussisse des cours spécialisés de deuxième cycle se rapportant à son travail au cours des quatre années suivantes.

[8]  En octobre 2017, Mme Tabari s’était inscrite au programme de maîtrise en gestion de la technologie, avec majeure en transfert technologique, au Farabi Higher Education Institute en Iran, mais, comme il est souligné dans la lettre émanant de l’Institut, elle a suivi le programme pendant un seul semestre, puis a abandonné ses études, parce qu’elle était déçue de la qualité du programme.

[9]  Le 30 octobre 2018, Mme Tabari a été acceptée au collège Langara au Canada pour un programme d’études à temps plein d’une durée de trois ans, dont un an d’apprentissage de l’anglais, suivi d’un diplôme de deuxième cycle de deux ans en administration des affaires.

[10]  En décembre 2018, Mme Tabari a demandé un permis d’études et un VRT, et son fils et son époux ont chacun demandé un VRT. Dans le cadre de la demande de permis d’études, le représentant de Mme Tabari a souligné, notamment, que celle‑ci avait peu d’antécédents de voyage et que son époux qui demeurerait dans son pays d’origine constituerait son principal lien avec ce pays. Mme Tabari a produit des documents au sujet d’une possibilité d’emploi auprès de son ancien employeur, du programme d’études qu’elle envisageait de suivre, d’une propriété dont elle était copropriétaire, du processus en cours d’acquisition d’une autre propriété et d’états relatifs à des économies représentant quelque 134 000 $CAN pour la famille. Elle a évalué le coût de son séjour et de ses études au Canada à environ 32 750 $ par année. Son époux, qui travaille depuis un certain nombre d’années, a notamment produit une lettre de son employeur selon laquelle il avait un contrat de travail censé venir à expiration en août 2019.

III.  Décision contestée

[11]  Dans une décision en date du 7 janvier 2019 rejetant la demande de permis d’études de Mme Tabari, l’agent n’était pas convaincu que celle-ci quitterait le Canada à la fin de son séjour, comme le prévoit le paragraphe 216(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés LC 2001, c 27 [la Loi], sur la foi des éléments suivants : 1) ses antécédents de voyage; 2) ses liens familiaux au Canada et dans son pays de résidence; 3) l’objet de sa visite; 4) sa situation d’emploi actuelle; 5) ses biens personnels et sa situation financière.

[12]  Dans les notes inscrites dans le système, l’agent a souligné que Mme Tabari 1) ne semble pas être suffisamment établie de manière que les études proposées constituent des dépenses raisonnables 2) vu les liens familiaux ou les motifs économiques pour demeurer au Canada, son incitatif pour rester au Canada pourrait supplanter ses liens avec son pays d’origine; 3) son projet d’études semble vague et mal documenté; 4) à la lumière de ses perspectives d’emploi présentes et futures, un poids moindre a été accordé à ses liens d’emploi dans son pays d’origine; 5) ses antécédents de voyage sont insuffisants pour représenter un facteur favorable dans l’appréciation.

[13]  Mme Tabari conteste la décision pour deux motifs. En premier lieu, elle affirme que l’agent a manqué à l’équité procédurale en ne lui accordant pas la possibilité de répondre aux conclusions quant à la crédibilité, qui sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte.

[14]  En deuxième lieu, elle affirme que la décision de l’agent dans son ensemble était déraisonnable parce que celui-ci avait omis de tenir compte d’éléments de preuve essentiels, les a mal interprétés et n’a pas fourni des motifs appropriés. Mme Tabari souligne que 1) l’agent n’a cité aucun élément de preuve à l’appui de la conclusion selon laquelle elle n’était pas bien établie; 2) l’agent a de façon déraisonnable supposé que le coût représentait un facteur déterminant dans le choix d’un programme d’études; 3) il n’y a pas d’élément de preuve selon lequel l’agent a pris en compte sa situation financière; 4) les éléments de preuve portent à croire qu’elle a fourni des preuves des fonds dont elle dispose et des propriétés lui appartenant; 5) elle n’a aucun lien au Canada et a des liens solides en Iran; 6) l’agent n’a pas énoncé les raisons économiques qui l’inciteraient à rester au Canada; 7) la prise en compte par l’agent des antécédents de voyage équivaut à un refus fondé sur l’absence d’antécédents de voyage; 8) l’agent, de façon générale, n’a pas tenu compte des éléments de preuve. Mme Tabari soutient qu’aucun élément de preuve n’étaye les conclusions de l’agent.

[15]  Le ministre réplique que l’agent n’a pas manqué à l’équité procédurale et que la décision est raisonnable.

[16]  Au sujet de l’équité procédurale, le ministre affirme qu’une conclusion quant à l’insuffisance des éléments de preuve ne doit pas être confondue avec une conclusion défavorable quant à la crédibilité. L’agent n’était pas tenu d’informer Mme Tabari d’une quelconque préoccupation, particulièrement étant donné que l’obligation d’équité est moins rigoureuse pour ce qui est des permis d’études et qu’un agent des visas n’a aucune obligation juridique de chercher à clarifier une demande présentant des lacunes, d’aider un demandeur à établir le bien‑fondé de sa demande ou d’informer un demandeur de préoccupations se rapportant au respect des exigences énoncées dans la loi.

[17]  Le ministre soutient que la décision est raisonnable et que l’obligation de fournir des motifs dans l’appréciation d’une demande de visa de résident temporaire est minimale et se situe à l’extrémité inférieure du registre. Il précise que l’agent a équitablement examiné les faits et soupesé les différents facteurs. L’objection de Mme Tabari quant au poids accordé par l’agent aux divers facteurs ne justifie pas l’intervention d’une cour de révision.

IV.  Analyse

A.  Norme de contrôle

[18]  Pour les questions d’équité procédurale, la Cour doit établir si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances (Chemin de fer Canadien Pacifique Ltée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, au par. 54).

[19]  L’examen de l’appréciation des faits de la demande effectuée par l’agent, et de la croyance de l’agent selon laquelle la demanderesse ne quitterait pas le Canada à l’issue de son séjour, est fait selon la norme de la décision raisonnable (Akomolafe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 472 au par. 9; Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1284 au par. 15; Guinto Bondoc c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 842 au par. 6). La décision de l’agent est discrétionnaire et est considérée comme « une décision administrative prise dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire » (My Hong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 463 au par. 10). Pour cette raison, elle appelle une retenue considérable compte tenu de la spécialisation et de l’expérience de l’agent des visas (Solopova c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2016 CF 690 au par. 12 [Solopova]; Obeng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 754 au par. 21).

[20]  La norme de la décision raisonnable s’applique aussi à l’appréciation du caractère suffisant des motifs (Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre‑Neuve et Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au par. 14 [Newfoundland Nurses]). Comme il est statué dans la décision Solopova, « […] la pertinence des motifs ne permet pas à elle seule de casser une décision ». Dans l’arrêt Newfoundland Nurses, la Cour suprême a donné des indications quant à la manière d’aborder les situations dans lesquelles le décideur fournit des motifs brefs ou limités. Il n’est pas nécessaire que les motifs soient exhaustifs ou parfaits ou qu’ils traitent de l’ensemble des éléments de preuve ou des arguments présentés par une partie ou figurant dans le dossier. Il suffit que les motifs permettent à la Cour de comprendre le fondement de la décision et de déterminer si la conclusion appartient aux issues possibles acceptables (Newfoundland Nurses, au paragraphe 16). La cour de révision doit considérer les motifs dans leur ensemble, conjointement avec le dossier, pour déterminer s’ils possèdent les attributs de la raisonnabilité, laquelle tient à la justification, à la transparence et à l’intelligibilité (Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36 au paragraphe 53; Construction Labour Relations Driver Iron Inc, 2012 CSC 65 au paragraphe 3; Dunsmuir au paragraphe 47). » « Même si les motifs de la décision sont brefs ou mal rédigés, la Cour doit faire montre de retenue à l’égard de l’appréciation de la preuve effectuée par le décideur et des conclusions tirées par ce dernier relativement à la crédibilité, dans la mesure où la Cour est capable de comprendre le fondement de la décision. […] [L]e devoir d’un agent des visas de motiver sa décision de rejeter une demande de permis de séjour temporaire est minime et se situe à l’extrémité inférieure du registre ». (Solopova aux par. 31 et 32).

B.  L’agent a-t-il manqué à l’équité procédurale?

[21]  Comme il est statué dans la décision Ibabu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1068, et la décision Solopova, « [u]ne conclusion défavorable sur la crédibilité est différente d’une conclusion quant à l’insuffisance de la preuve ou quant au défaut du demandeur de s’acquitter du fardeau de la preuve ». Comme la Cour l’a déclaré dans la décision Gao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 59, au par. 32, et l’a réaffirmé dans la décision Herman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 629, au par. 17, « [o]n ne peut toutefois pas présumer que, lorsque l’agent conclut que la preuve ne démontre pas le bien‑fondé de la demande du demandeur, l’agent n’a pas cru le demandeur ». Ce principe a été repris sous une forme différente dans la décision Ferguson c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1067, au par. 23, dans laquelle le juge Zinn a déclaré que, « même si un demandeur s’est acquitté de sa charge de présentation de la preuve parce qu’il a présenté des éléments de preuve pour chaque fait essentiel, il pourrait ne pas s’être acquitté de la charge de persuasion parce que la preuve présentée n’établit pas les faits requis, selon la prépondérance de la preuve ».

[22]  Je conviens avec le ministre que Mme Tabari confond une conclusion défavorable quant à la crédibilité avec une conclusion d’insuffisance des éléments de preuve. La préoccupation de l’agent découle des dispositions législatives, nommément de l’obligation faite à Mme Tabari d’établir selon la prépondérance des probabilités qu’elle quitterait le Canada à l’issue de son séjour autorisé (article 216 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227). Il incombait à Mme Tabari de fournir à l’agent toute l’information utile et des documents exhaustifs pour le convaincre qu’elle remplissait toutes les conditions prévues par la loi.

[23]  Étant donné que la question qui se pose ici n’est pas celle de la crédibilité, mais de l’insuffisance des éléments de preuve produits par la demanderesse pour convaincre l’agent, il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale.

C.  La décision est-elle raisonnable?

[24]  Il incombait à Mme Tabari d’établir le bien-fondé de ses prétentions selon la prépondérance des probabilités et de démontrer qu’elle quitterait le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. Un demandeur de permis d’études a le fardeau de fournir à l’agent des visas tous les renseignements pertinents pour le convaincre qu’il satisfait aux exigences prévues par la LIPR et par le Règlement (Solopova au par. 22). Dans ses arguments, Mme Tabari conteste en quelque sorte le poids que l’agent a accordé aux facteurs et éléments de preuve, mais il n’entre pas dans le rôle de la Cour de soupeser à nouveau les éléments de preuve.

[25]  Je peux comprendre, à partir des motifs et du dossier, les raisons qui sous-tendent la décision, et je n’ai pas été convaincue que l’agent a omis de tenir compte d’éléments de preuve ou les a mal interprétés. Par exemple, il est manifeste que les antécédents de voyage ont été considérés comme neutres, pas défavorables, et que le représentant de Mme Tabari les a lui-même décrits comme limités dans la demande de visa. Il n’est pas déraisonnable de penser que la famille n’est pas aussi bien établie pour envisager d’engager de telles dépenses étant donné que Mme Tabari n’a pas travaillé depuis 2015, que ses antécédents de travail avec son dernier employeur se limitaient à une quinzaine de mois, et qu’elle n’est censée travailler à nouveau pour le même employeur que trois ans plus tard. L’époux de Mme Tabari a été présenté comme le principal lien rattachant celle-ci à l’Iran, même s’il cherche aussi à obtenir un VRT pour lui rendre visite au Canada, ce qui fait que les membres de sa plus proche famille pourraient tous être avec elle au Canada.

[26]  Comme l’a souligné l’avocat de Mme Tabari, il est possible qu’un autre agent arrive à une conclusion différente. Toutefois, cela n’est pas le critère prévu selon la norme de la décision raisonnable; la Cour doit plutôt établir si la conclusion de l’agent appartient aux issues possibles au regard des faits et du droit. Je suis convaincue que les motifs de l’agent sont appropriés, et que la conclusion de l’agent est raisonnable.


JUGEMENT dans le dossier IMM-538-19

LA COUR STATUE que les demandes sont rejetées dans le présent dossier et dans les dossiers portant les numéros IMM 1311-19 et IMM-1480-19, et qu’une copie des présents motifs sera versée dans chacun de ces dossiers. Aucune question n’est certifiée.

« Martine St-Louis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 11e jour de septembre 2019.

Isabelle Mathieu, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

IMM-538-19

 

INTITULÉ :

TANNAZ TABARI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (cOLOMBIE‑BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 1ER AOÛT  2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ST-LOUIS.

DATE DES MOTIFS :

LE 2 AOÛT  2019

COMPARUTIONS :

Samin Mortazavi

POUR LA DEMANDERESSE

Alison Brown

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pax Law Corporation

Vancouver‑Ouest (Colombie‑Britannique)

pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

pour le défendeur

 

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