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Date : 20060609

Dossier : IMM-4788-05

Référence : 2006 CF 729

Ottawa (Ontario), le 9 juin 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PAUL U.C. ROULEAU

 

 

ENTRE :

MOHAMMED MAHBURUR RAHMAN

MARLEN DE LEON ZAMARRON

JOSHUA SANCHEZ

ELISA JASMIN RAHMAN

AYRA YASMIN RAHMAN

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), rendue le 18 juillet 2005, dans laquelle la Commission a conclu que les demandeurs n’étaient pas des réfugiées au sens de la Convention, ni des personnes à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi).

 

[2]               Le demandeur, Mohammed Mahbubur Rahman, est un citoyen du Bangladesh. Sa femme, Marlen De Leon Sanchez, est une citoyenne du Mexique. Le demandeur mineur Joshua Sanchez est le fils de la demanderesse. Les deux autres demanderesses sont les enfants mineurs du couple. Les trois enfants sont nés aux États-Unis et possèdent tous un passeport de ce pays.

 

[3]               Le demandeur est un musulman du Bangladesh qui est venu aux États-Unis pour y étudier en 1993. À la fin de ses études, il est resté aux États-Unis sans statut, de 1997 à 2004, puis il est venu au Canada.

 

[4]               La demanderesse a fait la connaissance du demandeur aux États-Unis en 1997. Ils se sont mariés en 2000. Elle est citoyenne du Mexique et elle est chrétienne.

 

[5]               Les demandeurs mineurs, âgés de 13, 5 et 4 ans, sont tous citoyens des États-Unis. Le demandeur mineur Joshua Sanchez est chrétien. Le demandeur a exprimé l’espoir que les deux demanderesses mineures choisiront d’être musulmanes.

 

[6]               Les demandeurs allèguent qu’ils craignent d’être persécutés en raison de leur appartenance à un groupe social – la famille. Le demandeur soutient que, s’il retournait au Bangladesh, il serait persécuté parce que sa femme est chrétienne. Il allègue que, comme musulman bangladais, il serait persécuté au Bangladesh en raison de son mariage. Il fait valoir que sa femme serait victime d’une persécution encore plus importante si leur famille était renvoyée au Bangladesh. Le demandeur ajoute qu’il serait aussi persécuté parce qu’il s’est marié avec une femme qui a eu un enfant avec un autre homme avant de se marier.

 

[7]               La demanderesse soutient que, si elle retourne au Mexique, elle risque d’être persécutée en raison de son mariage à un musulman bangladais. Elle allègue qu’elle a entendu parler de persécution dans d’autres cas où deux personnes de religions différentes s’étaient mariées. Elle ajoute que son mari ferait face à de la discrimination culturelle et religieuse au Mexique et qu’il subirait un choc culturel.

 

[8]               Les demandeurs mineurs fondent leurs demandes sur les demandes de leurs parents.

 

[9]               La famille a habité aux États-Unis de 1997 à 2004, jusqu’à ce qu’ils décident de venir au Canada et de déposer une demande d’asile. Le demandeur allègue qu’il a été victime d’une certaine discrimination aux États-Unis entre 1997 et 2004, particulièrement après les attaques terroristes du 11 septembre 2001. Il soutient qu’il craignait de s’enregistrer auprès des agents d’immigration des États-Unis en raison de l’illégalité de son statut. Le demandeur allègue qu’il craignait que les demandeurs mineurs soient victimes de persécution ou d’hostilité aux États-Unis en raison de leur nom de famille, de leur teint et de leur apparence.

 

[10]           La demanderesse a déclaré que les demandeurs mineurs ne risquaient pas d’être persécutés aux États-Unis – elle répète que les demandeurs mineurs les ont accompagnés, son mari et elle, au Canada parce qu’ils font partie de la même famille.

 

[11]           Les demandeurs ont tous quitté les États-Unis en 2004 et sont venus demander l’asile au Canada. La Commission a rendu une décision défavorable le 18 juillet 2005 dans laquelle elle a conclu que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger.

 

[12]           La Commission a conclu que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger. Le raisonnement étayant cette conclusion se fondait sur trois éléments majeurs : i) le fait qu’ils aient tardé à quitter les États-Unis pour venir au Canada et déposer une demande d’asile; ii) l’absence de fondement objectif des craintes des demandeurs au sujet du Bangladesh, du Mexique et des États-Unis; iii) le manque de crédibilité et l’absence de preuves plausibles attestant que les demandeurs seraient victimes de persécution au Bangladesh, au Mexique et aux États-Unis.

 

[13]           Au début de son analyse, la Commission a précisé les éléments qu’elle allait analyser, en ce qui a trait aux demandeurs. La Commission a noté qu’elle examinerait le cas de chaque demandeur de façon individuelle. Notamment, elle a examiné l’allégation selon laquelle le demandeur serait victime de persécution au Bangladesh parce qu’il est un musulman bangladais marié à une chrétienne. La Commission a ensuite examiné l’allégation selon laquelle la demanderesse serait victime de persécution au Mexique parce qu’elle est une chrétienne mexicaine mariée à un musulman. Enfin, la Commission a examiné si les demandeurs mineurs, en tant que citoyens des États-Unis, seraient victimes de persécution dans leur pays natal.

 

[14]           Au sujet du demandeur, la Commission a conclu que la preuve qu’il avait présentée ne permettait pas d’affirmer qu’il risquerait d’être persécuté au Bangladesh. Elle a noté que le droit bangladais reconnaît les mariages interconfessionnels et que, même s’ils sont rares, de tels mariages existent. La Commission a conclu que le demandeur ne serait pas persécuté au Bangladesh, aux termes du motif de la Convention qu’il a soulevé.

 

[15]           La Commission a examiné une courte lettre, écrite en 2002, dans laquelle le père du demandeur affirmait que de « mauvais individus » attaqueraient et agresseraient son fils et la famille de son fils s’ils retournaient au Bangladesh. La Commission a rejeté cette preuve, affirmant que la courte lettre contenait seulement de brefs avertissements de sources inconnues. La Commission a ajouté que le fait que la famille bangladaise du demandeur n’approuve pas le mariage n’était pas un motif de la Convention permettant de demander le statut de réfugié et que cette désapprobation ne se traduirait pas par de la persécution si le demandeur retournait au Bangladesh.

 

[16]           La Commission a aussi examiné un affidavit, ou un formulaire de renseignements d’un témoin, de la sœur du demandeur, qui attestait que le demandeur serait victime de persécution au Bangladesh. La Commission a conclu que la sœur du demandeur n’était pas une source objective ni une spécialiste de la situation du pays.

 

[17]           La Commission a conclu que le demandeur ne serait pas victime de persécution au Bangladesh. Elle a noté que, bien que les chrétiens soient victimes de persécution et de discrimination au Bangladesh, le demandeur est musulman. La Commission a aussi conclu que le droit bangladais reconnaît ce mariage et que la demanderesse ne serait pas forcée à se convertir à l’islam.

 

[18]           La Commission a ensuite examiné la possibilité que la demanderesse soit persécutée au Mexique. Elle a conclu que la société mexicaine est généralement tolérante au sujet de la religion et que la crainte de la demanderesse n’était pas objectivement fondée.

 

[19]           La Commission a ensuite porté son attention sur la possibilité que les demandeurs mineurs soient persécutés aux États-Unis. La Commission a conclu qu’il n’y avait aucune possibilité qu’ils soient persécutés.

 

[20]           Finalement, la Commission a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi, par une preuve crédible, leur droit à l’asile au Canada, et que les questions d’unité de la famille et de circonstances d’ordre humanitaires, bien qu’elles soient importantes, n’étaient pas du ressort de la Commission et ne pouvaient pas être évaluées à ce moment-là.

 

[21]           Dans leurs plaidoiries, les demandeurs ont fait valoir que la conclusion de la Commission, selon laquelle le retard à demander l’asile minait leur crédibilité était abusive; en particulier, la Commission aurait commis une erreur lors de son évaluation du fait qu’ils n’avaient pas demandé l’asile aux États-Unis. Les demandeurs allèguent que la Commission a commis une erreur en ne donnant aucune force probante à la lettre du père du demandeur et qu’elle n’a examiné ni la question de la persécution des chrétiens au Bangladesh, ni la documentation à ce sujet.

 

[22]           Les autres arguments des demandeurs s’ajoutant à celui qu’ils ont présenté quand au fait qu’ils n’ont pas demandé l’asile aux États‑Unis sont principalement une façon de demander à la Cour de réexaminer la preuve. La Cour n’a pas pour mandat de réexaminer la preuve lorsque les demandeurs ne sont pas satisfaits de l’issue d’une demande. Mon collègue Luc Martineau a mis en évidence le mandat de la Cour dans l’affaire R.K.L. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. n162, au paragraphe 8 :

 

8      En outre, il a été reconnu et confirmé qu'en ce qui concerne la crédibilité et l'appréciation de la preuve, la Cour ne peut pas substituer sa décision à celle de la Commission si le demandeur n'a pas réussi à établir que la décision de la Commission était fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans qu'il soit tenu compte des éléments dont elle disposait : voir Akinlolu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 296, au paragr. 14 (QL) (1re inst.) (Akinlolu); Kanyai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1124, au paragr. 9 (QL) (1re inst.) (Kanyai); le motif de contrôle prévu à l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale.

 

 

[23]           Au sujet du long délai, on a laissé entendre que le demandeur ressentait plus d’insécurité depuis son déménagement en 2000. De 1997 à 2000, alors qu’il résidait illégalement aux États-Unis, il n’avait ressenti aucun besoin pressant de régulariser sa situation. À ce sujet, la Commission a noté, à la page 8 de sa décision :

Selon moi, le fait que les demandeurs d’asile aient longuement séjourné aux États‑Unis sans statut et qu’ils aient tardé à venir au Canada pour demander l’asile montre une absence de crainte subjective de retourner au Bangladesh et au Mexique, respectivement. Leurs actions minent leur crédibilité et amoindrissent leur crainte de retourner dans ces deux pays.

 

Ceci semble répondre à la question des demandeurs. La jurisprudence appuie cette conclusion : Espinosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1324; Ndombele c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1211; Villalobos c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 1170.

 

[24]           La Cour ne réexaminera pas la preuve présentée à l’appui d’une demande d’asile, lorsque la décision de la Commission est raisonnable. L’analyse de la preuve documentaire pouvait aisément entraîner la conclusion selon laquelle, si le demandeur retournait au Bangladesh, il serait plutôt victime de discrimination que de persécution. En l’espèce, la décision de la Commission est raisonnable et la demande doit être rejetée.

 

 

JUGEMENT

 

La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

« Paul U.C. Rouleau »

Juge suppléant

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4788-05

 

INTITULÉ :                                       Mohammed Mahburur Rahman, Marlen De Leon Zamarron, Joshua Sanchez, Elisa Jasmin Rahman, Ayra Yasmin Rahman c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 29 mai 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE SUPPLÉANT ROULEAU

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 9 juin 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

David Ellison

 

POUR LES DEMANDEURS

David Cranton

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

David M. Ellison

Avocat, conseil, notaire public

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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