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Date : 20190808


Dossier : IMM-4552-18

Référence : 2019 CF 1060

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 août 2019

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

JING YING LU

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demanderesse, Mme Jing Ying Lu, demande le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a accueilli la demande de constat de perte du statut de réfugié au sens de la Convention déposée par le ministre au titre du paragraphe 108(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR). La SPR a conclu que la demanderesse s’était réclamée de nouveau et volontairement de la protection de son pays d’origine (la Chine), au sens de l’alinéa 108(1)a) de la LIPR. Par conséquent, sa demande d’asile est été réputée avoir été rejetée (paragraphe 108(3) de la LIPR).

[2]  La demande de contrôle judiciaire est présentée au titre du paragraphe 72(1) de la LIPR.

[3]  Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

I.  Le contexte

[4]  La demanderesse est citoyenne de la République populaire de Chine. Elle a quitté ce pays et est arrivée au Canada en 2001, et la SPR lui a accordé le statut de réfugié le 22 juillet 2002. Comme fondement de sa demande d’asile, elle a invoqué sa pratique du Falun Gong, ainsi qu’une agression sexuelle subie aux mains d’un agent de police. La demanderesse est devenue résidente permanente du Canada le 23 septembre 2004.

[5]  La demanderesse a demandé et obtenu un passeport chinois en juin 2004, passeport qu’elle a renouvelé le 18 juin 2009. Entre 2005 et 2013, elle s’est rendue en Chine à sept reprises pour des raisons personnelles et, chaque fois, elle y a séjourné pendant environ un mois.

[6]  Lors de l’audience devant la SPR, la demanderesse a déclaré que lorsqu’elle a présenté sa première demande de passeport en 2004, elle a informé les fonctionnaires du consulat chinois à Vancouver (Colombie-Britannique) qu’elle pratiquait le Falun Gong et qu’elle avait présenté une demande d’asile au Canada, qui avait été accueillie. Avant de lui délivrer un passeport, les fonctionnaires consulaires lui ont demandé de signer un document par lequel elle promettait de ne plus pratiquer le Falun Gong. La demanderesse a signé le document et reçu son passeport.

[7]  Le 9 avril 2014, le ministre a présenté une demande, au titre du paragraphe 108(2) de la LIPR, pour que la SPR constate la perte d’asile de la demanderesse.

II.  La décision faisant l’objet du contrôle

[8]  La décision contestée est datée du 28 août 2018.

[9]  La SPR a d’abord examiné l’application de l’alinéa 108(1)a) de la LIPR. Le tribunal a déclaré qu’il incombait au ministre de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que la demanderesse s’était réclamée de nouveau et volontairement de la protection de la Chine.

[10]  Citant le Guide et principes directeurs sur les procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (Guide du HCR) et la jurisprudence de la Cour (Nsende c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 531, au par. 13 (Nsende); Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Bashir, 2015 CF 51, au par. 46 (Bashir)), la SPR a établi le critère à trois volets à satisfaire pour conclure qu’un demandeur d’asile s’est réclamé de nouveau de la protection de son pays :

  1. la volonté : le demandeur d’asile doit avoir agi volontairement;

  2. l’intention : le demandeur d’asile doit avoir accompli intentionnellement l’acte par lequel il s’est réclamé de nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité;

  3. le succès de l’action : le demandeur d’asile doit avoir effectivement obtenu cette protection.

[11]  La volonté : La demanderesse a obtenu deux passeports auprès des autorités chinoises à Vancouver et est retournée en Chine à sept reprises. La SPR a conclu que la demanderesse a obtenu volontairement ces passeports et s’est rendue en Chine de son plein gré. La SPR a reconnu les raisons personnelles invoquées par la demanderesse pour justifier son retour en Chine, mais a déclaré qu’il n’y avait aucune preuve qu’elle avait été forcée ou contrainte de demander les passeports ou de retourner en Chine. La demanderesse a agi de son plein gré.

[12]  L’intention : La SPR a fait remarquer que si un demandeur d’asile demande et obtient un passeport, il sera présumé, en l’absence d’éléments de preuve démontrant le contraire, avoir voulu se réclamer de nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité (Guide du HCR, au par. 121; Nsende, au par. 14; Bashir, au par. 59). La présomption est particulièrement forte dans le cas où le demandeur d’asile utilise son passeport national pour retourner dans ce pays (Abadi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 29 (Abadi)). La SPR a également souligné qu’il incombe au demandeur d’asile de réfuter cette présomption.

[13]  La SPR a examiné les raisons personnelles pour lesquelles la demanderesse est retournée en Chine (visiter des membres de sa famille, rendre visite à son père lorsqu’il a été hospitalisé, obtenir de l’aide pour des problèmes de fertilité, aider ses parents à remplir une demande de visa canadien). Le tribunal a conclu que la demanderesse s’est rendue librement en Chine, en utilisant sa propre identité, et qu’elle n’a pris aucune mesure pour dissimuler aux autorités sa présence dans le pays. La SPR a résumé ses conclusions en ces termes :

[18] L’intimée a obtenu l’aide des autorités chinoises pour obtenir des passeports chinois à deux reprises. Elle a informé les autorités chinoises à Vancouver qu’elle était une adepte du Falun Gong et a obtenu le premier passeport chinois en échange de la promesse de mettre fin à sa pratique. Elle s’est rendue en Chine à plusieurs reprises en utilisant les passeports chinois qui lui avaient été délivrés. Les autorités chinoises étaient au courant non seulement des voyages de l’intimée, mais aussi du fait qu’elle était une ancienne adepte du Falun Gong. Les actes de l’intimée démontrent qu’elle faisait implicitement confiance aux autorités de la Chine pour la protéger même si elle avait obtenu le statut de réfugié en raison de sa crainte des autorités de ce pays. J’estime que l’intimée n’a pas réfuté la présomption selon laquelle elle voulait se réclamer de nouveau de la protection de la Chine.

[14]  Le succès de l’action : Comme la demanderesse a obtenu des passeports et les a utilisés pour se rendre à plusieurs reprises en Chine et aux États-Unis, la SPR a conclu que, dans les faits, elle s’était de nouveau réclamée de la protection de la Chine.

[15]  La SPR a ensuite examiné l’argument de la demanderesse selon lequel le tribunal aurait dû se limiter à rendre une décision au titre de l’alinéa 108(1)e) de la LIPR étant donné que, du point de vue temporel, les raisons pour lesquelles la demanderesse a demandé une protection ont cessé d’exister avant qu’elle ne se réclame de nouveau de la protection de son pays. La demanderesse a fait valoir qu’un changement de circonstances s’est produit lorsqu’elle a accepté de ne plus pratiquer le Falun Gong afin d’obtenir son premier passeport. La SPR a exprimé son désaccord en ces termes :

Je ne suis pas d’accord. Avant d’accepter de mettre fin à sa pratique, l’intimée avait déjà choisi de s’adresser aux autorités chinoises pour obtenir le passeport et donc de se réclamer de nouveau de leur protection. En outre, elle a alors choisi de renoncer à sa pratique religieuse en échange du passeport et de la protection des autorités chinoises.

[16]  La SPR s’est fondée sur la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c Al-Obeidi, 2015 CF 1041 (Al-Obeidi) pour déclarer qu’elle a le pouvoir discrétionnaire d’examiner tous les motifs énoncés au paragraphe 108(1) lorsqu’elle se prononce sur une demande de constat de perte d’asile. Comme la présomption selon laquelle la demanderesse s’est réclamée de nouveau de la protection du pays résulte de la première demande de passeport faite par cette dernière et qu’une forte présomption a été établie lorsqu’elle s’est effectivement rendue en Chine en utilisant ce passeport, la SPR a conclu qu’il était plus approprié de trancher la demande sur le fondement de l’alinéa 108(1)a) de la LIPR.

[17]  La SPR a conclu que l’alinéa 108(1)a) s’appliquait à la demanderesse et que cette dernière s’était réclamée de nouveau et volontairement de la protection de la Chine. La demande de constat de perte du statut de réfugié au sens de la Convention déposée par le ministre a été accueillie, et la demande d’asile de la demanderesse a été réputée avoir été rejetée (paragraphes 108(2) et (3) de la LIPR).

III.  Les questions en litige

[18]  En l’espèce, la demanderesse a soulevé deux questions dans ses observations :

  1. Était-il déraisonnable de la part de la SPR de conclure à la perte de l’asile sur le fondement de l’alinéa 108(1)a) avant de tirer une conclusion quant à l’application de l’alinéa 108(1)e) de la LIPR, écartant ainsi cette dernière disposition?

  2. Était-il déraisonnable de la part de la SPR de conclure que la demanderesse s’est de nouveau réclamée de la protection de la Chine aux termes de l’alinéa 108(1)a) de la LIPR?

IV.  La norme de contrôle applicable

[19]  Les deux questions qu’il me faut trancher sont susceptibles de révision selon la norme de la décision raisonnable (Siddiqui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 134, au par. 11 (Siddiqui); Bashir, aux par. 22 à 25; Maqbool c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1146, aux par. 22 et 23; Tung c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1224, aux par. 21 et 22 (Tung)). Pour trancher la demande du ministre, la SPR a examiné des questions mixtes de fait et de droit concernant l’interprétation et l’application du paragraphe 108(1) en général et, plus précisément, l’interaction entre les alinéas 108(1)a) et 108(1)e) de la LIPR.

V.  Le contexte législatif

[20]  Les dispositions pertinentes des paragraphes 108(1) et (2) de la LIPR sont les suivantes :

Perte de l’asile

108.  (1) Est rejetée la demande d’asile et le demandeur n’a pas qualité de réfugié ou de personne à protéger dans tel des cas suivants :

a) il se réclame de nouveau et volontairement de la protection du pays dont il a la nationalité;

[…]

e)  les raisons qui lui ont fait demander l’asile n’existent plus.

(2) L’asile visé au paragraphe 95(1) est perdu, à la demande du ministre, sur constat par la Section de protection des réfugiés, de tels des faits mentionnés au paragraphe (1).

[21]  Lorsque la SPR constate la perte de l’asile sur le fondement de l’alinéa 108(1)e) de la LIPR, le demandeur d’asile perd uniquement son statut de réfugié, et non son statut de résident permanent, et il ne devient pas interdit de territoire au Canada. Par contre, lorsque la SPR conclut à la perte de l’asile sur le fondement des alinéas 108(1)a) à d), le demandeur d’asile perd alors son statut de résident permanent, en application de l’alinéa 46(1)c.1) de la LIPR :

46. (1) Emportent perte du statut de résident permanent les faits suivants :

[…]

c.1) la décision prise, en dernier ressort, au titre du paragraphe 108(2) entraînant, sur constat des faits mentionnés à l’un des alinéas 108(1)a) à d), la perte de l’asile.

VI.  Analyse

1.  Était-il déraisonnable de la part de la SPR de conclure à la perte de l’asile sur le fondement de l’alinéa 108(1)a) avant de tirer une conclusion quant à l’application de l’alinéa 108(1)e) de la LIPR, écartant ainsi cette dernière disposition?

Les observations de la demanderesse

[22]  Le premier argument fondamental invoqué par la demanderesse est qu’une personne cesse d’avoir qualité de réfugié à un moment précis. Selon elle, lorsqu’une personne perd son statut de réfugié pour une raison quelconque (p. ex. un changement de circonstances dans son pays d’origine), elle ne peut le perdre de nouveau par la suite pour une autre raison. Par conséquent, la SPR doit déterminer le motif de la perte et le moment où le statut de réfugié a été perdu (citant le raisonnement du juge Marceau dans l’arrêt Mileva c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 3 CF 398, 1991 CanLII 8182 (CAF), et des extraits des Principes directeurs sur la protection internationale : Cessation du Statut de réfugié du HCR). La demanderesse affirme que la reconnaissance du statut de réfugié par la SPR est la reconnaissance de jure d’un statut qui existe déjà et que l’inverse est tout aussi vrai. Un réfugié perd son statut de réfugié à un moment précis, lorsque toutes les conditions d’un des motifs justifiant la perte de ce statut ont été remplies et que la SPR reconnaît officiellement cette perte en prononçant le constat de celle-ci. En d’autres mots, la décision de la SPR concernant la perte du statut de réfugié est une conclusion rendue après le fait. La demanderesse affirme ce qui suit :

[traduction]

42. Lorsque la SPR examine une demande de constat de perte d’asile, elle doit tirer des conclusions de fait, puis appliquer ces faits et déterminer quand et pourquoi ce statut a été perdu. Si une personne perd son statut de réfugié à un moment précis, pour l’un ou l’autre des motifs énoncés au paragraphe 108(1), elle ne peut le perdre de nouveau pour un autre motif à une date ultérieure. Par conséquent, la perte d’asile ne peut avoir eu lieu qu’à un seul moment précis, et le constat de perte d’asile par la SPR est la reconnaissance de jure de faits préexistants. Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en vue d’établir le motif justifiant la perte de l’asile, il incombe à la SPR d’examiner les faits et de rendre une décision confirmant quand et pourquoi ce statut a été perdu.

[23]  La demanderesse reconnaît que la SPR peut conclure à la perte de l’asile pour l’un ou l’autre des motifs énoncés au paragraphe 108(1) de la LIPR (Al-Obeidi, Tung). Elle soutient que, compte tenu des conséquences graves découlant du constat de perte d’asile sur le fondement de l’alinéa 108(1)e), la SPR doit examiner attentivement la façon dont elle exercera son pouvoir discrétionnaire dans toute affaire où l’alinéa 108(1)e) et l’un ou l’autre des alinéas 108(1)a) à d) peuvent s’appliquer, et doit fournir des raisons convaincantes pour justifier l’exercice de ce pouvoir. La demanderesse soutient également que, comme l’alinéa 108(1)e) n’entraîne pas la perte du statut de résident permanent, la SPR ne devrait se fonder que sur ce seul motif pour conclure à la perte de l’asile dans les cas où la preuve, dans une affaire donnée, révèle que la perte du statut de réfugié résulte d’un changement des conditions ou des circonstances dans le pays. Autrement, cela rendrait inutile l’exclusion de l’alinéa 108(1)e) du champ d’application de l’alinéa 46(1)c.1).

[24]  Le deuxième élément des observations de la demanderesse est qu’il était déraisonnable de la part de la SPR de conclure qu’elle s’était de nouveau réclamée de la protection de la Chine avant de renoncer à sa pratique du Falun Gong. Elle soutient que la conclusion du tribunal a été tirée sans tenir compte de la preuve, puisqu’elle a juré de renoncer au Falun Gong avant d’obtenir son premier passeport et de retourner une première fois en Chine. La demanderesse fait valoir qu’il existe une distinction entre le fait de présenter une demande de passeport et le fait d’obtenir un passeport, et que le critère pour s’être de nouveau réclamé de la protection de son pays exige que le demandeur d’asile ait effectivement obtenu la protection du pays dont il a la nationalité. Si la demanderesse a renoncé à sa pratique du Falun Gong avant d’obtenir son passeport, le changement de circonstances est alors survenu avant qu’elle ne se réclame de nouveau de la protection de son pays.

[25]  En outre, la demanderesse soutient qu’elle a déclaré avoir pris la décision [traduction« au fond d’elle-même » de ne plus pratiquer le Falun Gong avant de s’adresser aux autorités chinoises pour renouveler son passeport. Par conséquent, elle a effectivement renoncé à cette pratique avant de présenter sa première demande de passeport chinois.

Les observations du défendeur

[26]  Le défendeur soutient que la SPR a le pouvoir discrétionnaire de déterminer le ou les motifs qui justifient la perte de l’asile et qu’elle n’est pas tenue d’expliquer pourquoi elle a exercé le pouvoir discrétionnaire visé au paragraphe 108(2) de la LIPR (Al-Obeidi; Olvera Romero c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 671). Le défendeur affirme que la demanderesse fonde l’ensemble de son argumentation sur le principe de la reconnaissance de jure du statut, mais que la jurisprudence sur laquelle elle s’appuie ne soutient pas le principe invoqué. La position du défendeur est que la SPR rend un constat de perte d’asile en se fondant sur tous les faits en cause, qui peuvent comprendre le fait de s’être réclamé à plusieurs reprises de la protection de son pays, et qu’il n’existe aucune jurisprudence pour appuyer l’affirmation selon laquelle la perte de l’asile est liée à un cadre temporel (Siddiqui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 329, au par. 31 (Siddiqui CF); Tung, au par. 24). Le défendeur affirme ce qui suit :

[traduction]

[33] Il ressort clairement de la décision Tung que la Cour a confirmé qu’il est possible pour le tribunal d’examiner plus d’un motif de perte d’asile. Il est donc tout à fait raisonnable que différents motifs puissent justifier la perte de l’asile et que ces motifs puissent être liés à des événements survenus à différents moments. Autrement dit, le simple fait que la perte de l’asile revient à reconnaître un changement de statut ne signifie pas que ce changement de statut doit être intervenu à un moment précis dans le temps.

[27]  Le défendeur affirme qu’on ne peut perdre l’asile qu’une seule fois, mais que la décision à cet égard revient à la SPR. Il soutient que la demanderesse assimile le concept de se réclamer de nouveau de la protection d’un pays au constat de perte d’asile fait par la SPR, sans tenir compte du fait qu’il s’agit là de deux notions distinctes.

[28]  Le défendeur soutient également que la SPR n’a pas commis d’erreur en concluant que la demanderesse a d’abord décidé de s’adresser aux autorités chinoises au Canada en vue d’obtenir un passeport pour retourner en Chine. Elle a accepté de ne plus pratiquer le Falun Gong uniquement en réponse à une demande faite en ce sens par les autorités. Le défendeur affirme que la SPR a tenu compte du témoignage de la demanderesse portant qu’elle avait déjà décidé de cesser de pratiquer le Falun Gong avant de s’adresser au consulat chinois, contrairement à l’observation formulée par la demanderesse selon laquelle le tribunal aurait omis de tenir compte de cet élément de preuve. Enfin, le défendeur soutient que le fait que la demanderesse n’avait pas encore reçu de passeport chinois et n’était pas encore retournée en Chine lorsqu’elle a signé sa renonciation n’est pas un fait déterminant, puisque la SPR examine la séquence complète des événements pour déterminer s’il y a ou non perte de l’asile.

Analyse

[29]  Pour les motifs exposés ci-après, j’estime que la conclusion tirée par la SPR selon laquelle la demanderesse a perdu l’asile en application de l’alinéa 108(1)a) de la LIPR, et non de l’alinéa 108(1)e), était raisonnable.

[30]  La demanderesse fait d’abord valoir ce qui suit :

[traduction]

La Cour fédérale a conclu que la reconnaissance du statut de réfugié par la SPR est, en fait, la reconnaissance de jure d’un statut qui existait déjà. Si, en reconnaissant l’octroi du statut de réfugié, il y a reconnaissance de jure d’un fait préexistant, il doit en être de même pour le constat de perte d’asile.

[31]  La décision de la SPR selon laquelle une personne a qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger, ou selon laquelle une personne a perdu son statut de réfugié, peut être décrite, à juste titre, comme la reconnaissance de jure d’un ensemble de faits préexistants. Toutefois, ni les dispositions de la LIPR ni la jurisprudence n’obligent la SPR à conclure, dans un cas comme dans l’autre, que la personne a obtenu la qualité de réfugié au sens de la Convention ou a perdu ce statut à une date précise. Les observations de la demanderesse concernant la nature de jure du rôle de la SPR n’étayent pas son argument d’ordre temporel.

[32]  Le principal argument de la demanderesse est que la décision de la SPR à l’égard d’une demande de constat de perte d’asile est limitée par une analyse temporelle de la preuve qui lui est présentée. Elle soutient que la SPR doit analyser la preuve en fonction des alinéas pertinents du paragraphe 108(1) afin de déterminer la première date à laquelle il y a eu perte de l’asile en application de l’un ou l’autre de ces alinéas.

[33]  Le point de départ de mon analyse de cet argument est la LIPR elle-même. Le paragraphe 108(1) commence par énoncer que la demande d’asile est rejetée et que le demandeur n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger « dans tel des cas suivants » et énumère ensuite aux alinéas a) à e) les circonstances dans lesquelles l’asile est perdu. En outre, le paragraphe 108(2) prévoit que l’asile visé au paragraphe 95(1) de la LIPR est perdu, à la demande du ministre, sur constat par la SPR « de tels des faits mentionnés au paragraphe (1) ».

[34]  À première vue, la LIPR n’impose aucune limite à la SPR quant à la manière, sur le plan temporel ou autre, dont elle doit évaluer une demande de constat de perte d’asile. Il existe une probabilité inhérente, dans les circonstances décrites à chacun des alinéas 108(1)a) à e), que de nombreux faits, actions et événements survenus au cours d’une période donnée soient pris en compte dans l’évaluation de la SPR (voir, par exemple, Siddiqui CF, au par. 31; la conclusion de fait du juge Shore quant à savoir si la personne s’est de nouveau réclamée de la protection de son pays n’a pas été modifiée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Siddiqui, précité, au par. 4). Si le législateur avait voulu limiter le pouvoir discrétionnaire de la SPR visé aux paragraphes 108(1) et (2), il aurait clairement pu le faire. Par exemple, lors de la mise en œuvre de l’alinéa 46(1)c.1) de la LIPR en 2012, il aurait pu insister pour que la SPR examine d’abord la perte du statut de réfugié en fonction de l’alinéa 108(1)e), avant de se pencher sur les autres alinéas du paragraphe, mais il a choisi de ne pas le faire.

[35]  La jurisprudence de la Cour est cohérente; elle établit que la SPR peut procéder en se fondant sur l’un ou l’autre des motifs énoncés au paragraphe 108(1) de la LIPR lorsqu’elle examine la question de la perte de l’asile. Dans la décision Al-Obeidi, le juge O’Reilly a déclaré (aux par. 21 et 22) :

[21] [...] Comme il a été mentionné, la Commission est autorisée, selon la LIPR, à examiner tout motif de perte de l’asile énoncé au paragraphe 108(1). Le fait qu’un défendeur concède que l’un des motifs existe ne devrait pas empêcher la Commission de tenir compte d’un autre motif. Dans les circonstances de cette affaire, la Commission s’est sentie obligée d’examiner d’autres motifs de perte de l’asile ayant été avancés par le ministre. Le fait que la Commission ait tenu compte de ces autres motifs ne signifie pas qu’elle a commis une erreur en ne les examinant pas en l’espèce.

[22] En somme, dans le cadre d’une demande de constat de perte d’asile présentée par le ministre, la Commission peut examiner tout motif énoncé au paragraphe 108(1) de la LIPR. Si le réfugié intimé convainc la Commission, ou concède, qu’il a perdu son statut en raison du changement de la situation dans le pays (alinéa 108(1)e)), la Commission dispose d’un pouvoir discrétionnaire de tenir compte d’autres motifs. On ne peut ni l’obliger à le faire, ni l’empêcher de le faire. Toutefois, lorsqu’il existe une preuve non contredite et non contestée de la perte de l’asile pour un autre motif (p. ex. l’acquisition d’une nationalité d’un pays offrant une protection), la Commission devrait en tenir compte.

[36]  L’importance particulière accordée par le juge O’Reilly au pouvoir discrétionnaire de la SPR d’examiner l’un ou l’autre des motifs énoncés au paragraphe 108(1) a été confirmée dans la décision Tung (par. 28), qui présente d’étroits parallèles sur le plan factuel avec la cause de la demanderesse. De plus, la juge McDonald s’est penchée expressément sur l’argument avancé en l’espèce, déclarant ce qui suit (Tung, par. 24) :

[24] La demanderesse fait valoir que dans la mesure où l’on ne peut perdre l’asile qu’une seule fois, la SPR était tenue de se prononcer de manière définitive sur la date à laquelle la perte d’asile est intervenue. Ce n’est pas un argument qu’autorise le texte du paragraphe 108(1) qui envisage plusieurs circonstances pouvant entraîner la perte d’asile. La demanderesse fait essentiellement valoir que la SPR ne saurait retenir plus d’un motif de perte d’asile.  Pour les raisons exposées ci-dessous, cet argument n’est pas fondé.

[37]  La demanderesse reconnaît que la SPR a le pouvoir discrétionnaire d’examiner une demande de constat de perte d’asile pour l’un ou l’autre des motifs énoncés au paragraphe 108(1) de la LIPR, mais, dans les faits, l’argument qu’elle avance quant au moment pertinent annulerait ce pouvoir. Ni la loi ni la jurisprudence de la Cour ne met en avant le principe selon lequel le pouvoir discrétionnaire de la SPR se limite à déterminer à quel moment le statut de réfugié a d’abord été perdu, puis à appliquer automatiquement l’un des alinéas du paragraphe 108(1). Cet argument restreint indûment le pouvoir discrétionnaire de la SPR, allant ainsi à l’encontre de l’intention du législateur. Le constat de perte d’asile est rendu par la SPR en fonction de tous les faits et de tous les éléments de preuve propres à une affaire donnée, et la chronologie des événements en question n’est qu’un des aspects de cette décision.

[38]  La demanderesse soutient que lorsque la SPR exerce son pouvoir discrétionnaire et examine les motifs énoncés au paragraphe 108(1) relativement à la perte de l’asile, elle doit agir raisonnablement et avoir des motifs valables justifiant l’exercice de ce pouvoir; je suis d’accord. Lorsque plus d’un des alinéas de ce paragraphe peut s’appliquer, la SPR devrait évaluer la preuve et les observations des parties à l’égard de chacun des alinéas en question. Dans la décision Al-Obeidi, le juge O’Reilly a déclaré que la SPR devrait examiner les différents motifs justifiant la perte de l’asile si, en l’occurrence, « il existe une preuve non contredite et non contestée de la perte de l’asile pour un autre motif » (Al-Obeidi, par. 22).

[39]  En l’espèce, la SPR a examiné comme suit l’interaction entre les alinéas 108(1)a) et 108(1)e) :

[22] Conformément à la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Al‑Obeidi, dans le cadre d’une demande de constat de perte de l’asile présentée par le ministre, la SPR peut examiner tout motif énoncé au paragraphe 108(1). Compte tenu de la présomption selon laquelle un réfugié se réclame de nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité lorsqu’il présente une demande de passeport de ce pays, ainsi que de la forte présomption découlant du fait qu’il présente cette demande afin de se rendre dans le pays dont il a la nationalité, j’estime qu’il convient de trancher la présente affaire au titre de l’alinéa 108(1)a) plutôt qu’au titre de l’alinéa 108(1)e).

[40]  La question consiste alors à déterminer si les conclusions de fait de la SPR concernant le fait que la demanderesse s’est de nouveau réclamée de la protection de son pays et a renoncé au Falun Gong, et sa conclusion selon laquelle il était plus approprié de trancher la demande du ministre sur le fondement de l’alinéa 108(1)a), étaient raisonnables.

[41]  Pour tirer ses conclusions de fait, la SPR a tenu compte de l’observation de la demanderesse concernant le moment où elle a renoncé au Falun Gong et s’est de nouveau réclamée de la protection de son pays :

[20] […] Plus précisément, il [le conseil de la demanderesse] affirme qu’un changement de circonstances s’est produit lorsque [la demanderesse], comme condition préalable à l’obtention du premier passeport chinois, a accepté de ne plus pratiquer le Falun Gong. Je ne suis pas d’accord. Avant d’accepter de mettre fin à sa pratique, [la demanderesse] avait déjà choisi de s’adresser aux autorités chinoises pour obtenir le passeport et donc de se réclamer de nouveau de leur protection. En outre, elle a alors choisi de renoncer à sa pratique religieuse en échange du passeport et de la protection des autorités chinoises.

[42]  La demanderesse avance deux arguments pour contester la conclusion de la SPR. Premièrement, elle soutient qu’un réfugié se réclame de nouveau de la protection de son pays à partir du moment où il obtient effectivement un passeport, et non au moment où il présente une demande en ce sens, étant donné que ce n’est que lorsqu’il se voit délivrer son passeport qu’il obtient la protection de son pays d’origine. Je ne suis pas d’accord. Cet argument vise à limiter à un seul événement l’analyse de la SPR visant à déterminer si la protection du pays a de nouveau été réclamée et, comme je l’ai déjà indiqué, cet argument est indûment restrictif. L’analyse de la SPR doit tenir compte de tous les faits et de tous les éléments de preuve dont la SPR a été saisie, y compris la chronologie des événements, qui, combinés, permettent de conclure que la personne s’est de nouveau réclamée de la protection de son pays.

[43]  La demanderesse soutient, avec raison, que toutes les conditions requises pour établir que la personne s’est de nouveau réclamée de la protection de son pays doivent être respectées pour que la SPR puisse rendre, en définitive, un constat de perte d’asile en application de l’alinéa 108(1)a) de la LIPR. La SPR ne peut mettre un terme à son analyse en concluant que le demandeur a présenté une demande de passeport. Toutefois, le fait que la demanderesse s’est adressée aux autorités chinoises et a demandé un passeport chinois constitue un point de départ raisonnable pour l’analyse par la SPR de son intention de se réclamer de nouveau de la protection de son pays. La SPR n’a pas commis d’erreur en établissant ce point de départ et en procédant à l’évaluation du passeport obtenu par la suite par la demanderesse et des voyages subséquents qu’elle a effectués en Chine, malgré la promesse faite entre-temps par cette dernière de ne plus pratiquer le Falun Gong.

[44]  Deuxièmement, la demanderesse fait valoir que la SPR a commis une erreur en omettant de tenir compte de son témoignage selon lequel [traduction] « au fond d’elle-même », elle avait renoncé au Falun Gong avant de s’adresser au consulat chinois. Ce témoignage a été livré en réponse aux questions de son conseil :

[traduction]

DEMANDEURE D’ASILE : La dernière fois, j’ai donc décidé de ne pas pratiquer le Falun Gong. Je dois voir mes parents. Mes parents je dois. Il faut que je voie mes parents.

CONSEIL DE LA DEMANDEURE D’ASILE : Cela s’est produit avant que le représentant du consulat ne vous demande de signer une promesse.

DEMANDEURE D’ASILE : C’était ma décision au fond de moi-même.

CONSEIL DE LA DEMANDEURE D’ASILE : Était-ce avant de demander à signer cette promesse ou après?

DEMANDEURE D’ASILE : Avant.

[45]  La SPR a conclu que la demanderesse avait décidé de cesser de pratiquer le Falun Gong après s’être adressée aux autorités chinoises pour obtenir un passeport. La question posée à la demanderesse visait à déterminer si elle avait décidé ou non de cesser de pratiquer le Falun Gong avant de signer la promesse au consulat chinois. En réponse à la question de son conseil, la demanderesse a affirmé avoir décidé de cesser cette pratique avant de signer la promesse. Elle n’a pas indiqué avoir pris cette décision avant de se rendre au consulat. Son témoignage ne contredit pas la conclusion de la SPR, et il n’était pas nécessaire pour le tribunal d’examiner l’échange dans sa décision.

[46]  La preuve dont la SPR était saisie montre que la demanderesse a renoncé à pratiquer le Falun Gong après qu’un fonctionnaire lui en eut fait la demande, lorsqu’elle s’est présentée au consulat chinois pour renouveler son passeport :

[traduction]

COMMISSAIRE : Est-ce que, euh, vous pratiquez toujours le Falun Gong?

DEMANDEURE D’ASILE : Non.

COMMISSAIRE : Quand avez-vous cessé cette pratique?

DEMANDEURE D’ASILE : J’ai cessé quand j’ai demandé mon premier passeport.

COMMISSAIRE : Euh, et pourquoi cela?

DEMANDEURE D’ASILE : Parce que j’ai signé une lettre de promesse au consulat de la RPC.

[…]

COMMISSAIRE : Mais si euh... comment les autorités chinoises pouvaient-elles savoir que vous vous adonniez ouvertement ou en privé à cette pratique au Canada? Je peux m’imaginer qu’elles vous font promettre d’y renoncer si vous retournez en Chine, mais comment sauraient-elles que vous vous livrez à cette pratique au Canada?

DEMANDEURE D’ASILE : Mais j’ai promis au consulat que je ne pratiquerais plus le Falun Gong.

COMMISSAIRE : Y a-t-il d’autres raisons pour lesquelles vous avez cessé votre pratique?

DEMANDEURE D’ASILE : Non, c’est là la seule raison.

[…]

[47]  La conclusion de fait de la SPR selon laquelle la demanderesse a demandé un passeport chinois avant de renoncer à sa pratique du Falun Gong était raisonnable, tout comme sa façon d’examiner la présomption selon laquelle cette dernière s’est réclamée de nouveau de la protection de son pays et d’appliquer cette présomption à la situation de la demanderesse. Je conclus qu’il était raisonnable de la part de la SPR d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour trancher la demande du ministre, sur le fondement de l’alinéa 108(1)a), et que ses motifs pour le faire ont été clairement expliqués.

[48]  Enfin, la demanderesse soutient que lorsqu’une demande de constat de perte d’asile est présentée et que la preuve révèle que la perte du statut est attribuable à un changement des conditions dans le pays, la SPR devrait rendre une décision en se fondant uniquement sur l’alinéa 108(1)e) de la LIPR puisque, autrement, cela rendrait inutile l’exclusion de cet alinéa, par le législateur, du champ d’application de l’alinéa 46(1)c.1). Je ne suis pas d’accord dans la mesure où, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire visé aux paragraphes 108(1) et 108(2), la SPR est tenue d’agir raisonnablement. Le tribunal sera inévitablement appelé à examiner des cas où la séquence des événements et la preuve démontreront que l’application la plus raisonnable des alinéas 108(1)a) à e) mène à un constat de perte d’asile attribuable à un changement de circonstances (alinéa 108(1)e)).

2.  Était-il déraisonnable de la part de la SPR de conclure que la demanderesse s’est de nouveau réclamée de la protection de la Chine aux termes de l’alinéa 108(1)a) de la LIPR?

Les observations des parties

[49]  À titre subsidiaire, la demanderesse soutient que la SPR a commis une erreur dans son analyse visant à déterminer si elle s’est réclamée de nouveau de la protection de son pays. Elle soulève trois arguments à cet égard : (1) la SPR n’a pas examiné sa compréhension subjective de l’incidence que ses voyages aller-retour en Chine auraient sur son statut de résident permanent, compte tenu des modifications apportées à la LIPR en 2012 (Cerna c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1074, aux par. 18 à 20 (Cerna)); (2) la SPR a commis une erreur en concluant que l’explication qu’elle a donnée pour justifier ses demandes de passeport chinois et ses voyages en Chine n’était pas pertinente au regard du critère de la volonté; (3) la SPR a commis une erreur en concluant qu’elle s’est de nouveau réclamée de la protection de la Chine, alors qu’elle s’est vu forcée par les autorités chinoises d’abandonner sa pratique religieuse pour réintégrer le pays, cédant ainsi à la persécution incessante.

[50]  Le défendeur s’appuie sur la présomption selon laquelle un réfugié se réclame de nouveau de la protection de son pays d’origine lorsqu’il se rend dans ce pays en utilisant un passeport délivré par le gouvernement local. Le défendeur indique que cette « protection » est particulière et a trait à la protection diplomatique et consulaire offerte par le gouvernement qui délivre le passeport.

[51]  Le défendeur soutient que la demanderesse s’est fondée à tort sur la décision rendue dans l’affaire Cerna, puisque le demandeur dans cette affaire avait affirmé qu’il croyait jouir de la sécurité découlant du statut de résident permanent. En l’espèce, la SPR ne disposait d’aucun élément de preuve à cet effet. En ce qui concerne le critère de la volonté, le défendeur affirme que la demanderesse est retournée plusieurs fois en Chine pour diverses raisons personnelles et qu’il était raisonnable pour la SPR de conclure qu’elle avait agi volontairement. Enfin, le défendeur conteste fortement l’argument de la demanderesse selon lequel elle a été victime de persécution incessante, du fait que les autorités chinoises lui ont demandé de s’engager à cesser sa pratique du Falun Gong, affirmant que cet argument est fallacieux.

Analyse

[52]  La SPR s’est appuyée sur la décision de la Cour dans l’affaire Abadi pour étayer sa déclaration selon laquelle un réfugié qui demande et obtient un passeport du pays dont il a la nationalité est présumé avoir eu l’intention de se réclamer de nouveau de la protection de ce pays, en l’absence d’éléments de preuve démontrant le contraire (voir également Jing c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 104, au par. 17). Le résumé que fait le juge Fothergill de cette présomption, dans la décision Abadi (aux par. 16 et 17), fournit le contexte de l’analyse par la SPR visant à déterminer si une personne s’est réclamée de nouveau de la protection de son pays :

[16]  À mon sens, la SPR a appliqué correctement le critère relatif au point de savoir si l’on s’est réclamé à nouveau de la protection du pays de sa nationalité, et c’est de manière raisonnable qu’elle a conclu que M. Shamsi n’avait pas réfuté la présomption voulant qu’il eût l’intention de se réclamer à nouveau de la protection de l’Iran en se faisant délivrer un passeport iranien et en se rendant dans ce pays. Le réfugié qui demande et obtient un passeport du pays dont il a la nationalité est présumé avoir eu l’intention de se réclamer à nouveau de la protection diplomatique de ce pays; voir Guide et principes directeurs sur les procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, au paragraphe 121 [le Guide relatif aux réfugiés]; et Nsende c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 531, au paragraphe 14. La présomption que le réfugié se réclame à nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité est particulièrement forte dans le cas où il utilise son passeport national pour se rendre dans ce pays. Selon certains juristes, ce fait rendrait même la présomption irréfragable; voir Guy Goodwinn-Gill et Jane McAdam, The Refugee in International Law, 3e édition, à la page 136.

[17]  Cependant, l’opinion dominante est que la présomption susdite peut être réfutée par une preuve contraire; voir le Guide relatif aux réfugiés, au paragraphe 122. La charge pèse sur le réfugié de produire des éléments de preuve qui suffisent à cette réfutation; voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c Nilam, 2015 CF 1154, au par 26 [Nilam], où l’on cite le paragraphe 42 de Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 459.

[53]  Je conclus qu’il était raisonnable de la part de la SPR de conclure que la demanderesse n’a pas réfuté la présomption selon laquelle elle avait l’intention de se réclamer de nouveau de la protection de la Chine. Le tribunal a examiné, à juste titre, chacun des trois éléments du critère établi pour déterminer si une personne s’est réclamée de nouveau de la protection de son pays et a tiré des conclusions raisonnables du fait que la demanderesse a demandé deux passeports chinois et est retournée à plusieurs reprises en Chine, entre 2005 et 2013, pour rendre visite à ses parents et à d’autres membres de sa famille, deux fois parce que son père était malade et une fois parce que sa grand-mère était malade, pour obtenir de l’aide pour des problèmes de fertilité et pour aider ses parents à remplir une demande de visa de visiteur canadien. La demanderesse est entrée librement en Chine, en utilisant son passeport chinois, et n’a pas tenté de se soustraire aux autorités ni de dissimuler sa présence dans le pays.

L’incidence sur le statut de résident permanent

[54]  La demanderesse s’appuie sur le raisonnement suivant, tiré de la décision Cerna (par. 18 à 20) :

[18] La Commission n’a pas tenu compte du témoignage de M. Cerna selon lequel il s’était rendu au Pérou uniquement parce qu’il croyait fermement jouir de la sécurité découlant du statut de résident permanent au Canada, et de la protection correspondante dont ce statut était assorti. En outre, il n’avait pas la moindre idée qu’il mettait son statut en péril en retournant au Pérou. Selon l’état du droit à l’époque de ses voyages, la perte du statut de réfugié n’avait aucune incidence sur la résidence permanente (pour une analyse des conséquences actuelles de la perte du statut de réfugié, voir Yuan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 923, aux paragraphes 6 à 11).

[19] Plusieurs résidents permanents canadiens présument que leur statut leur permettrait d’obtenir une protection du Canada même lorsqu’ils se rendent dans leur pays d’origine. Le statut de résident permanent « commande une grande stabilité, une longévité et des droits connexes beaucoup plus importants que ceux d’un étranger » (Bermudez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 639, au paragraphe 30, citant Hernandez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 429). Dans ces circonstances, la Commission doit tenir compte des intentions subjectives des réfugiés avant de conclure qu’ils se sont réclamés de la protection de leur pays d’origine.

[20] À mon avis, la Commission aurait dû se demander si l’élément de preuve relatif à la compréhension subjective de M. Cerna quant aux avantages découlant de son statut de résident permanent réfutait la présomption selon laquelle il avait eu l’intention d’obtenir la protection du Pérou en se procurant un passeport péruvien. Sans cette analyse, la conclusion de la Commission quant à savoir s’il s’était réclamé de nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité ne constitue pas une issue défendable au regard des faits et du droit.

[55]  L’argument de la demanderesse sur cette question n’est pas convaincant. La Cour d’appel fédérale a reconnu que la perte du statut de résident permanent est une conséquence attendue dans les cas où une demande de constat de perte d’asile est favorable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Bermudez, 2016 CAF 131, au par. 42). Le problème, dans l’affaire Cerna, c’était que la SPR n’avait pas tenu compte du témoignage de M. Cerna selon lequel il croyait jouir de la sécurité découlant du statut de résident permanent. En l’espèce, il n’y a aucune preuve dans le dossier concernant la compréhension subjective qu’a la demanderesse des avantages liés à son statut de résident permanent (voir Abechkhrishvili c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 313, au par. 25).

Les explications de la demanderesse concernant ses voyages en Chine

[56]  La demanderesse soutient que la SPR a commis une erreur en concluant que ses explications concernant ses voyages aller-retour en Chine n’étaient pas pertinentes au regard du critère de la volonté et, en outre, que le tribunal a appliqué un critère indûment restrictif en cherchant seulement à déterminer si elle a été contrainte ou forcée par une personne ou le gouvernement chinois à retourner en Chine. Elle affirme que la SPR a commis une erreur en omettant de tenir compte de la preuve qui démontre qu’elle est retournée pour la première fois en Chine en raison des problèmes de santé de son père, soutenant que le fait d’être forcée de retourner prendre soin d’un membre de sa famille a une incidence sur le caractère volontaire de son retour. Cet argument reflète sa position selon laquelle une personne se réclame de nouveau de la protection de son pays à un moment précis, et que la SPR ne peut tenir compte d’une série d’événements dans son évaluation de la question.

[57]  La SPR n’a pas omis de tenir compte de la preuve liée à la situation personnelle qui a poussé la demanderesse à retourner en Chine. Le tribunal a déclaré que même si la demanderesse avait ses propres raisons pour obtenir les passeports et retourner en Chine, elle n’a pas été contrainte ou forcée de le faire par le gouvernement chinois ni par qui que ce soit d’autre. Le tribunal était conscient des raisons qui ont amené cette dernière à retourner en Chine. Sa conclusion concernant le caractère volontaire des décisions de la demanderesse doit être interprétée dans le contexte de son examen de l’ensemble de la preuve. La conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse a agi volontairement et sans contrainte n’était pas déraisonnable uniquement parce que la SPR a exposé plus en détail les raisons de la demanderesse dans la section suivante de sa décision. Il ressort clairement de l’évaluation des éléments de preuve par la SPR que les circonstances exceptionnelles invoquées par la demanderesse pour justifier ses voyages aller-retour en Chine ne lui ont tout simplement pas permis de renverser la présomption selon laquelle elle s’est de nouveau réclamée de la protection de son pays.

La persécution incessante

[58]  Le troisième argument subsidiaire de la demanderesse est le suivant :

[traduction]

75. Si le tribunal n’a pas admis que la situation de la demanderesse avait changé avant qu’elle ne se réclame de nouveau de la protection de son pays, c’est qu’il doit avoir conclu qu’elle a bénéficié d’une protection en tant que membre pratiquante du Falun Gong en Chine. Toutefois, les conclusions de fait tirées par le tribunal n’étayent pas cette conclusion. Le tribunal a conclu qu’il n’y avait aucune preuve que les membres pratiquants du Falun Gong avaient cessé d’être persécutés en Chine ni que la demanderesse avait été tenue de renoncer à sa pratique religieuse, comme condition à son retour là-bas. Le tribunal a conclu que Mme Lu a été forcée par l’État chinois d’abandonner sa pratique religieuse afin d’y retourner. Ce geste n’est pas celui que poserait une personne qui cherche à obtenir une protection contre la persécution fondée sur ses croyances religieuses. C’est plutôt celui d’une personne qui cède à la persécution pour rendre visite aux membres de sa famille malades et poursuivre son rêve de fonder une famille. Il est soutenu que le fait d’être obligé de renoncer à sa pratique religieuse pour pouvoir retourner dans son pays de nationalité constitue un acte de persécution, dans la mesure où pour s’être de nouveau réclamée de la protection de son pays, la personne doit effectivement avoir obtenu cette protection.

(italiques dans l’original; non souligné dans l’original)

[59]  Je conclus que l’argument de la demanderesse selon lequel elle a été forcée de céder à la persécution pour rendre visite à sa famille en Chine et obtenir des traitements de fertilité ne trouve écho ni dans la preuve en l’espèce ni dans l’analyse faite par la SPR dans sa décision. La première déclaration de la demanderesse selon laquelle la SPR [traduction] « doit avoir conclu qu’elle a bénéficié d’une protection en tant que membre pratiquante du Falun Gong en Chine » dénature la conclusion de la SPR concernant le fait qu’elle s’est réclamée de nouveau de la protection de son pays; la demanderesse cherche, encore une fois, à limiter la conclusion tirée à cet égard au moment où elle a demandé son premier passeport. La conclusion de la SPR était fondée sur la séquence complète des événements, dont le fait que la demanderesse a obtenu deux passeports et effectué sept voyages en Chine sur une période de plusieurs années. La SPR n’a pas conclu que la demanderesse a bénéficié d’une protection en tant que membre pratiquante du Falun Gong en Chine.

[60]  Il n’est pas convaincant de la part de la demanderesse d’assimiler l’obligation de renoncer à la pratique du Falun Gong afin d’obtenir un passeport chinois à la persécution. Elle semble confondre la protection de l’État découlant du motif pour lequel elle a présenté sa demande d’asile et la protection diplomatique, qui s’applique au moment de déterminer si la personne s’est de nouveau réclamée de la protection de son pays. La demanderesse a effectivement bénéficié d’une protection lorsqu’elle a décidé de se rendre en Chine et aux États-Unis, alors qu’elle comptait sur la protection diplomatique internationale de son pays d’origine.

[61]  La demanderesse affirme que le fait de retourner en Chine mais de devoir promettre de renoncer à ses pratiques religieuses revient à retourner en Chine mais devoir se cacher et continuer de craindre la persécution (citant Yuan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 923 (Yuan)). Le problème avec le fait que la demanderesse s’appuie sur la décision rendue dans l’affaire Yuan vient du fait que dans cette affaire, le demandeur a activement évité que sa présence soit détectée lorsqu’il est retourné en Chine (Yuan, aux par. 35 et 36). Or, ici, la demanderesse a affirmé n’avoir pris aucune précaution lorsqu’elle s’est rendue en Chine. Chaque fois, elle est entrée librement au pays par l’aéroport de Shanghai, en utilisant son passeport chinois. Elle n’a présenté aucune preuve montrant qu’elle se cachait lors de ses voyages en Chine. Comme l’a conclu la SPR, elle « n’a pris aucune mesure pour cacher sa présence dans le pays aux autorités chinoises ».

VII.  Les questions à certifier

[62]  La demanderesse propose les questions suivantes en vue de leur certification :

  1. La SPR est-elle tenue de rendre une décision d’ordre temporel dans le cadre d’une demande de constat de perte d’asile? Si la réponse est oui, le tribunal est-il tenu de tirer des conclusions de fait claires quant aux motifs ayant entraîné la perte du statut de réfugié au sens de la Convention et quant à la date où est intervenue cette perte de statut?

  2. Saisi d’une demande de constat de perte d’asile au titre du paragraphe 108(1) de la LIPR, le tribunal est-il tenu, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire quant à la disposition applicable, de fournir une explication convaincante de la manière dont il a exercé son pouvoir discrétionnaire?

[63]  Dans l’arrêt Lunyamila c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22, au paragraphe 46 (Lunyamila), la Cour d’appel fédérale a résumé les critères applicables à la certification d’une question au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR :

[46] La Cour a récemment réitéré, dans l’arrêt Lewis c. Canada (Sécurité publique et Protection civile) 2017 CAF 130, au paragraphe 36, les critères de certification. La question doit être déterminante quant à l’issue de l’appel, transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale. Cela signifie que la question doit avoir été examinée par la Cour fédérale et elle doit découler de l’affaire elle-même, et non simplement de la façon dont la Cour fédérale a statué sur la demande. Un point qui n’a pas à être tranché ne peut soulever une question dûment certifiée (arrêt Lai c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CAF 21, 29 Imm. L.R. (4th) 211, au paragraphe 10). Il en est de même pour une question qui est de la nature d’un renvoi ou dont la réponse dépend des faits qui sont uniques à l’affaire (arrêt Mudrak c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 178, 485 N.R. 186, aux paragraphes 15 et 35).

[64]  Je conclus que les questions posées en vue de leur certification ne répondent pas aux critères énoncés dans l’arrêt Lunyamila.

[65]  La première question ne porte pas sur une question ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale, et elle ne serait pas déterminante quant à l’issue de l’appel. Ni le paragraphe 108(1) ni le paragraphe 108(2) de la LIPR n’exige que la SPR rende une décision d’ordre temporel dans le cadre d’une demande de constat de perte d’asile, et la jurisprudence de la Cour établit que la SPR peut tenir compte de l’un ou l’autre des alinéas du paragraphe 108(1) lorsque le ministre lui soumet une telle demande. En outre, en l’espèce, la SPR a raisonnablement tenu compte de l’argument d’ordre temporel de la demanderesse dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire visé au paragraphe 108(1) et a fourni les motifs justifiant sa conclusion.

[66]  La deuxième question posée par la demanderesse a également été proposée aux fins de certification dans la décision Tung. Je suis d’accord avec la déclaration de la juge McDonald selon laquelle le pouvoir discrétionnaire de la SPR, au moment de trancher une demande de constat de perte d’asile au titre des paragraphes 108(1) et (2) de la LIPR, a été examiné à fond dans la décision Al-Obeidi. Qui plus est, en l’espèce, la SPR a expliqué dans sa décision ce qui justifiait l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

VIII.  Conclusion

[67]  La demande sera rejetée. La SPR a examiné les éléments de preuve dont elle disposait et a raisonnablement conclu qu’il était plus approprié de trancher la demande de constat de perte d’asile du ministre en se fondant sur l’alinéa 108(1)a), et non sur l’alinéa 108(1)e), de la LIPR. Le tribunal a procédé à une évaluation globale des faits, y compris la nature temporelle des gestes posés par la demanderesse lorsque celle-ci a demandé des passeports chinois, s’est engagée à cesser sa pratique du Falun Gong, a obtenu deux passeports chinois et s’est rendue librement en Chine pour des raisons personnelles en utilisant ces passeports. La SPR a évalué les trois éléments du critère visant à déterminer si la demanderesse s’est réclamée de nouveau de la protection de son pays, compte tenu des gestes qu’elle a posés, et a exposé les motifs justifiant ses conclusions. Par conséquent, il était raisonnable de la part du tribunal de conclure que la demanderesse s’est réclamée de nouveau et volontairement de la protection du pays dont elle a la nationalité.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4552-18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Je refuse de certifier les questions posées par la demanderesse.

  « Elizabeth Walker »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 12jour de septembre 2019

Julie Blain McIntosh


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4552-18

 

INTITULÉ :

JING YING LU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 1er AVRIL 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 8 AOÛT 2019

 

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman

 

POUR LA DEMANDERESSE

Nadine Silverman

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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