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Date : 20190730

Dossier : T-1376-17

Référence : 2019 CF 1022

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]

Ottawa (Ontario), le 30 juillet 2019

En présence de monsieur le juge en chef

ENTRE :

VIOREL ROSIANU

demandeur

et

WESTERN LOGISTICS INC.

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  M. Rosianu est un camionneur qui travaillait pour Western Logistics Inc. [WL].

[2]  Il a été licencié par WL à la suite d’un incident au cours duquel il aurait conduit un camion de manière non sécuritaire avec deux pneus crevés sur des routes enneigées et glacées. Dans sa lettre de licenciement, WL a affirmé qu’elle avait mis en garde M. Rosianu à plusieurs reprises relativement à des préoccupations de sécurité, à des excès de vitesse et à la nécessité de se conformer à sa Politique en matière de sécurité opérationnelle. WL concluait sa lettre en affirmant qu’elle ne pouvait fermer les yeux sur les actes de M. Rosianu et qu’elle devait, [traduction] « dans l’intérêt de la sécurité publique », le démettre de ses fonctions au sein de l’entreprise.

[3]  Cependant, M. Rosianu croit que la véritable raison pour laquelle il a été licencié est le fait qu’il avait une déficience avec laquelle WL n’était pas prête à composer. Plus précisément, M. Rosianu ne pouvait soulever d’objets dont le poids était supérieur à environ 23 kilogrammes en raison de deux opérations chirurgicales qu’il avait subies pour traiter des hernies.

[4]  M. Rosianu a donc déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne [la CCDP]. Après avoir fait enquête sur la plainte, la CCDP a conclu qu’un examen approfondi n’était pas justifié au titre du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H-6 [la Loi]. (Le libellé de cette disposition est reproduit en annexe aux présents motifs.) La CCDP a donc décidé de ne pas renvoyer la plainte pour instruction par le Tribunal canadien des droits de la personne [le TCDP].

[5]  M. Rosianu demande maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la CCDP en faisant valoir deux motifs. Premièrement, il allègue que la CCDP a violé ses droits en matière d’équité procédurale. Deuxièmement, il allègue que la décision de la CCDP était déraisonnable. Il demande donc diverses réparations, dont l’annulation de la décision de la CCDP.

[6]  Je ne suis pas d’accord avec lui. Sa demande de contrôle judiciaire est rejetée pour les motifs qui suivent.

II.  Contexte

[7]  L’entreprise WL a embauché M. Rosianu en janvier 2011.

[8]  En octobre 2011, M. Rosianu a subi une chirurgie pour traiter une deuxième hernie. Après l’opération, il a soumis un formulaire médical indiquant qu’il ne pouvait soulever d’objets lourds pendant un certain temps. Durant cette période additionnelle, il a reçu des prestations d’invalidité de courte durée.

[9]  Environ deux ans plus tard, WL a eu connaissance de l’incident au cours duquel M. Rosianu aurait conduit de manière non sécuritaire sur des routes enneigées ou glacées. Quelques jours plus tard, le 25 novembre 2013, M. Rosianu recevait sa lettre de licenciement.

[10]  En mars 2014, un inspecteur d’Emploi et Développement social Canada [EDSC] a conclu que M. Rosianu avait été congédié pour un motif valable sous le régime du Code canadien du travail, LRC 1985, c L-2 [Code canadien du travail]. Un arbitre nommé par le ministre du Travail a par la suite confirmé cette décision. L’arbitre a notamment conclu qu’il existait [traduction] « suffisamment d’éléments de preuve indiquant que le demandeur avait agi de façon non sécuritaire le 20 novembre 2013, ce qui justifiait un congédiement immédiat ».

[11]  Le 12 novembre 2014, M. Rosianu a déposé sa plainte à la CCDP en vertu de l’article 40 de la Loi. Dans sa plainte, il alléguait avoir été victime de mauvais traitements, de harcèlement et de discrimination de la part de son ancien superviseur chez WL, M. Ryan Decker, et ce, de diverses façons pendant près de deux ans.

[12]  En ce qui concerne l’allégation de discrimination, M. Rosianu a déclaré qu’à la suite de son opération en octobre 2011, il avait averti M. Decker qu’il n’était pas apte à effectuer le déchargement des remorques. Il allègue qu’en dépit de cet avertissement, M. Decker avait refusé de prendre des mesures d’adaptation à l’égard de son incapacité, qu’il avait continué de le [traduction] « forcer » à faire ce travail et qu’il avait tenté de le forcer à quitter son emploi chez WL. M. Rosianu allègue en outre qu’il avait fait part de son incapacité à plusieurs autres personnes occupant des postes de niveau supérieur chez WL.

[13]  En ce qui concerne l’incident à l’origine de son licenciement, M. Rosianu a expliqué qu’il avait eu l’intention de réparer [traduction] « le pneu » crevé lorsqu’il arriverait à destination.

III.  La décision examinée

[14]  La lettre par laquelle la CCDP informait M. Rosianu de sa décision mentionnait simplement que la CCDP [traduction] « rejet[ait] la plainte parce que, compte tenu des circonstances, il n’[était] pas justifié de poursuivre l’enquête ».

[15]  Puisque la décision de la CCDP ne contenait pas de motifs, le rapport rédigé par l’enquêteuse de la CCDP [l’enquêteuse] ayant recommandé le rejet de la plainte peut tenir lieu de motifs de décision [la décision de la CCDP] : Phipps c Société canadienne des postes, 2016 CAF 117, par. 6; Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, par. 37.

[16]  La décision précisait d’abord que la CCDP ne se prononce pas sur la question de savoir si la discrimination a réellement eu lieu, puisque cette tâche relève du TCDP. La CCDP ne fait que décider si la plainte doit faire l’objet d’un examen approfondi par le TCDP.

[17]  Ayant constaté qu’il ne semblait pas exister de lien entre les allégations de mauvais traitements et de harcèlement et la déficience de M. Rosianu, l’enquêteuse a déclaré que ces allégations ne seraient pas examinées davantage. Les parties en l’espèce semblent s’entendre pour dire qu’en l’absence d’un tel lien, de telles allégations ne relèvent pas de la compétence de la CCDP. Aussi n’en traiterai-je pas davantage dans les présents motifs.

[18]  Après examen de la preuve, l’enquêteuse a relevé que M. Rosianu avait refusé d’être interrogé et qu’il était donc impossible de lui poser des questions au sujet de ses allégations. Elle a aussi constaté qu’aucun élément de preuve n’avait été présenté pour appuyer l’allégation selon laquelle M. Rosianu avait été licencié en raison de son incapacité, ni pour indiquer que des mesures d’adaptation permanentes étaient nécessaires à son retour au travail, en novembre 2011, en raison de la chirurgie qu’il avait subie ou de quelque déficience que ce soit.

[19]  Par conséquent, l’enquêteuse a conclu que M. Rosianu n’avait pas été [traduction] « traité différemment de façon préjudiciable en raison d’une déficience » et qu’il n’avait pas été licencié pour ce motif. À l’appui de sa conclusion, l’enquêteuse a mentionné qu’un inspecteur d’EDSC avait conclu que M. Rosianu avait été congédié pour un motif valable sous le régime du Code canadien du travail.

IV.  Les questions en litige

[20]  Il convient de reformuler les questions que M. Rosianu a soulevées en l’espèce de la façon suivante :

  1. Ses droits en matière d’équité procédurale ont-ils été violés par la manière dont la décision de la CCDP a été rendue?

  2. La conclusion de la CCDP selon laquelle M. Rosianu n’avait pas été traité de manière préjudiciable en raison d’une déficience ni licencié pour ce motif était‑elle déraisonnable?

V.  La norme de contrôle

[21]  En ce qui a trait à la première question soulevée par M. Rosianu, la Cour suprême du Canada a fait remarquer que « les questions de procédure [...] doivent être examinées par un tribunal judiciaire selon la norme de la décision correcte » : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, par. 43. Plus récemment, la Cour d’appel fédérale a précisé que l’expression « décision correcte » dans le contexte de l’équité procédurale se rapporte à la question de savoir « si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances » : Chemin de fer Canadien Pacifique Ltée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, par. 35 et 54.

[22]  La deuxième question soulevée par M. Rosianu, concernant les conclusions déterminantes tirées par la CCDP, doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable : Halifax (Regional Municipality) c Nouvelle-Écosse (Human Rights Commission), 2012 CSC 10, par. 17 [Halifax].

[23]  Lorsque la Cour doit décider si une décision est raisonnable, elle l’examine généralement à travers le prisme de l’intelligibilité, de la transparence et de la justification. À cet égard, le rôle de la Cour consiste à se demander si elle est en mesure, d’une part, de comprendre pourquoi la décision a été prise et, d’autre part, d’affirmer que la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, par. 47 [Dunsmuir]; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, par. 16. Lorsqu’une décision possède un « fondement rationnel », elle appartient généralement aux issues possibles acceptables : Halifax, précité, par. 47.

[24]  Dans le contexte de la décision qu’elle doit examiner, la Cour doit garder à l’esprit que la décision de la CCDP avait pour effet de mettre fin à l’enquête sur la plainte de M. Rosianu. L’éventail des issues possibles acceptables pourrait donc être moins grand qu’en d’autres circonstances : Attaran c Canada (Procureur général), 2015 CAF 37, par. 14.

VI.  Les questions préliminaires

[25]  Dans ses observations écrites, WL a demandé que l’affidavit de M. Rosianu souscrit le 18 juin 2018 soit radié au motif qu’il contient des arguments plutôt que des faits, contrairement à ce qui est prescrit au paragraphe 81(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106.

[26]  WL a aussi demandé que les affidavits déposés par Libor Kovacs (souscrit le 16 juin 2018) et Norm Young (souscrit le 18 juin 2019) soient radiés au motif qu’ils contiennent des arguments, des opinions et du ouï-dire plutôt que des faits.

[27]  Voici ce qui est prescrit au paragraphe 81(1) des Règles :

Contenu

81 (1) Les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle, sauf s’ils sont présentés à l’appui d’une requête – autre qu’une requête en jugement sommaire ou en procès sommaire – auquel cas ils peuvent contenir des déclarations fondées sur ce que le déclarant croit être les faits, avec motifs à l’appui.

Content of affidavits

81 (1) Affidavits shall be confined to facts within the deponent’s personal knowledge except on motions, other than motions for summary judgment or summary trial, in which statements as to the deponent’s belief, with the grounds for it, may be included.

[28]  Lors d’une instance en contrôle judiciaire, le dossier de preuve présenté à la Cour doit en principe se limiter au dossier de preuve dont disposait le décideur ayant rendu la décision examinée : Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, par. 19 [AUCC].

[29]  Il existe cependant quelques exceptions reconnues à ce principe, dont l’une est pertinente dans le cas qui nous occupe. Il s’agit de l’exception permettant à la Cour d’admettre en preuve un affidavit contenant des informations générales susceptibles de l’aider à comprendre les questions pertinentes pour le contrôle judiciaire : AUCC, précité, par. 20.

[30]  Par ailleurs, la preuve que la partie cherche à produire par voie d’affidavit doit être pertinente en ce qui a trait à une question que la Cour doit trancher : Forest Ethics Advocacy Association c Office national de l’énergie, 2014 CAF 88, par. 4.

[31]  En appliquant ces principes à la demande de WL visant à faire radier les trois affidavits susmentionnés, je suis d’accord pour dire que ceux-ci contiennent principalement des arguments, des opinions ou du ouï-dire, ce qui est contraire l’article 81 des Règles. Toutefois, certaines déclarations présentent des renseignements de nature générale qui sont pertinents eu égard aux questions que la Cour est appelée à trancher. En effet, ces déclarations contiennent des faits concernant (i) les raisons pour lesquelles M. Rosianu a continué de conduire son camion dans des conditions hivernales avec deux pneus crevés le 20 novembre 2013 et (ii) le fait que la CCDP n’a pas consulté le chirurgien qui avait opéré M. Rosianu pour obtenir son avis au sujet de son incapacité.

[32]  En ce qui concerne l’affidavit de M. Rosianu, voici les paragraphes ou parties de paragraphes qui doivent être radiés, pour les motifs ci-indiqués :

  1. La deuxième phrase du paragraphe 3, au motif qu’il s’agit d’un argument.

  2. Le paragraphe 4, au motif qu’il s’agit d’un énoncé erroné – la Cour dispose en fait des motifs de la décision de la CCDP.

  3. Les paragraphes 5, 7, 8, 9, 10 et 11, au motif qu’ils contiennent des arguments ou un témoignage d’opinion plutôt que des faits dont M. Rosianu a une connaissance personnelle.

  4. La dernière phrase du paragraphe 6, au motif qu’il s’agit d’un témoignage d’opinion.

  5. Le paragraphe 13, au motif qu’il s’agit d’une référence à l’affidavit de M. Libor Kovacs mentionné précédemment, lequel sera radié pour les motifs mentionnés ci-après.

  6. Les paragraphes 15, 17 et 18, au motif qu’ils portent sur des allégations de harcèlement qui ne sont pas pertinentes dans le contexte des questions que la Cour doit trancher.

  7. La deuxième phrase du paragraphe 16, au motif qu’elle contient des arguments plutôt que des faits dont M. Rosianu a une connaissance personnelle.

[33]  Les paragraphes ou parties de paragraphes qui suivent doivent être radiés de l’affidavit de M. Kovacs pour les motifs ci-indiqués :

  1. Les paragraphes 4, 5, 6, 7, 8, 9 (sauf la deuxième phrase), 10, 12, 13 et 14, au motif qu’il s’agit de preuve par ouï-dire ou de témoignage d’opinion.

[34]  L’affidavit de M. Young doit quant à lui être radié dans son intégralité, car il se rapporte entièrement (i) à l’emploi à temps partiel que M. Rosianu occupait dans une entreprise où M. Young travaillait comme directeur des opérations et (ii) à la mesure dans laquelle son emploi chez WL entrait en conflit avec ce travail à temps partiel. De telles considérations ne sont pas pertinentes aux questions que la Cour doit trancher. Ni M. Rosianu ni WL n’ont laissé entendre que l’emploi à temps partiel de M. Rosianu constituait un facteur ayant contribué au licenciement ou qu’il était lié de quelque façon que ce soit au traitement discriminatoire que M. Rosianu allègue avoir subi.

[35]  Enfin, un constat s’impose à l’égard de certains documents déposés par WL qui n’étaient pas devant la CCDP. Il s’agit de documents qui présentent les mesures disciplinaires progressives prises par WL à l’endroit de M. Rosianu et qui figurent aux pages 19-25 du dossier de requête de WL. En l’espèce, WL n’a pas été en mesure d’expliquer pourquoi ces documents n’avaient pas été présentés à la CCDP. Par conséquent, ils sont radiés du dossier.

VII.  Analyse

A.  Les droits de M. Rosianu en matière d’équité procédurale ont-ils été violés par la manière dont la décision de la CCDP a été rendue?

[36]  M. Rosianu soutient que son droit à l’équité procédurale a été violé au cours de l’enquête de la CCDP. Plus précisément, il prétend que la CCDP :

  1. a admis à tort des éléments de preuve par ouï-dire;

  2. a omis de lui permettre d’être interrogé par écrit, comme il l’avait demandé;

  3. a omis de lui donner la possibilité de désigner des témoins pour étayer sa plainte;

  4. a interrogé uniquement les témoins désignés par WL;

  5. a omis d’enquêter au sujet de certains éléments de preuve fournis par WL.

[37]  Je ne suis pas d’accord.

[38]  En ce qui concerne la preuve par ouï-dire, M. Rosianu semble s’opposer au fait que l’enquêteuse se soit appuyée sur l’information que lui avait fournie WL selon laquelle un automobiliste avait signalé à WL que M. Rosianu avait conduit son camion à une vitesse trop élevée compte tenu des conditions routières, et ce, avec deux pneus crevés.

[39]  À mon avis, cette objection n’est pas valable. La CCDP est un organisme administratif qui exerce une fonction d’examen préalable, sans rôle décisionnel important : Cooper c Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 RCS 854, par. 58 [Cooper]. À ce titre, la CCDP n’est pas assujettie aux mêmes règles de preuve que celles qui s’appliquent à un tribunal judiciaire, et on ne saurait affirmer qu’elle commet une erreur lorsqu’elle se fonde sur des renseignements recueillis dans le cadre d’une enquête : Cooper, précité, par. 60; Première Nation de Big River c Dodwell, 2012 CF 766, par. 95.

[40]  Quant à l’allégation de M. Rosianu selon laquelle on ne lui a pas donné la possibilité d’être interrogé par écrit, la décision de la CCDP indique pourtant qu’il avait [traduction] « refusé d’être interrogé malgré plusieurs demandes écrites et verbales ». À l’audition de la présente demande, M. Rosianu a déclaré que cela n’était pas vrai, qu’il avait demandé d’être interrogé par écrit, mais qu’il n’avait pas obtenu de réponse de l’enquêteuse par la suite. Il a cependant reconnu, en réponse à l’argument de l’avocat de WL selon lequel M. Rosianu est difficile à joindre, qu’il travaille habituellement à l’extérieur de la région de Vancouver cinq jours par semaine et qu’il se trouve parfois dans une région non desservie par un service de téléphonie cellulaire. Malheureusement, le dossier certifié du tribunal ne contient aucun élément de preuve à ce sujet.

[41]  Toujours est-il que M. Rosianu a présenté des observations à la CCDP avant qu’elle ne rende sa décision. Ces observations, datées du 31 mai 2017 et fournies en réponse au rapport de l’enquêteuse, figurent aux pages 46-48 de son dossier de demande. D’ailleurs, M. Rosianu a fourni d’autres observations, plus détaillées cette fois, datées du 15 juillet 2016. Par conséquent, il a eu la possibilité de faire connaître son point de vue par écrit à la CCDP avant qu’elle ne rende sa décision, c’est-à-dire avant que l’enquêteuse ait terminé son rapport et après qu’elle l’eut soumis. M. Rosianu n’a donc pas été privé de son droit à l’équité procédurale : Miakanda-Batsika c Bell Canada, 2014 CF 840, par. 24, conf. par 2016 CAF 278 [Bell Canada].

[42]  Quant à son affirmation selon laquelle il n’a pas eu la possibilité de désigner des témoins pour étayer sa plainte, encore une fois, M. Rosianu a bel et bien saisi l’occasionj de le faire dans ses observations datées du 31 mai 2017, où il a désigné huit personnes, dont deux (Ryan Decker et Marc Fernandes) ont en fait été interrogées. Dans son rapport, l’enquêteuse a expliqué que deux des autres personnes de la liste n’ont pu être jointes, dont Mme Mary Waring, présidente‑directrice générale [PDG] de WL. Cependant, un autre cadre supérieur de WL a été interrogé à la place de cette dernière. En outre, la PDG de WL a fourni une réponse écrite, datée du 25 juin 2016, aux questions qui avaient été posées par la CCDP. Compte tenu de ce qui précède, je suis convaincu que les droits de M. Rosianu en matière d’équité procédurale n’ont pas été violés comme il le prétend : Bell Canada, précité.

[43]  Je mentionne au passage que, dans les observations datées du 31 mai 2017 qu’il a présentées à la CCDP en réponse au rapport de l’enquêteuse, M. Rosianu a indiqué que MM. Decker et Fernandes étaient des personnes qu’il convenait d’interroger. Il a cependant fourni une autre liste de personnes avec qui l’enquêteuse pouvait communiquer. Il s’agissait notamment de personnes qui, selon lui, étaient en mesure de fournir des renseignements au sujet de son allégation selon laquelle il avait dû manipuler des marchandises lourdes à Kelowna à une ou plusieurs reprises lorsqu’il y était arrivé après les heures d’ouverture. Par contre, rien dans le dossier n’indique que cela ait été porté à l’attention de WL à quelque moment que ce soit ou que cette manutention posait problème à M. Rosianu.

[44]  En ce qui concerne l’argument de M. Rosianu selon lequel l’enquêteuse n’a interrogé que les témoins désignés par WL, je n’ai rien à ajouter à ce que j’ai dit au paragraphe précédent. Les droits de M. Rosianu en matière d’équité procédurale n’ont pas été violés du fait que tous les témoins qu’il avait désignés n’ont pas été interrogés : Wong c Canada (Travaux publics et Services gouvernementaux), 2018 CAF 101, par. 14 et 23. Deux des personnes interrogées par l’enquêteuse étaient des témoins « importants » devant « manifestement » être interrogés, ayant « directement participé » au travail et aux expériences connexes de M. Rosianu : Harvey c VIA Rail Canada Inc, 2019 CF 569, par. 39.

[45]  Enfin, l’argument de M. Rosianu selon lequel la CCDP a omis d’enquêter sur certains éléments de preuve présentés par WL n’est qu’une simple affirmation. M. Rosianu n’a pas expliqué quels éléments de preuve auraient dû faire l’objet d’une enquête ni pourquoi l’omission d’enquêter sur ces éléments constituait une violation de ses droits en matière d’équité procédurale.

B.  La conclusion de la CCDP selon laquelle M. Rosianu n’avait pas été traité de manière préjudiciable en raison d’une déficience ni licencié pour ce motif était-elle déraisonnable?

[46]  M. Rosianu soutient que la décision de la CCDP était déraisonnable au motif qu’elle ne traitait pas de sa plainte sur le fond, qu’elle était fondée principalement sur des facteurs non pertinents et qu’elle était arbitraire. Par surcroît, il soutient qu’il était déraisonnable pour l’enquêteuse de ne pas interroger d’experts médicaux et de ne pas lui donner la possibilité de fournir un certificat médical pour soutenir sa plainte.

[47]  Je ne suis pas d’accord avec lui.

[48]  En ce qui a trait au fond de sa plainte, le document indiquait ceci : [traduction] « Malgré mes avertissements, [M. Decker] a continué de me forcer à décharger des remorques et à ne pas tenter de trouver de mesures d’adaptation pour mon incapacité. » De plus, M. Rosianu a allégué que M. Decker l’avait intimidé dans le but de le forcer à démissionner, et qu’il lui avait donné moins d’heures de travail, en partie en raison de son incapacité.

[49]  Dans la décision de la CCDP, l’enquêteuse a explicitement abordé ces allégations. Plus précisément, elle a commencé par faire remarquer que cinq employés de WL, dont M. Decker (le superviseur de M. Rosianu), avaient déclaré par écrit que M. Rosianu n’était pas tenu de charger ou de décharger des camions dans l’exercice de ses fonctions régulières pendant son emploi. Elle a ensuite noté que M. Rosianu n’avait pas fourni de certificat médical pour confirmer son incapacité alléguée, à l’exception du formulaire daté du 23 novembre 2011 indiquant qu’il ne devait pas être tenu de [traduction] « soulever des charges lourdes pendant quatre semaines après l’opération » et qu’il était [traduction] « incapable d’effectuer ses tâches de travail avant cela ». L’enquêteuse a par ailleurs constaté que M. Rosianu n’avait pas indiqué avoir besoin de quelque mesure d’adaptation que ce soit dans le formulaire de description des tâches du poste qu’il avait signé le 26 avril 2012.

[50]  En outre, l’enquêteuse a fait remarquer que M. Rosianu n’avait fourni aucune preuve à l’appui des diverses allégations liées à son incapacité. Elle a ajouté que WL avait soutenu qu’on avait demandé à M. Rosianu de manipuler des marchandises seulement trois fois au cours de ses trois années à l’emploi de l’entreprise, qu’il avait refusé chaque fois de le faire et que ces refus ne s’étaient soldés par aucune conséquence préjudiciable.

[51]  À la lumière de ce qui précède, l’enquêteuse a conclu que M. Rosianu n’avait pas été tenu de charger ou de décharger des camions dans l’exercice de ses fonctions; et qu’il n’était donc pas justifié d’enquêter davantage au sujet de cette allégation. L’enquêteuse a réitéré par la suite qu’aucune preuve n’avait été fournie pour indiquer (i) qu’il fallait des mesures d’adaptation permanentes en raison de la chirurgie qu’il avait subie ou de quelque déficience que ce soit, ou (ii) qu’il avait été congédié en raison d’une déficience. À mon avis, de telles conclusions n’étaient pas déraisonnables. Elles étaient au contraire intelligibles, transparentes et justifiées.

[52]  En ce qui concerne le licenciement, l’enquêteuse a noté que WL avait soutenu que M. Rosianu [traduction] « avait été congédié pour avoir conduit dangereusement de façon répétée, et non en raison d’une déficience ». À cet égard, elle a fait remarquer que WL avait expliqué qu’avant de licencier M. Rosianu, l’entreprise lui avait remis par écrit des avis de mesures disciplinaires progressives pour des excès de vitesse et des manquements aux règles de sécurité; WL alléguait par ailleurs que M. Rosianu avait omis, à plusieurs reprises, de suivre les instructions de répartition. L’enquêteuse s’est ensuite penchée sur l’incident qui était selon elle à l’origine du licenciement, à savoir la plainte selon laquelle M. Rosianu avait conduit à une vitesse trop grande compte tenu des conditions routières, et ce, avec deux pneus crevés. Afin de dissiper tout doute, l’enquêteuse a réitéré ce que WL avait soutenu : [traduction] « WL a mis fin à l’emploi de M. Rosianu en raison de préoccupations persistantes sur le plan du rendement au travail et de la sécurité; l’entreprise n’avait pas connaissance de la déficience alléguée par M. Rosianu et cette déficience alléguée n’a pas constitué un facteur dans sa décision de mettre fin au lien d’emploi ». La PDG de WL a d’ailleurs corroboré ces renseignements dans ses réponses à un questionnaire de la CCDP.

[53]  À la lumière de tout ce qui précède, on ne saurait dire que la décision de la CCDP était fondée principalement sur des facteurs non pertinents ou qu’elle était arbitraire, comme l’allègue M. Rosianu. Compte tenu de la preuve dont disposait l’enquêteuse, les conclusions qu’elle a tirées à l’égard de la déficience alléguée de M. Rosianu et de son licenciement appartenaient aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir, précité, par. 47. Le fait que la décision de la CCDP avait pour effet de mettre fin à l’enquête sur la plainte de M. Rosianu sous le régime de la Loi ne change rien à cela.

[54]  Il n’était pas déraisonnable non plus de la part de l’enquêteuse de ne pas interroger d’experts médicaux. Au regard de la Loi, il incombait à M. Rosianu de fournir des éléments de preuve susceptibles d’étayer sa plainte, dont des preuves médicales, Ce n’est pas ce qu’il a fait. Bien qu’il soutienne maintenant que le fardeau de preuve incombait à WL, il n’a invoqué aucune source faisant autorité ni quelque source que ce soit à l’appui de sa prétention.

[55]  Quoi qu’il en soit, comme je l’ai expliqué ci-dessus, il n’était pas déraisonnable pour l’enquêteuse de conclure que M. Rosianu n’était pas tenu de charger ou de décharger des camions dans l’exercice de ses fonctions et qu’il n’avait pas été licencié en raison de son incapacité. J’ajouterai simplement en terminant que le dossier dont disposait l’enquêteuse contenait une réponse par écrit à un questionnaire de la CCDP dans lequel la PDG de WL déclarait qu’en raison du refus de M. Rosianu d’effectuer la moindre manutention de marchandises, il se voyait confier des tâches ne nécessitant aucune manipulation de marchandises.

VIII.  Conclusion

[56]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée pour les motifs que j’ai énoncés ci-dessus.

[57]  Les dépens sont adjugés en faveur de WL en raison de ce qui précède. Étant donné la faiblesse de la cause de M. Rosianu, le fait que les observations de WL étaient relativement simples et brèves ainsi que les dépens accordés par la Cour dans des situations assez similaires dans le passé, je juge qu’un montant de 3 500 $ à titre de dépens est juste et équitable dans les circonstances.


JUGEMENT dans le dossier T-1376-17

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Le demandeur devra payer à la défenderesse le montant de 3 500 $ à titre de dépens.

« Paul S. Crampton »

Juge en chef


ANNEXE — Dispositions pertinentes

Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H-6

Actes discriminatoires et dispositions générales

Discriminatory Practices and General Provisions

Enquête

Investigation

Rapport

44 (1) L’enquêteur présente son rapport à la Commission le plus tôt possible après la fin de l’enquête.

[…]

Report

44 (1) An investigator shall, as soon as possible after the conclusion of an investigation, submit to the Commission a report of the findings of the investigation.

[…]

Idem

(3) Sur réception du rapport d’enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :

[…]

Idem

(3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

[…]

b) rejette la plainte, si elle est convaincue :

(b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied

(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle-ci n’est pas justifié,

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted, or


COUR FÉDÉRALE 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER 


DOSSIER :

T-1376-17

INTITULÉ :

VIOREL ROSIANU c WESTERN LOGISTICS INC.

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (Colonbie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 juin 2019

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :

Le juge en chef CRAMPTON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 30 juillet 2019

COMPARUTIONS :

Viorel Rosianu

DEMANDEUR NON REPRÉSENTÉ

Hartley E. Cramer

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Viorel Rosianu

DEMANDEUR NON REPRÉSENTÉ

 

Harley E. Cramer Personal Law Corporation

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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