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Date : 20190802


Dossier : IMM‑44‑19

Référence : 2019 CF 1013

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 août 2019

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

LIN YANG

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], de la décision datée du 11 décembre 2018 rendue par la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada.

II.  Faits

[2]  La demanderesse est une ressortissante de la Chine âgée de 38 ans. Elle a un fils issu de son premier mariage et deux enfants nés au Canada avec son mari actuel. Elle craint d’être persécutée en Chine en raison de sa foi chrétienne et du fait qu’elle a violé la politique de planification familiale.

[3]  La crainte alléguée de persécution de la demanderesse a trait à ses activités chrétiennes clandestines. Ces activités ont commencé au début de décembre 2010, lorsqu’elle a souffert d’une dépression après avoir découvert que son mari entretenait depuis longtemps une liaison avec une autre femme. La demanderesse faisait partie d’une maison‑église non enregistrée qui comptait 20 membres, lesquels l’auraient aidée à surmonter sa dépression.

[4]  Le 15 avril 2012, l’église de la demanderesse a fait l’objet d’une descente; elle s’est alors enfuie et est allée se réfugier dans la maison du cousin de sa mère afin de se cacher.

[5]  Pendant qu’elle se cachait, la demanderesse a appris de sa mère que des représentants du Bureau de la sécurité publique [BSP] s’étaient rendus à son domicile et qu’ils avaient arrêté trois membres de l’église. Le BSP a continué de la rechercher à sa résidence, ainsi qu’au domicile de ses proches parents. La demanderesse allègue avoir appris récemment que le BSP continue de la rechercher.

[6]  La demanderesse a épousé un homme qui attend d’interjeter appel d’une mesure de renvoi. Ils ont deux enfants nés au Canada. Bien qu’ils aient trois enfants, la demanderesse et son mari souhaitent avoir d’autres enfants. La demanderesse craint de devoir subir une stérilisation forcée si elle est renvoyée en Chine, ou, subsidiairement, d’être forcée d’utiliser une forme de contraception qui pourrait mener à l’imposition d’une lourde amende en cas de contravention.

[7]  La demanderesse affirme également qu’elle continue de pratiquer sa foi chrétienne au Canada et qu’elle a été baptisée le 14 novembre 2012.

[8]  La SPR a rejeté la demande parce qu’elle a tiré des conclusions défavorables en matière de crédibilité en ce qui concernait la preuve relative à la pratique de la foi chrétienne par la demanderesse et la preuve objective relative à la situation dans le pays.

III.  Norme de contrôle

[9]  Toutes les questions soulevées par la demanderesse nécessitent le contrôle de l’évaluation faite par la SPR des éléments de preuve et des conclusions de fait qu’elle a ensuite tirées. Les conclusions de fait sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, mais font l’objet du degré le plus élevé de déférence. La Cour n’est pas autorisée à réévaluer les éléments de preuve. Les conclusions de fait ne peuvent être écartées que lorsque l’erreur est évidente et manifeste. Ce principe ne s’applique qu’à l’étape inférentielle d’une conclusion de fait, ce qui ne doit pas entraîner une analyse du caractère raisonnable. Une conclusion de fait fondée sur une évaluation des éléments de preuve est suffisante s’il y a d’autres éléments de preuve à l’appui (voir Njeri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 291, par. 11; Kallab c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 706, par. 40 et 41 [Kallab]; Jean Pierre c Canada (Immigration et Statut de réfugié), 2018 CAF 97, par. 51 à 53; Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33).

[10]  Les conclusions quant à la crédibilité sont généralement fondées sur le cumul de plusieurs conclusions de fait défavorables disparates. Par conséquent, les erreurs contenues dans les conclusions de fait doivent non seulement être évidentes, mais aussi de nature déterminante pour qu’une conclusion générale quant à crédibilité soit annulée.

[11]  Cependant, les erreurs alléguées dans les conclusions de fait ne doivent pas être confondues avec les erreurs dans la procédure de recherche des faits. Elles sont examinées selon la norme de la décision correcte (Kallab, par. 32).

IV.  Analyse

[12]  La Cour est d’avis qu’elle est, pour une large part, appelée à réévaluer les éléments de preuve, plutôt que d’être saisie d’erreurs évidentes étant donné qu’elles ne sont fondées sur aucun élément de preuve ayant une valeur probante. Pour ce motif, je conclus que, essentiellement, la demanderesse n’a pas démontré l’existence d’erreurs évidentes dans les conclusions de fait, et que, par conséquent, la demande doit être rejetée.

A.  Visa américain

[13]  L’interrogatoire initial de la demanderesse portait sur les renseignements qu’elle avait fournis, et qui, de son propre aveu, étaient faux, en vue de l’approbation de sa demande de visa américain. Je conclus que, dans une certaine mesure, la demanderesse, dans ses observations, ne reconnaît pas que la SPR a tenté de déterminer ce qu’elle savait quant aux fausses déclarations contenues dans sa demande de visa, dans la mesure où cet aspect de la conclusion de fait n’a pas été pris en compte. La question de la SPR concernait l’exigence selon laquelle les corrections concernant les faux visas devaient être apportées au dossier immédiatement et certainement pas après le dépôt de la demande d’asile (voir Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 972). En approfondissant cette question, la SPR a conclu que la demanderesse hésitait à répondre aux questions et ne s’est montrée coopérative qu’à l’insistance du tribunal.

[14]  La demanderesse affirme qu’elle n’a pas été franche dès le début de sa demande et que celle‑ci contient des erreurs, mais la SPR n’avait pas à se préoccuper de cette question, elle devait plutôt se préoccuper de savoir quels renseignements, selon la demanderesse, étaient faux. En reconnaissant qu’elle était au courant d’une partie du contenu de la demande de visa, la demanderesse a contredit sa déclaration selon laquelle elle n’avait ni signé ni lu la demande, bien qu’elle sût que son contenu était faux. En outre, à la lecture de la transcription, dont la demanderesse n’a pas fait mention à la Cour concernant cette question, je conclus que les réponses à la question du commissaire de la SPR n’étaient pas fluides et qu’il lui a fallu un certain effort pour obtenir les renseignements demandés.

B.  Citation à comparaître

[15]  La SPR a conclu que les mesures qui auraient été prises contre la demanderesse étaient très graves, et ce, en raison de son témoignage indiquant que trois de ses 20 coreligionnaires avaient été arrêtés et que des représentants du BSP s’étaient rendus à plusieurs reprises à son domicile pour l’arrêter. À la lumière de ces renseignements, la SPR a conclu qu’il était peu probable que le BSP utilise une citation à comparaître non coercitive comportant une date limite pour comparaître en vue de répondre à des questions, alors qu’une citation coercitive peut être émise dans les cas d’inobservance.

[16]  Normalement, je conviendrais que la forme de la citation à comparaître utilisée pour obliger quelqu’un à se présenter au bureau du BSP a peu d’importance. Cependant, dans les circonstances où il semblerait plus que probable que la demanderesse soit arrêtée en raison du fait que trois de ses coreligionnaires étaient déjà en détention, le recours à une citation non coercitive comportant un délai de moins de 24 heures pour comparaître ne serait pas le document approprié à cette fin. La SPR a conclu que les allégations de la demanderesse [traduction] « ne concord[aient] pas avec la preuve objective figurant au dossier en ce qui concerne les dispositions relatives au BSP ». La demanderesse n’a pas contesté cette conclusion lors de l’audience en raison des éléments de preuve concernant la situation dans le pays.

[17]  En outre, l’article 82 de la loi pertinente concernant les citations à comparaître mentionné dans la citation à comparaître alléguée exigeait que les motifs de la délivrance de la citation soient fournis. La citation alléguée n’en contenait aucun. De plus, la disposition indiquait que [traduction] « quiconque refuse d’accepter la citation à comparaître sans motif suffisant ou refuse de se conformer à la citation peut être forcé à comparaître », ce qui concorde avec la conclusion de la SPR selon laquelle il ne s’agit pas de la citation pertinente en matière d’arrestation. La demanderesse n’a pas démontré l’existence d’une erreur dans cette conclusion défavorable quant à la crédibilité, bien qu’elle ait prétendu que la SPR ne peut pas s’appuyer sur ce type d’éléments de preuve parce que les citations à comparaître ne sont pas toujours appliquées ou parce qu’elles sont appliquées différemment dans les diverses provinces de la Chine.

C.  Preuve objective concernant les chrétiens dans la province du Hunan

[18]  La SPR a effectué un examen approfondi de la preuve concernant la situation dans le pays et la présence de chrétiens dans la province du Hunan, où les événements en question ont eu lieu. Elle a conclu que la preuve indiquait que la province du Hunan a l’une des politiques les plus libérales parmi les régions de la Chine en ce qui concerne le traitement des petits groupes religieux non enregistrés. Par exemple, des arrestations ont été signalées de 2008 à 2010, mais aucun incident de persécution n’a été rapporté dans cette province. La preuve datant de 2011 indiquait qu’il y avait eu une seule arrestation dans toute la province. La SPR a également souligné que des incidents graves de persécution étaient souvent signalés dans les rapports et qu’aucun n’avait eu lieu dans la province du Hunan. Le commissaire s’est fondé sur une jurisprudence de la Cour portant qu’[traduction] « il était raisonnable que la Commission conclu que, si de tels incidents de persécution de membres d’églises clandestines avaient eu lieu [...], ils auraient été rapportés » (Yang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1274; Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 254, par. 3).

[19]  La SPR s’est également fondée sur des éléments de preuve objectifs décrivant le profil des maisons‑églises faisant l’objet de persécution, et aucun de ces profils ne correspondait à l’église de la demanderesse ou à son profil personnel à titre de simple membre de l’église. La persécution avait également tendance à être davantage exercée dans les régions de la Chine qui, comparativement à la province du Hunan, étaient plus éloignées.

[20]  En conclusion, je suis d’avis que les motifs susmentionnés constituent des éléments de preuve plus que suffisants sur lesquels pouvait s’appuyer la SPR pour fonder sa conclusion de fait selon laquelle il était peu probable que la demanderesse soit persécutée étant donné la petite taille et le non‑enregistrement de sa congrégation, son profil et la quasi‑absence d’éléments de preuve démontrant qu’il y a de la persécution dans la province du Hunan et que les événements en cause s’y sont vraiment produits.

[21]  La demanderesse conteste les conclusions de la SPR en s’appuyant sur un « rapport » figurant dans une réponse aux demandes d’information [RDI] et selon lequel une certaine persécution non décrite de membres de [traduction] « sectes vouées au culte du mal » avait eu lieu en 2014 dans plusieurs provinces, y compris la province du Hunan. Cependant, la seule confirmation réelle figurant dans la RDI était la mention d’un événement au cours duquel deux pasteurs d’une église non enregistrée à Zhengzhou avaient été détenus relativement à des accusations d’appartenance à une secte. Cet élément confirme d’une manière générale la conclusion voulant que lorsqu’il y a détention de membres d’églises chrétiennes en Chine, des organisations de défense de la liberté de religion aux États‑Unis rapportent l’incident.

[22]  En outre, la demanderesse a critiqué la SPR parce que cette dernière a omis de tenir compte de renseignements émanant d’organisations américaines décrivant le déclin des conditions de liberté de religion et des droits de la personne connexes en Chine depuis 2017 en raison de la consolidation de pouvoir faite par le président Xi Jinping. Cependant, en ce qui concerne la mention dans le mémoire de la demanderesse voulant que la Chine connaisse [traduction] « l’une des périodes les plus sombres » pour les croyants, le défendeur a souligné que cette mention s’appliquait plutôt à l’année 2016, laquelle marquait les 50 ans de la Révolution culturelle et est considérée comme la période la plus sombre pour les croyants en Chine. De plus, les éléments de preuve concernant le déclin de la liberté de religion ne démontrent pas que cette tendance touche d’une manière ou d’une autre la province du Hunan, les personnes ayant le profil de la demanderesse ou les organisations ayant le profil de son église. Je ne détecte aucune erreur susceptible de contrôle dans les conclusions de fait de la SPR, lesquelles découlent essentiellement de l’évaluation des éléments de preuve.

[23]  D’autres questions de moindre importance ont été laissées à la discrétion de la Cour, comme l’évaluation des documents écrits de la demanderesse. Ces questions concernent les conclusions quant à la crédibilité relatives à l’absence de conséquences défavorables connexes sur les membres de sa famille qu’a pu engendrer le vol que la demanderesse a pris, le témoignage changeant que la demanderesse a rendu au sujet des visites du BSP et l’improbabilité que l’arrestation de membres de son église ne fut pas rapportée alors qu’il est fait mention de tels traitements inacceptables dans les documents sur la situation dans le pays. Autrement dit, étant donné les préoccupations susmentionnées quant à la crédibilité, la SPR a conclu que la demanderesse n’était pas recherchée par le BSP en raison de sa pratique alléguée ou d’un quelconque autre motif.

[24]  La demanderesse a également tenté de soulever la question d’une demande sur place fondée sur une lettre émanant de son pasteur et d’un certificat de baptême. Ces éléments de preuve ont toutefois été écartés étant donné les préoccupations susmentionnées quant à la crédibilité. En outre, l’argument d’une demande sur place ne sera jugé important que si la demanderesse démontre que sa conduite a été portée l’attention des autorités chinoises, et aucun élément de preuve n’a été présenté à cet effet.

[25]  Finalement, la demanderesse affirme que sa demande devrait être accueillie au motif qu’elle souhaite avoir d’autres enfants, ce qui ne lui serait pas possible si elle était renvoyée en Chine. La Cour convient qu’un tel argument est hypothétique, dans la mesure où il peut être soulevé par n’importe quelle demanderesse en âge de procréer et à l’égard de laquelle il n’existe aucun moyen de garantir qu’elle agira en fonction de l’intention déclarée. De plus, il y a un nombre considérable d’éléments de preuve donnant à penser que la limite des deux enfants n’est pas appliquée, et que, même si elle était appliquée, elle n’entraînerait pas l’imposition de lourdes amendes indues. En outre, des rapports préoccupants concernant la chute du taux de naissance en Chine ont été publiés et, selon ceux‑ci, les politiques de planification familiale pourraient être renversées (par exemple, China worries over plummeting population amid reports deaths outstripped births for first time, https://www.independent.co.uk, 2 janvier 2019). Toute évaluation prospective de cette question semble être de moindre importance.

V.  Conclusion

[26]  Pour les motifs qui précèdent, la demande est rejetée. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑44‑19

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée, et aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.

« Peter Annis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 3e jour de septembre 2019.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑44‑19

INTITULÉ :

LIN YANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 9 juillet 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 2 AOÛT 2019

COMPARUTIONS :

Michael Korman

Pour la demanderesse

Prathima Prashad

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Korman & Korman LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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