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Date : 20190801


Dossier : IMM-4396-18

Référence : 2019 CF 1036

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 1er août 2019

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

AGERNEW TILAHUN ESHETIE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, M. Agernew Tilahun Eshetie, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision (la décision) de la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. La SAR a rejeté l’appel interjeté par le demandeur à l’égard d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) et a confirmé la décision par laquelle cette dernière a conclu que le demandeur n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR). La demande de contrôle judiciaire est présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la LIPR.

[2]  Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

I.  Contexte

[3]  Le demandeur est un citoyen de l’Éthiopie et est d’origine ethnique amharique. Il allègue que son père était membre de l’Organisation de tous les peuples de l’Amhara (AAPO) et qu’il a été arrêté en 1997 et emprisonné pendant quatre ans en Éthiopie en raison de ses activités politiques et de son origine ethnique. Le demandeur affirme avoir été détenu et battu pendant 12 heures en 1999 alors qu’il assistait à l’une des audiences tenues à l’égard de son père. Son père est décédé en 2005.

[4]  Le demandeur a travaillé à titre de professeur dans deux universités en Éthiopie. Il allègue avoir été victime de discrimination dans les deux universités en raison de son origine ethnique amharique et de son refus d’adhérer au Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (FDRPE). On lui a refusé l’accès à des possibilités de promotion et à des bourses d’études supérieures.

[5]  Le demandeur n’était pas membre d’un parti politique en Éthiopie. Cependant, pendant les élections de 2015, il s’est porté volontaire pour distribuer des tracts au nom du Parti Semayawi. Il a cessé cette activité lorsqu’un directeur de la banque où il travaillait l’a informé qu’il mettait son emploi en danger.

[6]  Le demandeur a étudié en Belgique grâce à une bourse d’études, mais allègue que, peu après son retour en Éthiopie en septembre 2016, il a été battu et interrogé sur des questions politiques. Il allègue également que des individus et des agents du gouvernement ont été en contact avec son épouse et sa mère et qu’ils ont menacé de tuer le demandeur et son épouse.

[7]  Le demandeur a quitté l’Éthiopie le 31 octobre 2016 en soudoyant un agent de sécurité de l’aéroport et est venu au Canada. Il a déposé une demande d’asile en novembre 2016, alléguant que lui et sa famille avaient été victimes de discrimination systémique, de harcèlement et de menaces en Éthiopie en raison de leur origine ethnique et de leurs opinions politiques présumées.

[8]  La demande d’asile du demandeur a été rejetée par la SPR le 1er août 2017. Devant la SPR, la question déterminante a été celle de la crédibilité. Le tribunal a conclu que le demandeur n’était pas crédible en ce qui concerne les éléments essentiels de sa demande d’asile, soulignant les incohérences et les omissions dans les renseignements contenus dans son formulaire Fondement de la demande d’asile (formulaire FDA) et les autres formulaires, ainsi que dans son témoignage et ses explications lors de l’audience. La SPR a décrit en détail des problèmes importants en matière de crédibilité ayant trait aux éléments suivants : le nationalisme Amhara et l’oppression du gouvernement éthiopien; les motifs du refus du demandeur d’adhérer au FDRPE; son témoignage concernant les activités politiques de son père, les accusations, les décisions judiciaires dont il a fait l’objet et ses problèmes de santé; la discrimination dont il aurait fait l’objet en ce qui concerne l’obtention de promotions et la poursuite d’études supérieures; le fait que le demandeur n’a pas demandé l’asile en Belgique et les raisons invoquées pour justifier son inaction, ainsi que les menaces qui auraient été proférées à son épouse pendant cette période; et, notamment, le fait qu’il aurait été détenu en septembre 2016, son départ tardif de l’Éthiopie, et des éléments de preuve contradictoires concernant les modalités de son départ.

[9]  Enfin, la SPR a examiné la demande d’asile sur place présentée par le demandeur ainsi que ses activités politiques depuis son arrivée au Canada. Le tribunal a d’abord examiné la question du caractère peu important de l’engagement politique du demandeur en Éthiopie et il a déclaré ce qui suit :

[traduction] Le tribunal conclut que le demandeur d’asile n’a pas fourni d’éléments de preuve crédibles et dignes de foi pour établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il est perçu comme un opposant du gouvernement éthiopien. Bien que le tribunal ait conclu que le demandeur d’asile n’était pas un témoin crédible, il reste, comme je l’ai déjà souligné, que le demandeur a déclaré dans son témoignage n’avoir participé qu’à une seule occasion à des activités au nom du Parti Semayawi en Éthiopie, à savoir lorsqu’il a distribué des tracts en 2015, et qu’il n’a participé à aucune autre activité ou manifestation dans ce pays.

[10]  La SPR a ensuite conclu le demandeur n’était pas devenu en raison de sa participation à des manifestations au Canada une personne dont le profil était de nature à attirer l’attention indue des autorités éthiopiennes au point de risquer sérieusement d’être persécuté ou de subir l’un des préjudices énumérés à l’article 97 de la LIPR.

[11]  Le demandeur a interjeté appel de la décision de la SPR à la SAR. La SAR a rejeté l’appel et confirmé la décision de la SPR. Dans la présente demande, le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la SAR.

II.  Décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire

[12]  La décision est datée du 22 août 2018.

Nouveaux éléments de preuve du demandeur

[13]  Le demandeur a présenté à la SAR plusieurs nouveaux éléments de preuve à l’appui de son appel. La SAR a admis certains documents et photos, mais elle a refusé d’admettre en preuve la majorité des documents présentés parce qu’ils étaient antérieurs à la décision de la SPR ou qu’ils n’étaient pas pertinents quant aux questions fondamentales à l’origine de la demande d’asile du demandeur. Le tribunal a motivé chaque conclusion en tenant compte des exigences du paragraphe 110(4) de la LIPR et de l’article 29 des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012-257 (Règles). Dans la présente demande, le demandeur conteste certaines des conclusions de la SAR en matière d’admissibilité des éléments de preuve.

Analyse de la SAR

[14]  Le demandeur a soulevé les questions suivantes dans l’appel devant la SAR :

1.  La SPR a suscité une crainte raisonnable de partialité contre l’appelant.

2.  La SPR a commis une erreur dans son analyse des éléments de preuve du demandeur en ce qui concerne les activités politiques de son père en Éthiopie (particulièrement au sein de l’AAPO) et les problèmes qu’il a eus avec le gouvernement de l’Éthiopie, ainsi que dans ses conclusions défavorables quant à la crédibilité tirées à ce sujet.

3.  La SPR a commis une erreur dans son évaluation en ce qui concerne l’absence d’éléments de preuve d’ordre médical concernant la santé du père du demandeur.

4.  La SPR a commis une erreur dans son analyse des éléments de preuve du demandeur concernant les problèmes qu’il a rencontrés en Éthiopie, y compris la discrimination dont il a été victime dans son milieu de travail.

5.  La SPR a commis une erreur dans son analyse des éléments de preuve du demandeur et dans sa conclusion défavorable quant à la crédibilité concernant la détention de ce dernier et les mauvais traitements que les autorités éthiopiennes lui ont infligés en septembre 2016.

6.  La SPR a commis une erreur en ce qui a trait à sa conclusion défavorable quant à la crédibilité découlant du départ tardif du demandeur de l’Éthiopie.

7.  La SPR a commis une erreur dans son analyse de la demande d’asile sur place du demandeur.

[15]  La SAR a commencé son analyse en déclarant que la question déterminante dans la demande dont elle était saisie était celle de savoir si le demandeur a établi qu’il avait un profil politique suffisamment important pour l’exposer à une possibilité sérieuse d’être persécuté par les autorités éthiopiennes s’il devait être renvoyé en Éthiopie.

[16]  Crainte raisonnable de partialité : Le demandeur allègue que la commissaire de la SPR a utilisé un ton moqueur et surpris lorsqu’il a expliqué comment il a soudoyé un agent de sécurité à l’aéroport d’Addis-Abeba, et que la commissaire a interrompu le demandeur et ne lui a pas donné l’occasion d’expliquer ou de préciser ses réponses. Il allègue également que la commissaire de la SPR l’a intimidé et qu’elle a jeté un stylo à terre pendant l’audience. La SAR a examiné l’enregistrement audio des trois audiences de la SPR et a conclu que bien que la commissaire de la SPR ait été surprise à un moment donné, elle ne s’est pas moquée de lui. La SAR a déclaré que les questions de la SPR étaient clairement posées et que la commissaire a tenté de clarifier tout manque de clarté dans les réponses du demandeur. La SAR a examiné les allégations d’intimidation du demandeur, mais n’a rien trouvé dans le dossier qui puisse étayer ces allégations et elle a conclu que les audiences ont été tenues de manière professionnelle et n’ont pas suscité de crainte raisonnable de partialité.

[17]  Profil politique du demandeur (points 2 et 3 susmentionnés) : La SAR a examiné le cartable national de documentation sur l’Éthiopie dans le contexte des allégations de persécution du fait de l’origine ethnique amharique du demandeur, mais elle a conclu que l’origine ethnique amharique n’était pas un facteur de nature à exposer, à lui seul, une personne à un risque de persécution. Ce sont plutôt les activités politiques qui importent. La SAR a déclaré que les activités politiques, la détention et les problèmes médicaux allégués de son père n’étaient pas des éléments déterminants pour trancher la demande d’asile du demandeur, laquelle était fondée sur son propre profil politique (son refus continu de se joindre au FDRPE et ses activités politiques au Canada).

[18]  Discrimination sur le lieu de travail en Éthiopie : La SAR a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur n’avait pas été persécuté pendant qu’il travaillait dans deux universités en Éthiopie. Le tribunal a conclu qu’il n’était pas vraisemblable que le demandeur ait été embauché comme professeur principal à l’Université Mizan Tepi et qu’il ait été permis à l’appelant d’occuper ce poste pendant sept ans si les autorités éthiopiennes étaient préoccupées par son refus de rejoindre le FDRPE.

[19]  Détention et mauvais traitements par les autorités éthiopiennes : Le demandeur allègue avoir été détenu et battu par les autorités éthiopiennes après son retour de Belgique en 2016 en raison de ses activités politiques. La SAR a soulevé des doutes quant à une lettre de l’épouse du demandeur qui faisait état de menaces proférées à l’endroit du demandeur, mais pas à son propre endroit, contrairement à ce que le demandeur avait indiqué dans son témoignage. La SAR a rejeté l’explication du demandeur selon laquelle il avait demandé à son épouse de rédiger une lettre « brève et concise », étant donné l’importance que revêtait cette contradiction eu égard à l’ensemble du récit. Bien que la SAR ait convenu que les termes employés pour décrire les passages à tabac que le demandeur prétend avoir subis en détention ont fait l’objet d’un examen microscopique de la part de la SPR, le tribunal a conclu que cette erreur n’a pas eu d’incidence sur la conclusion générale de la SPR selon laquelle la détention et les mauvais traitements infligés au demandeur par les autorités n’ont pas eu lieu.

[20]  Le départ tardif du demandeur de l’Éthiopie : Le demandeur a déclaré avoir retardé son départ de l’Éthiopie d’un mois après avoir été libéré, malgré le fait qu’il avait un visa canadien valide, parce que les autorités éthiopiennes avaient déclaré l’état d’urgence et qu’il voulait prendre des arrangements sûrs en vue de son départ. La SAR a confirmé deux aspects du raisonnement de la SPR à cet égard. Premièrement, les explications du demandeur concernant son départ et la corruption d’un agent de sécurité de l’aéroport n’étaient pas crédibles puisqu’elles « ont changé au fur et à mesure qu’[elles] ont été contesté[e]s ». Deuxièmement, la SAR a convenu avec la SPR que le demandeur n’aurait pas tant tardé à quitter l’Éthiopie s’il courait le danger allégué.

[21]  La demande d’asile sur place du demandeur : La SAR s’est penchée sur la question de savoir si en raison de ses activités politiques au Canada le demandeur avait un profil politique suffisamment important pour attirer l’attention des autorités éthiopiennes. Le tribunal s’est d’abord demandé si la SPR a commis une erreur dans son évaluation des éléments de preuve dont elle disposait. La SAR a souscrit à la conclusion de la SPR selon laquelle le profil politique du demandeur n’était pas suffisamment important pour constituer un facteur de risque de persécution, étant donné que le seul élément de preuve dont disposait la SPR était un article au sujet d’une réunion organisée par l’Unité pour les droits de la personne et la démocratie (UDHR) de Toronto à laquelle a assisté le demandeur. Le tribunal a ensuite évalué les nouveaux éléments de preuve présentés par le demandeur établissant sa participation à une manifestation contre le gouvernement éthiopien en septembre 2017 à Toronto et à une réunion de l’UDHR en octobre 2017. Après examen de ces éléments de preuve, elle a conclu que rien ne montrait que le demandeur était une figure importante ou un organisateur de manifestations politiques qui attirerait l’attention des autorités éthiopiennes. Au mieux, les éléments de preuve présentés par le demandeur laissaient entendre qu’il existait une simple possibilité de persécution à l’endroit du demandeur s’il retournait en Éthiopie.

III.  Questions en litige

[22]  Le demandeur soulève quatre questions dans le cadre de la présente demande :

  1. La SAR a-t-elle commis une erreur en concluant que la conduite de la SPR n’a suscité aucune crainte raisonnable de partialité?

  2. La SAR a-t-elle commis une erreur en refusant d’admettre les nouveaux éléments de preuve?

  3. La SAR a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de la crédibilité du demandeur?

  4. La SAR a-t-elle commis une erreur en refusant la demande d’asile sur place du demandeur?

IV.  Norme de contrôle

[23]  La question de la crainte raisonnable de partialité soulève une question d’équité procédurale et est susceptible de révision selon la norme de la décision correcte. Il n’y a pas lieu de faire preuve de retenue à l’égard des conclusions de la SAR (Lakatos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1061, par. 12; But c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 626, par. 4). L’interprétation par la SAR du paragraphe 110(4) de la LIPR ainsi que ses décisions concernant l’admission de nouveaux éléments de preuve sont susceptibles de contrôle par la Cour suivant la norme de la décision raisonnable à l’instar de son examen de la demande sur place du demandeur, comme le commande la présomption de déférence lorsqu’un décideur administratif interprète sa loi constitutive (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96, par. 29 (Singh); Deng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 887, par. 6-7). Je vais également passer en revue l’examen que la SAR a fait de la preuve et de la crédibilité du demandeur selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, par. 35; Gebremichael c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 646, par. 8).

[24]  Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, par. 47 (Dunsmuir)). Les motifs répondent aux critères établis dans l’arrêt Dunsmuir « s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, par. 16).

V.  Analyse

1.  La SAR a-t-elle commis une erreur en concluant que la conduite de la SPR n’a suscité aucune crainte raisonnable de partialité?

[25]  Le demandeur soutient que la SAR n’a pas fait un examen approfondi des divers exemples de partialité et de manque d’impartialité de la part de la SPR qui, pris ensemble, donnent lieu à une crainte raisonnable de partialité. Il allègue que la commissaire de la SPR lui a coupé la parole pendant son témoignage, qu’elle a interrompu son conseil pendant qu’il posait des questions et apportait des précisions et qu’elle a fait des commentaires déplacés laissant entendre qu’elle avait préjugé de sa crédibilité. Le demandeur soutient que des adjectifs injustifiés, démontrant le manque d’objectivité de la SPR, figurent dans la décision de cette dernière, et que la SPR qualifie à tort de vagues ses réponses bien articulées aux questions du tribunal. Il soutient également que la SPR n’a pas tenu compte de la raison pour laquelle il a retardé d’un mois son départ de l’Éthiopie après avoir été libéré. Enfin, le demandeur soutient que la SAR n’a pas tenu compte du comportement subjectif, inapproprié et intimidant de la SPR, en particulier de l’allégation selon laquelle la commissaire aurait jeté un stylo à terre pendant une des audiences.

[26]  Il est bien établi que le critère de la crainte raisonnable de partialité consiste à déterminer si une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, arriverait à la conclusion que le décideur ne rendra pas une décision juste (Committee for Justice and Liberty c L’Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369; Ma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 392, par 26). Le critère permettant de conclure à l’existence de partialité ou d’une crainte raisonnable de partialité est exigeant puisque les décideurs sont présumés impartiaux (Première nation Sagkeeng c Canada (Procureur général), 2015 CF 1113, par. 105).

[27]  Je conclus que la SAR a examiné correctement les allégations de partialité du demandeur. J’ai examiné le dossier et l’analyse faite par la SAR des allégations du demandeur et j’estime qu’une personne raisonnable ne conclurait pas que la commissaire de la SPR a manqué d’impartialité ni qu’elle rendrait une décision inéquitable.

[28]  La SAR a examiné l’enregistrement audio des trois audiences de la SPR, de même que les allégations du demandeur concernant la manière dont la SPR a posé ses questions et l’étendue de ces questions. La SAR a examiné l'argument du demandeur selon lequel la commissaire de la SPR a utilisé un ton moqueur exprimant la surprise, mais il a conclu que, même si, à un moment de l’audience, par son ton, la commissaire a exprimé la surprise, cette dernière ne se moquait pas de lui. La SAR a également conclu que la SPR n’avait pas interrompu indûment l’audience, que ses questions n’étaient pas vagues et que la commissaire de la SPR cherchait à obtenir des précisions du demandeur. Le tribunal de la SAR était conscient des préoccupations du demandeur et y a répondu de façon intelligible.

[29]  Certains des arguments du demandeur portent sur la nature des questions posées par la SPR et sur le caractère raisonnable des conclusions de la SPR concernant les réponses du demandeur et sa crédibilité. Ces arguments contestent le fond de la décision de la SPR; ils ne révèlent aucune partialité. Par exemple, le demandeur soutient que, si la SPR avait envisagé la question du départ tardif avec un esprit ouvert, [traduction] « elle aurait compris que le demandeur a raisonnablement expliqué le départ tardif de son pays ».

[30]  Le demandeur soutient que la remarque de la commissaire de la SPR au cours de l’audience selon laquelle elle avait un doute quant à la crédibilité du demandeur établit une crainte raisonnable de partialité, car elle a préjugé du bien‑fondé de sa demande. Toutefois, un décideur peut se faire une opinion provisoire sur des questions au fur et à mesure que l’audience se déroule tant que la question n’a pas été jugée à l’avance (Commission scolaire francophone du Yukon, district scolaire #23 c Yukon (Procureure générale), 2015 CSC 25, par. 33). La commissaire a formulé cette remarque pendant que le demandeur tentait de clarifier une réponse antérieure concernant les raisons pour lesquelles il n’est pas retourné en Éthiopie. La remarque de la commissaire, faite au cours d’une discussion avec le conseil sur la question de savoir si le demandeur maintenait ou non une réponse antérieure, témoignait d’une préoccupation évidente quant à la crédibilité.

[31]  Enfin, le demandeur soutient que la SAR n’a pas traité de son allégation selon laquelle la commissaire de la SPR aurait jeté un stylo à terre dans une apparente frustration pendant l’audience. Dans la décision, la SAR a expressément examiné cette allégation, mais n’a rien trouvé qui puisse l’étayer.

2.  La SAR a-t-elle commis une erreur en refusant d’admettre les nouveaux éléments de preuve?

[32]  Le demandeur a présenté des nouveaux éléments de preuve substantiels à la SAR. Le tribunal a examiné chacune des catégories de preuve et a formulé des conclusions précises qu’il a énoncées de façon claire et concise dans la décision. Je conclus que l’évaluation de la preuve faite par la SAR au regard des exigences prévues au paragraphe 110(4) de la LIPR et à l’article 29 des Règles, combinée à la jurisprudence pertinente concernant l’admission de la preuve par la SAR (Singh, par. 39 à 49; Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385, par. 13), était raisonnable.

[33]  Il est important de garder à l’esprit qu’une analyse de l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve devant la SAR repose au départ sur la prémisse qu’un appel interjeté devant la SAR soit essentiellement un appel « sur dossier » (Singh, par. 35 et 51). Un appel interjeté devant la SAR n’offre pas une deuxième chance de présenter des éléments de preuve pour corriger les faiblesses relevées par la SPR (Abdullahi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 260, par. 15) :

[15] En d’autres termes, la réponse à une lacune relevée par la SPR, dans le cas d’une partie, ne peut pas être un fondement légitime pour que cette partie prétende que si elle avait été au courant de la lacune, elle aurait pu présenter une meilleure preuve qui existait toujours et qui provenait de personnes qui auraient pu être appelées, à savoir, dans ce cas, son cousin. Cela ferait du processus de la SPR un gaspillage de temps monumental, ce qui n’est certainement pas dans l’intention du législateur en accordant des droits d’appel.

[34]  Il incombe au demandeur de présenter ses meilleurs arguments à la SPR. En l’espèce, une grande partie des nouveaux éléments de preuve présentés par le demandeur aurait pu et aurait dû être présentée à la SPR.

[35]  L’évaluation faite par la SAR de l’admissibilité des nouveaux éléments de preuve doit être examinée dans le contexte de la question déterminante en l’espèce, à savoir si le demandeur avait établi qu’il avait un profil politique suffisamment important pour l’exposer à une possibilité sérieuse d’être persécuté par les autorités éthiopiennes. La SAR s’est concentrée sur les activités et le profil politiques du demandeur, et non sur ceux de son père décédé en 2005. En outre, l’origine ethnique amharique du demandeur et sa connaissance générale du nationalisme Amhara n’étaient pas en cause. En conséquence, la SAR a raisonnablement refusé d’admettre en preuve des documents généraux concernant la persécution des Amhara en Éthiopie et des preuves d’opinion concernant le dossier médical de son père. Je note que le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur en ne tenant pas compte d’un rapport concernant la violence perpétrée contre le peuple Amhara en Éthiopie parce qu’il était fondé sur des événements et des renseignements historiques, bien que le rapport lui-même soit postérieur à la décision de la SPR. Je conviens que la date de publication est pertinente pour une conclusion relative à l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve sous le régime du paragraphe 110(4), mais, en l’espèce, c’est en raison de son manque de pertinence par rapport à la question fondamentale à l’origine de la demande d’asile du demandeur que le rapport ne serait pas admissible.

[36]  La SAR a rejeté une lettre d’opinion au sujet des affidavits souscrits en Éthiopie ainsi qu’un courriel de l’Université d’Anvers concernant la bourse d’études octroyées au demandeur. Je conclus que le tribunal n’a commis aucune erreur en rejetant les deux documents. La lettre d’opinion tentait d’infirmer les conclusions de la SPR, qui a accordé peu de poids aux lettres de soutien émanant d’auteurs éthiopiens que le demandeur a présentées, mais elle ne réglait pas les questions de la non‑disponibilité des déposants et du contenu vague des lettres soulevées par la SPR. En ce qui concerne le courriel de l’Université, le demandeur n’a présenté aucune observation à la SAR quant à la pertinence du document et n’a pas abordé le fait que le document était antérieur à la décision de la SPR.

3.  La SAR a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de la crédibilité du demandeur?

[37]  Le demandeur soutient que les conclusions de la SAR quant à la crédibilité de sa principale allégation de persécution fondée sur des opinions politiques réelles et imputées sont déraisonnables. Il conteste plus particulièrement les motifs qui ont conduit la SAR à conclure qu’il n’a pas été détenu et maltraité par les autorités éthiopiennes en 2016 : les omissions dans la lettre de son épouse au sujet des menaces proférées contre elle personnellement; le fait que le demandeur a tardé à quitter l’Éthiopie après sa détention présumée; et son témoignage changeant concernant la manière dont il a quitté l’Éthiopie en soudoyant un agent de sécurité de l’aéroport.

[38]  J’ai examiné les arguments formulés par le demandeur pour contester la confirmation, par la SAR, des conclusions de la SPR en matière de crédibilité. J’estime que les conclusions de la SAR sont raisonnables et que ses explications sont complètes. Essentiellement, le demandeur demande à la Cour de réexaminer la preuve dont disposaient la SPR et la SAR.

[39]  Le demandeur soutient que la SPR n’a tiré aucune conclusion générale défavorable en matière de crédibilité dans sa décision et que la SAR a procédé à une analyse peu approfondie de cette omission, indiquant seulement que la SPR ne s’est pas trompée en ce qui concerne l’ensemble de ses conclusions quant à la crédibilité. Je ne trouve pas l’argument du demandeur convaincant. Dans sa décision, la SPR a tiré plusieurs conclusions quant à la crédibilité. Au début de son analyse, le tribunal de la SPR a constaté [traduction] « des incohérences, des omissions et des invraisemblances dans la preuve du demandeur d’asile, dont certaines sont ressorties d’une comparaison des renseignements fournis par le demandeur d’asile dans son formulaire Fondement de la demande d’asile et d’autres formulaires ainsi que des témoignages et explications fournis à l’audience ». Le tribunal a également déclaré de façon générale que le demandeur n’était pas un témoin crédible parce qu’il omettait souvent de répondre directement aux questions même si on lui avait conseillé de le faire. En plus de ses conclusions générales, la SPR a évalué chaque aspect du témoignage du demandeur et a formulé des conclusions distinctes sur la crédibilité tout au long de sa décision. Contrairement à ce qui ressort des observations du demandeur, les conclusions de la SPR ne manquent pas de clarté. L’analyse relative à la crédibilité faite par la SPR est détaillée et la SAR a examiné raisonnablement chaque élément de cette analyse.

[40]  La demande d’asile du demandeur pour cause de persécution politique se fonde principalement sur le fait qu’il aurait été détenu et maltraité par les autorités éthiopiennes en septembre 2016. La SPR et la SAR ont relevé une série d’omissions et d’incohérences importantes dans la preuve documentaire et le témoignage du demandeur au sujet de sa détention qui, conjuguée au fait qu’il a tardé à quitter le pays malgré son visa canadien, a suscité d’importants doutes quant à sa crédibilité. Le demandeur n’a signalé aucune omission ou erreur dans l’examen de la décision de la SPR fait par la SAR qui justifie l’intervention de la Cour.

4.  La SAR a-t-elle commis une erreur en refusant la demande d’asile sur place du demandeur?

[41]  La SAR a conclu que les activités du demandeur au Canada n’étaient pas suffisamment importantes pour attirer l’attention des autorités éthiopiennes et a rejeté sa demande d’asile sur place. Le demandeur conteste les conclusions de la SAR reposant sur l’idée que la principale question en litige dans cette affaire était de savoir si les autorités éthiopiennes avaient pu prendre connaissance de ses actes. Il affirme qu’il n’est pas nécessaire d’être une figure importante ou un organisateur pour être ciblé par le gouvernement.

[42]  L’analyse d’une demande d’asile sur place est axée sur la question de savoir si les activités d’une personne à l’extérieur de son pays d’origine peuvent engendrer une réaction négative de la part des autorités et de ce fait une possibilité raisonnable de persécution en cas de retour (Ngongo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1627 (QL), par. 23). L’application du critère a récemment été examinée par la juge McVeigh dans la décision Gebremedhin c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 497, par. 28 :

[28] Il ne faut pas confondre le critère juridique à remplir pour une demande d’asile sur place avec la norme de preuve. Pour démontrer une crainte de persécution bien fondée conformément à l’article 96 de la Loi, le demandeur doit établir qu’il existe une « possibilité raisonnable » ou une « possibilité sérieuse » de persécution (Adjei c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1989 CanLII 5184 (FCA), [1989] 2 CF 680 (CAF), aux paragraphes 5 à 8; Sebastiao c. Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2016 CF 803, aux paragraphes 13 et 14 [Sebastiao]). La norme de preuve qui s’applique aux faits présentés par le demandeur est celle de la prépondérance des probabilités. Lorsque cela a été établi, il suffit de démontrer l’existence d’une « possibilité sérieuse » pour satisfaire au critère juridique.

[43]  La SAR a examiné la preuve des activités politiques du demandeur au Canada dont disposait la SPR ainsi que la nouvelle preuve concernant sa participation à une manifestation et à une réunion à Toronto. Le tribunal a reconnu sa participation aux divers événements, constatant qu’il peut être vu dans certaines des vidéos des événements publiées, mais qu’il n’y est pas identifié individuellement.

[44]  La SAR s’est penchée sur la question de savoir si les activités du demandeur attireraient l’attention des autorités éthiopiennes. D’après son examen des preuves documentaires concernant l’Éthiopie, le tribunal a déclaré que les activités de surveillance de la diaspora menées par les autorités éthiopiennes étaient axées sur les cibles les plus importantes, mais a reconnu que les opinions varient quant à l’importance du profil requis pour être surveillé. Le demandeur conteste l’examen de la preuve documentaire fait par la SAR et estime que toute personne qui participe activement à la politique éthiopienne à l’étranger peut être surveillée. À mon avis, cette position ne reflète pas fidèlement les divers rapports nationaux versés au dossier ni l’exigence selon laquelle un demandeur d’asile doit fournir une preuve crédible pour établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il est exposé à un risque important de persécution.

[45]  Rien dans le dossier ne laisse entendre que le demandeur était une figure importante ou un organisateur de l’un ou l’autre des événements en question. Il compte uniquement sur sa participation aux événements de Toronto pour établir le risque auquel il est exposé. J’estime que la conclusion de la SAR, selon laquelle le profil du demandeur n’était pas suffisamment important pour établir qu’il attirerait l’attention des autorités éthiopiennes, est compatible avec la preuve documentaire concernant l’Éthiopie, et raisonnable compte tenu des activités politiques du demandeur au Canada.

VI.  Conclusion

[46]  La demande sera rejetée.

[47]  Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4396-18

LA COUR STATUE ce qui suit :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Elizabeth Walker »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 11e jour de septembre 2019.

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4396-18

 

INTITULÉ :

AGERNEW TILAHUN ESHETIE C LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 AVRIL 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE DES MOTIFS :

Le 1eraoût 2019

 

COMPARUTIONS :

Liyusew Kidane

 

Pour le demandeur

Laoura Christodoulides

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

The Law Office of Teklemichael AB Sahlemariam

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

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