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Date : 20190801


Dossier : IMM-541-18

Référence : 2019 CF 1035

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 1er août 2019

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

THANH TRAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Le demandeur, Thanh Tran, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section d’appel de l’immigration [la SAI] le 12 janvier 2018 [la décision]. La SAI a rejeté l’appel qu’il a interjeté à l’encontre d’une décision du 10 mars 2014, par laquelle un agent d’immigration du haut-commissariat du Canada à Singapour [l’agent des visas] a refusé de délivrer un visa de résident permanent à l’épouse de M. Tran, Thiu Thu Thao Doan.

II.  Contexte factuel

[2]  M. Tran est né au Vietnam le 10 octobre 1981. Il a obtenu le statut de résident permanent au Canada le 21 mars 2007 après avoir été parrainé par son ex‑épouse, Que Thi Hoang. Au début de 2009, ils ont commencé à avoir des problèmes maritaux et se sont finalement séparés, mais ont continué à vivre dans la même maison. Ils ont divorcé le 6 janvier 2011.

[3]  Mme Doan est née au Vietnam le 29 mars 1983. Elle a rencontré M. Tran pour la première fois en novembre 2002 au collège où ils n’étaient que camarades de classe. Elle a ensuite communiqué avec lui en juin 2009 lorsqu’il était au Vietnam pour rendre visite à sa famille. En novembre 2010, ils ont entamé une relation amoureuse, et ils se sont mariés le 24 janvier 2011.

[4]  La demande de parrainage à l’étude a été déposée le 1er novembre 2011. Après une évaluation préliminaire par Citoyenneté et Immigration Canada, M. Tran et Mme Doan ont été convoqués pour une entrevue qui s’est tenue le 3 mars 2014. L’entrevue s’est déroulée en vietnamien avec l’aide d’un interprète. L’interprétation n’a posé aucun problème.

[5]  Le 10 mars 2014, l’agent des visas a conclu que M. Tran et Mme Doan ne l’avaient pas convaincu que leur mariage était authentique ou qu’il ne visait pas principalement l’admission au Canada.

[6]  Le 3 avril 2014, M. Tran a interjeté appel de la décision de l’agent des visas à la Section d’appel de l’immigration. L’instruction de l’appel a duré trois jours : le 22 décembre 2016, le 10 avril 2017 et le 12 décembre 2017. M. Tran a témoigné en personne, avec l’aide d’un conseil, tandis que Mme Doan a témoigné par téléconférence depuis un hôpital du Vietnam où elle était sous traitement médical depuis cinq jours puisqu’elle était enceinte de sept semaines à ce moment‑là. Le ministre s’est appuyé sur le dossier, a contre-interrogé les parties et a présenté des observations de vive voix à la SAI.

[7]  Le 12 janvier 2018, la SAI a conclu que M. Tran n’avait pas prouvé selon la prépondérance des probabilités que son mariage avec Mme Doan était authentique et qu’il ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi sur l’immigration et le statut de réfugié [la LIPR]. En conséquence, la SAI a rejeté l’appel.

III.  Législation

[8]  Dans la présente demande, le paragraphe 4(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le RIPR], s’applique :

Mauvaise foi

Bad faith

4 (1) Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas :

4 (1) For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner or a conjugal partner of a person if the marriage, common-law partnership or conjugal partnership

a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi;

(a) was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act; or

b) n’est pas authentique

(b) is not genuine.

[9]  S’il est établi soit que le mariage visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR, soit que le mariage n’est pas authentique, alors il n’y a pas de relation matrimoniale sur laquelle faire reposer une demande de résidence permanente.

IV.  La décision faisant l’objet du contrôle

[10]  La SAI a examiné le contexte factuel puis confirmé qu’il incombait à M. Tran de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’aucun des deux volets prévus au paragraphe 4(1) ne s’appliquait à sa relation avec Mme Doan. Elle a souligné que, si le critère était auparavant conjonctif, il était maintenant disjonctif depuis le 30 septembre 2010, et que pour qu’il soit fait droit à son appel, M. Tran était tenu de prouver qu’aucun des volets ne s’appliquait à son mariage avec Mme Doan.

[11]  La SAI a exposé de manière assez détaillée le fait qu’il n’est pas facile d’évaluer l’authenticité d’un mariage et qu’il n’y a pas deux cas identiques, car plusieurs facteurs, dont des exemples ont été fournis, peuvent être pris en considération.

[12]  La SAI a tenu une audience de novo. Outre le témoignage de M. Tran et de Mme Doan, la preuve documentaire et les observations écrites des parties, la SAI a examiné les notes prises par l’agent des visas lors de l’entrevue du 3 mars 2014. Les notes faisaient état des préoccupations de l’agent des visas concernant la demande et les divergences relevées dans les réponses de M. Tran et de Mme Doan. L’agent des visas était d’avis que le récit de l’évolution de leur relation était de piètre qualité et qu’il manquait des précisions dans les réponses aux questions.

[13]  La SAI a constaté que quatre ans après l’entrevue avec l’agent des visas, il restait encore trop de questions sans réponse quant à la manière dont la relation avait mûri et conduit au mariage. La SAI a déclaré qu’il y avait une « absence d’information », ce qui l’empêchait de comprendre comment leur relation avait évolué aussi rapidement depuis la reprise des contacts en juin 2009 jusqu’à la demande en mariage de novembre 2010. La SAI a conclu que les éléments de preuve fournis par M. Tran et Mme Doan n’étaient pas suffisamment crédibles, dignes de confiance ou fiables pour dissiper les préoccupations de l’agent des visas ou de la SAI elle-même.

[14]  La SAI a tiré plusieurs conclusions défavorables concernant la relation, la qualité des éléments de preuve, la rapidité avec laquelle le mariage a été contracté, les déclarations contradictoires de M. Tran et de Mme Doan, la réticence de M. Tran à s’installer au Vietnam si la demande était rejetée, le but de ses retours au Vietnam au fil des ans et le montant d’argent qu’il envoyait à Mme Doan.

[15]  La SAI a souligné un facteur favorable : M. Tran et Mme Doan souhaitaient avoir un enfant, et Mme Doan avait été traitée pour des problèmes d’infertilité. Au moment de l’audience, elle était enceinte de sept semaines, bien qu’elle ait été hospitalisée pour des saignements. Elle était déjà tombée enceinte à deux reprises, mais avait subi une fausse couche à chaque fois. La SAI a conclu que ce facteur favorable ne l’emportait pas sur les problèmes relevés dans les éléments de preuve. En outre, il a été noté que ni M. Tran ni Mme Doan n’avaient de famille au Canada, leurs parents et leurs frères et sœurs vivant tous au Vietnam.

[16]  La SAI a reconnu que les relations ou les mariages ne sont pas tous « de la même étoffe » et que les gens réagissent différemment aux problèmes, parfois d’une manière qui peut ne pas sembler normale aux yeux de la personne moyenne. Elle a observé que, dans le contexte de l’immigration, le mariage devait être apprécié dans son ensemble par la mise en balance de divers facteurs.

[17]  Lorsqu’elle a rejeté l’appel, la SAI a conclu qu’il y avait des éléments de preuve dénotant certaines affinités entre M. Tran et Mme Doan. Cependant, après avoir examiné les éléments de preuve de façon cumulative, la SAI a conclu que le mariage n’était pas authentique et qu’il visait à permettre à Mme Doan d’acquérir un statut ou un privilège au Canada.

V.  Question en litige et norme de contrôle

[18]  La seule question à trancher est de savoir si la SAI a commis une erreur en concluant que le mariage entre M. Tran et Mme Doan n’était pas authentique et qu’il visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR. Il s’agit d’une question de fait qui est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Sandhu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1061, au paragraphe 20 [Sandhu].

[19]  Une décision présente les caractéristiques de la raisonnabilité si le processus décisionnel est justifié, transparent et intelligible, aboutissant à une décision qui se situe dans la gamme des issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir].

[20]  Lus dans leur ensemble, « les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16 [Nfld Nurses].

VI.  Analyse

[21]  Il importe de se rappeler que, dans le cadre de l’appel, il incombait à M. Tran de convaincre la SAI que, selon la prépondérance des probabilités, son mariage avec Mme Doan était authentique et ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR, notamment l’acquisition d’un statut de résident permanent du Canada : Zheng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 432 [Zheng], au paragraphe 18.

[22]  Il n’y a pas de facteur unique prouvant l’authenticité d’un mariage. La jurisprudence a maintes fois confirmé qu’aucun critère spécifique ne permettait de faire une telle détermination.

[23]  En prenant en considération un certain nombre de facteurs montrant l’interdépendance et l’interrelation de deux personnes, la SAI évaluera si la prépondérance des probabilités a basculé en faveur de l’authenticité du mariage : Keo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1456, aux paragraphes 22 et 24.

A.  L’évolution de la relation matrimoniale

[24]  M. Tran soutient que la SAI a tiré une conclusion déraisonnable en déterminant qu’il n’était pas crédible parce que ses réponses décrivant l’évolution de sa relation avec Mme Doan étaient vagues.

[25]  Au sujet de cette conclusion, M. Tran affirme que la SAI n’a pas tenu compte des différences culturelles. M. Tran et Mme Doan appartiennent à une culture plus réservée lorsqu’il s’agit de s’entretenir et de parler de sujets sentimentaux et personnels. Il affirme que, par conséquent, la SAI a perçu ses réponses comme étant vagues ou simples, alors qu’elles étaient en fait adaptées à la culture.

[26]  C’est le même argument que M. Tran a présenté à la SAI au sujet des conclusions de l’agent des visas. Dans ses observations écrites à la SAI, M. Tran a reconnu que celle-ci est un tribunal spécialisé qui entend régulièrement des personnes issues de différentes cultures. Il a dit à la SAI qu’elle [traduction« serait en mesure de différencier les unes des autres ». En d’autres termes, M. Tran comptait sur la SAI dans l’appel de novo pour déterminer si les réponses qu’il donnait étaient simples et vagues ou si elles étaient adaptées à la culture.

[27]  La SAI ayant conclu que ses réponses étaient vagues, M. Tran affirme maintenant que la SAI a commis une erreur dans son évaluation des éléments de preuve dont elle disposait en ne tenant pas compte du contexte social et culturel de M. Tran et de Mme Doan.

[28]  Je ne suis pas d’accord.

[29]  Bien que M. Tran ait déclaré que, culturellement, lui et Mme Doan ne s’entretenaient et ne parlaient pas facilement de sujets personnels, il était conscient qu’il lui incombait de démontrer l’authenticité de son mariage. M. Tran a parlé de ses deux mariages et a fourni de nombreux détails personnels.

[30]  La SAI a bien tenu compte de la culture lorsqu’elle a déclaré que les relations et les mariages n’étaient pas tous « de la même étoffe » et qu’elle devait examiner les éléments de preuve dans leur ensemble tout en mettant en balance les divers facteurs.

[31]  La SAI était consciente que l’importance des facteurs individuels allait varier et qu’il est difficile d’évaluer l’authenticité d’un mariage dans le contexte de l’immigration. Elle a reconnu que les gens réagissent différemment aux problèmes et que, parfois, leurs réactions et leurs comportements ne sembleront pas naturels ou normaux par rapport à la personne moyenne.

[32]  Un examen de la transcription montre que M. Tran a parlé de son premier mariage et de son mariage actuel. Il a mentionné s’être séparé de sa première femme, même s’il [traduction« l’aimait toujours ». Il a également expliqué avoir vécu avec elle dans la maison après leur séparation et s’être ensuite installé dans une maison voisine. Il a dit que Mme Doan et lui désiraient avoir des enfants, mais qu’ils avaient des difficultés à concevoir. Il a expliqué pourquoi et comment ils tentaient de remédier à ce problème au moyen de traitements et de médicaments. Il a fourni un certain nombre de détails très personnels concernant leurs tentatives d’avoir un enfant.

[33]  Les différences culturelles possibles ne sont qu’un des facteurs à prendre en considération. La SAI a énuméré un certain nombre d’autres facteurs tirés de la jurisprudence — neuf au total — et a mis en balance, tout au long de la décision, les facteurs favorables et défavorables qu’elle a constatés.

[34]  Par exemple, la SAI a conclu que le facteur favorable lié au fait que M. Tran et Mme Doan parlaient la même langue et avaient la même culture parce qu’ils étaient nés au Vietnam ne l’emportait pas sur les problèmes importants qu’elle a relevés. Ce problèmes comportaient notamment des questions importantes, à savoir comment ils étaient passés d’anciens camarades de classe en 2002, qui n’étaient pas restés en contact et qui n’avaient pas entretenu de relation pendant cette période, à une situation amoureuse après que M. Tran a pris contact avec Mme Doan en juin 2009 alors qu’il rendait visite à son grand-père. Selon les éléments de preuve, lorsque M. Tran a quitté le Vietnam en juillet 2009, lui et Mme Doan n’étaient toujours que de simples amis, bien qu’il l’ait appelée par la suite et qu’ils aient alors parlé de la famille, de la vie et de l’école.

[35]  La SAI était préoccupée par le fait que les éléments de preuve ne permettaient pas de savoir si les appels de M. Tran à Mme Doan avaient effectivement eu lieu en juillet 2009 ou au milieu de 2010. Il s’agissait d’une préoccupation légitime. Les relevés téléphoniques ne montrent que les appels faits entre août 2010 et le 15 novembre 2012. Cet élément de preuve ne me permet pas de conclure que la SAI a commis une erreur dans son analyse.

B.  Les trois éléments de preuve essentiels

[36]  M. Tran soutient également que la SAI a rejeté à tort trois éléments de preuve essentiels. S’ils avaient été acceptés, ils auraient appuyé une conclusion favorable quant à la crédibilité.

(1)  La grossesse de Mme Doan

[37]  La SAI a conclu que le désir de M. Tran et de Mme Doan d’avoir un enfant était un facteur favorable, mais qu’il ne l’emportait par sur les problèmes liés aux autres éléments de preuve.

[38]  M. Tran soutient que la grossesse de Mme Doan au moment de l’audience de la SAI n’était pas un simple [traduction« un facteur », car la naissance d’un enfant est généralement suffisante pour dissiper les préoccupations quant à l’authenticité d’un mariage. Il reconnaît que ce n’est pas un facteur déterminant, mais affirme qu’il aurait beaucoup contribué à établir l’authenticité de leur relation.

[39]  Le principal problème de cette affirmation est qu’elle équivaut à demander à la Cour d’apprécier de nouveau les éléments de preuve. La SAI a conclu que la grossesse constituait un facteur favorable, mais pas déterminant.

[40]  La SAI n’a commis aucune erreur dans son évaluation de la grossesse de Mme Doan. Dans le cadre du mandat que lui prescrit la loi, la SAI a raisonnablement soupesé et mis en balance les facteurs. La conclusion qu’elle a tirée se situait bien dans la gamme des issues possibles acceptables au regard des faits et du droit.

(2)  Les voyages de M. Tran au Vietnam

[41]  Entre juillet 2012 et septembre 2017, M. Tran a effectué six voyages au Vietnam, dont quatre d’une durée approximative d’un mois et deux de trois mois. Il allègue que la SAI s’est livrée à de vaines spéculations lorsqu’elle a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles démontrant qu’il avait rendu visite à Mme Doan, vu que de nombreux membres de sa famille se trouvaient au Vietnam.

[42]  Les éléments de preuve confirment que toute la famille de M. Tran et de Mme Doan se trouve au Vietnam. Ils n’ont pas de famille au Canada. Le premier voyage de M. Tran au Vietnam, lorsqu’il a pris contact avec Mme Doan, avait pour but de rendre visite à son grand-père en mauvaise santé. Le dossier original ne contient pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir le but des divers voyages. Il se peut que l’appelant ait eu un double objectif : rendre visite à Mme Doan et à sa famille. Quoi qu’il en soit, le fait est que M. Tran ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que le but de chaque voyage était d’être avec Mme Doan pour renforcer la relation matrimoniale.

[43]  Bien que M. Tran fasse référence à plusieurs conclusions individuelles de la SAI et les critique, il est clair que les éléments de preuve ont été considérés dans leur ensemble, dans le contexte. À cet égard, les voyages de M. Tran au Vietnam comportent un autre aspect lié à l’authenticité du mariage qu’il vaut la peine de mentionner.

[44]  Au cours de l’audience devant la SAI, M. Tran a été interrogé sur son intention de déménager au Vietnam si la demande de parrainage était refusée. Il a reconnu que son épouse lui avait demandé de s’installer au Vietnam, et qu’ils en avaient discuté. Il lui a répondu qu’il ne s’installerait pas au Vietnam, car [traduction« la vie est meilleure au Canada ».

[45]  Au cours de son interrogatoire, M. Tran a indiqué que si son épouse ne pouvait pas venir au Canada, il lui rendrait visite plus souvent avant de prendre une décision. Il a déclaré que [traduction« finalement, si elle ne peut pas venir ici, il faudra que je retourne là-bas ». Ils étaient déjà mariés depuis sept ans lorsqu’il a fait cette déclaration. Durant cette période, ils ont été effectivement présents ensemble au Vietnam pour un total de 10 mois seulement, et pas du tout en 2013.

[46]  La SAI était obligée de tenir compte de ces déclarations pour évaluer l’authenticité du mariage de M. Tran et de Mme Doan.

[47]  La SAI ne disposait d’aucun élément de preuve démontrant que les voyages de M. Tran avaient pour but de renforcer sa relation matrimoniale. Il ne s’est tout simplement pas acquitté du fardeau qui lui incombait de montrer que c’était le but.

[48]  Les relevés téléphoniques au dossier ne fournissent aucun élément de preuve démontrant le but des voyages. Les différentes photos donnent une indication du but, mais dans deux des trois cas, l’objectif n’était pas de favoriser son propre mariage; il s’agissait d’assister à des mariages, soit à celui de son frère en juin 2014, soit à celui de son ami en 2015. M. Tran a effectué le premier voyage pour se marier avec Mme Doan en janvier 2011.

[49]  Étant donné les voyages antérieurs et la grande famille de M. Tran au Vietnam, il était raisonnablement loisible à la SAI d’accorder peu de poids aux voyages. Elle n’a pas commis d’erreur dans cette évaluation.

(3)  Les virements

[50]  Mme Doan a déclaré que M. Tran lui avait envoyé 40 000 $ CA pour ses traitements de fécondation et ses déplacements. La SAI a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve démontrant que 40 000 $ avaient été versés à Mme Doan. Elle a également fait observer que M. Tran envoyait de l’argent à sa famille et qu’il avait demandé à Mme Doan de le lui remettre. La SAI a déclaré que, même s’il existait une telle preuve, cela ne signifiait pas en soi que le mariage est authentique.

[51]  M. Tran soutient qu’il était purement hypothétique de la part de la SAI de conclure que l’argent était destiné à sa famille et pas à Mme Doan. La SAI n’a pas formulé d’hypothèses. Selon les éléments de preuve au dossier, M. Tran a affirmé qu’il avait envoyé 5 000 $ en janvier 2017 à son épouse; de ce versement, elle devait conserver 2 500 $ et remettre 2 500 $ aux parents de M. Tran. Celui-ci a déclaré qu’elle avait bien remis cet argent à ses parents.

[52]  Le dossier contient des éléments de preuve démontrant que des virements ont été faits à Mme Doan, dont le total est bien inférieur à 40 000 $ CA. Le ministre fait remarquer qu’entre 2011 et 2017, la somme de 18 945 $ a été transférée de M. Tran à Mme Doan.

[53]  À titre d’explication, M. Tran a témoigné qu’il avait envoyé [traduction] « environ » 17 000 $ CA à Mme Doan sous forme de virements. Lors de ses voyages au Vietnam, il emportait de l’argent parce qu’il en avait besoin quand il était là-bas, et il payait également pour les traitements de fertilité.

[54]  M. Tran a estimé qu’il avait versé à Mme Doan un total d’environ 30 000 $ en virements et en espèces au cours de la période en question. Mme Doan a témoigné avoir reçu 40 000 $ au total de M. Tran. Lorsque cette contradiction s’ajoute au faible revenu mensuel de 2 000 $ à 2 500 $ de M. Tran et au fait qu’une partie de l’argent devait être versée aux parents de M. Tran, il n’était pas déraisonnable que la SAI conclue qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve à l’appui des allégations de Mme Doan concernant la réception de ces fonds.

C.  La SAI aurait-elle dû donner à M. Tran et à Mme Doan la possibilité de répondre aux préoccupations?

[55]  M. Tran allègue qu’il était inéquitable d’un point de vue procédural que la SAI n’ait pas signalé pendant l’audience qu’elle n’avait pas admis l’élément de preuve concernant l’argent.

[56]  En ce qui concerne cet argument, il incombait à M. Tran de présenter des documents et des éléments de preuve à l’appui de sa cause. La SAI a examiné les éléments de preuve au dossier, tant la preuve documentaire que le témoignage de vive voix, et les a jugés insuffisants pour prouver que 40 000 $ avaient été versés à Mme Doan. Encore une fois, le dossier appuie la conclusion de la SAI.

[57]  La conclusion est raisonnable; elle découle des éléments de preuve. Les faiblesses des éléments de preuve auraient facilement pu être anticipées. Les préoccupations de la SAI ne découlaient pas d’éléments de preuve extrinsèques, comme c’était le cas dans la décision Rukmangathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 284, qui a été invoquée par M. Tran. Elles découlaient directement de la qualité des éléments de preuve et du fait que M. Tran et Mme Doan voulaient que la SAI parvienne à une conclusion différente.

[58]  La SAI n’a pas examiné les éléments de preuve de façon parcellaire. Elle les a examinés de façon cumulative et a fourni des exemples de problèmes importants qui ne pouvaient être résolus. L’analyse et les conclusions étaient raisonnables compte tenu de l’état du dossier.

VII.  Conclusion

[59]  La question de savoir si le mariage de M. Tran et de Mme Doan était authentique est une question de fait. La Cour doit faire preuve de déférence à l’endroit de la SAI et exercer une grande retenue lorsqu’elle détermine si les conclusions sont justifiées, transparentes et intelligibles et si elles appartiennent aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Il ne revient pas à la Cour de réévaluer les éléments de preuve qui ont été examinés par la SAI : Sandhu, au paragraphe 21.

[60]  La SAI a conclu que les éléments de preuve dont elle disposait n’étaient pas suffisamment crédibles, dignes de confiance ou fiables pour dissiper ses préoccupations ou celles de l’agent des visas. M. Tran et Mme Doan ont exhorté la Cour à tirer une conclusion différente.

[61]  Je ne suis pas convaincue qu’il y a une raison de modifier la décision.

[62]  M. Tran a décrit ses réponses comme étant [traduction« simples » plutôt que [traduction« vagues ». La transcription montre toutefois que ses réponses étaient souvent décousues, incomplètes et difficiles, voire impossibles à comprendre. Le conseil et la SAI ont souvent dû répéter et reformuler leurs questions pour obtenir une réponse. C’était notamment le cas lorsque M. Tran et Mme Doan ont été interrogés sur l’évolution de leur relation au fil du temps.

[63]  Le processus décisionnel de la SAI répond aux critères de l’arrêt Dunsmuir : il présente les caractéristiques requises de justification, de transparence et d’intelligibilité. Il a donné lieu, comme la Cour peut le constater, à une décision qui se situe dans la gamme des issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[64]  Pour les motifs susmentionnés, la demande est refusée.

[65]  Il n’y a aucune question à certifier eu égard aux faits de l’espèce.


JUGEMENT dans le dossier IMM-541-18

LA COUR STATUE que la demande est rejetée.

« E. Susan Elliott »

Juge

Traduction certifiée conforme,

Ce 5e jour de septembre 2019

Mélanie Vézina, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-541-18

 

INTITULÉ :

THANH TRAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 16 août 2018

 

JUgement et motifs :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

le 1er août 2019

 

COMPARUTIONS :

Wennie Lee

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Gordon Lee

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lee & Company

Défense, conseil et contentieux en matière d’immigration

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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