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Date : 20190725


Dossier : IMM‑4440‑18

Référence : 2019 CF 951

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 juillet 2019

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

AWIL AHMED NUR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision défavorable rendue à la suite d’un examen des risques avant renvoi (l’ERAR), au motif qu’une agente a commis des erreurs dans l’évaluation des éléments de preuve sous‑jacents. Pour les motifs exposés ci‑dessous, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée pour nouvelle décision.

Contexte

[2]  Le demandeur, Awil Ahmed Nur, est né en Somalie en 1992. Alors qu’il n’était encore qu’un bébé, sa famille a fui le pays et s’est réfugiée au Kenya. En 2006, sa famille a été réinstallée aux États‑Unis. Le demandeur était âgé de 14 ans à l’époque. Cependant, en raison des condamnations au criminel qu’il avait accumulées, il ne pouvait plus présenter une demande de citoyenneté américaine, et ses statuts de résident permanent et de réfugié ont été annulés.

[3]  Le demandeur est arrivé au Canada en mars 2017, mais il ne pouvait pas présenter une demande d’asile en raison de son casier judiciaire. Il est donc visé par une mesure de renvoi en Somalie, mais il était admissible à une évaluation des risques avant son renvoi là-bas.

Décision relative à l’ERAR

[4]  La demande d’ERAR du demandeur a été rejetée le 11 juin 2018. L’agente a estimé que celui-ci n’était pas exposé à plus qu’une simple possibilité de persécution et ne serait pas exposé à une menace à sa vie ou au risque de peines cruelles et inusitées s’il retournait en Somalie, aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. En dépit de la preuve sur la situation dans le pays, l’agente a conclu que le demandeur était exposé au même risque généralisé de violence que toute la population de la Somalie.

[5]  Dans sa demande d’ERAR, le demandeur a allégué qu’il serait exposé à des risques en Somalie pour les raisons suivantes : i) son appartenance au clan minoritaire Reer Hamar, qui est victime de persécution; ii) le fait qu’il sera vraisemblablement ciblé par le groupe al‑Shabaab en raison de son statut d’homme occidentalisé et vraisemblablement non islamique; et iii) son incapacité à se procurer des articles de première nécessité en tant que rapatrié sans emploi ni soutien familial.

[6]  Bien que l’agente chargée de l’ERAR ait accepté le fait que le demandeur était un ressortissant de la Somalie, elle a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer qu’il appartenait à un clan minoritaire. Elle a également estimé que la preuve n’était guère suffisante pour démontrer que la réinstallation de la famille du demandeur était attribuable à son appartenance à un clan ni que les décès de son père et de son frère étaient liés à cette appartenance. En outre, l’agente a tenu pour établi qu’il n’existait aucun élément de preuve corroborant qui démontrait que les tatouages du demandeur étaient des marques visibles établissant à un point tel qu’il était un « non‑islamique » qu’il risquait d’être pris pour cible par l’organisation terroriste al‑Shabaab. Plus important encore, l’agente a conclu que les accusations portées contre le demandeur pour fraude à l’identité et faux avaient compromis le caractère suffisant de la preuve par affidavit.

Question en litige et norme de contrôle

[7]  Bien que le demandeur soulève un certain nombre de questions relativement à la décision de l’agente chargée de l’ERAR, la conclusion que cette dernière a tirée sur la crédibilité, sans tenir d’audience, est un élément déterminant du présent contrôle judiciaire. Il n’est donc pas nécessaire que je me penche sur les autres questions, et je refuse de le faire.

[8]  Je reconnais que la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer pour décider si une audience est requise dans le cadre d’une décision relative à un ERAR fait l’objet d’un débat, et qu’il y a des divergences dans la jurisprudence de notre Cour. Aux fins du présent contrôle judiciaire, j’applique la norme de la décision correcte, comme l’a fait le juge Boswell dans l’affaire Khan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 534 (au par. 19). Je conviens que la question de savoir si une audience doit être tenue dans les décisions relatives à un ERAR soulève une question d’équité procédurale; or, une procédure inéquitable ne peut être ni raisonnable, ni correcte.

Analyse

[9]  En ce qui concerne la question de la crédibilité, la Cour d’appel fédérale a décrit un principe fondamental dans la décision Pedro Enrique Juarez Maldonado (requérant) c Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration (intimé), [1980] 2 CF 302, au par. 5 : « Quand un requérant jure que certaines allégations sont vraies, cela crée une présomption qu’elles le sont, à moins qu’il n’existe des raisons d’en douter ».

[10]  S’il n’y a aucune raison valable de douter de la véracité des allégations d’un demandeur, il serait erroné d’exiger des éléments de preuve corroborants desdites allégations puisque la présomption de véracité s’en trouverait minée (voir Ndjavera c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 452, aux par. 6 et 7, et Chekroun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 737, au par. 65).

[11]  En l’espèce, le demandeur a présenté un affidavit relatif aux faits pertinents pour les trois motifs de risque qu’il avait soulevés dans sa demande d’ERAR, y compris : son appartenance à un clan minoritaire; le risque auquel il est exposé d’être pris pour cible en raison de son statut d’homme occidentalisé et vraisemblablement non islamique; et son incapacité à subvenir à ses besoins en Somalie.

[12]  En ce qui concerne l’affidavit du demandeur, l’agente a conclu ce qui suit :

[traduction]

Les accusations portées contre le demandeur pour fraude à l’identité et faux ont compromis le caractère suffisant de son affidavit. Par conséquent, compte tenu du manque d’éléments de preuve corroborants, je conclus qu’il n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que sa situation personnelle est telle qu’il est exposé à des risques, comme le prévoient les articles 96 et 97 de la LIPR.

[13]  L’agente a commis une erreur en se fondant sur les [traduction] « accusations pour fraude à l’identité et faux portées contre le demandeur » pour discréditer la véracité présumée de sa preuve par affidavit, puisqu’il n’a pas été condamné pour ces crimes. Cette erreur a été exacerbée par le fait que l’agente a ensuite exigé des éléments de preuve corroborants pour rectifier le manque de crédibilité reproché au demandeur, ce qui a eu pour effet de miner la présomption de véracité qui aurait dû lui être accordée.

[14]  Je ne suis pas d’accord avec le défendeur, qui est d’avis qu’il ne s’agit là que d’une [traduction] « distinction microscopique » étant donné que le demandeur a un casier judiciaire. Quoi qu’il en soit, en l’espèce, l’agente a commis une erreur puisqu’elle a tiré une conclusion sur la crédibilité du demandeur en se fondant sur des éléments de preuve qu’elle n’a pas su interpréter. En outre, il m’apparaît évident que l’agente a tiré des conclusions relatives à la crédibilité et que, dans les circonstances, le demandeur aurait dû bénéficier d’une audience. La Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit dans l’arrêt Singh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] 1 RCS 177, au par. 59 :

Je pense en particulier que, lorsqu’une question importante de crédibilité est en cause, la justice fondamentale exige que cette question soit tranchée par voie d’audition. […] Je puis difficilement concevoir une situation où un tribunal peut se conformer à la justice fondamentale en tirant, uniquement à partir d’observations écrites, des conclusions importantes en matière de crédibilité.

[15]  Une audience est également envisagée à l’alinéa 113b) de la LIPR, qui précise qu’« une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires ». Les facteurs réglementaires en question sont énoncés à l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le RIPR] de la façon suivante :

167 Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci‑après servent à décider si la tenue d’une audience est requise :

167 For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following:

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant’s credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

 

[16]  Qui plus est, comme l’a déclaré la Cour dans la décision Tekie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 27, au par. 16 : « [j]e suis d’avis que l’article 167 devient opérant lorsque la crédibilité est remise en question d’une façon qui peut donner lieu à une décision défavorable à l’issue de l’ERAR. Il a pour objet de permettre à un demandeur de répondre aux réserves formulées au sujet de sa crédibilité. »

[17]  En l’espèce, les facteurs énoncés à l’article 167 du RIPR trouvaient application, et l’équité commandait que le demandeur bénéficie d’une audience.

[18]  Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑4440‑18

LA COUR STATUE que :

1.    La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de l’agente chargée de l’examen des risques avant renvoi est annulée, et l’affaire est renvoyée à un agent différent pour nouvelle décision.

2.    Les parties n’ont soulevé aucune question de portée générale à des fins de certification, et l’affaire n’en soulève aucune.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 19e jour d’août 2019.

Julie‑Marie Bissonnette, traductrice agréée


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4440‑18

INTITULÉ :

AWIL AHMED NUR c MCI

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 JUIN 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 25 JUILLET 2019

COMPARUTIONS :

Anthony Navaneelan

POUR LE DEMANDEUR

Alex C. Kam

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Anthony Navaneelan

Avocat

Bureau du droit des réfugiés – Aide juridique Ontario

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice du Canada

Bureau régional de l’Ontario

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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