Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20190724


Dossier : IMM‑5236‑18

Référence : 2019 CF 986

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 juillet 2019

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

MICHAL MARCIN ZIMA

AGATA ZIMA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Les demandeurs, Michal Marcin Zima, et son épouse, Agata Zima, sont des citoyens de la Pologne qui résident au Canada depuis plus de dix ans. Ils ont deux enfants nés au Canada. Les parents de M. Zima sont des citoyens canadiens et résident à Mississauga. Sa fratrie réside également au Canada.

[2]  En avril 2018, les demandeurs ont présenté une demande de visa de résident permanent pour des motifs d’ordre humanitaire et, à titre subsidiaire, une autre demande pour un permis de séjour temporaire; ils les ont présentées de l’intérieur du Canada. Le 31 juillet 2018, un agent principal ou une agente principale [l’agent] a refusé d’accueillir la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaires ainsi que la demande de permis de séjour temporaire. Les demandeurs sollicitent maintenant le contrôle judiciaire de la décision de l’agent au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Ils demandent à la Cour d’infirmer cette décision et de renvoyer leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaires à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision.

I.  La décision de l’agent

[3]  Après avoir résumé les antécédents en matière d’immigration des demandeurs, l’agent a fait remarquer qu’ils sont demeurés au Canada après l’expiration de leur statut temporaire. Il a également pris note des motifs d’ordre humanitaire invoqués par les demandeurs : l’établissement et l’intégration au Canada, les liens familiaux, l’intérêt supérieur de l’enfant et les difficultés qui surviendraient s’ils devaient quitter le Canada et retourner en Pologne.

[4]  L’agent a tenu compte du fait que M. Zima avait travaillé comme sculpteur sur pierre, et son épouse, dans une garderie et dans une boutique de fleurs, qu’ils avaient une famille élargie au Canada, qu’ils s’étaient fait des amis et qu’ils s’étaient intégrés à leur collectivité. Bien qu’il ait accordé un poids favorable à l’établissement des demandeurs au Canada, il a conclu que l’établissement n’était pas extraordinaire, puisqu’il est ordinaire que des résidents au Canada travaillent, s’intègrent à leur collectivité, se fassent des amis, paient des taxes et des impôts, fassent du bénévolat et maintiennent un bon dossier civil. Il a également conclu que le temps que les demandeurs avaient passé au Canada après 2014 n’était pas attribuable à des circonstances indépendantes de leur volonté. De plus, leur séjour prolongé au Canada, excédant le délai où ils étaient initialement autorisés à y rester, ne jouait pas en leur faveur. Selon l’agent, les circonstances liées à l’établissement des demandeurs après 2014 démontrent un mépris des lois canadiennes en matière d’immigration et militent contre eux.

[5]  L’agent a reconnu que, malgré les liens affectifs entre les demandeurs, leur famille et leurs amis au Canada, leur séparation ne compromettrait pas les liens existants, puisque leurs relations ne connaissaient pas de contraintes géographiques. Il a estimé qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve qui donnaient à penser que ces relations étaient caractérisées par un degré d’interdépendance tellement élevé que, en vue d’une séparation, la prise de mesures exceptionnelles pour des motifs d’ordre humanitaire serait justifiée.

[6]  L’agent a également reconnu que, bien que les demandeurs aient habité à l’extérieur de la Pologne pendant longtemps, il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour démontrer que l’un ou l’autre des demandeurs serait incapable de trouver du travail en Pologne. En effet, rien ne laissait entendre que M. Zima ne pouvait pas retourner en Pologne et travailler comme sculpteur sur pierre ou que sa femme ne pouvait pas travailler dans une garderie. L’agent a fait remarquer que les demandeurs pouvaient également trouver du travail dans un autre pays de l’Union européenne.

[7]  L’agent a conclu que les compétences professionnelles que M. Zima avait acquises en Pologne, en Angleterre et au Canada pouvaient être transférées et qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve démontrant qu’il ne pouvait pas retourner en Pologne ou dans l’Union européenne et mettre à profit ses compétences et ses connaissances pour trouver du travail. L’agent a souligné que Mme Zima avait également des expériences professionnelles en Pologne, en Angleterre et au Canada et que les éléments de preuve objectifs présentés ne suffisaient pas à démontrer qu’elle ne pouvait pas trouver du travail en Pologne ou ailleurs dans l’Union européenne.

[8]  L’agent a cité divers extraits de documents sur les conditions en Pologne. Il a souligné que, bien qu’il existe des niveaux de vie différents entre les pays, le législateur n’avait pas conçu l’article 25 de la LIPR pour compenser la différence en termes de niveau de vie entre le Canada et les autres pays. D’après l’agent, l’objet de l’article 25 est de donner au ministre la souplesse nécessaire pour gérer les situations extraordinaires que la LIPR ne prévoit pas, où des motifs d’ordre humanitaire exigent que le ministre agisse.

[9]  L’agent a souligné que les parents de Mme Zima résident en Pologne et que les éléments de preuve présentés ne suffisaient pas à démontrer qu’ils seraient incapables ou réticents à aider les demandeurs à se réinstaller une fois de retour en Pologne. Il a conclu que les demandeurs avaient des liens familiaux avec la Pologne et qu’il était faisable pour eux d’y retourner et de reprendre leurs relations avec leur famille là‑bas. D’après l’agent, les demandeurs ont affirmé être des personnes flexibles et ingénieuses. Il a rappelé le fait que, depuis le départ de la Pologne, ils s’étaient installés dans deux pays différents, ce qui montre leur capacité à s’adapter à de nouveaux endroits et à des cultures différentes, et à trouver du travail. L’agent a convenu que le retour en Pologne pourrait poser des difficultés et qu’il y aurait une période d’adaptation, mais il a rappelé le fait que les demandeurs n’auraient pas affaire à un endroit, à une langue ou à une culture qui leur sont inconnus.

[10]  L’agent a ensuite examiné l’intérêt supérieur du fils des demandeurs. Il a ensuite pris note qu’ils attendaient un deuxième enfant. À cet égard, il s’est exprimé ainsi :

[traduction]

Les demandeurs soutiennent qu’il est dans l’intérêt supérieur de leur fils qu’ils soient autorisés à rester au Canada, puisqu’il a passé la majeure partie de sa vie ici et qu’il s’est fait des amis. En ce qui concerne l’intérêt supérieur de l’enfant [...] Je suis conscient qu’il s’agit d’un facteur important et qu’il faut lui accorder du poids en conséquence [...] Toutefois, je sais aussi qu’il ne s’agit pas forcément d’un facteur déterminant. Les éléments de preuve objectifs dont je dispose ne suffisent pas pour conclure que l’intérêt supérieur de leur enfant serait compromis s’il retournait en Pologne avec ses parents. [...] l’enfant restera avec ses parents qui s’occuperont de lui et le soutiendront. Par conséquent, je conclus que peu importe les adaptations nécessaires à l’enfant, il aura les soins et le soutien de ses parents. Les demandeurs n’ont pas présenté suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour démontrer que le déménagement en Pologne et le fait de s’installer là‑bas aura une incidence négative sur leur fils. Ils n’ont présenté aucune preuve objective démontrant que leur enfant ne serait pas en mesure de fréquenter l’école, d’obtenir des soins de santé et de participer à des activités parascolaires, que son intérêt supérieur serait compromis ou qu’il serait privé de tout droit s’ils retournaient en Pologne. Même si je reconnais que leur fils a passé la majeure partie de sa vie au Canada compte tenu de son jeune âge, il est raisonnable de présumer qu’il serait en mesure de s’adapter à des situations en évolution avec le soutien constant de ses parents.

J’ai tenu compte de l’intérêt supérieur de l’enfant ainsi que de la situation personnelle des demandeurs. Je conclus que les demandeurs n’ont pas démontré que les conséquences générales d’un retour en Pologne seraient contraires à l’intérêt supérieur de leur fils.

[11]  Après avoir évalué l’intérêt supérieur du fils des demandeurs, l’agent a conclu que, bien qu’ils puissent éprouver quelques difficultés à se réadapter à la vie en Pologne, il était raisonnable de penser que, pendant cette période, ils y avaient eu — et y avaient toujours — des amis, des connaissances et des réseaux sociaux. En somme, ils ne retourneraient pas dans un lieu qu’ils ne connaissaient pas et dont ils ignoraient la langue et la culture, ni dans un lieu qui, dénué de tout réseau, rendrait leur réintégration irréalisable. L’agent a tenu compte du fait que les demandeurs souhaitaient ne pas retourner en Pologne, mais, selon lui, cela ne constitue pas un motif suffisant pour permettre qu’ils deviennent des résidents permanents du Canada.

[12]  Par conséquent, l’agent a refusé la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire parce qu’il n’y avait pas suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour justifier l’octroi d’une dispense et accorder la résidence permanente. Il a également conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de motifs pour justifier la délivrance d’un permis de séjour temporaire.

II.  La norme de contrôle

[13]  Lors d’un contrôle judiciaire, la décision d’un agent d’immigration de ne pas accorder de dispense au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR est examinée au regard de la norme de la décision raisonnable (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, au par. 44, [Kanthasamy]). La décision d’un agent aux termes du paragraphe 25(1) est hautement discrétionnaire, étant donné que cette disposition « prévoit un mécanisme en cas de circonstances exceptionnelles » et que la Cour doit faire preuve « d’une très grande retenue » envers l’agent (Williams c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1303, au par. 4; Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, au par. 15, [Legault]).

[14]  La norme de la décision raisonnable commande à la Cour, lorsqu’elle examine une décision administrative, de s’attarder « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 47). Ces critères sont respectés si « [les motifs] permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au par. 16).

III.  L’agent a‑t‑il fait défaut d’analyser de façon raisonnable l’intérêt supérieur de l’enfant?

A.  Les observations des demandeurs

[15]  D’après les demandeurs, l’agent a mal interprété les éléments de preuve concernant l’établissement de leur enfant et ses liens avec le Canada. Ils font remarquer qu’il est né au Canada, qu’il a passé toute sa vie ici et qu’il n’a jamais été en Pologne, alors que l’agent semble croire que l’enfant a résidé en Pologne auparavant. Les demandeurs affirment que cette mécompréhension est évidente dans les motifs où l’agent affirme que l’enfant [traduction] « a passé la majeure partie de sa vie au Canada » et que son intérêt supérieur ne serait pas compromis s’il [traduction] « retournait » en Pologne avec ses parents. Ils reconnaissent que cette erreur à elle seule ne serait pas fatale. Cela dit, ils affirment que, compte tenu de l’approche de l’agent dans son ensemble, l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant est radicalement défectueuse.

[16]  Les demandeurs soulignent le fait que l’agent n’a jamais défini l’intérêt supérieur de leur enfant, et qu’il lui est donc impossible d’accorder à ce facteur un poids considérable. D’après les demandeurs, l’agent n’a pas tenu compte du fait qu’il pourrait être dans l’intérêt supérieur de leur enfant qu’il reste au Canada avec eux et l’agent n’a pas soupesé cet intérêt par rapport au cas de figure, considéré comme un fait acquis, selon lequel il se réinstallerait en Pologne.

[17]  Les demandeurs affirment que l’agent a commis une erreur en limitant l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant à l’application de l’exigence des difficultés, donc en se concentrant sur la question de savoir si leur enfant subirait des difficultés s’il résidait en Pologne. D’après eux, l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant a été menée dans l’optique des besoins fondamentaux. Ils affirment que l’agent ne s’est pas demandé quel était l’intérêt supérieur de l’enfant, mais plutôt si le déménagement en Pologne lui causerait un préjudice.

B.  Les observations du défendeur

[18]  D’après le défendeur, les objections des demandeurs relatives à l’examen de l’intérêt supérieur de l’enfant mené par l’agent équivalent à un désaccord avec le poids que l’agent a accordé à tel intérêt. Le défendeur affirme que l’agent a reconnu que l’intérêt supérieur de l’enfant devrait avoir un poids considérable dans l’évaluation de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et il a fait remarquer à juste titre que tel intérêt ne constituait pas forcément un facteur déterminant.

[19]  Contrairement aux arguments des demandeurs, le défendeur soutient que ce n’était pas une erreur fatale d’affirmer que leur enfant avait passé la majeure partie de sa vie au Canada, plutôt que toute sa vie. Selon le défendeur, lorsque la Cour d’appel fédérale a affirmé dans l’arrêt Legault que l’intérêt supérieur de l’enfant doit être « bien identifié et défini », elle n’a pas tenté d’imposer une formule magique que les agents d’immigration pourraient utiliser dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire dans l’application du paragraphe 25(1) de la LIPR.

C.  Analyse

[20]  Dans l’arrêt Kanthasamy, la Cour suprême du Canada a formulé les remarques suivantes :

[35]  L’application du principe de l’« intérêt supérieur de l’enfant [...] dépen[d] fortement du contexte » en raison de « la multitude de facteurs qui risquent de faire obstacle à l’intérêt de l’enfant. [Renvois omis.] Elle doit donc tenir compte de l’âge de l’enfant, de ses capacités, de ses besoins et de son degré de maturité. [Renvoi omis.] Le degré de développement de l’enfant déterminera l’application précise du principe dans les circonstances particulières du cas sous étude.

[...]

[39]  Par conséquent, la décision rendue en application du par. 25(1) sera jugée déraisonnable lorsque l’intérêt supérieur de l’enfant qu’elle touche n’est pas suffisamment pris en compte. [Renvoi omis.] L’agent ne peut donc pas se contenter de mentionner qu’il prend cet intérêt en compte. [Renvoi omis.] L’intérêt supérieur de l’enfant doit être « bien identifié et défini », puis examiné « avec beaucoup d’attention » eu égard à l’ensemble de la preuve. [Renvois omis.]

[21]  En l’espèce, l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant des demandeurs était déraisonnable. En effet, l’agent n’a pas pris acte du fait que l’enfant avait vécu toute sa vie au Canada. En revanche, il avait parlé de la [traduction] « majeure partie de sa vie »). De plus, comme l’enfant n’avait jamais été en Pologne, il ne pouvait pas y « retourner ». En l’absence de ce fondement factuel de base, il est difficile de voir comment l’agent a été réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant, d’autant plus qu’il a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que l’intérêt supérieur de l’enfant serait compromis si celui‑ci se rendait en Pologne avec ses parents. L’agent a négligé de façon déraisonnable d’examiner les éléments de preuve selon lesquels les demandeurs auraient de la difficulté à trouver un logement adéquat et un soutien économique pour offrir à leur fils un niveau de vie de base en Pologne.

[22]  Les motifs de l’agent ne prouvent pas qu’il se soit réellement penché sur l’intérêt supérieur de l’enfant des demandeurs. Au contraire, les motifs de l’agent laissent paraître que selon lui, puisque les parents n’obtiendraient pas la résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire, il était dans l’intérêt supérieur de l’enfant d’aller avec eux en Pologne. Au lieu de définir l’intérêt supérieur de l’enfant des demandeurs et de lui accorder un poids considérable, l’agent s’est surtout demandé si le déménagement en Pologne nuirait à son intérêt supérieur.

IV.  L’agent a‑t‑il fait une évaluation raisonnable de l’établissement des demandeurs et des difficultés?

A.  Les observations des demandeurs

[23]  Les demandeurs affirment que l’agent a commis une erreur de fait en ne tenant compte que de leur établissement avant 2014, alors que, en fait, M. Zima a conservé le statut de visiteur jusqu’au 31 mars 2016, et son épouse, jusqu’au 10 septembre 2015. D’après eux, l’agent n’a pas tenu compte d’une à deux années de leur établissement à cause d’une erreur de fait, ce qui l’a amené à dire que leur établissement après l’expiration de leur autorisation à demeurer au Canada jouait en leur défaveur.

[24]  De plus, les demandeurs estiment déraisonnable que l’agent ait exigé un établissement extraordinaire. Ils sont également d’avis que l’agent a formulé un commentaire qui a miné leur degré d’établissement au Canada et a imposé une exigence à cet égard qui va bien au‑delà de ce qui serait attendu de personnes qui résident au Canada depuis plus de dix ans, à savoir lorsqu’il a dit qu’il n’était pas rare que des résidents au Canada travaillent, s’intègrent à leur communauté, se fassent des amis, paient des taxes et des impôts, fassent du bénévolat et maintiennent un bon dossier civil.

[25]  Les demandeurs affirment qu’il était déraisonnable que l’agent utilise des facteurs relatifs à l’établissement qui favorisaient la prise d’une mesure exceptionnelle pour soutenir que ces facteurs les auraient protégés de toute difficulté liée au retour en Pologne. D’après eux, il était déraisonnable que l’agent conclue que, malgré les quelques difficultés qu’ils pouvaient éprouver à leur retour en Pologne, celles‑ci étaient en quelque sorte compensées par leurs compétences et par la capacité qu’a eue M. Zima de démarrer une entreprise au Canada.

[26]  Les demandeurs estiment qu’il est déraisonnable que l’agent ait considéré leur établissement sous l’angle des difficultés. De plus, d’après eux, dans son analyse des difficultés qu’ils éprouveraient, l’agent n’a pas tenu compte de celles liées à l’éventualité de devoir trouver du travail dans un autre pays de l’Union européenne en raison des mauvaises conditions en Pologne.

B.  Les observations du défendeur

[27]  Le défendeur affirme qu’il n’était pas déraisonnable que l’agent soutienne que le temps que les demandeurs ont passé au Canada après 2014 n’échappait pas à leur volonté, puisqu’ils avaient discrétion sur leur séjour. D’après lui, l’agent peut avoir recours à son expertise et à son expérience pour comparer le degré d’établissement des demandeurs à celui d’autres personnes. Le défendeur estime également que le fait que le Canada puisse être un endroit où il est plus souhaitable de vivre qu’un autre pays n’est pas déterminant dans une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[28]  Le défendeur fait observer que l’obligation de partir du Canada comporte inévitablement certaines difficultés, mais que ce seul fait ne justifie pas de prendre des mesures spéciales fondées sur des motifs d’ordre humanitaire. D’après lui, les demandeurs n’ont pas démontré qu’il y avait des circonstances spéciales justifiant une dispense ou que l’agent a évalué la preuve de façon déraisonnable.

C.  Analyse

[29]  L’évaluation du degré d’établissement des demandeurs par l’agent est problématique.

[30]  Bien que l’agent ait conclu que l’établissement [traduction] « constituait un facteur favorable » pour les demandeurs, il n’a pas examiné la question de savoir si l’interruption de leur établissement au Canada pour retourner en Pologne et ensuite présenter une demande de résidence permanente jouait en faveur de l’octroi d’une dispense au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR. Il était déraisonnable de la part de l’agent de considérer que l’établissement des demandeurs après le séjour autorisé jouait en leur défaveur, sans évaluer dans quelle mesure ils s’étaient établis par la suite.

[31]  À mon avis, l’agent a indûment omis de tenir compte du degré d’établissement des demandeurs au Canada, sans expliquer pour quelle raison les éléments de preuve à cet égard étaient insuffisants (Sebbe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 813, au par. 21; voir également Chandidas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 258, au par. 80; Stuurman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 194, au par. 24; et Ahmadzai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 725, au par. 14).

V.  Conclusion

[32]  La décision de l’agent doit être infirmée et l’affaire renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

[33]  L’agent a évalué de façon déraisonnable l’intérêt supérieur de l’enfant des demandeurs et leur établissement au Canada.

[34]  Comme aucune des parties n’a proposé la certification d’une question grave de portée générale au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR, aucune question n’est certifiée.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑5236‑18

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision que l’agent principal a rendue le 31 juillet 2018 est infirmée. L’affaire est renvoyée à un autre agent d’immigration afin qu’il rende une nouvelle décision conformément aux motifs du présent jugement. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Keith M. Boswell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 4e jour de septembre 2019.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑5236‑18

 

INTITULÉ :

MICHAL MARCIN ZIMA, AGATA ZIMA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 21 mai 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BOSWELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 24 juillet 2019

 

COMPARUTIONS :

Nathalie Domazet

 

Pour les demandeurs

 

Teresa Ramnarine

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann, Sandaluk & Kingwell LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.