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Date : 20190731


Dossier : IMM-5631-18

Référence : 2019 CF 1028

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 31 juillet 2019

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

SHENG TENG

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, Sheng Teng, est un citoyen de la Chine âgé de 46 ans qui est arrivé au Canada en mai 2012 et a demandé l’asile. Il craignait de rentrer en Chine parce qu’il y serait arrêté et persécuté par la police pour avoir refusé de quitter son domicile lorsque le gouvernement a exproprié sa terre. La Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu dans une décision datée du 24 octobre 2018 que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

[2]  Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la SPR, au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Il demande à la Cour d’annuler la décision et de renvoyer l’affaire à un autre commissaire de la SPR pour nouvelle décision.

I.  La décision de la SPR

[3]  Après avoir résumé les allégations du demandeur, la SPR a conclu que celui-ci ne s’était pas acquitté du fardeau de prouver qu’il existait une possibilité sérieuse de persécution pour l’un des motifs prévus dans la Convention ou que, selon la prépondérance des probabilités, il serait personnellement exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités, ou encore au risque d’être soumis à la torture à son retour en Chine.

[4]  La SPR a souligné que, bien que les allégations faites sous serment du demandeur soient présumées être véridiques, elle avait des raisons de douter de leur authenticité. Elle estime que le témoignage du demandeur était à certains moments vague, imprécis et incompatible avec les documents dont elle disposait. La SPR a accepté que le demandeur voulait obtenir un montant de compensation plus élevé pour l’expropriation de sa terre, mais a conclu que des éléments clés de sa demande d’asile n’étaient pas crédibles, notamment le fait qu’il avait été agressé ou qu’il jouait un rôle de chef dans le différend relatif à l’expropriation de sa terre et celle d’autres villageois ou un chef dans la quête d’un montant de compensation plus élevé.

[5]  Plus particulièrement, la SPR a souligné que le demandeur n’avait pas pu fournir de précisions quant à la présumée agression perpétrée par 20 gangsters, et ce, contrairement  au reste parties de son témoignage, qui étaient spontané et direct. Cet incident était important au regard de sa demande d’asile étant donné qu’il s’agissait du seul incident de la violence physique. Puisque le demandeur n’avait pas pu fournir de précisions sur l’incident, la SPR a conclu que celui-ci n’avait pas eu lieu. Elle a aussi conclu qu’une prétendue conversation entre le demandeur et le responsable du gouvernement du district n’avait pas eu lieu non plus.

[6]  La SPR a conclu que les activités menées par le demandeur n’équivalaient pas à celles d’un activiste ou d’un chef en ce qui concerne le différend entre les propriétaires des terres expropriées et le gouvernement. La SPR a estimé que le demandeur s’était qualifié de chef afin d’étoffer son allégation selon laquelle la police était à sa recherche parce qu’il avait incité d’autres propriétaires fonciers à causer des ennuis au gouvernement. Elle a par conséquent conclu que la police ne voulait pas arrêter ou accuser le demandeur pour quoi que ce soit.

[7]  La SPR a souligné que le demandeur avait tenté à trois reprises de venir au Canada avant son arrivée, en 2012. Les demandes de visa de résident temporaire qu’il a présentées en 2008 et 2010 pour venir au Canada et lancer un commerce de fourrures ont été refusées. En 2011, le demandeur a tenté de quitter l’aéroport international Incheon, en Corée, pour se rendre à Vancouver, mais des responsables de l’immigration canadienne l’ont intercepté et ont refusé de le laisser monter à bord de l’appareil. Après avoir examiné les tentatives faites précédemment par le demandeur pour immigrer au Canada, la SPR a conclu qu’il était plus probable que le contraire qu’il était venu au Canada pour des raisons économiques et non pas parce qu’il était recherché par la police.

[8]  De plus, la SPR a fait remarquer que, bien que, en Chine, des personnes qui se sont opposées à l’expropriation de leur terre aient été emprisonnées ou aient fait l’objet de violence aux mains de la police ou d’hommes de main, le demandeur ne serait pas exposé à un risque de préjudices s’il rentrait en Chine parce qu’il ne jouait pas un rôle de chef dans ce différend foncier et qu’il n’était pas recherché par la police pour quoi que ce soit. La SPR a conclu ses motifs en soulignant que cela faisait plus de six ans que le demandeur d’asile avait quitté la Chine.

II.  Norme de contrôle

[9]  La norme de contrôle applicable à l’appréciation de la preuve et de la crédibilité d’un demandeur d’asile par la SPR est celle de la décision raisonnable, et une déférence considérable doit être accordée au juge des faits en raison de la position avantageuse dont il jouit (Cambara c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1019, au par. 13, et Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF n732, au par. 4).

[10]  Selon la norme de la décision raisonnable, la Cour qui contrôle une  décision administrative doit établir si celle-ci respecte les critères de « la justification […], [de] la transparence et [de] l’intelligibilité du processus décisionnel » et si elle appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 47). Ces critères sont respectés si « les motifs […] permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au par. 16). Il « ne revient pas à une cour de révision de substituer l’issue qui serait à son avis préférable », et il « ne lui appartient pas non plus d’apprécier à nouveau la preuve » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, aux par. 59 et 61 [Khosa]).

[11]  En cas d’allégation de manquement à l’équité procédurale, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au par. 79; Khosa, précitée, au par. 43). La Cour doit déterminer si la démarche ayant mené à la décision visée par le contrôle était empreinte du degré d’équité requis, eu égard aux circonstances de l’affaire (Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, au par. 115).

[12]  Une question d’équité procédurale « n’exige pas qu’on détermine la norme de révision judiciaire applicable. Pour vérifier si un tribunal administratif a respecté l’équité procédurale ou l’obligation d’équité, il faut établir quelles sont les procédures et les garanties requises dans un cas particulier » (Moreau-Bérubé c Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature), 2002 CSC 11, au par. 74). Comme la Cour d’appel fédérale l’a fait remarquer : « même s’il y a une certaine maladresse dans l’utilisation de la terminologie, cet exercice de révision est [TRADUCTION] particulièrement bien reflété dans la norme de la décision correcte", même si, à proprement parler, aucune norme de contrôle n’est appliquée » (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général) 2018 CAF 69 au par. 54).

III.  Les observations du demandeur

[13]  Selon le demandeur, la SPR a fait une évaluation déraisonnable de sa crédibilité. Il estime que la SPR a de façon déraisonnable contesté sa crédibilité en raison de ses réponses succinctes au sujet de l’agression qu’il avait subie aux mains des gangsters et a omis de relever les aspects précis de son témoignage qui n’était pas cohérents ou pas crédibles. À son avis, la SPR aurait pu lui poser toutes les questions qu’elle estimait pertinentes, mais elle ne l’a pas fait, et il ne peut pas être blâmé pour ne pas avoir fourni des précisions qui ne lui avaient pas été demandées.

[14]  Le demandeur souligne qu’il faut présumer que les demandeurs disent la vérité sauf s’il existe une raison valable de douter de la véracité de leurs dires et que, en l’espèce, il n’existait aucune raison de douter de la véracité de son témoignage. Même s’il ne jouait pas un rôle de chef ou n’était pas perçu comme jouant un rôle de chef dans le différend relatif aux expropriations, le demandeur affirme que cela ne portait pas un coup fatal à son affirmation selon laquelle la police était à sa recherche, et que l’attaque perpétrée par les gangsters n’était pas importante au regard de sa demande d’asile. Aux dires du demandeur, si un élément n’est pas important au regard d’une demande d’asile, même si la SPR conclut que l’élément en question a été fabriqué, il est déraisonnable qu’elle rejette  la demande d’asile pour cette raison.

[15]  Le demandeur affirme que les éléments de preuve documentaire montrent que les personnes qui protestent contre des questions délicates au plan politique, comme les expropriations foncières, sont persécutées par le gouvernement de la Chine , qu’elles jouent un rôle de chef ou perçues comme jouant un rôle de chef. Il prétend que la SPR a commis une erreur en tirant une conclusion d’invraisemblance à l’égard du fait qu’il n’était pas perçu comme jouant un rôle de chef.

[16]  Le demandeur estime que la SPR a appliqué un critère juridique incorrect pour apprécier le risque de persécution parce qu’elle a adopté une interprétation trop étroite de l’expression « opinions politiques » et a omis de prendre en compte l’interprétation libérale établie dans la jurisprudence. À son avis, la conclusion de la SPR selon laquelle il n’était pas perçu comme un activiste ou un chef était déraisonnable, et la SPR a complètement omis d’apprécier les risques auxquels il était exposé au titre de l’article 96 de la LIPR.

[17]  Le demandeur affirme que la SPR a aussi omis d’apprécier le risque qu’il soit soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités au sens de l’article 97 de la LIPR. Il estime que la SPR devait effectuer une analyse séparée au titre de l’article 97 même si elle a conclu qu’il ne correspondait pas au profil d’un chef défendant des opinions politiques.

IV.  Les observations du défendeur

[18]  Le défendeur soutient que la décision de la SPR possède les attributs de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité. Il affirme que l’appréciation effectuée par la SPR de la crédibilité du demandeur était raisonnable et qu’elle comportait plusieurs motifs détaillés et cohérents permettant de conclure que le demandeur n’était pas crédible. Il estime que les observations du demandeur ne font qu’exprimer son  désaccord avec le poids que la SPR a accordé à la preuve qu’il a produite.

[19]  Le défendeur soutient que la SPR a appliqué le bon critère pour apprécier le risque de persécution au titre de l’article 96 de la LIPR. Contrairement à ce qu’affirme le demandeur, la SPR n’a pas adopté une interprétation étroite de l’expression « opinions politiques ». Il estime que la décision de la SPR n’était pas fondée sur une interprétation de l’expression « opinions politiques », mais sur sa conclusion  que les allégations formulées par le demandeur au sujet de ses activités politiques n’étaient pas crédibles et n’étaient pas suffisamment étayées par des éléments de preuve.

[20]  Le défendeur estime que la SPR n’a pas commis d’erreur en appréciant le risque auquel serait exposé le demandeur aux termes de l’article 97 de la LIPR. Il est bien établi en droit, selon lui, que la SPR n’était pas tenue d’apprécier séparément les risques au titre de l’article 97 de la LIPR puisqu’elle avait jugé que les allégations du demandeur n’étaient pas crédibles.

V.  Analyse

[21]  Il incombe aux demandeurs d’asile d’établir les éléments essentiels de leur demande d’asile. Lorsqu’un demandeur d’asile jure que certaines allégations sont véridiques, il en découle une présomption qu’elles le sont sauf s’il y a lieu d’en douter (Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302, au par. 5). Il est toutefois possible de réfuter cette présomption lorsqu’il y a des raisons de conclure que le témoignage du demandeur manque de crédibilité (Ismaili c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 84, au par. 36 et Guven c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 38, aux par. 35 à 38).

[22]  En l’espèce, la SPR a soulevé trois préoccupations qui l’ont amenée à douter de la crédibilité du demandeur et de la véracité de ses allégations. En premier lieu, elle a conclu que le demandeur n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve crédibles et dignes de foi au sujet de l’agression perpétrée par des gangsters et qu’il était peu bavard au sujet t de l’incident. En deuxième lieu, elle a conclu que la conversation entre le demandeur et un responsable gouvernemental n’avait pas eu lieu parce que l’incident au cours duquel il aurait été agressé par des gangsters ne s’était pas produit. En troisième lieu, la SPR a conclu que le demandeur n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve crédibles et dignes de foi démontrant qu’il jouait un rôle de chef, ou qu’il était perçu comme jouant un rôle de chef dans le différend relatif aux expropriations.

[23]  À la lumière de ces préoccupations, j’estime qu’il était raisonnable que la SPR doute de la crédibilité du demandeur et de la véracité de ses allégations. L’appréciation par la SPR de la crédibilité du demandeur était raisonnable et la SPR a fourni des motifs clairs pour conclure que le demandeur n’était pas crédible. Je conviens avec le défendeur que les observations du demandeur ne font qu’exprimer son  désaccord quant au poids que la SPR a accordé aux éléments de preuve.

[24]  Je ne suis pas d’accord avec le demandeur quand il affirme que la SPR a appliqué un critère juridique incorrect pour l’appréciation du son risque de persécution auquel il est exposé en raison de ses opinions politiques pour s’être opposé à l’expropriation et au montant de compensation. J’estime que la SPR a conclu de façon raisonnable que les allégations formulées par le demandeur au sujet de ses activités politiques n’étaient pas crédibles et n’étaient pas étayées par un nombre suffisant  d’éléments de preuve.

[25]  Je ne souscris pas non plus aux affirmations du demandeur selon lesquelles il incombait à la SPR de mener une analyse séparée au titre  de l’article 97 de la LIPR. Il ressort clairement des motifs de la SPR que celle-ci a pris en compte cette disposition et le risque potentiel même si elle a conclu que le demandeur ne répondait pas au profil d’un chef défendant des opinions politiques (Arreaga c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 977 au par. 47).

VI.  Conclusion

[26]  Les motifs fournis par la SPR quant à sa décision voulant que le demandeur n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger possèdent les attributs de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité du processus décisionnel, et la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La demande de contrôle judiciaire du demandeur est donc rejetée.

[27]  Aucune partie n’a soumis de question à certifier au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR.


JUGEMENT dans le dossier IMM-5631-18

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée et qu’aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« Keith M. Boswell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 28e jour d’août 2019.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5631-18

 

INTITULÉ :

SHENG TENG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 JUIN 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BOSWELL.

 

DATE DES MOTIFS :

LE 31 JUILLET 2019

 

COMPARUTIONS :

Vanessa Leigh

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Nadine Silverman

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Lewis & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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