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Date : 20190722

Dossier : T-279-19

Référence : 2019 CF 963

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 juillet 2019

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

LA COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

demanderesse

et

GIBRALTAR MINES LTD.

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada [le CN] a présenté une requête écrite conformément au paragraphe 369(1) et à l’article 151 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles] afin que demeurent confidentiels certains renseignements et documents contenus dans son dossier de demande. Gibraltar Mines Ltd. [Gibraltar] s’oppose en partie à cette requête.

[2]  Pour les motifs exposés ci-après, la requête est accueillie, en partie.

I.  Contexte

[3]  Le CN demande le contrôle judiciaire de la décision de l’arbitre datée du 13 décembre 2018 dans le cadre d’une cause d’arbitrage sur l’offre finale (arbitrage) en vertu de la partie IV de la Loi sur les transports au Canada, LC 1996, c 10 [la LTC]. Le litige porte sur les tarifs-marchandises que la société Gibraltar paie au CN.

[4]  Lorsque l’affaire a été soumise à l’arbitre, Gibraltar a informé l’Office des transports du Canada, conformément à l’article 167 de la LTC, qu’elle souhaitait garder confidentielles toutes les questions relatives à l’arbitrage. Le CN préfère que les documents qui ont été considérés comme confidentiels pendant l’arbitrage demeurent confidentiels dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire.

[5]  Le CN a initialement déposé une requête en vue d’obtenir une ordonnance de confidentialité le 15 janvier 2019. Le 25 février 2019, le juge George Locke a rejeté la requête en soutenant que le législateur n’avait pas l’intention que l’article 167 de la LTC prenne effet dans les processus judiciaires ultérieurs qui pourraient découler de l’arbitrage : « Rien, dans le libellé de la disposition, ne prévoit un tel effet étendu, et le principe général de processus judiciaire ouvert et public devrait s’appliquer, à moins d’indication contraire » (Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c Gibraltar Mines Ltd., 2019 CF 225, par. 10 [CN c Gibraltar]).

[6]  La loi applicable a été résumée par le juge Locke dans l’arrêt CN c Gibraltar, aux paragraphes 12 à 15, et est reproduite ici pour en faciliter la consultation.

[7]  L’article 151 des Règles est ainsi libellé :

Requête en confidentialité

Motion for order of confidentiality

151 (1) La Cour peut, sur requête, ordonner que des documents ou éléments matériels qui seront déposés soient considérés comme confidentiels.

151 (1) On motion, the Court may order that material to be filed shall be treated as confidential.

Circonstances justifiant la confidentialité

Demonstrated need for confidentiality

(2) Avant de rendre une ordonnance en application du paragraphe (1), la Cour doit être convaincue de la nécessité de considérer les documents ou éléments matériels comme confidentiels, étant donné l’intérêt du public à la publicité des débats judiciaires.

(2) Before making an order under subsection (1), the Court must be satisfied that the material should be treated as confidential, notwithstanding the public interest in open and accessible court proceedings.

[8]  La Cour suprême du Canada a conclu au paragraphe 53 de l’arrêt Énergie atomique du Canada Limitée c Sierra Club du Canada, 2002 CSC 41 [Sierra Club] :

Une ordonnance de confidentialité en vertu de la règle 151 ne doit être rendue que si :

a)  elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important, y compris un intérêt commercial, dans le contexte d’un litige, en l’absence d’autres options raisonnables pour écarter ce risque;

b)  ses effets bénéfiques, y compris ses effets sur le droit des justiciables civils à un procès équitable, l’emportent sur ses effets préjudiciables, y compris ses effets sur la liberté d’expression qui, dans ce contexte, comprend l’intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires.

[9]  La Cour suprême du Canada a ajouté que « trois éléments importants » étaient compris dans le premier volet du critère :

  • a) le risque en cause doit être réel et important, en ce qu’il est bien étayé par la preuve et menace gravement l’intérêt commercial en question (Sierra Club, par. 54);

  • b) l’intérêt [commercial important] en question ne doit pas se rapporter uniquement et spécifiquement à la partie qui demande l’ordonnance de confidentialité; il doit s’agir d’un intérêt qui peut se définir en termes d’intérêt public à la confidentialité (Sierra Club, par. 55);

  • c) l’expression « autres options raisonnables » oblige le juge non seulement à se demander s’il existe des mesures raisonnables autres que l’ordonnance de confidentialité, mais aussi à restreindre l’ordonnance autant qu’il est raisonnablement possible de le faire tout en préservant l’intérêt commercial en question (Sierra Club, par. 57).

[10]  Le CN affirme que l’information qu’il cherche à protéger comprend des renseignements commercialement sensibles dont la divulgation publique pourrait nuire au CN et à Gibraltar. Il souligne que la Cour suprême du Canada a statué dans l’affaire Sierra Club que « la préservation de renseignements confidentiels est un intérêt commercial suffisamment important pour satisfaire au premier volet de l’analyse dès lors que certaines conditions relatives aux renseignements sont réunies » (par. 59). Le CN soutient également que les documents soumis au cours de l’arbitrage devraient être traités de façon confidentielle afin de préserver l’intégrité du processus et que les attentes des parties en matière de confidentialité devraient être respectées dans les procédures judiciaires ultérieures.

[11]  Le CN soutient qu’il n’existe aucune autre option raisonnable pour prévenir les risques associés à la divulgation publique des renseignements et des documents en question. Le CN affirme que les renseignements confidentiels sont très pertinents et qu’ils ne peuvent être transmis adéquatement au moyen de résumés publics. Le CN soutient donc que les effets bénéfiques de l’ordonnance demandée l’emportent sur les effets préjudiciables éventuels : l’ordonnance ne fera que maintenir les ententes de confidentialité préexistantes, et le refus de l’ordonnance entravera la capacité du CN de présenter correctement ses arguments.

[12]  Dans l’arrêt CN c Gibraltar, le juge Locke a conclu que la requête du CN visant à obtenir une ordonnance de confidentialité était prématurée et que le CN n’avait présenté aucune preuve pour satisfaire aux critères établis dans l’arrêt Sierra Club. Gibraltar a d’abord soutenu que la présente requête présentait des défauts similaires et que le CN n’avait fourni aucune preuve de préjudices « réels et importants » découlant de la divulgation des renseignements et des documents que le CN souhaitait garder confidentiels. Gibraltar a souligné qu’une grande partie des renseignements que le CN souhaitait garder confidentiels relevaient déjà du domaine public.

[13]  Gibraltar a néanmoins convenu que les renseignements et documents suivants devaient rester confidentiels dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire :

  • a) Contrat confidentiel de transport par le CN n538745-AA;

  • b) protocole d’entente daté du 15 juin 2016;

  • c) renvois aux tarifs-marchandises que Gibraltar paie au CN.

[14]  Conformément à une directive émise par la Cour le 31 mai 2019, le CN a déposé un dossier de demande confidentiel ainsi qu’un dossier public qui omet plusieurs documents que le CN estime devoir être considérés comme confidentiels. Le nombre de documents non divulgués au public a été considérablement réduit.

[15]  Le CN affirme que les autres documents qu’il souhaite garder confidentiels ne sont pas du domaine public et qu’ils contiennent des renseignements commercialement sensibles, notamment les tarifs-marchandises, les négociations et les détails des contrats. Le CN soutient que les risques que présente la divulgation de renseignements commercialement sensibles sont particulièrement réels et importants dans les petits marchés très concurrentiels, comme celui du transport ferroviaire de marchandises (citant Arkipelago Architecture Inc. c Enghouse Systems Limited, 2018 CAF 192, par. 11 et 16). Le CN souligne que la Cour a déjà statué que les ententes de règlement et les offres de règlement peuvent faire l’objet d’ordonnances de confidentialité [citant Lavigne c Canada (Commission des droits de la personne), 2010 CF 1038, par. 29, 31 et 32].

II.  Analyse

[16]  Les renseignements et documents en cause peuvent être divisés en trois catégories : A) les renseignements que les deux parties conviennent de garder confidentiels et qui satisfont au critère établi dans l’arrêt Sierra Club; B) les renseignements que seul le CN souhaite garder confidentiels et qui satisfont au critère établi dans l’arrêt Sierra Club; C) les renseignements que seul le CN souhaite garder confidentiels et qui peuvent satisfaire au critère établi dans l’arrêt Sierra Club, mais dont le caractère confidentiel devrait faire l’objet d’un nouvel examen après l’audition de la demande de contrôle judiciaire. Je traiterai tour à tour de chacune de ces catégories.

A.  Renseignements que les deux parties conviennent de garder confidentiels

[17]  Les parties conviennent que les renseignements suivants doivent demeurer confidentiels dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire :

  • a) Contrat confidentiel de transport par le CN n538745-AA;

  • b) protocole d’entente daté du 15 juin 2016;

  • c) renvois aux tarifs-marchandises que Gibraltar paie au CN.

[18]  Je suis convaincu que ces documents contiennent des renseignements commercialement sensibles qui satisfont au critère établi dans l’arrêt Sierra Club.

B.  Renseignements du CN qui répondent au critère établi dans l’arrêt Sierra Club

[19]  Je suis convaincu que les documents suivants contiennent des renseignements commercialement sensibles qui satisfont au critère établi dans l’arrêt Sierra Club et qui ne peuvent être facilement caviardés :

  • a) contrat de transport de CN;

  • b) document relatif aux « négociations » de Gibraltar;

  • c) mesure incitative liée au rendement et tableau des sanctions du CN concernant l’offre finale de Gibraltar.

C.  Renseignements qui pourraient satisfaire au critère établi dans l’arrêt Sierra Club, mais dont le caractère confidentiel devrait faire l’objet d’un nouvel examen après l’audition de la demande de contrôle judiciaire

[20]  Les documents suivants peuvent contenir des renseignements commercialement sensibles qui répondent au critère établi dans l’arrêt Sierra Club. Toutefois, ils contiennent également des renseignements factuels et des arguments qui seront inévitablement rendus publics dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire. Il est difficile de prédire avec précision la quantité de ces renseignements qui sera divulguée dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire et la quantité qui, en fin de compte, sera sans intérêt dans le cadre de l’instance. Pour cette raison, la confidentialité de ces documents devrait être maintenue pour le moment, mais leur caractère confidentiel devrait être examiné de nouveau par les parties et le juge président à la fin de l’audition de la demande de contrôle judiciaire :

  • a) transcription de l’audience;

  • b) sommaire des renseignements et des arguments du CN;

  • c) sommaire des renseignements et des arguments de Gibraltar;

  • d) plaidoyer final du CN;

  • e) demande de radiation du CN;

  • f) réponse de Gibraltar à la demande de radiation;

  • g) réponse du CN à la réponse de Gibraltar à la demande de radiation;

  • h) mémoire des faits et du droit du CN au sujet du contrôle judiciaire;

  • i) tous les autres documents qui ne figurent pas dans le dossier public de demande du CN et qui ne sont pas expressément énumérés dans les présents motifs.

[21]  Enfin, la décision de l’arbitre qui fait l’objet de la demande de contrôle judiciaire ne contient aucun renseignement confidentiel par application d’une loi. Selon l’alinéa 167b) de la LTC, « les motifs des décisions donnés en application du paragraphe 165(5) ne peuvent faire état des renseignements que les parties à un contrat sont convenues de garder confidentiels ». Un examen rapide de la décision de l’arbitre confirme qu’elle ne contient aucun renseignement qui peut être considéré comme commercialement sensible.


ORDONNANCE

LA COUR STATUE que :

  1. La requête de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada [le CN] visant à maintenir le caractère confidentiel de certains renseignements et documents contenus dans son dossier de demande est accueillie en partie.

  2. Les documents suivants doivent demeurer confidentiels :

  • a) contrat de transport de CN;

  • b) document relatif aux « négociations » de Gibraltar;

  • c) mesure incitative liée au rendement et tableau des sanctions du CN concernant l’offre finale de Gibraltar.

  1. Sauf ordonnance contraire de la Cour, les documents suivants doivent demeurer confidentiels jusqu’à la conclusion de l’audition de la demande de contrôle judiciaire, et à ce moment, le caractère confidentiel des documents sera examiné de nouveau par les parties et le juge président :

  • a) transcription de l’audience;

  • b) sommaire des renseignements et des arguments du CN;

  • c) sommaire des renseignements et des arguments de Gibraltar;

  • d) plaidoyer final du CN;

  • e) demande de radiation du CN;

  • f) réponse de Gibraltar à la demande de radiation;

  • g) réponse du CN à la réponse de Gibraltar à la demande de radiation;

  • h) mémoire des faits et du droit du CN au sujet du contrôle judiciaire;

  • i) tous les autres documents qui ne figurent pas dans le dossier public de demande du CN et qui ne sont pas expressément énumérés dans la présente ordonnance.

  1. La décision de l’arbitre doit être divulguée dans le dossier public de demande du CN.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 30e jour de juillet 2019.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-279-19

INTITULÉ :

COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA c GIBRALTAR MINES LTD.

REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE À OTTAWA (ONTARIO), CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

LE 22 JUILLET 2019

COMPARUTIONS :

Douglas C. Hodson, c.r.

POUR LA demanderesse

Louis J. Zivot

POUR LA défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MLT Aikins

Avocats

Saskatoon (Saskatchewan)

POUR LA demanderesse

McMillan LLP

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LA défenderesse

 

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