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Date : 20190711


Dossiers : T-1527-18

T-1529-18

Référence : 2019 CF 921

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 juillet 2019

En présence de monsieur le juge Barnes

T-1527-18

ENTRE :

CELGENE INC. ET

CELGENE CORPORATION

 

demanderesses

(défenderesses reconventionnelles)

et

NATCO PHARMA (CANADA) INC.

 

défenderesse

(demanderesse reconventionnelle)

T-1529-18

ET ENTRE :

CELGENE INC. ET

CELGENE CORPORATION

 

demanderesses

(défenderesses reconventionnelles)

et

NATCO PHARMA (CANADA) INC.

 

défenderesse

(demanderesse reconventionnelle)

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une requête présentée par Natco Pharma (Canada) Inc. [Natco] visant à obtenir une ordonnance enjoignant aux demanderesses (collectivement, Celgene) de produire les transcriptions des dépositions de deux des inventeurs nommés dans les brevets faisant l’objet du présent litige. Ces transcriptions contiennent les témoignages livrés par Messieurs George Muller et Markian Jaworsky dans le litige en matière de brevets intenté aux États‑Unis, dans lequel la validité de brevets connexes américains est contestée.

[2]  La présente requête constitue la deuxième fois que Natco demande la production de ces transcriptions. Plus tôt cette année, la requête de Natco en vue de la production de cette preuve a été rejetée par la juge Martha Milczynski, responsable de la gestion de l’instance, pour les motifs suivants :

[traduction]

En ce qui concerne l’alinéa 1d), Natco a sollicité la production de nombreux documents provenant d’une instance tenue aux États‑Unis, notamment des affidavits, des transcriptions de dépositions, des contre‑interrogatoires, des déclarations de témoins et des transcriptions d’audience. Cette demande a été limitée, lors de l’audition de la requête, aux dépositions et aux transcriptions des auditions des inventeurs nommés ayant participé à l’action américaine (trois sur les brevets relatifs aux formes cristallines/polymorphes et un sur le brevet d’utilisation). Natco soutient qu’il est « raisonnable de supposer » que ces documents seront liés au processus de développement des brevets relatifs aux formes cristallines/polymorphes et aux inventions revendiquées. Au paragraphe 54 de ses observations écrites, Natco affirme que les transcriptions et affidavits demandés « serviront à amener les parties à se concentrer sur les questions litigieuses et à simplifier le processus d’interrogatoire préalable »; et que cette production réduira le dédoublement inutile des questions déjà examinées dans les instances antérieures. Il est toutefois difficile de comprendre comment il pourrait en être ainsi. Celgene a souligné les éléments suivants, auxquels je souscris :

  les inventeurs seront interrogés dans la présente instance et aux seules fins de celle‑ci;

  on ne peut pas estimer d’emblée qu’un brevet étranger « correspond » à un brevet canadien;

  il y a des différences dans l’interprétation des revendications, ce qui est une question de droit;

  les admissions faites dans un litige à l’étranger expressément pour celui‑ci ne peuvent pas être invoquées dans une instance au Canada;

  les témoignages livrés dans un procès et les dépositions y afférentes ne peuvent être utilisés que pour mettre un témoin en accusation au procès et, à ce titre, il n’est pas nécessaire de les produire lors de l’interrogatoire préalable;

  tout interrogatoire préalable provenant d’une autre instance est assujetti à l’engagement implicite.

Vu ce qui précède, je ne suis pas convaincue que les documents demandés provenant de l’instance tenue aux États‑Unis sont pertinents et admissibles aux fins de la présente action. Cette partie de la requête est rejetée.

[3]  Aucun appel n’a été intenté à l’encontre de la décision susmentionnée, et Celgene soutient qu’en raison de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, la question ne peut pas faire l’objet d’un autre litige. Celgene soutient également que les témoignages livrés à l’étranger ne sont pas admissibles en l’espèce et que, dans tous les cas, la requête n’est rien d’autre qu’une [traduction« recherche à l’aveuglette ». Celgene reconnaît que ce témoignage antérieur pouvait être utilisé pour entraîner la mise en accusation d’une personne qui témoigne dans la présente instance, mais affirme que le témoignage visé n’est pas admissible en soi. Par conséquent, si l’un de ces inventeurs comparaissait en tant que témoin au procès, il serait loisible à la Cour d’ordonner la production du témoignage antérieur à ce moment‑là, et à cette seule fin.

[4]  Pour sa part, Natco reconnaît que des questions d’admissibilité peuvent découler de cette preuve. Toutefois, elle affirme que les déclarations factuelles des inventeurs peuvent l’aider dans sa préparation en vue du procès.

[5]  Bien que Natco reconnaisse que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée constitue à première vue un obstacle à la mesure demandée, elle soutient que la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire résiduel pour en ordonner la production. La principale justification à cet égard proviendrait de la réserve émise par la juge responsable de la gestion de l’instance, selon laquelle chacun des inventeurs était, à l’époque, soumis à un interrogatoire en cours dans la présente instance. Il semble que cette attente a été déconsidérée de manière importante par l’incapacité actuelle de M. Muller à témoigner pour des raisons médicales, et la mémoire « défaillante » de M. Jaworsky.

[6]  Je ne suis pas convaincu que, dans les présentes circonstances, la Cour devrait effectivement infirmer la décision antérieure de la juge responsable de la gestion de l’instance sur cet élément. Même si un inventeur peut être soumis à un interrogatoire en vertu du paragraphe 237(4) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, la portée de ce paragraphe n’englobe pas à la production de la preuve fournie dans une action intentée à l’étranger. L’admissibilité d’un document n’est pas déterminante pour trancher la question de savoir si celui‑ci doit être divulgué, mais le caractère pertinent du document doit tout de même être démontré. Ce type de preuve a été jugé non pertinent et généralement inutile à l’étape de l’interrogatoire préalable : voir La Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2015 CF 1292, aux par. 91 à 95, 261 ACWS (3d) 57, et Apotex Inc. c Sanofi‑Aventis, 2011 CF 52, au par. 66, [2011] ACF no 402.

[7]  Je ne suis pas non plus convaincu que l’incapacité de M. Muller à témoigner, et la mémoire défaillante de M. Jaworsky constituent un changement suffisant de circonstances pour ne pas appliquer la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. Le dossier révèle que Natco savait, avant le dépôt de la requête précédente, que M. Muller n’était pas disposé à témoigner dans la présente affaire, de sorte que son interrogatoire était improbable. Sur preuve d’une incapacité médicale lors du procès, il serait loisible à Natco de demander la présentation du témoignage antérieur de M. Muller pour cause de nécessité, mais nous n’en sommes manifestement pas là. D’après le dossier dont je dispose, je ne suis pas non plus convaincu que M. Jaworsky se soit montré évasif, en particulier parce que les faits en question remontent à de nombreuses années et que, avant la précédente requête, il avait informé les avocats qu’il n’avait aucune connaissance ni information pertinente à l’espèce.

[8]  Bien que Natco conteste la qualité de la preuve canadienne de M. Muller, il s’agit là d’un problème auquel de nombreux plaideurs sont exposés. Compte tenu de l’ordonnance précédente de la juge Milczynski, cela ne constitue pas un motif justifiant d’autoriser la production du témoignage livré à l’étranger.

[9]  Pour les motifs susmentionnés, la présente requête est rejetée et des dépens de 3 000 $ sont payables à Celgene, quelle que soit l’issue de la cause.


ORDONNANCE DANS LES DOSSIERS T‑1527‑18 ET T‑1529‑18

LA COUR ORDONNE : la présente requête est rejetée; des dépens de 3 000 $ sont payables à Celgene, quelle que soit l’issue de la cause.

« R.L. Barnes »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 29e jour de juillet 2019.

L. Endale, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DoSSIERS :

T-1527-18

T-1529-18

 

INTITULÉ :

CELGENE INC. ET CELGENE CORPORATION c NATCO PHARMA (CANADA) INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 JUIN 2019

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE BARNES

 

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

LE 11 JUILLET 2019

 

COMPARUTIONS :

Jeremy Want

Abigail Smith

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Johnathan Stainsby

Bryan Norrie

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Smart & Biggar

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Aitken Klee LLP

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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