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Date : 20190729


Dossier : IMM-488-19

Référence : 2019 CF 1017

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 29 juillet 2019

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

KWAN YING WONG

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Madame Kwan Ying Wong, la demanderesse, sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 4 janvier 2019 par une agente d’immigration (l’agente), qui a rejeté la demande de résidence permanente que Mme Wong a présentée au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada.

[2]  Pour les motifs exposés ci‑dessous, la demande de Mme Wong sera accueillie.

II.  Le contexte

[3]  Mme Wong, une citoyenne chinoise, et M. Walter Scott, un citoyen canadien, se sont rencontrés en juillet 2010, et se sont mariés le 5 août 2011. Le 7 décembre 2016, Mme Wong a présenté une troisième demande de résidence permanente, à titre d’épouse, et, le 8 septembre 2017, Mme Wong et M. Scott ont été interviewés à Vancouver, d’abord séparément, et ensuite ensemble. Mme Wong a eu droit à l’assistance d’un interprète cantonais pendant son entrevue individuelle. L’agente a posé des questions sur les membres de leurs familles, sur leur situation financière, sur les voyages de Mme Wong à Hong Kong, et sur leur vie au quotidien. Selon les notes prises par l’agente pendant l’entrevue, l’unique question concernant le début de leur relation et leur intention, à ce moment‑là, portait sur la réaction de la famille de M. Scott à leur mariage (Dossier certifié du tribunal, p. 17 à 49). L’agente a néanmoins conclu l’entrevue et avisé les époux qu’il [traduction« semblerait que le présent mariage visait principalement à faciliter l’immigration [de Mme Wong] au Canada » (Dossier certifié du tribunal, p. 49).

[4]  Le 4 janvier 2019, l’agente a rejeté la demande de Mme Wong. L’agente a décidé que Mme Wong n’avait pas démontré qu’elle s’était conformée aux exigences de l’alinéa 4(1)a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le Règlement] et qu’elle n’était pas une personne décrite à l’article 4 du Règlement. L’article 4 du Règlement dispose que l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas : a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi; b) n’est pas authentique. Par conséquent, selon la lettre de refus, et bien qu’elle n’ait pas abordé cette question dans ses motifs, l’agente a décidé, entre autres, que le mariage de Mme Wong visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi.

[5]  Le 22 janvier 2019, Mme Wong a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de l’agente.

III.  Les arguments des parties

[6]  Mme Wong soutient que la décision de l’agente est déraisonnable, parce que celle‑ci avait une idée préconçue de ce à quoi une relation maritale devrait ressembler. Elle soutient aussi que les motifs rendus par l’agente étaient inintelligibles, arbitraires et irrationnels parce que : (1) la raison pour laquelle l’agente a accordé de l’importance à certains éléments de preuve et non pas à l’abondante preuve de la cohérence entre les réponses de Mme Wong et de M. Scott n’était pas évidente; (2) l’agente se contredit lorsqu’elle reconnaît que les époux n’ont pas d’activités sociales régulières avec leurs amis et leur famille, mais conclut néanmoins qu’il est déraisonnable que Mme Wong n’ait pas une très bonne connaissance des amis de son époux; (3) l’agente n’énonce pas clairement comment l’absence de communication fréquente entre M. Scott et la fille de Mme Wong illustre un manque d’engagement mutuel à une vie en commun; (4) l’agente n’explique pas ce qu’est une [traduction« véritable dépendance émotionnelle d’interaction »; (5) la manière dont l’agente a posé ses questions manquait de clarté et de précision; (6) l’agente a effectué un interrogatoire inapproprié.

[7]  Mme Wong ajoute que la décision de l’agente est inintelligible parce que, même si l’agente a invoqué en particulier l’alinéa 4(1)a) du Règlement et a avisé les époux, à la fin de l’entrevue, que cette disposition semblait être le facteur déterminant, elle n’a pas consacré de temps à les interviewer relativement à leur intention de se marier, et elle n’a pas non plus fourni d’analyse de l’alinéa 4(1)a) dans ses motifs.

[8]  Mme Wong soutient qu’elle a été traitée de manière inéquitable parce que : (1) les époux ont été interviewés le 8 septembre 2017, et la décision a été rendue 16 mois plus tard, le 4 janvier 2019; (2) ils n’ont reçu aucune réponse substantielle à leurs questions visant à connaître le statut de leur demande; (3) aucune occasion ne leur a été accordée de présenter des renseignements à jour; (4) l’agente a élevé la voix pendant l’interrogatoire, a exercé de la pression sur elle, et ne lui a pas accordé de pause; (5) l’agente a eu une méthode mécaniste pour traiter l’affaire; (6) l’agente manquait d’expérience, et elle a failli au respect des normes de pratique.

[9]  Le ministre répond que le paragraphe 4(1) du Règlement prévoit deux critères distincts et que, dans le cadre du contrôle judiciaire, le demandeur doit démontrer que l’agent n’a pas pris en compte les deux volets du critère afin d’établir l’existence d’une erreur susceptible de contrôle (Onwubolu c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 19, aux par. 13 et 15 [Onwubolu]; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1077, aux par. 20 et 29; Sandhu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1061, au par. 24).

[10]  Le ministre ajoute que la décision de l’agente est raisonnable et reflète sa prise en compte et son évaluation de l’ensemble de la preuve. Le ministre fait observer qu’un contrôle judiciaire n’est pas une chasse aux erreurs, phrase par phrase, et que tous les arguments de Mme Wong ont trait au poids que l’agente a accordé à certains éléments de preuve.

[11]  Le ministre ajoute aussi que la décision de l’agente [traduction« était équitable sur le plan procédural » (Mémoire supplémentaire des arguments du défendeur, au par. 36) : l’agente n’a présenté aucune observation supplémentaire sur l’échéancier de la décision, après l’entrevue; l’agente n’avait aucune obligation de rendre une décision dans un délai précis; Mme Wong n’a pas démontré que le retard lui a causé un préjudice. Le ministre ajoute que l’agente a aussi traité Mme Wong de manière équitable lors de l’entrevue : l’agente n’a pas élevé la voix; Mme Wong a eu droit à une pause et n’a demandé aucune pause (affidavit de Parveen Sandhu, souscrit le 23 mai 2019, au par. 9); les questions n’étaient pas inattendues, étant donné que Mme Wong avait eu des entrevues semblables dans le passé.

IV.  La norme de contrôle

[12]  En ce qui concerne les questions d’équité procédurale, la Cour doit se demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, au par. 54).

[13]  La norme de contrôle applicable à la conclusion qu’un mariage n’est pas authentique ou qu’il visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège à des fins d’immigration est celle de la décision raisonnable (Al Mousawmaii c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1256, au par. 12 [Al Mousawmaii]; Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 840, au par. 8).

[14]  Lorsqu’elle procède à un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la Cour se demande si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit et si le processus décisionnel est justifié, transparent et intelligible (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 47).

V.  Discussion

[15]  La question déterminante en l’espèce a trait au caractère raisonnable de la décision de l’agente. Comme cela permet de trancher la demande, il n’est pas nécessaire que la Cour examine les arguments avancés par Mme Wong concernant l’équité procédurale.

[16]  Le paragraphe 4(1) du Règlement dispose que l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas : a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi; b) n’est pas authentique.

[17]  Il est bien établi que ce critère est disjonctif et qu’il comprend une distinction temporelle. L’alinéa 4(1)a) renvoie à une évaluation de l’intention des époux au moment du mariage, tandis que l’alinéa 4(1)b) renvoie à l’authenticité du mariage au moment présent (Al Mousawmaii, au par. 25; Ferraro c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 22, au par. 13; Onwubolu, au par. 14).

[18]  À la fin de l’entrevue, l’agente a avisé Mme Wong et M. Scott qu’il semblerait que leur mariage visait principalement à faciliter l’immigration de Mme Wong au Canada, mais pendant l’entrevue, elle n’a pas interrogé les époux quant à leur intention initiale, comme cela ressort des notes qu’elle a prises pendant l’entrevue.

[19]  Dans les motifs de sa décision, l’agente a uniquement fait référence aux aspects relatifs à l’authenticité du mariage, et, nulle part, elle n’a abordé la question de l’intention des parties au moment de leur mariage. Pour l’essentiel, elle a déclaré : (1) que les incohérences importantes dans les réponses des époux l’ont amenée à conclure que le mariage n’était pas authentique, et que cela soulevait des préoccupations relativement à la crédibilité globale des époux; (2) qu’il était [traduction« déraisonnable qu’un couple dont le mariage est authentique fournisse de telles réponses divergentes »; (3) que l’absence de connaissances du parrain quant à la situation financière de Mme Wong n’exprimait pas la bonne foi de la relation; (4) que la demanderesse et son parrain n’avaient pas été en mesure de fournir beaucoup de renseignements afin de démontrer une véritable interaction ou dépendance émotionnelle.

[20]  Dans sa lettre de refus, l’agente a déclaré que Mme Wong n’avait pas démontré qu’elle satisfaisait aux exigences de l’alinéa 4(1)a) du Règlement, c’est-à-dire que le mariage ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi.

Bien que l’agente n’ait pas examiné l’intention des parties au moment de leur mariage, elle a néanmoins clairement conclu que Mme Wong n’avait pas satisfait aux exigences de l’alinéa 4(1)a). Cela rend la décision inintelligible et ne satisfait pas à la norme de la décision raisonnable énoncée dans l’arrêt Dunsmuir.


JUGEMENT dans le dossier IMM-488-19

LA COUR STATUE que la demande est accueillie, la décision est infirmée, et le dossier est renvoyé à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision. Aucune question n’est certifiée.

« Martine St‑Louis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 13e jour d’août 2019

Julie Blain McIntosh


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-488-19

INTITULÉ :

KWAN YING WONG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie‑Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 25 juillet 2019

Jugement et motifS :

La juge ST‑LOUIS

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 29 juillet 2019

COMPARUTIONS :

Dean D. Pietrantonio

Pour la demanderesse

Tasneem Karbani

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocat

Vancouver (Colombie‑Britannique)

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

Pour le défendeur

 

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