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Date : 20190726


Dossier : T-1355-18

T-1357-18

Référence : 2019 CF 996

Ottawa (Ontario), le 26 juillet 2019

En présence de monsieur le juge Annis

Dossier : T-1355-18

ENTRE :

GAÉTANE CYR

demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

Dossier : T-1357-18

ENTRE :

JEAN-CLAUDE MARTIN

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Contexte

[1]  Aujourd’hui, les demandeurs, Monsieur Jean-Claude Martin et Madame Gaétane Cyr, sont des conjoints de fait.

[2]  Chacun demande le contrôle judiciaire d’une décision de réexamen rendue par le Ministre de l’Emploi et du Développement social [Ministre] en date du 14 juin 2018. Le Ministre a rejeté leurs demandes de faire remise des dettes qu’ils doivent au Ministre suite aux trop-payés de leurs suppléments de revenu garanti [SRG] entre la période de juillet 2012 à janvier 2018.

[3]  Dans les décisions initiales du 22 janvier 2018, le Ministre informe chacun des demandeurs qu’ils avaient erronément reçu des prestations de SRG comme personne vivant seule alors qu’ils vivaient en union de fait entre la période de juillet 2012 à janvier 2018, soit un plus-payé de 16 325,99 $ à M. Martin et un plus-payé de 22 077,04 $ à Mme Cyr. À cet effet, le Ministre a donc informé M. Martin qu’il récupérera 136,05 $ de son paiement de SRG mensuel tandis qu’il récupérera 183,98 $ $ du paiement mensuel de Mme Cyr, dans les deux cas à partir du mois de juillet 2018.

[4]  Dans leur mémoire de fait et de droit, M. Martin et Mme Cyr demandent à la Cour de casser les décisions de réexamen du 14 juin 2018, déclarer qu’ils ont satisfait à leur obligation d’informer le Ministre du changement d’état civil, déclarer que la dette résulte d’une erreur administrative du Ministre, et de renvoyer la décision au Ministre pour reconsidération de la demande de remise.

[5]  Sur consentement, la Cour a ordonné que les demandes de contrôle judiciaire des deux décisions du Ministre soient réunies et instruites conjointement en vertu de l’article 105 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (le dossier T-1355-18 concerne Mme Cyr et le dossier T-1357-18 concerne M. Martin).

[6]  Pour les raisons qui suivent, la Cour est d’avis que le Ministre a exercé sa discrétion de manière raisonnable et la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[7]  Il y a lieu de faire quelques précisions à l’égard du cadre législatif applicable avant d’aborder le fond de cette affaire.

[8]  D’abord, selon les paragraphes 12(5) et 12(6) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, LRC 1985, c O-9 [LSV], un SRG est déterminé, entre autres, en fonction du revenu annuel du pensionné ainsi que son état civil. Le SRG est essentiellement une prestation supplémentaire pour des pensionnés à faible revenu qui sont déjà éligibles à une pension de sécurité de la vieillesse.

[9]  C’est aussi important de comprendre que, selon la LSV, la notion de conjoint de fait est définie de la manière suivante: « La personne qui, au moment considéré, vit avec la personne en cause dans une relation conjugale depuis au moins un an. »

[10]  D’ailleurs, selon les paragraphes 15(1) et 15(9) de la LSV, un pensionné à l’obligation d’informer le Ministre de tout changement à son état civil:

15 (1) Le demandeur doit, dans sa demande de supplément pour une période de paiement, déclarer s’il a un époux ou conjoint de fait ou s’il en avait un au cours de la période de paiement ou du mois précédant le premier mois de la période de paiement et, s’il y a lieu, doit également indiquer les nom et adresse de son époux ou conjoint de fait et déclarer si, à sa connaissance, celui-ci est un pensionné.

15 (1) Every person by whom an application for a supplement in respect of a payment period is made shall, in the application, state whether the person has or had a spouse or common-law partner at any time during the payment period or in the month before the first month of the payment period, and, if so, the name and address of the spouse or common-law partner and whether, to the person’s knowledge, the spouse or common-law partner is a pensioner.

[…]

(9) Le demandeur qui devient l’époux ou conjoint de fait d’une autre personne, cesse d’avoir un époux ou conjoint de fait ou s’en sépare est tenu d’en informer le ministre sans délai.

(9) Every applicant shall inform the Minister without delay if they separate from, or cease to have, a spouse or common-law partner, or if they had a spouse or common-law partner at the beginning of a month, not having had a spouse or common-law partner at the beginning of the previous month.

[Je souligne.]

[My emphasis.]

[11]  D’ailleurs, l’article 16 du Règlement sur la sécurité de la vieillesse, CRC, c 1246 [Règlement] prévoit la manière dont le demandeur d’une prestation doit informer le Ministre qu’il est en union de fait si le Ministre n’a pas reçu suffisamment de preuves ou renseignements :

16 Si le ministre n’a pas reçu suffisamment de preuves ou de renseignements à l’appui d’une demande de prestation pour déterminer la relation entre le demandeur et son époux ou conjoint de fait, le demandeur ou son représentant doit permettre au ministre d’avoir accès aux documents suivants :

16 If the Minister has not received sufficient evidence or information in support of an application to determine the relationship between the applicant and their spouse or common-law partner, the applicant or their representative shall allow the Minister access to the following documents:

[…]

b) dans le cas de conjoints de fait :

(b) in the case of common-law partners,

(i) d’une part, une déclaration solennelle contenant les renseignements relatifs à la relation entre les conjoints de fait,

(i) a statutory declaration setting out information as to the relationship of the common-law partners, and

(ii) d’autre part, toute autre preuve de la relation entre les conjoints de fait.

(ii) other evidence of the relationship.

[Je souligne.]

[My emphasis.]

[12]  Finalement, bien qu’un montant trop-perçu par un pensionné devienne une créance de Sa Majesté la Reine, le Ministre retient le pouvoir discrétionnaire de faire remise de la dette dans les circonstances prévue par la LSV:

37 (1) Le trop-perçu — qu’il s’agisse d’un excédent ou d’une prestation à laquelle on n’a pas droit — doit être immédiatement restitué, soit par remboursement, soit par retour du chèque.

37 (1) A person who has received or obtained by cheque or otherwise a benefit payment to which the person is not entitled, or a benefit payment in excess of the amount of the benefit payment to which the person is entitled, shall forthwith return the cheque or the amount of the benefit payment, or the excess amount, as the case may be.

(2) Le trop-perçu constitue une créance de Sa Majesté dont le recouvrement peut être poursuivi en tout temps à ce titre devant la Cour fédérale ou tout autre tribunal compétent, ou de toute autre façon prévue par la présente loi.

(2) If a person has received or obtained a benefit payment to which the person is not entitled, or a benefit payment in excess of the amount of the benefit payment to which the person is entitled, the amount of the benefit payment or the excess amount, as the case may be, constitutes a debt due to Her Majesty and is recoverable at any time in the Federal Court or any other court of competent jurisdiction or in any other manner provided by this Act.

[…]

(4) Malgré les paragraphes (1), (2) et (3), le ministre peut, sauf dans les cas où le débiteur a été condamné, aux termes d’une disposition de la présente loi ou du Code criminel, pour avoir obtenu la prestation illégalement, faire remise de tout ou partie des montants versés indûment ou en excédent, s’il est convaincu :

(4) Notwithstanding subsections (1), (2) and (3), where a person has received or obtained a benefit payment to which that person is not entitled or a benefit payment in excess of the amount of the benefit payment to which that person is entitled and the Minister is satisfied that

a) soit que la créance ne pourra être recouvrée dans un avenir suffisamment rapproché;

(a) the amount or excess of the benefit payment cannot be collected within the reasonably foreseeable future,

b) soit que les frais de recouvrement risquent d’être au moins aussi élevés que le montant de la créance;

(b) the administrative costs of collecting the amount or excess of the benefit payment are likely to equal or exceed the amount to be collected,

c) soit que le remboursement causera un préjudice injustifié au débiteur;

(c) repayment of the amount or excess of the benefit payment would cause undue hardship to the debtor, or

d) soit que la créance résulte d’un avis erroné ou d’une erreur administrative survenus dans le cadre de l’application de la présente loi.

(d) the amount or excess of the benefit payment is the result of erroneous advice or administrative error in the administration of this Act, the Minister may, unless that person has been convicted of an offence under any provision of this Act or of the Criminal Code in connection with the obtaining of the benefit payment, remit all or any portion of the amount or excess of the benefit payment.

[Je souligne.]

[My emphasis.]

[13]  Normalement, un réexamen administratif du Ministre sera porté en appel devant le Tribunal de la sécurité sociale (Section de la sécurité du revenu) [Tribunal]. Cependant, dans le cadre d’une décision portant sur le pouvoir discrétionnaire du Ministre prévu au paragraphe 37(4) de la LSV, il faut déposer une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale, telle que faite par les demandeurs en l’espèce, parce que le Tribunal n’est pas compétent pour statuer en appel d’une telle décision (Nanka c Canada (Procureur général), 2018 CF 959 au para 10; Canada (Ministre du développement des ressources humaines) c Tucker, 2003 CAF 278 aux para 11-15).

[14]  Maintenant que le cadre législatif est bien cerné, il convient de reproduire les faits sous-jacents des deux demandes de contrôle judiciaire.

II.  Les faits

[15]  M. Martin et Mme Cyr sont des pensionnés nés en 1945.

[16]  En avril 2006, le mari de Mme Cyr décède. Elle dépose une demande d’allocation au survivant en septembre 2006 et une demande de prestation en vertu de la LSV (allocation aux conjointes veuves) le 3 décembre 2008. Mme Cyr reçoit un SRG depuis le mois de mai 2009 en tant que personne célibataire.

[17]  M. Martin a déposé sa première demande de pension de la sécurité de vieillesse [PSV] le 11 mai 2010 dans laquelle il indique être divorcé. M. Martin reçoit un SRG depuis le mois de mars 2011 en tant que personne célibataire.

[18]  Les demandeurs affirment qu’ils ont débuté leur vie commune en août 2010 à la résidence de M. Martin.

[19]  Selon leurs affidavits produits au soutien de leurs demandes de contrôle judiciaire, Mme Cyr a parlé avec une agente de Service Canada au téléphone afin de l’aviser du changement à son état civil vers le début de leur vie commune en août 2010. Cependant, l’agente l’a informée qu’elle n’avait aucune démarche à suivre pendant la première année de leur vie commune. M. Martin affirme qu’il a effectué un deuxième appel le 26 novembre 2010 et a fourni le numéro d’assurance sociale de Mme Cyr à l’agente au téléphone. M. Martin affirme que selon agente, cela était suffisant.

[20]  Le défendeur ne conteste pas le fait que M. Martin a contacté Service Canada en novembre 2010 afin d’indiquer qu’il soit en couple avec Mme Cyr.

[21]  Peu de temps après, Service Canada a envoyé un formulaire de déclaration solennelle d’union de fait à M. Martin afin de déterminer l’état civil des demandeurs. Ce formulaire n’a jamais été retourné, puisque les demandeurs affirment qu’ils n’ont jamais reçu le formulaire envoyé par le Ministre suite à l’appel de novembre 2010.

[22]  Le 10 juin 2013, Mme Cyr a déposé une nouvelle demande de PSV dans laquelle elle a coché une case indiquant que son état civil actuel était « Époux ou conjoint de fait survivant » au lieu de la case « Conjoint de fait ».

[23]  Suite à une enquête en octobre 2016, Service Canada envoie une lettre aux demandeurs indiquant que l’état civil inscrit au formulaire est différent de celui déclaré à l’Agence de revenu du Canada [ARC] et demande à ce qu’ils remplissent les formulaires afin de déterminer leur admissibilité au SRG. Les demandeurs ont rempli le formulaire et ont déclaré qu’ils sont en union de fait depuis le 1er juillet 2011.

[24]  Suite à la demande de Service Canada le 28 novembre 2016, les demandeurs envoient une « déclaration solennelle de conjoint de fait » le 1er décembre 2016 signée par M. Martin et Mme Cyr.

[25]  Par la suite, le 22 janvier 2018, le Ministre détermine que les demandeurs ont reçu un trop-payé de leurs SRG entre la période de juillet 2012 à janvier 2018, soit 22 077,04 $ pour Mme Cyr et 16 325,99 $ pour M. Martin. En effet, le paiement mensuel de la SRG dû à chaque demandeur (normalement 915,14 $ par mois) sera baissé par 183,98 $ pour Mme Cyr et par 136,05 $ pour M. Martin, et ce à partir du mois de mars 2018.

[26]  Le 1er février 2018, les demandeurs demandent le réexamen administratif des décisions du 22 janvier 2018 dans une lettre conjointe. Ils soutiennent qu’ils ne devraient pas rembourser les trop-perçus parce qu’ils ont informé l’ARC ainsi que Service Canada (au téléphone) du changement à leur état civil. D’ailleurs, ils ont soumis qu’ils n’ont jamais été informés qu’ils devraient aviser Service Canada du changement par écrit.

[27]  Le 16 mars 2018, le procureur des demandeurs dépose une demande auprès du Ministre afin de recevoir les documents et notes consignés dans le cadre de l’enquête précédant la décision initiale du Ministre. Le procureur demande aussi que le Ministre suspende l’exécution de la décision du 22 janvier 2018. Le 23 avril 2018, le Ministre transmet les notes contemporaines consignées au dossier de chaque demandeur. Les notes sont au dossier certifié du tribunal.

[28]  Le 14 juin 2018, le Ministre rejette les deux demandes de réexamen. Le Ministre remarque que selon le paragraphe 15(9) de la LSV, les demandeurs étaient tenus d’informer le Ministre du changement à leur état civil sans délai. Selon le Ministre, depuis le mois de juillet 2003, chaque prestataire de SRG est avisé chaque année de communiquer les changements à leur état civil ou à leur revenue, les deux étant prises en compte afin de calculer le montant du SRG. Cet avis informe le prestataire de son état civil actuel.

[29]  Dans la décision concernant M. Martin, le Ministre remarque son argument qu’il a avisé le Ministre le 26 novembre 2010 du changement à son état civil et que cela et confirmé par le relevé des notes au dossier de Service Canada; cependant, il est indiqué qu’un formulaire d’union de fait a été expédié à ce moment-là, et que Service Canada n’a jamais reçu ce formulaire. Pour les deux demandeurs, le Ministre rejette leur argument qu’ils ont signalé le changement de leur état civil à l’ARC. Les informations de l’ARC sont transmises électroniquement vers leurs systèmes informatiques sans identifier les clients pour lesquels il y a eu un changement d’état civil.

[30]  Le 13 juillet 2018, chacun des demandeurs a déposé un avis de demande de contrôle judiciaire à l’encontre de cette décision en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7.

III.  Analyse

[31]  Les demandeurs présentent un argument à deux volets. D’abord, ils ont satisfait à leur obligation d’aviser le Ministre des changements à leur état civil en vertu du paragraphe 15(9) de la LSV. D’ailleurs, la créance du Ministre résulte d’une erreur administrative et le Ministre a déraisonnablement refusé d’accorder une remise de sa créance en vertu de l’alinéa 37(4)d) de la LSV. Pour ces raisons, le Ministre n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de manière raisonnable.

[32]  Les demandeurs reconnaissent que selon la jurisprudence, le fait d’informer l’ARC d’un changement à l’état civil est insuffisant pour satisfaire l’obligation prévue au paragraphe 15(9) de la LSV (Barry c Canada (Procureur général), 2010 CF 1307 [Barry] aux para 18-19). Cependant, ils soutiennent qu’en l’espèce, M. Martin a avisé le Ministre du changement à son état civil au téléphone et en transmettant le nom et le numéro d’assurance sociale de Mme Cyr en novembre 2010. Ils soutiennent que selon les notes de Service Canada consignées à leurs dossiers, il y avait eu un changement de renseignements en date du 26 novembre 2010 et qu’un agent traite l’information au sujet du changement d’état civil le 6 décembre 2010.

[33]  Les demandeurs soutiennent que le paragraphe 15(9) de la LSV n’impose aucune condition de forme quant à la manière qu’un pensionné doit informer le Ministre d’un changement à son état civil. En informant le Ministre par téléphone le 26 novembre 2010, ils soutiennent qu’ils ont rempli cette obligation d’informer le Ministre du changement à leur état civil sans délai.

[34]  Selon les demandeurs, le fait qu’ils ont informé le Ministre en novembre 2010 du changement à leur état civil, que cela soit confirmé par les notes contemporaines du Ministre, et que le Ministre n’a pas traité les demandeurs comme conjoints de fait avant le mois de janvier 2018, démontrent que le trop-perçu soit la conséquence d’une erreur administrative.

[35]  Les demandeurs reconnaissent que dans la décision de M. Martin, le Ministre a traité l’argument qu’ils ont informé Service Canada par téléphone du changement à leur état civil. Cependant, ils plaident que dans sa décision, le Ministre n’a pas expliqué pourquoi il était nécessaire de l’informer du changement par formulaire au lieu d’un appel téléphonique. À leur avis, le raisonnement du Ministre est inadéquat à cet égard.

[36]  Le défendeur soutient que les trop-perçus ne sont pas le résultat d’une erreur administrative dans l’application de la LSV du Ministre et par conséquent, la décision du Ministre de ne pas accorder une remise est raisonnable. Le défendeur soutient que le Ministre ne pouvait pas changer l’état civil des demandeurs au moment de l’appel de M. Martin avec Service Canada en novembre 2010 parce que les demandeurs étaient en relation conjugale depuis deux mois à cette époque (depuis août 2010). Il faut être un couple pour au moins un an afin d’être considéré comme un conjoint de fait selon la LSV et c’est pour cette raison que Service Canada a fait parvenir un formulaire de déclaration solennelle d’union de fait en novembre 2010, ce que les demandeurs n’ont pas retourné.

[37]  Le défendeur plaide également que les demandeurs n’ont pas informé le Ministre du changement à leur état civil en temps opportun. À part l’appel de M. Martin en novembre 2010, les demandeurs n’ont pas envoyé le formulaire de déclaration solennelle. D’ailleurs, Mme Cyr n’a pris aucune mesure elle-même pour informer le Ministre. À ce sujet, le Ministre souligne que dans sa demande de SRG de l’année 2013, Mme Cyr a indiqué qu’elle est la conjointe survivante de son défunt mari et pas la conjointe de fait de M. Martin.

[38]  Les parties conviennent que la révision de la décision du Ministre de déterminer si les demandeurs se sont conformés aux obligations prévues au paragraphe 15(9) de la LSV et d’accorder une remise de dette en vertu du l’alinéa 37(4)d) de la LSV est assujettie à la norme de la raisonnabilité: cela concerne l’évaluation des questions de fait et l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire (Barry c Canada (Procureur général), 2010 CF 1307 au para 15; Canada (Procureur général) c Torrance, 2013 CAF 227 au para 34; Manning c Canada (Développement des Ressources Humaines), 2009 CF 523 au para 23).

[39]  Premièrement, la Cour remarque les notes inscrites au dossier de M. Martin en date du 26 novembre 2010 et 6 décembre 2010, lesquelles indiquent ce qui suit (DCT à la p 8) :

Novembre 26, 2010 : Courriel envoyé pour avisé le BTQ d’un changement EC [État Civil]/dit qu’il est en union de fait avec Mme GAÉTANE CYR (NAS XXXXXXXXX) [Numéro d’assurance sociale] // isp 3004 envoyés [Formulaire de Déclaration solennelle d'union de fait]

Décembre 6, 2010 : Monsieur est en union de fait avec Mme Gaétane Cyr depuis environ 2 mois donc en attente ISP300 […]

[40]  D’ailleurs, dans son affidavit, M. Martin affirme que suivant l’appel, il n’a jamais reçu le formulaire et l’agente au téléphone lui a dit qu’elle « allait faire les ajouts au dossier » et n’a pas mentionné le formulaire.

[41]  Cela étant dit, la Cour est d’avis que le Ministre a raisonnablement exercé sa discrétion en décidant qu’il n’y a pas lieu d’accorder une remise en vertu de l’alinéa 37(4)d) de la LSV pour les raisons qui suivent.

[42]  Premièrement, la Cour n’est pas d’accord avec l’argument des demandeurs que le paragraphe 15(9) de la LSV ne prévoit aucune condition de forme pour informer le Ministre d’une relation d’union de fait et que la déclaration au téléphone d’un conjoint soit suffisante. En effet, l’article 16 du Règlement indique qu’une personne qui demande une prestation « doit permettre au ministre d’avoir accès » à « une déclaration solennelle contenant les renseignements relatifs à la relation entre les conjoints de fait » lorsque « le ministre n’a pas reçu suffisamment de preuves ou de renseignements à l’appui d’une demande de prestation pour déterminer la relation entre le demandeur et son…conjoint de fait ».

[43]  Selon les notes de l’agent en novembre et décembre 2010, le Ministre a envoyé ce formulaire aux demandeurs suite à l’appel de M. Martin. Bien que les demandeurs n’étaient pas au courant du contenu des notes à l’époque de leur demande de réexamen en février 2018, leur procureur a déposé une demande pour avoir accès à ces notes le 16 mars 2018, et ils ont reçu ces notes le 23 avril 2018. Les demandeurs ont pu soumettre des arguments supplémentaires à propos des notes de Service Canada, avant que le Ministre ait rendu les décisions du 14 juin 2018, mais ils ont choisi de s’abstenir.

[44]  La Cour comprend qu’il existe une jurisprudence en matière d’immigration dans le cas des communications fautives (tels des lettres ou courriels du Ministre non reçus par des demandeurs d’asile ou de visa). Dans ces cas, le Ministre est tenu de démontrer selon la prépondérance de preuve qu’il a correctement envoyé la communication à la demanderesse pour établir une présomption réfutable que la communication a été envoyée, à défaut de quoi la Cour conclut à un manquement à l’équité procédurale (Wu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 554 au para 7). Dans ces cas, la preuve requise pour que le Ministre satisfasse son fardeau est assez onéreuse (Ghaloghlyan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1252 aux para 9-10).

[45]  Cependant, il faut comprendre le contexte. En l’espèce, les demandeurs ont allégué dans leur demande de réexamen (de février 2018), donc au niveau administratif, qu’ils n’ont jamais été informés qu’ils devaient aviser le Ministre par écrit du changement de leur état civil. La jurisprudence précitée est survenue dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire dans lequel le demandeur allègue que le décideur administratif a violé son droit à l’équité procédurale en omettant de lui faire parvenir correctement des documents importants (telle une lettre avisant un demandeur de visa de fournir de l’information supplémentaire au soutien de la demande). D’ailleurs, un demandeur de visa ou d’asile n’a aucun intérêt d’ignorer une lettre qui lui demande de fournir de l’information supplémentaire, à défaut de quoi il risque de voir sa demande rejetée ou même traitée comme étant abandonnée.

[46]  Dans des décisions discrétionnaires en matière fiscale où un demandeur allègue le non-reçu d’un avis ou d’une lettre comme motif d’avoir un allégement ou une remise, le Ministre n’est pas tenu de démontrer qu’un contribuable a reçu l’avis; le Ministre doit seulement démontrer l’envoi (Jiang c Canada (Procureur général), 2019 CF 629 aux para 9-13, citant Bowen c Canada (Ministre du Revenu national), [1991] ACF No 1054 au para 8).

[47]  La Cour est d’avis qu’en l’espèce, au stade de réexamen administratif, le Ministre pouvait raisonnablement conclure que les notes de l’agent de Service Canada, indiquant que le formulaire requis a été envoyé aux demandeurs, démontrent, sur la prépondérance de preuve, que le formulaire a été envoyé. Les demandeurs n’ont pas déposé une preuve contraire au stade du réexamen administratif. D’ailleurs, le procureur des demandeurs a reconnu à l’audience que les adresses des demandeurs déclarées à Service Canada et à l’ARC n’ont pas changées depuis qu’ils ont commencé leur vie commune jusqu’à la décision de réexamen du 14 juin 2018. Donc, en conséquence, le Ministre pouvait raisonnablement conclure que le traitement des demandeurs comme des pensionnés célibataires de juillet 2012 à janvier 2018 n’a pas été le résultat d’une erreur administrative et donc a refusé d’exercer sa discrétion d’accorder une remise.

[48]  Deuxièmement, tel que remarqué dans les décisions du 14 juin 2018, depuis le mois de juillet 2003, à chaque année, les prestataires de SRG sont avisés du montant mensuel qu’ils recevront en fonction de leur information financière reçue de l’ARC. L’avis inclut l’état civil actuellement consigné au dossier du pensionné en question et le rappelle de son obligation d’informer le Ministre de tout changement (à cet effet : Barry aux para 4-5).

[49]  À cet égard, dans les décisions le Ministre a noté, avec les soulignements de la Cour que : « Depuis juillet 2003, tous les prestataires du [SRG] sont avisés à chaque année que le nouveau montant de leur prestation est établi en fonction de leur dernière déclaration de revenus et de leur état civil actuel ».

[50]  Cela est un autre motif démontrant que la décision du Ministre est raisonnable. Chacun des demandeurs aurait été informé par le Ministre en 2012 et chaque année subséquente de leur état civil (célibataire dans le cas de M. Martin et conjoint de fait survivant dans le cas de Mme Cyr) et qu’ils devaient aviser le Ministre de tout changement à leur état civil.

[51]  Le seul indice de communication de la part des demandeurs au sujet de leur état civil, entre l’appel de novembre 2010 et l’enquête du Ministre, est en juillet 2013 quand Mme Cyr envoie un formulaire de SRG indiquant que son état civil actuel est « conjoint de fait survivant » au lieu de « conjoint de fait ».

[52]  Bien que la Cour ait de la sympathie pour la situation financière des demandeurs, considérant les circonstances factuelles de cette affaire, la décision du Ministre est justifiée, transparente, et intelligible et appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47).

[53]  Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire des demandeurs est rejetée.

[54]  Le Ministre n’a pas soumis d’observations sur la question des dépens, mais la Cour est d’avis qu’aucuns dépens ne seront accordés dans cette affaire.


JUGEMENT aux dossiers T-1355-18 et T-1357-18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire des demandeurs est rejetée;

  2. Aucuns dépens ne sont accordés.

« Peter Annis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Dossiers :

T-1355-18 ET T-1357-18

 

DOSSIER :

T-1355-18

INTITULÉ :

GAÉTANE CYR c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

ET DOSSIER :

T-1357-18

INTITULÉ :

JEAN-CLAUDE MARTIN c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

QUÉBEC (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 JUIN 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

DATE DES MOTIFS :

LE 26 JUILLET 2019

COMPARUTIONS :

Alexis Deschênes

Pour LES DEMANDEURS

Sylvie Doire

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lavigne & Deschênes

Avocats-Lawyers

New Richmond (Québec)

Pour LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Gatineau (Québec)

Pour le défendeur

 

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