Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20190723


Dossier : IMM‑5866‑18

Référence : 2019 CF 978

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 juillet 2019

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

FENG YU WANG

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration [SAI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté l’appel que la demanderesse a interjeté à l’encontre de la décision d’un agent d’immigration de la Section de l’immigration du Consulat général du Canada à Hong Kong [l’agent des visas], qui a refusé sa demande de parrainage pour que son époux devienne résident permanent du Canada.

Le contexte

[2]  La demanderesse, Feng Yu Wang, est citoyenne canadienne. En 2012, elle a rencontré son époux actuel, Zhao Hui Chen, un citoyen chinois. À cette époque, il se trouvait au Canada et avait présenté une demande d’asile. En mai 2014, sa demande d’asile a été rejetée, et en novembre de la même année il est retourné volontairement en Chine. Alors que l’époux de la demanderesse se trouvait encore au Canada, le couple a eu une fille, née le 23 février 2014. Le 10 mai 2014, la demanderesse et son époux se sont fiancés et ils se sont mariés en Chine le 20 avril 2015. Pour tous les deux, il s’agissait d’un second mariage.

[3]  Le 19 juin 2015, la demanderesse a présenté une demande en vue de parrainer son époux pour qu’il vienne au Canada à titre de membre de la catégorie du regroupement familial. Le 28 avril 2016, l’époux a participé à une entrevue à Hong Kong, accompagné d’un interprète cantonais, qui visait à évaluer son admissibilité à titre de membre de la famille sous le régime de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. Au cours de l’entrevue, l’agent des visas lui a posé des questions au sujet de la demanderesse, de sa relation avec elle et de leur fille, entre autres. L’agent des visas lui a également fait part de ses préoccupations quant à son admissibilité au titre de la catégorie du regroupement familial sur le fondement de l’alinéa 117(1)a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [RIPR]. Voici certaines de ces préoccupations :

[TRADUCTION]

  • -  Les éléments de preuve sur la relation entre la demandeure et son époux étaient insuffisants pour démontrer l’évolution d’une relation authentique. L’époux a manifesté un grand désir de demeurer au Canada. Il y est entré illégalement pour la première fois en 2011 et a présenté une demande d’asile. Il a affirmé avoir développé une relation solide avec la demanderesse peu après le rejet de sa demande d’asile.

  • - Aucun élément de preuve n’étaye l’allégation de la demandeure et de son époux selon laquelle ils ont vécu ensemble au Canada. En outre, l’époux s’est montré évasif lorsqu’il a donné des renseignements sur cette période.

  • - L’époux n’a pas été en mesure de donner des détails sur la grossesse de la demandeure; il ne connaissait pas le nom du médecin de famille de la demandeure ou de l’hôpital où elle a accouché. Il n’a pas non plus été en mesure de parler des activités quotidiennes de leur fille et il a montré de l’incertitude au sujet des projets pour l’avenir de celle-ci.

  • - L’époux a dit que la demandeure lui a rendu visite en Chine, mais il n’a pas été en mesure de donner de renseignements détaillés sur ces séjours. Il était évident que l’objet principal de ces séjours n’était pas de lui rendre visite, mais plutôt d’enregistrer leur mariage afin de faciliter la demande de résidence permanente. Il semble aussi que la demanderesse voulait rendre visite à des proches et à des amis.

  • - Aucun élément de preuve fiable ne démontre comment la demanderesse et son époux auraient maintenu un contact étroit après le retour de l’époux en Chine. L’époux n’a pas été en mesure de décrire leurs échanges WeChat. Ceux-ci sont brefs et généraux, et ils n’étayent pas la prétention selon laquelle ils ont permis à un couple authentique d’entretenir une relation étroite.

  • - Au moment du mariage, la demanderesse et son époux ne connaissaient pas la famille de l’autre. L’époux savait peu de choses de la demanderesse et a éprouvé beaucoup de difficulté à donner des détails sur elle, notamment sur sa vie, son emploi antérieur et son niveau de scolarité. La demanderesse et son époux ne semblaient pas avoir établi de plans d’avenir au-delà de l’obtention du statut de résident permanent par l’époux. L’époux n’a pas non plus été en mesure de donner des renseignements détaillés sur la journée du mariage. L’agent des visas a conclu qu’il était inhabituel que leurs proches, par exemple leurs parents n’aient pas assisté à leur mariage.

[4]  À la fin de l’entrevue, l’agent des visas a conclu que l’époux n’avait pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que le mariage était authentique et qu’il ne visait pas principalement des fins d’immigration, c’est-à-dire qu’il ne visait pas principalement à faciliter l’entrée de l’époux au Canada en vue de l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR. La plupart des indicateurs donnaient à penser qu’il s’agissait d’un mariage de convenance.

[5]  La demanderesse a interjeté appel de la décision de l’agent des visas devant la SAI. Le 31 octobre 2018, la SAI a rejeté son appel. C’est cette décision qui fait l’objet du présent contrôle.

La décision faisant l’objet du contrôle

[6]  La SAI a tenu une audience au cours de laquelle la demanderesse, son époux et sa tante ont témoigné (l’époux a livré son témoignage par téléphone). On a eu recours aux services d’un interprète cantonais, et l’avocat du ministre a participé à l’audience. Dans une décision longue et souvent répétitive, la SAI a conclu que le mariage visait principalement des fins d’immigration et n’était pas authentique. Elle a aussi dit qu’il s’agissait d’un de ces cas inhabituels où l’absence d’éléments de preuve crédibles concernant l’évolution de la relation, en l’occurrence celle entre la demanderesse et son époux, était déterminante.

[7]  La SAI a soutenu qu’il y avait de nombreuses préoccupations importantes en matière de crédibilité. Les questions soulevées par l’agent des visas touchaient au cœur même des questions à trancher dans l’appel devant la SAI, et les préoccupations de l’agent des visas n’ont pas été dissipées en appel par des éléments de preuve crédibles. En fait, des questions additionnelles ont été soulevées à l’audition de l’appel. La demanderesse, son époux et sa tante ont tous présenté un témoignage peu fiable et non crédible.

[8]  La SAI a affirmé qu’elle a tenu compte de plusieurs des facteurs énoncés dans la décision Chavez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2005 CarswellNat 7250 (SAI) [Chavez], lorsqu’elle a évalué l’authenticité du mariage, l’évolution de la relation et les éléments de preuve déposés à l’appui de l’appel.

[9]  La SAI a conclu que la preuve de la demanderesse et de son époux était incohérente sur de nombreuses questions cruciales, contenues dans les formulaires qu’ils ont déposés à l’appui de la demande de parrainage, et sur des éléments fondamentaux concernant la genèse et l’évolution de leur relation. La preuve était incohérente et prêtait à confusion. Pour faire droit à l’appel, la SAI aurait été obligée d’accepter l’explication de l’époux au sujet de son défaut de répondre à des questions simples au bureau des visas, ainsi que son témoignage concernant les éléments de preuve contradictoires contenus dans les formulaires en ce qui concerne l’endroit où il vivait pendant que sa relation avec la demanderesse évoluait et le moment où il a rencontré les membres de la famille de son épouse.

[10]  Pour ce qui est de la preuve, malgré son volume, il y avait en fait très peu d’éléments de preuve, voire aucun, corroborant les allégations du couple au sujet des premières années cruciales de leur relation. La SAI a soutenu qu’il s’agissait d’une omission flagrante qui minait leur appel. La preuve démontrait plutôt que le mariage n’était qu’un arrangement à des fins d’immigration et qu’il n’était pas authentique.

[11]  La SAI a ensuite examiné l’ensemble de la preuve, notamment les éléments de preuve sur la naissance de l’enfant du couple. Cependant, en raison de ses grandes préoccupations quant à la crédibilité, la SAI a conclu que la naissance de l’enfant n’était pas une preuve concluante de l’authenticité du mariage. La SAI a également conclu que, même si la demanderesse et son époux avaient mémorisé et pouvaient répéter le récit de leur rencontre et de l’évolution de leur relation, leur récit manquait de spontanéité, comme on se serait attendu de voir chez un couple authentique. La SAI a analysé l’évolution de la relation, notamment les éléments de preuve relatifs à la question de savoir si le couple avait cohabité avant la naissance de l’enfant, et elle a examiné la preuve documentaire sur leur lieu de résidence. La SAI a conclu que ces éléments de preuve étaient imprécis, déroutants et contradictoires, et qu’ils minaient leur allégation selon laquelle ils avaient une relation amoureuse avant ou après la naissance de leur fille. La SAI a également pris note de l’absence d’appels téléphoniques et de messages textes entre la demanderesse et son époux durant les deux ans où l’époux se trouvait au Canada. Elle a conclu que les messages textes échangés après son retour en Chine et avant le mariage mettaient l’accent sur le parrainage et n’établissaient pas que le couple entretenait une relation authentique et bienveillante ou qu’il avait un avenir commun. La SAI s’est également penchée sur les lettres d’appui déposées par les amis et les membres de la famille. Elle a toutefois conclu, entre autres, que ces lettres ne concordaient pas avec les témoignages sur la situation de vie du couple présentés à l’audience relative à l’appel.

[12]  La SAI a également traité de l’explication fournie par l’époux pour justifier son manque de connaissances au sujet de son épouse et de son enfant lors de l’entrevue au bureau des visas. Il a dit qu’il était nerveux et fatigué à cause du déplacement pour se rendre à l’entrevue. Pour la SAI, cette explication était déraisonnable, puisque l’époux a été en mesure de répondre à beaucoup d’autres questions, mais pas à celles portant sur son épouse. La SAI s’est dite préoccupée par le manque de connaissances constant de l’époux au sujet de la demanderesse et de sa famille. Elle a également commenté le fait que, à aucun moment avant l’appel, il n’a été fait mention de la tante de la demanderesse, alors que le couple a affirmé avoir vécu chez elle avant le retour de l’époux en Chine et au moment de la naissance de l’enfant. Cette omission visait également les formulaires déposés par le couple, qui ne mentionnent pas l’adresse de la tante comme lieu de résidence et ne nomment pas la tante comme l’une des personnes qui les auraient accompagnés en Chine pour assister au mariage. La SAI a conclu que ces omissions étaient importantes, puisque la tante a joué un rôle central dans l’histoire du couple, et qu’il était raisonnable de s’attendre à ce qu’elle soit mentionnée dans les formulaires remplis en 2015 et à l’entrevue au bureau des visas en 2016. La SAI a conclu que la preuve n’établissait pas clairement que l’époux a déjà vécu avec la tante de la demanderesse et que l’exposé circonstancié avait été conçu dans le but de renforcer l’appel, ce qu’elle a qualifié de « dévastateur » pour la crédibilité de tous les témoins.

[13]  La SAI a également examiné les éléments de preuve concernant le moment où l’époux a rencontré la tante de la demanderesse et sa famille, mais elle a conclu qu’ils étaient contradictoires et qu’ils minaient les affirmations du couple quant à l’évolution de leur relation et leur crédibilité en général. Les éléments de preuve concernant le moment où l’époux a rencontré pour la première fois la famille de la demanderesse étaient eux aussi contradictoires. La SAI a également examiné les antécédents en matière d’immigration de l’époux par rapport à la chronologie de sa relation avec la demanderesse. La SAI a jugé qu’il s’agissait d’un facteur pertinent dans son examen de la relation du couple. Elle a conclu que le témoignage de l’époux concernant le temps qu’il s’était écoulé avant le mariage était un autre signe que la relation n’était pas authentique. Par conséquent, il était raisonnable de déduire que la principale motivation de l’époux, en l’espèce, était d’acquérir la résidence permanente au Canada.

[14]  Bien que la conclusion de la SAI selon laquelle la relation visait principalement des fins d’immigration soit déterminante, la SAI a également conclu que les éléments de preuve déposés dans le cadre de l’appel n’appuyaient pas la conclusion selon laquelle le mariage était authentique. À ce sujet, la SAI a examiné des photographies, les voyages en Chine et d’autres facteurs, mais elle a conclu qu’ils n’établissaient pas l’authenticité du mariage.

[15]  Au final, la SAI a conclu qu’il doit y avoir des éléments de preuve clairs et convaincants pour établir que le mariage était authentique et qu’il ne visait pas principalement des fins d’immigration. Ce n’était pas le cas, en l’espèce, malgré l’existence d’une enfant née du couple. La SAI a donc conclu que le mariage visait à faciliter l’immigration de l’époux au Canada et qu’il n’était pas authentique.

Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

[16]  À mon avis, la seule question à trancher en l’espèce consiste à déterminer si la décision de la SAI était raisonnable. La question de savoir si un mariage est authentique ou s’il visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR soulève des questions de fait et de droit; par conséquent, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Hua c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1041, au par. 7; Dalumay c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1179, au par. 19).

[17]  Le caractère raisonnable tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 47).

La position des parties

[18]  Les observations de la demanderesse examinent en détail les conclusions de la SAI. En bref, elle soutient que l’évaluation de la preuve par la SAI était déraisonnable. Elle soutient plus particulièrement que la SAI a commis une erreur en concluant que l’absence d’éléments de preuve antérieurs au mariage était déterminante et en omettant de tenir compte de l’ensemble de la preuve, notamment de l’existence d’une enfant issue du mariage. De plus, elle affirme que l’examen de la preuve effectuée par la SAI était étroit et microscopique et que la SAI a accordé une trop grande importance à des questions et à des contradictions mineures.

[19]  Le défendeur soutient que la SAI a examiné les éléments de preuve et les témoignages sur l’évolution de la relation et qu’elle a fait remarquer qu’ils étaient grandement insuffisants, notamment compte tenu des préoccupations de l’agent des visas et des questions au cœur de la demande. Certains éléments de preuve étaient contradictoires et, en général, les témoins n’étaient pas crédibles. Tous ces facteurs touchaient la question centrale en l’espèce, qui consiste à déterminer si les éléments de preuve démontraient, selon la prépondérance des probabilités, que le mariage visait l’acquisition d’un statut sous le régime de la LIPR. Le défendeur soutient que la décision était raisonnable.

Analyse

[20]  Le paragraphe 4(1) du RIPR est ainsi libellé :

4 (1) Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas :

4 (1) For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner or a conjugal partner of a person if the marriage, common-law partnership or conjugal partnership

a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi;

(a) was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act; or

b) n’est pas authentique.

(b) is not genuine.

[21]  Le critère énoncé est disjonctif (Gill c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1522, au par. 30 [Gill]). Comme le soutient le défendeur, il incombait au demandeur d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que ni l’une ni l’autre des situations ne s’appliquait (Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 840, au par. 10).

Les éléments de preuve antérieurs au mariage

[22]  La demanderesse soutient que la SAI a commis une erreur en se concentrant sur l’absence d’éléments de preuve correspondant à une période précise avant le mariage et avant aujourd’hui pour conclure que le mariage n’était pas authentique et qu’il visait l’acquisition d’un privilège lié à l’immigration. Selon la demanderesse, il faut évaluer l’intention des parties au mariage au moment du mariage, et les éléments de preuve présentés par le couple sont probants à cet égard. Cependant, l’authenticité doit être évaluée à la date de l’audience (Gill, aux par. 11 et 33) et doit être établie sur le fondement de l’ensemble de la preuve. La demanderesse soutient que la décision de la SAI est encore plus déraisonnable quand on tient compte de l’existence de la fille du couple, un facteur qui aurait dû avoir beaucoup de poids. La décision de principe sur l’authenticité du mariage est la décision Chavez, qui énumère onze facteurs non exhaustifs dont il faut tenir compte pour établir l’authenticité du mariage. Le comportement des parties au moment de leur rencontre, de leurs fiançailles ou de leur mariage n’est qu’un de ces facteurs. Dans la présente affaire, la SAI a conclu que les éléments de preuve relatifs à ce facteur étaient déterminants. La demanderesse soutient qu’il était déraisonnable pour la SAI de tenir compte d’un seul facteur.

[23]  À mon avis, cette observation doit être rejetée. Premièrement, la SAI a clairement dit qu’elle avait examiné plusieurs des facteurs énoncés dans la décision Chavez; ses motifs témoignent qu’elle l’a fait. De toute évidence, la SAI a tenu compte de l’intention des parties au mariage, de la durée de la relation, du temps qu’elles ont passé ensemble, de leur comportement après le mariage, de l’ampleur des communications et des rapports soutenus, de la connaissance de l’enfant issue du mariage, ainsi que de la connaissance de la famille élargie de l’autre partie et de la communication avec cette famille. La SAI a traité de tous ces facteurs dans ses motifs. Bien que la SAI ait déclaré que les éléments de preuve relatifs au comportement antérieur au mariage étaient déterminants pour en établir l’authenticité, ses motifs démontrent qu’elle a également tenu compte d’autres facteurs pertinents. Il n’était pas nécessaire que, dans son analyse, la SAI fasse référence explicitement à chacun des facteurs qu’elle a examinés.

[24]  La demanderesse soutient également que le critère relatif à l’authenticité de la relation et le critère relatif à l’intention des parties au mariage se rapportent à des périodes différentes; le premier doit être évalué au moment de l’audience et le second au moment du mariage. Or, en l’espèce, ni l’une ni l’autre de ces périodes ne correspond à la genèse de la relation. La SAI a omis d’expliquer pour quelle raison cette période serait déterminante relativement aux deux critères. Ainsi, la décision relative à l’authenticité et à l’intention repose sur des éléments de preuve relatifs à la même période, examinée de façon isolée, plutôt que sur l’examen de l’ensemble de la preuve. La demanderesse soutient qu’il s’agit là d’une erreur, car la SAI était tenue d’examiner l’ensemble de la preuve dont elle disposait, et non pas seulement les éléments de preuve dont disposait l’agent des visas, ainsi que les éléments de preuve relatifs à toute la relation. En effet, les éléments de preuve montrant un engagement ultérieur peuvent servir à établir le but principal du mariage ou son authenticité (Sandhu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 834, au par. 13 [Sandhu]).

[25]  Je remarque que dans l’affaire Gill, invoquée par la demanderesse, le juge en chef Crampton a constaté qu’il est bien établi que malgré les liens forts qui existent entre les deux critères énoncés à l’article 4, ceux‑ci demeurent distincts. Dans l’affaire Gill, la demanderesse et son époux étaient mariés depuis plus de quatre ans et avaient eu un enfant ensemble. Ils ont fait valoir que le fait qu’ils avaient eu un enfant démontrait que la conclusion de la SAI selon laquelle le mariage visait principalement des fins d’immigration était abusive. Le juge en chef a reconnu qu’il peut être pertinent d’examiner les éléments de preuve relatifs aux faits survenus après un mariage pour déterminer si le mariage visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR. Cela dit, il a convenu que de tels éléments de preuve ne sont pas nécessairement déterminants et que la SAI n’avait pas nécessairement agi de façon déraisonnable en omettant de les examiner et de les analyser explicitement (Gill, aux par. 28 à 32). Il a ensuite formulé les propos suivants :

[33]  Il en est ainsi parce que, alors que le présent est utilisé dans l’énoncé du critère de l’article 4 du Règlement selon lequel il faut évaluer si le mariage contesté « n’est pas authentique », le second critère commande une évaluation visant à déterminer si le mariage « visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi » (non souligné dans l’original). Par conséquent, pour déterminer si ce dernier critère est rempli, il faut s’attarder aux intentions des époux au moment du mariage. Je reconnais avec le défendeur que le témoignage de ces parties au sujet de ce qu’ils avaient en tête à l’époque constitue généralement l’élément de preuve le plus probant en ce qui concerne le but principal de leur mariage.

[34]  Je suis d’avis qu’il n’était pas déraisonnable pour la SAI de conclure, pour les raisons susmentionnées, qu’au moment où M. Gill s’est marié, il visait principalement à acquérir un statut ou un privilège aux termes de la LIPR. Pour parvenir à cette conclusion, la SAI n’a pas commis d’erreur en n’analysant pas explicitement les éléments de preuve relatifs aux faits postérieurs au mariage. Cela dit, je constate que la SAI a fondé sa conclusion concernant l’authenticité du mariage sur un examen adéquat de ces éléments de preuve.

[Souligné dans l’original.]

[26]  Par conséquent, dans l’affaire dont je suis saisie, la SAI n’a pas commis d’erreur en n’abordant pas explicitement les éléments de preuve postérieurs au mariage dans son analyse du but principal du mariage. Quoi qu’il en soit, la SAI a déclaré que l’absence d’éléments de preuve concernant la période cruciale en l’espèce, soit de la rencontre du couple en novembre 2012 au départ de l’époux du Canada en avril 2015, était d’autant plus « déroutante » que de nombreux éléments de preuve postérieurs au mariage avaient été déposés en appel, éléments de preuve qu’elle a jugés insuffisants pour dissiper ses préoccupations. Autrement dit, la SAI a examiné les éléments de preuve postérieurs au mariage dans le contexte de son analyse du but principal du mariage, mais elle a conclu qu’ils ne permettaient pas de dissiper ses préoccupations. D’ailleurs, l’évaluation de l’authenticité du mariage par la SAI vient confirmer qu’elle a tenu compte des éléments de preuve postérieurs au mariage. Par exemple, lorsqu’elle a examiné les photos prises lors des voyages en Chine après le mariage, la SAI a affirmé que ces photos ne suffisaient pas à dissiper les préoccupations qu’elle avait exprimées au sujet du but principal du mariage. De plus, compte tenu de ses préoccupations relatives au but principal de la relation, la SAI trouvait qu’il était plus plausible que les voyages visaient à faciliter les contacts entre l’enfant mineure et la famille de la demanderesse en Chine, et qu’ils ne constituaient pas la preuve d’une relation authentique. Les autres indicateurs postérieurs au mariage qui pourraient donner à penser que le mariage est authentique, comme les transferts d’argent et le changement quant aux bénéficiaires de la police d’assurance, jettent peu de lumière sur la question de savoir si la relation visait principalement des fins d’immigration. La SAI a également fait remarquer qu’il y avait des centaines de pages de messages textes postérieurs au mariage. Cependant, ces messages témoignaient seulement de contacts superficiels entre la demanderesse et son époux, et portaient principalement sur ce qu’ils mangeaient, la météo, le sommeil et les douches, entrecoupés de brèves conversations sur le bien-être de leur fille. La SAI a conclu que ces messages ne suffisaient pas à dissiper ses préoccupations au sujet du but principal du mariage. Elle a aussi conclu qu’ils démontraient encore une fois qu’il s’agissait d’un mariage à des fins d’immigration qui n’était pas authentique.

[27]  Je fais remarquer que, même si la SAI a examiné attentivement les éléments de preuve antérieurs au mariage et a conclu qu’ils étaient déterminants, elle a également tenu compte des préoccupations importantes concernant la crédibilité soulevées par l’agent des visas dans le contexte du témoignage de l’époux après le mariage. La SAI a conclu que ces préoccupations touchaient le cœur des questions en litige en appel et qu’elles n’avaient pas été dissipées par des éléments de preuve crédibles et suffisants à l’audience relative à l’appel. Parmi ces préoccupations, notons l’absence d’éléments de preuve fiables à l’appui de la façon dont la demanderesse et son époux avaient maintenu un contact étroit après le retour de ce dernier en Chine, et le fait que l’époux connaissait peu la demanderesse. La SAI a également tenu compte des antécédents en matière d’immigration de l’époux.

[28]  La SAI a donc tenu compte des éléments de preuve postérieurs au mariage dans son analyse de l’authenticité de celui-ci.

[29]  De plus, la Cour a tenu les propos suivants dans la décision Bercasio c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 244 :

[19]  Selon ce que je comprends de l’affaire Yadav, elle appuie la proposition selon laquelle la date de l’entrevue correspond à la période pertinente pour évaluer l’authenticité d’un mariage. Mais cela signifie seulement que les éléments de preuve pertinents à ce moment devraient normalement être pris en considération. L’affaire n’appuie pas la proposition selon laquelle les éléments de preuve découlant de la période qui a suivi le mariage devraient avoir plus de poids que ceux découlant de la période qui l’a précédé ou que les premiers éléments de preuve de la relation ou du mariage ne peuvent pas l’emporter sur ceux de la période suivant le mariage.

[30]  La conclusion selon laquelle le mariage est authentique pencherait de manière importante en faveur d’un mariage ne visant pas l’acquisition d’un statut au Canada, mais elle ne suffit pas à déterminer le motif principal du mariage, ce qui est dû en partie aux moments différents auxquels chacun des critères est évalué. Des éléments de preuve montrant un engagement ultérieur peuvent servir à établir le but principal du mariage (Sandhu, aux par. 12 et 13). Cependant, en l’espèce, la SAI n’a pas conclu que le mariage était authentique et que la preuve postérieure au mariage établissait que le mariage ne visait pas principalement l’acquisition d’un privilège lié à l’immigration.

[31]  En bref, je ne suis pas convaincue que la SAI a commis une erreur relativement à cet aspect de l’évaluation de la preuve.

L’existence d’un enfant issu du mariage

[32]  Je ne suis pas non plus d’accord avec la demanderesse lorsqu’elle dit que la SAI a commis une erreur en n’accordant pas suffisamment de poids à l’existence de l’enfant issue du mariage.

[33]  Premièrement, les éléments de preuve quant à l’authenticité du mariage ne sont pas forcément déterminants quant à la question de savoir si le mariage visait des fins d’immigration (Sandhu, au par. 12; Grabowski c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1488, au par. 24). C’est vrai même lorsqu’il y a un enfant issu du mariage :

[14]  La SAI semble avoir admis que l’enfant est issu du mariage en cause. Sur la question de la naissance d’un enfant d’un mariage et de sa pertinence, la SAI se réfère à la décision Gill c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 122, et fait remarquer à juste titre que [traduction] « l’existence d’un enfant issu du mariage n’est pas déterminante de son authenticité lorsque l’insuffisance d’éléments de preuve dignes de foi est si manifeste que les questions de crédibilité l’emportent sur les déclarations concernant la naissance de l’enfant » (citant Mansro c. Canada (Citoyenneté et Immigration), SAI VA6‑00931, 18 juillet 2007, 2007 CarswellNat 4765, au paragraphe 14 (Commission de l’immigration et du statut de réfugié, Section d’appel), et Baljit Kaur Dhaliwal c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1182, au paragraphe 9).

(Lamichhane c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 957, [Lamichhane]).

[34]  La SAI a indiqué, en renvoyant à la décision Gill, qu’il faut accorder un poids considérable à la naissance d’un enfant issu d’un mariage comme preuve de l’authenticité de ce mariage. Cela dit, la preuve au sujet de la relation du couple avant le mariage ainsi qu’avant et après la naissance de l’enfant manquait entièrement de crédibilité, ce qui diminue le poids à accorder à l’existence de l’enfant comme preuve d’un mariage authentique. Je souligne qu’il s’agit notamment de la preuve relative au manque de connaissances de l’époux au sujet de l’enfant et aux communications postérieures au mariage entre les époux, qui concernaient rarement l’enfant.

[35]  À mon avis, il s’agit d’une situation semblable à celle de l’affaire Lamichhane, où la SAI, après examen de l’ensemble de la preuve à sa disposition, a raisonnablement tiré une conclusion semblable.

Examen minutieux de la preuve

[36]  Bien que je convienne que la SAI s’est concentrée sur certains points mineurs, encore une fois, en examinant sa décision dans son ensemble, il est clair qu’il existait des problèmes de crédibilité importants que la demanderesse et son époux n’ont tout simplement pas surmontés.

[37]  La SAI a examiné la preuve documentaire présentée par la demanderesse. Elle a posé des questions à la demanderesse, à son époux et à sa tante. Elle a également eu l’avantage d’évaluer leur témoignage. Elle a tiré des conclusions précises en matière de crédibilité, par exemple en ce qui concerne le fait que la preuve n’étayait pas la prétention selon laquelle la demanderesse et son époux habitaient chez la tante de la demanderesse au moment de la naissance de leur enfant. De plus, les échanges entre la demanderesse et son époux lorsque celui-ci était en Chine ne dénotaient pas une relation authentique. De même, au bureau des visas, l’époux n’a pas été en mesure d’expliquer adéquatement son manque profond de connaissances au sujet de la demanderesse et de la naissance de leur enfant. Le couple n’a pas non plus été en mesure d’expliquer adéquatement les divergences entre leur témoignage et les renseignements inscrits dans les formulaires d’immigration. Il faut faire preuve de déférence à l’égard des conclusions en matière de crédibilité tirées par la SAI (Bains c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 740, au par. 15).

[38]  En l’espèce, la SAI n’a pas omis de tenir compte des éléments de preuve concernant l’authenticité du mariage et elle n’a pas fondé ses conclusions en matière de crédibilité sur une compréhension erronée de ces éléments de preuve, sur des éléments de preuve non pertinents ou sur des détails secondaires. Sa décision appartient aux issues possibles pouvant se justifier au regard des faits et du droit.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑5866‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’a été proposée aux fins de la certification, et l’affaire n’en soulève aucune.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 16e jour de septembre 2019

Julie Blain McIntosh


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑5866‑18

INTITULÉ :

FENG YU WANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 JUIN 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

DATE DES MOTIFS :

LE 23 JUILLET 2019

COMPARUTIONS :

Nathalie Domazet

Pour la demanderesse

David Joseph

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann, Sandaluk & Kingwell LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.