Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20190715


Dossier : T-1163-18

Dossier : T-1416-18

Dossier : T-220-19

Référence : 2019 CF 942

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 juillet 2019

En présence de la protonotaire Mireille Tabib, juge responsable de la gestion de l’instance

Dossier : T-1163-18

ENTRE :

BIOGEN CANADA INC.,

BIOGEN INTERNATIONAL GMBH

et ACORDA THERAPEUTICS, INC.

demanderesses

et

TARO PHARMACEUTICALS INC.

défenderesse

Dossier : T-1416-18

ET ENTRE :

BIOGEN CANADA INC.,

BIOGEN INTERNATIONAL GMBH

et ACORDA THERAPEUTICS, INC.

demanderesses

et

APOTEX INC.

défenderesse

Dossier : T-220-19

ET ENTRE :

BIOGEN CANADA INC.,

BIOGEN INTERNATIONAL GMBH

et ACORDA THERAPEUTICS, INC.

demanderesses

et

PHARMASCIENCE INC.

défenderesse

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LA PROTONOTAIRE TABIB

[1]  Les défenderesses dans chacune des actions susmentionnées ont déposé une requête unique afin que la Cour tranche des oppositions et oblige à fournir une réponse à des questions posées dans le contexte du suivi des interrogatoires préalables communs auxquels ont été soumis les représentants des demanderesses. La Cour a tranché la plupart des oppositions à l’audience même, mais elle a remis à plus tard sa décision portant sur deux catégories de questions. Ces questions visent essentiellement à obtenir les transcriptions des dépositions faites par certains témoins dans le cadre d’instances judiciaires et administratives qui ont eu lieu aux États‑Unis.

[2]  Les demanderesses se sont opposées à ces questions des défenderesses au motif qu’elles ne sont pas pertinentes, qu’elles ne constituent pas un suivi approprié et qu’elles contreviennent à la règle de l’engagement explicite ou à des ordonnances préventives rendues dans le cadre des instances américaines.

[3]  Relativement à chaque catégorie de questions, il est nécessaire de déterminer :

  • 1) Si les documents ou les renseignements que les défenderesses cherchent à obtenir sont susceptibles de constituer la preuve de faits non admis qui sont en litige dans les actions, de contenir des éléments qui leur permettraient d’établir ces faits, ou de mener à de tels éléments.

  • 2) Si les questions constituent un suivi approprié, c’est‑à‑dire si elles découlent de nouveaux renseignements fournis ou de documents produits après l’interrogatoire préalable initial, et ce, dans le cadre de réponses données à des engagements ou de réponses à des questions ayant d’abord fait l’objet d’une opposition.

  • 3) Si la production des documents demandés contrevient à une ordonnance préventive ou à une règle d’engagement implicite quelconque, de sorte que la Cour devrait refuser d’ordonner aux demanderesses d’y répondre.

I.  Les faits en litige dans les actions

[4]  Il s’agit d’actions en jugement déclaratoire de contrefaçon intentées en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement sur les MB(AC)), relativement à certaines revendications du brevet canadien no 2,562,277 (le brevet 277). Le brevet 277 est la propriété d’Acorda Therapeutics Inc., l’une des demanderesses nommées, et il revendique l’emploi de certaines compositions de la 4‑aminopyridine (appelée « fampridine ») en vue d’améliorer la démarche ou d’accélérer la vitesse de marche d’un sujet atteint de la sclérose en plaques. Dans leurs défenses respectives, les défenderesses ont allégué que les revendications pertinentes du brevet 277 sont invalides parce qu’elles sont antériorisées ou rendues évidentes par, notamment, les deux références d’antériorité suivantes :

1)  L’affiche Goodman 1 : Il s’agit d’une « affiche » utilisée dans le cadre d’un exposé que M. Goodman a fait lors d’une conférence scientifique tenue à Baltimore en 2002. Cette affiche présentait les résultats d’une étude menée par M. Andrew Goodman.

2)  Le document Acorda S‑1 : Il s’agit d’une déclaration d’enregistrement qu’Acorda a déposée auprès de la Securities and Exchange Commission des États-Unis en 2003 et qui, allèguent les défenderesses, contient des renseignements qui, en soi, antériorisent ou rendent évidentes les revendications pertinentes du brevet 277.

[5]  L’affiche Goodman 1 a été produite en preuve lors d’un procès tenu aux États‑Unis, devant la District Court for the District of Delaware, relativement à la validité du brevet américain correspondant au brevet 277 (le « procès américain »). Des renseignements qui, selon les défenderesses, figurent dans le document Acorda S‑1 ont eux aussi été produits en preuve lors du procès américain, mais pas le document lui‑même. La District Court des États-Unis a finalement rendu un jugement concluant que les revendications correspondantes du brevet américain étaient évidentes et que, à la date pertinente, les renseignements contenus dans l’affiche Goodman 1 et le document Acorda S‑1 étaient accessibles à des personnes ordinaires versées dans l’art.

[6]  Indépendamment de ces conclusions, les demanderesses dans les présentes actions soutiennent que les deux références n’étaient pas publiquement disponibles à l’époque pertinente, et elles mettent les défenderesses en demeure d’établir avec rigueur qu’elles l’étaient.

[7]  Plus précisément, la position des demanderesses sur les faits est que la version de l’affiche sur laquelle se fondent les défenderesses et qui a été produite en preuve lors du procès américain n’est pas une copie conforme (mais une copie réduite) de l’affiche en taille réelle dont M. Goodman s’est servi à la conférence de Baltimore, comme l’allèguent et le croient les défenderesses. Les demanderesses estiment plutôt qu’il ne s’agit que d’une ébauche d’affiche interne d’Acorda qui n’a été ni présentée ni mise à la disposition du public. Elles affirment qu’elles n’ont pas en main l’affiche qui a été effectivement employée à Baltimore en 2002, que ce soit sous la forme d’un original en taille réelle, d’une copie en taille réelle ou d’une copie en taille réduite. Cela remet en question le fait de savoir si certains des renseignements découlant de l’étude de Goodman que les défenderesses considèrent comme antériorisés ou destructeurs de nouveauté ont bel et bien été présentés à la conférence de Baltimore ou à une conférence ultérieure, tenue à Honolulu.

[8]  Pour ce qui est du document Acorda S‑1, les demanderesses ne nient pas que le document auquel les défenderesses font référence a été déposé par les banquiers ou les avocats d’Acorda auprès de la Securities and Exchange Commission (SEC) à la date à laquelle il a été censément déposé, ou aux environs de cette dernière. Elles sont toutefois d’avis que le dépôt de ce document auprès de la SEC à une date précise ne veut pas dire que celui-ci était [traduction] « accessible au public » ou qu’une personne versée dans l’art aurait raisonnablement pu le trouver en faisant une recherche raisonnablement diligente.

[9]  À l’évidence, des faits susceptibles d’établir si l’affiche qui a été effectivement utilisée à la conférence de Baltimore est la même, ou contient les mêmes renseignements, que la seule version connue de l’affiche sont des plus pertinents, tout comme des faits susceptibles d’établir si et comment, au‑delà de son dépôt auprès de la SEC à une certaine date, le document Acorda S‑1 aurait pu être ou a été consulté par le public à la date de priorité pertinente, ou plus tôt.

II.  Les interrogatoires préalables initiaux

[10]  Il est indiqué dans les actes de procédure que les demanderesses nient que les deux références étaient accessibles au public, mais il est possible que le fondement factuel précis de ce déni n’était pas clair avant que commencent les interrogatoires préalables.

[11]  Les défenderesses étaient au fait du procès américain avant les interrogatoires préalables initiaux. Elles savaient que M. Goodman avait témoigné à ce procès à titre d’expert d’Acorda et, si elles n’avaient pas en main à ce moment‑là la transcription des témoignages faits au procès, elles pouvaient les obtenir.

[12]  Les défenderesses étaient également au fait antérieurement, ou elles ont appris lors des interrogatoires préalables initiaux, qu’il y avait eu une instance de révision inter partes (RIP) devant le Patent Office des États‑Unis au sujet du brevet américain correspondant, que l’un des inventeurs nommés, M. Cohen, avait déposé dans le cadre de cette instance et que l’autre inventeur nommé, M. Blight, a peut-être déposé.

[13]  Les défenderesses ont interrogé au préalable M. Cohen, tant à titre de représentant des demanderesses qu’à titre d’inventeur, de même que M. Blight, à titre d’inventeur. Elles ont eu la possibilité de poser des questions à ces deux hommes sur leur connaissance personnelle et leurs souvenirs concernant l’identification et la teneur de l’affiche Goodman 1. Elles ont eu la possibilité de poser des questions à M. Cohen sur les renseignements, les connaissances et les croyances des demanderesses à propos de cette affiche. Elles ont eu la possibilité de poser des questions aux demanderesses sur leurs renseignements, leurs connaissances et leurs croyances à propos de la disponibilité publique du document Acorda S‑1 à l’époque pertinente. Elles ont également eu la possibilité d’examiner si les dépositions recueillies dans le contexte du procès américain ou de la RIP contenaient des renseignements qui se rapportaient à ces faits. En fait, elles ont demandé aux demanderesses de s’engager à poser plusieurs questions directement à M. Goodman au sujet de l’affiche Goodman 1, elles ont demandé aux demanderesses de s’engager à s’enquérir directement auprès des banquiers et des avocats d’Acorda de la disponibilité de l’affiche Acorda S‑1, et elles ont demandé que l’on produise la transcription de la déposition de M. Goodman dans le contexte du procès américain ainsi que celle de M. Cohen et de M. Blight dans le contexte de la RIP.

[14]  Les demanderesses se sont opposées aux deux demandes de production. Pour ce qui est de la déposition de M. Goodman, elles ont demandé à la Cour de se prononcer sur une requête visant à contraindre à répondre à des questions. Par une ordonnance rendue à l’audience même et signée en tant qu’ordonnance formelle datée du 26 avril 2019, la Cour a confirmé les oppositions des demanderesses à la production au motif que les défenderesses n’avaient pas établi que la déposition de M. Goodman contenait bel et bien des renseignements pertinents. Pour ce qui est des dépositions liées à la RIP, les demanderesses ont fourni, malgré leurs oppositions initiales, une réponse sous réserve d’une opposition à l’effet que [traduction] « les meilleurs renseignements dont disposent les demanderesses sont que les transcriptions des dépositions sont soumises à des conditions de confidentialité aux États‑Unis ». Les défenderesses n’ont pas demandé qu’on oblige à fournir une réponse supplémentaire ou meilleure à cette requête.

III.  Les questions en litige

A.  La déposition de M. Goodman

[15]  Comme il a été mentionné, les défenderesses ont obtenu des demanderesses, au stade des interrogatoires préalables initiaux, qu’elles s’engagent à poser certaines questions précises à M. Goodman sur l’affiche. Sa réponse à toutes ces questions a été qu’il n’en avait aucun souvenir. À titre de suivi, les défenderesses ont maintenant posé une série de questions pour savoir si, lors de la déposition de M. Goodman, des questions lui ont été précisément posées au sujet de l’affiche, si la version produite au procès était disponible ou a été présentée aux conférences de Baltimore ou de Honolulu, si cette version était une ébauche interne d’Acorda, s’il avait [traduction] « traité » de renseignements précis figurant dans la version en litige à la conférence de Baltimore, si quelqu’un s’était présenté à lui pour lui poser des questions, combien de personnes avaient vu l’affiche ou assisté à la conférence et combien de temps celle-ci avait duré, de même que des questions semblables à propos d’un diaporama qu’il avait présenté lors d’une séance à Baltimore. Pour chacune de ces questions, les défenderesses demandent ensuite que, si M. Goodman a été interrogé lors de sa déposition, on produise les passages pertinents de la transcription.

(1)  La pertinence

[16]  Les points de fait ultimes auxquels se rapportent les questions sont manifestement pertinents. Toutefois, ces dernières, telles qu’elles sont formulées, ne demandent pas directement ces renseignements ou le souvenir que M. Goodman en a présentement. Elles demandent plutôt si on l’a interrogé antérieurement sur ces faits et, si oui, qu’on produise les renseignements qu’il a fournis à ce moment‑là.

[17]  Il ressort du dossier de la Cour qu’il est raisonnablement probable qu’on ait pu poser de telles questions à M. Goodman au moment de sa déposition. Par exemple, la transcription du procès américain contient la question suivante : [traduction] « Monsieur, m’avez‑vous dit lors de la déposition que vous aviez établi cette copie de l’affiche? ».

[18]  Ce que l’on a demandé à M. Goodman lors de la déposition n’est pas directement pertinent pour les questions qui sont en litige en l’espèce. Cependant, une réponse positive à cette question amène à déterminer que les transcriptions des dépositions contiennent bel et bien des renseignements sur les faits pertinents. La question à laquelle la Cour doit répondre consiste à savoir si la production des transcriptions des dépositions est susceptible de favoriser la cause des défenderesses ou de porter atteinte à celle des demanderesses.

[19]  Rien dans la manière dont les questions sont formulées, ou dans le dossier de la Cour, ne donne à penser que les renseignements contenus dans les transcriptions des dépositions font vraisemblablement référence à d’autres sources d’informations ou de preuves pour corroborer le témoignage, quel qu’il soit, que M. Goodman aurait pu faire à ce moment‑là. Ce sont les réponses que M. Goodman a lui‑même données qui intéressent les défenderesses.

[20]  Les transcriptions ne seraient pas admissibles en preuve dans la présente action. Dans la mesure où elles contiennent des renseignements qui étayent la cause des défenderesses, le seul usage que l’on peut en faire pour favoriser cette dernière est dans le but de contre‑interroger M. Goodman, s’il venait à témoigner à l’instruction de la présente action, ce qui permettrait peut‑être de rafraîchir sa mémoire (Apotex c Sanofi Aventis, 2011 CF 52, par. 66). L’utilité potentielle des dépositions, en tant que moyen de rafraîchir la mémoire de M. Goodman, répond‑elle au critère de la pertinence? La Cour croit que oui. Il existe des moyens par lesquels les défenderesses pourraient contraindre M. Goodman à comparaître au procès, et il y a donc une probabilité raisonnable que ces renseignements puissent servir à favoriser leur cause.

(2)  Les questions constituent‑elles un suivi approprié?

[21]  Les questions auraient pu être posées plus tôt. Les défenderesses savaient, d’après les transcriptions du procès, que M. Goodman avait fait une déposition et elles ont présenté une demande générale en vue d’en obtenir la production. La Cour a confirmé l’opposition des demanderesses à cette demande parce que, à ce moment-là, les défenderesses n’avaient pas réussi à établir, faute de fondement, que les transcriptions des dépositions contenaient vraisemblablement des renseignements pertinents.

[22]  Les demanderesses ont raison de signaler que le fait de recourir à la nouvelle comparution d’un témoin, dans le cadre d’un interrogatoire préalable, pour reformuler des questions qui ont été refusées parce qu’elles étaient erronément énoncées au départ ne constitue pas un suivi approprié. Mais, en l’espèce, les circonstances sont différentes.

[23]  Il y a de bonnes raisons pour lesquelles la Cour hésite depuis toujours à ordonner la production en bloc des transcriptions de dépositions faites dans le cadre d’une instance étrangère. Ces transcriptions sont habituellement protégées par des mesures de confidentialité imposées soit par des ordonnances préventives soit par la règle de l’engagement implicite. Ces mesures de confidentialité ont été établies en reconnaissance du fait qu’il existe un intérêt public supérieur à ce que l’on restreigne l’emploi des transcriptions d’un interrogatoire préalable à des fins autres que le litige dans le cadre duquel elles ont été produites. Étant donné que les règles de droit, les faits, les parties et les questions en litige sont rarement les mêmes dans des instances qui se déroulent dans des ressorts différents, ce ne sont habituellement que de petites parties de la transcription de dépositions ou d’un interrogatoire préalable qui revêtent une certaine pertinence pour d’autres instances. La partie interrogée pourrait peut-être renoncer à la confidentialité, mais uniquement dans le cas des renseignements qui la concernent. (Voir l’analyse présentée et les affaires citées dans la décision Corporation de soins de la santé c Kennedy Institute of Rheumatology, 2015 CF 1292, aux par. 92 à 95).

[24]  Le travail consistant à parcourir des transcriptions d’interrogatoire préalable pour trouver, relever et extraire des renseignements qui sont à la fois pertinents et susceptibles de renonciation à la confidentialité, tout en évitant de porter atteinte aux droits à la confidentialité du déposant ou de l’autre partie, peut être une tâche pénible à laquelle une partie ne devrait pas être soumise à la légère.

[25]  Étant donné que les demanderesses étaient en mesure d’obtenir les souvenirs contemporains ‑ et plus pertinents ‑ de M. Goodman à propos des faits qui sont en litige en l’espèce, la Cour aurait fort bien pu refuser la production des transcriptions des dépositions pour cause de proportionnalité, même si cette mesure avait été demandée de façon appropriée dans le contexte de l’interrogatoire préalable initial. La Cour est convaincue qu’étant donné que les défenderesses ont échoué dans leur tentative pour obtenir les renseignements voulus à partir des souvenirs contemporains de M. Goodman, le fait qu’elles souhaitent les obtenir en consultant ce que peut contenir la transcription de sa déposition constitue un suivi approprié et proportionnel.

(3)  L’incidence des ordonnances préventives ou des règles de l’engagement implicite

[26]  Par courtoisie judiciaire, la Cour devrait s’abstenir de rendre des ordonnances qui obligeraient une partie à contrevenir à une ordonnance d’un tribunal étranger ou à un engagement de confidentialité pris auprès de ce dernier. Cela dit, la charge d’établir l’existence de telles restrictions à la capacité qu’a une partie de se conformer à une ordonnance de production repose sur les épaules de la partie qui les invoque. Les demanderesses n’ont produit aucune preuve montrant qu’il existe de telles restrictions ou que, s’il y en a, celles-ci n’incluent pas une disposition prévoyant que la partie dont un expert a fait une déposition ou qui a désigné des renseignements comme confidentiels ne peut pas renoncer à la confidentialité. Après tout, M. Goodman a déposé dans le cadre de l’instance américaine à titre d’expert d’Acorda, et les parties de la transcription que l’on demande ont trait à des renseignements qui semblent appartenir à Acorda ou à des faits qui revêtent un caractère intrinsèquement public. Même si l’on présume qu’il existe probablement une ordonnance préventive, il est tout aussi probable qu’il existe aussi une disposition qui permette à Acorda de renoncer à la confidentialité.

[27]  Cela dit, la Cour ne souhaite pas placer les demanderesses dans la situation où, juste parce qu’elles n’ont pas soumis la preuve appropriée à la Cour, elles seraient forcées d’opter entre le fait de contrevenir à une ordonnance de production de la Cour et celui de contrevenir à une ordonnance préventive d’un tribunal étranger ou à un engagement pris auprès de ce dernier. Les demanderesses peuvent donc être libérées de l’obligation de se conformer à l’ordonnance de production si, croyant être liées par une ordonnance préventive, un engagement implicite ou une autre mesure régie par la District Court des États‑Unis, et ayant pris les mesures qui s’imposent pour être libérées par celle-ci de ces restrictions, cette cour refuse d’accéder à la demande.

B.  Les dépositions découlant de la RIP

[28]  Comme il a été mentionné, les défenderesses ont demandé, lors de l’interrogatoire préalable initial, la production des dépositions que M. Cohen et M. Blight avaient faites dans le contexte de la RIP. Après s’y être tout d’abord opposées, les demanderesses ont fourni, sous réserve d’opposition, des renseignements indiquant que, au meilleur de leur connaissance, ces transcriptions étaient soumises à des conditions de confidentialité. Les défenderesses n’ont pas demandé, dans le contexte d’une première requête en refus, une réponse supplémentaire et meilleure à cette question.

[29]  Lors de l’interrogatoire préalable de suivi, et après avoir obtenu une copie de l’ordonnance préventive rendue dans le cadre de l’instance relative à la RIP, les défenderesses ont tout d’abord demandé si cette ordonnance empêche Acorda de communiquer ses propres renseignements confidentiels et, ensuite, elles ont entrepris de poser une série de questions semblables à celles qui avaient été posées à propos de la déposition de M. Goodman, et qui visaient à savoir si M. Cohen ou M. Blythe avaient été interrogés, lors des dépositions relatives à la RIP, sur la version ou la disponibilité de l’affiche Goodman 1 utilisée à la conférence de Baltimore, ainsi que sur la disponibilité « publique » du document Acorda S‑1, et, dans l’affirmative, de produire les extraits pertinents des transcriptions.

(1)  La pertinence

[30]  Le fait de savoir si l’ordonnance préventive empêche de communiquer les propres renseignements d’Acorda n’est pas directement lié à l’une quelconque des questions qui sont en litige dans les actions. Une réponse à cette question ne mènerait qu’à des renseignements qui permettraient aux défenderesses de contester ce qui équivaut à une opposition à une demande formulée lors d’un interrogatoire préalable initial. Il ne s’agit pas d’une question posée en interrogatoire préalable qui soit pertinente, mais d’une question qui peut et qui devrait être soulevée dans le contexte d’une requête visant à contraindre à répondre à une question posée en interrogatoire préalable qui a été refusée parce qu’elle contreviendrait à une ordonnance préventive.

[31]  Pour ce qui est des questions visant à obtenir des renseignements sur la teneur des dépositions faites dans le cadre de la RIP ainsi que la production des passages pertinents, le dossier soumis à la Cour dans le cadre de la présente requête ne comporte aucune preuve montrant que M. Cohen et M. Blythe ont probablement été interrogés sur ces points. Rien ne donne à penser que la disponibilité publique de l’affiche Goodman 1 et du document Acorda S‑1 était en litige dans l’instance relative à la RIP. En fait, contrairement à M. Goodman, qui était personnellement présent et a pris part à la conférence de Baltimore, il y a fort peu d’éléments dans le dossier soumis à la Cour qui donnent à penser que M. Cohen et M. Blight ont pu avoir ne serait-ce qu’une connaissance personnelle de faits liés à cette affiche ou à ce document. Les défenderesses semblent être nettement plus à la recherche d’une preuve [traduction] « [d’]admissions » que ces deux hommes auraient pu faire quant à la disponibilité publique de ces deux documents que de la connaissance personnelle pertinente qu’ils pourraient avoir. À cet égard, ces questions ressemblent nettement plus à une recherche à l’aveuglette que celles qui ont trait à la déposition de M. Goodman, et elles sont nettement moins pertinentes.

[32]  L’analyse relative à l’utilité d’une partie quelconque des transcriptions qui pourrait se rapporter à des faits pertinents est, par ailleurs, à peu près semblable à celle qui concerne la déposition de M. Goodman. Les transcriptions des dépositions ne seraient utiles qu’aux fins d’un contre‑interrogatoire. Étant donné qu’aucun élément du dossier soumis à la Cour n’établit que M. Cohen et M. Blythe ne se sont pas souvenus des faits en litige ou qu’ils ont donné sur ces derniers des réponses contradictoires, l’utilité des transcriptions, en présumant qu’elles renferment des renseignements pertinents, est mince.

[33]  La tâche consistant à passer en revue les transcriptions des dépositions et à en extraire tout renseignement potentiellement pertinent est disproportionnée par rapport à sa pertinence possible.

(2)  Les questions constituent‑elles un suivi approprié?

[34]  Même en présumant que la décision antérieure de la Cour est erronée et que la capacité d’Acorda de renoncer à l’application de l’ordonnance préventive est une question d’interrogatoire préalable pertinente, la Cour conclut que, dans les circonstances, il ne s’agit pas d’une question de suivi appropriée. Comme il a été mentionné, l’existence et l’applicabilité de restrictions imposées à la capacité d’une partie de fournir des renseignements par ailleurs pertinents sont une question qu’il convient de soulever et de trancher dans le contexte de requêtes visant à se prononcer sur des oppositions ou à contraindre à fournir des réponses. Les défenderesses ont eu une occasion, dans le contexte de la première requête visant à contraindre à fournir des réponses, de contester l’allégation, formulée par les demanderesses, quant à l’existence de restrictions découlant d’une ordonnance préventive, ainsi que de mettre ces dernières en demeure de prouver l’existence et l’applicabilité d’une telle ordonnance. Elles ont décidé de ne pas le faire et ont renoncé à leur droit de solliciter cette décision. Elles ne peuvent pas le refaire sous le couvert d’une question de suivi.

[35]  Pour ce qui est des questions des défenderesses à propos de l’objet des dépositions et de leur production, il est évident qu’elles auraient pu poser, lors des interrogatoires préalables initiaux, toutes les questions auxquelles elles souhaitent maintenant trouver réponse. Contrairement à la situation de M. Goodman, dans laquelle elles ne pouvaient pas savoir si ce dernier avait suffisamment de souvenirs contemporains des faits avant la fourniture de réponses à des engagements pris, les défenderesses ont eu l’occasion de poser directement des questions à M. Cohen et à M. Blythe sur la connaissance et les souvenirs qu’ils avaient au sujet de l’affiche Goodman et du document Acorda S‑1. Dans la mesure où M. Cohen et M. Blythe auraient été incapables de se souvenir des faits pertinents, les défenderesses auraient été en mesure de demander directement si la question avait été abordée dans les dépositions relatives à la RIP.

[36]  La nécessité, le bien‑fondé et la proportionnalité d’une demande de transcriptions de dépositions dans le cas de M. Cohen et de M. Blythe ne découlent pas de renseignements que les demanderesses ont fournis après la conclusion des interrogatoires préalables initiaux, et elle ne se prête donc pas à un suivi.

(3)  L’incidence de l’ordonnance préventive

[37]  Dans le contexte de la présente requête, une copie de l’ordonnance préventive applicable à l’instance relative à la RIP a été présentée à la Cour. Ce document indique que le droit de désigner comme confidentiels des témoignages rendus dans le cadre de l’instance est conféré aux personnes qui les ont faits, et il s’agit, en l’occurrence, de M. Cohen et de M. Blight eux‑mêmes. L’ordonnance ne comporte aucune disposition habilitant une partie quelconque à renoncer à la confidentialité d’un témoignage une fois que la personne qui l’a rendu l’a désigné comme confidentiel. Les défenderesses n’ont pas attiré l’attention de la Cour sur une disposition quelconque de l’ordonnance préventive qui accorderait censément à Acorda le droit de renoncer à une telle désignation. Même si les demandes de production des transcriptions des dépositions avaient été proportionnées ou constituaient un suivi approprié, la Cour aurait refusé d’ordonner aux demanderesses de les produire, car il n’existe aucune preuve que, dans les circonstances, les parties peuvent renoncer à l’ordonnance préventive qui les vise censément.

IV.  La conclusion et les dépens

[38]  Les demanderesses seront tenues de répondre aux questions que les parties ont indiquées comme relevant de la catégorie 1A du tableau des refus qui a été établi pour la requête, sous réserve des conditions énoncées au paragraphe 27 des présents motifs. Elles ne seront pas tenues de répondre aux questions qui relèvent de la catégorie 3 de ce tableau.

[39]  Les parties établiront et soumettront à l’approbation de la Cour un projet d’ordonnance destiné à mettre en application les présentes conclusions ainsi que les décisions rendues à l’audience même, et dont elles auront toutes approuvé la forme et la teneur.

[40]  L’issue étant partagée, les parties ont convenu qu’aucuns dépens ne devraient être adjugés à l’égard des présentes requêtes.

« Mireille Tabib »

Juge responsable de la gestion de l’instance

Ottawa (Ontario)

Le 15 juillet 2019

Traduction certifiée conforme

Ce 28e jour d’août 2019.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS


DOSSIERS :

T-1163-18

T-1416-18

T-220-19

INTITULÉ :

BIOGEN CANADA INC. et AUTRES c TARO PHARMACEUTICALS INC.

BIOGEN CANADA INC. et AUTRES c APOTEX INC.

BIOGEN CANADA INC. et AUTRES c PHARMASCIENCE INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 JUILLET 2019

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA PROTONOTAIRE TABIB

 

DATE DES MOTIFS :

LE 15 JUILLET 2019

 

COMPARUTIONS :

Adam Heckman

Rebecca Stiles

POUR LA DEMANDERESSE

 

Scott Beeser

 

pOUR LA DÉFENDERESSE

TARO PHARMACEUTICALS, INC.

Dan Cappe

 

pOUR LA DÉFENDERESSE

APOTEX INC.

Aleem Abdula

 

pOUR LA DÉFENDERESSE

PHARMASCIENCE, INC.

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS :

Gowling WLG (Canada) LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Aitken Klee LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

pOUR LA DÉFENDERESSE

 

Goodmans LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

pOUR LA DÉFENDERESSE

 

Aitken Klee LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

pOUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.