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Date : 20190722

Dossiers : T-1515-18

Référence : 2019 CF 959

Ottawa (Ontario), le 22 juillet 2019

En présence de l’honorable juge Lafrenière

ENTRE :

JEAN-PHILIPPE LEBLANC

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La présente est une demande de contrôle judiciaire de la décision du Commissaire adjoint [CA] du Service correctionnel du Canada [SCC], datée du 15 juin 2018 [Décision], refusant le grief du demandeur au palier final et confirmant la décision prise par la Direction de l’Établissement du Centre fédéral de formation [CFF] d’augmenter la cote sécuritaire du demandeur de minimum à moyenne et d’accorder le transfèrement institutionnel non sollicité [TINS] à l’établissement de Drummond [ÉD].

[2]  Le demandeur cherche à ce que la Cour:

  1. Déclare illégale la Décision rendue le ou vers le 15 juin 2018 ainsi que la décision originale de la Direction datée du 22 février 2018;

  2. Ordonne au SCC de fournir une réponse écrite, complète et étayée répondant à toutes les allégations pertinentes soulevées dans le grief no V30R00048981;

  3. Annule la Décision de transfèrement et de hausse de cote sécuritaire par le CFF datée du 22 février 2018, le refus de modifier celle-ci à la suite des représentations du demandeur le 15 février 2019 et confirmée par le Commissaire adjoint dans sa Décision du 15 juin 2018; et

  4. Ordonne une réévaluation du grief par les autorités appropriées du SCC.

[3]  Le demandeur soutient que la Décision est déraisonnable, car:

  1. les motifs de la Décision n’éludent pas un élément principal et important allégué au grief du 3e palier;

  2. la Décision est fondée sur une conclusion de fait erronée et sans que le décideur ne tienne compte d’élément dont il dispose; et

  3. le décideur a commis une erreur en ne procédant pas à une nouvelle évaluation indépendante du grief du demandeur.

[4]  Pour les raisons qui suivent, je suis d’avis que le CA n’a pas procédé à une nouvelle évaluation indépendante du grief déposé par le demandeur. La Décision sera donc annulée et l’affaire sera renvoyée pour que le CA l’évalue de nouveau, en conformité avec les présents motifs.

I.  Contexte

[5]  Les faits sous-jacents à la demande ne sont pas contestés par les parties.

[6]  Le demandeur est détenu depuis le 20 janvier 2012 pour un délit de meurtre au deuxième degré et purge une peine à perpétuité avec admissibilité à la libération conditionnelle après sept ans. Avant son transfert il était détenu au CCF dans le secteur à sécurité minimum suite à une déclassification sécuritaire.

[7]  Le 18 janvier 2018, le demandeur est placé provisoirement à l’unité de sécurité médium du CFF comme alternative à l’isolement préventif puisqu’il faisait l’objet d’une enquête sécuritaire. Le SCC avait reçu de l’information selon laquelle le demandeur était impliqué dans le trafic institutionnel, dans la consommation de substances interdites et dans des pratiques d’intimidation et de contrôle envers certains codétenus. Les informations recueillies sont relatées dans un Rapport de renseignements sécuritaires [RRS].

[8]  Selon le RRS, une source de fiabilité totale et deux sources de fiabilité apparente ont identifié le demandeur comme un vendeur de tabac. De plus, le SCC a remarqué que le demandeur a subi des changements morphologiques significatifs et a pris de la masse musculaire importante en peu de temps. Suite aux vérifications auprès des registres d’achat de cantine, le SCC n’a pas trouvé d’explications à ce changement drastique, sauf l’achat de deux pots de protéines au cours des trois derniers mois. Rien ne suggère au SCC que le demandeur avait une diète d’athlète, d’autant plus que celui-ci mangeait à la cuisine centrale selon le menu national. Le SCC a conclu que l’implication du demandeur dans le réseau pénitencier portait à croire à son usage de stéroïdes. En outre, une saisie de stéroïdes a été effectuée dans la salle commune du CFF. Suivant l’information donnée par quatre sources dont une de fiabilité totale et les autres de fiabilité apparente, le SCC a fait des liens entre la saisie et le demandeur puisque celui-ci était impliqué dans l’intimidation et le contrôle de cette salle commune.

[9]  Le 2 février 2018, l’équipe de gestion de cas [ÉGC] procède à une nouvelle évaluation en vue d’une décision [Évaluation] et recommande d’augmenter la cote de sécurité du demandeur à moyenne et de le placer à l’établissement de Drummond [ÉD], suite au refus de l’établissement de Cowansville [ÉC] en raison de la présence d’un coaccusé à ce pénitencier. Son placement à l’ÉC serait alors contraire aux politiques du SCC (DC 705-7, Cote de sécurité et placement pénitentiaire). L’ÉGC a inclus dans l’Évaluation un résumé des informations contenues dans le RRS.

[10]  Le 15 février 2018, le demandeur soumet ses observations par le biais de son avocat. L’avocat reproche au SCC que l’Évaluation est illégale et déraisonnable au sujet du risque d’évasion et de son adaptation au CFF. Il sollicite de nouveau son placement à l’ÉC.

[11]  Le 22 février 2018, après avoir évalué les représentations du demandeur et les documents à sa disposition, la Direction du CFF entérine la recommandation de l’ÉGC, augmentant ainsi la cote de sécurité du demandeur à moyenne et agréant son transfèrement à l’ÉD.

[12]  Suivant la Directive du Commissaire no 081-1, un détenu peut contester une décision en matière de réévaluation de la cote de sécurité par le biais du processus de règlement des griefs au palier final. Le demandeur soumet son grief le 23 février 2018.

[13]  Dans ses représentations écrites à l’appui du grief, le demandeur soumet que les informations avancées par l’ÉGC sont fausses ou manipulées dans un but précis de le pénaliser puisqu’il avait insisté d’avoir des sorties progressives. Il explique que ses changements morphologiques sont dus au fait qu’il mange plusieurs portions lors d’un même repas puisqu’il est employé des cuisines institutionnelles du SCC. Il soutient que son alimentation et sa consommation de produit à la cantine sont axées vers une alimentation sportive puisque les produits consommés sont fortement protéinés. De plus, il consacre son temps à s’entraîner afin de canaliser et extérioriser ses émotions. Il ajoute qu’une augmentation de poids de 219 à 225 livres durant son séjour au CFF n’est pas alarmante, d’autant plus qu’il n’a pas l’apparence physique d’un consommateur de stéroïdes.

[14]  Quant aux accusations de consommation de substances interdites, le demandeur souligne qu’il n’a jamais fumé ou consommé de la drogue ou du tabac et qu’aucun rapport disciplinaire ou d’observation n’a été déposé contre lui. Il s’appuie sur son test d’urine négatif effectué six semaines avant son transfert pour soutenir qu’il n’a pas consommé des substances interdites. Il invoque également sa demande d’être testé de nouveau lorsqu’on lui a fait part des allégations contre lui avant la prise de décision de la Direction du CFF. Il ajoute qu’étant donné ses visites nombreuses à l’hôpital suite à son diagnostic de cancer, le médecin aurait averti le SCC des dérèglements hormonaux ou de toute autre anomalie lors des prises de sang pour des tests médicaux.

[15]  Au sujet du trafic institutionnel, le demandeur allègue que la salle commune est accessible à tous les détenus résidant dans ces rangées et que le SCC ne peut pas lui attribuer la possession de substances retrouvées avec certitude, sans preuve au soutien. Il conteste, mais n’aborde pas, les allégations d’intimidation et du trafic de tabac.

[16]  Le demandeur conteste également son transfèrement et placement à l’ÉD, soulignant qu’il a déjà cohabité avec ses coaccusés à de maintes reprises dans le passé et qu’il n’y a jamais eu de problèmes. Selon le demandeur, il n’y a donc aucune raison de refuser son placement à l’ÉC étant donné que son objectif est de poursuivre ses études dans les limites du contexte carcéral.

II.  La Décision du CA

[17]  Le CA rend sa Décision le 15 juin 2018. Au premier paragraphe de la Décision, le CA énumère les documents consultés, soient la présentation du demandeur, les lois et les politiques applicables, ainsi que les documents pertinents consignés au dossier du demandeur dans le Système de gestion des délinquants.

[18]  La Décision reprend essentiellement les conclusions étayées par l’ÉGC et la Direction du CFF dans sa décision du 22 février 2018, soient que: (a) le demandeur ne présente pas les caractéristiques et le comportement d’un détenu à une cote de sécurité minimale en raison de son attitude rigide, sa méfiance et son manque d’ouverture envers les membres de son ÉGC; et (b) les gestes du demandeur ne concordent pas avec son discours lorsque confronté à des obstacles et le demandeur adopte plutôt une attitude réfractaire.

[19]  Bien que le demandeur le nie, le CA se fie aux renseignements recueillis par le SCC pour conclure que le demandeur est impliqué dans le trafic de tabac en institution, consomme des stéroïdes et démontre des comportements d’intimidation. Tout comme l’ÉGC, le CA prend en considération dans l’évaluation du risque d’évasion la violence importante des antécédents criminels du demandeur, l’impulsivité constatée par le passé ainsi que son manque de progrès dans sa façon d’agir par rapport aux facteurs dynamiques contributifs au comportement violent.

[20]  En réponse aux arguments soulevés au sujet des visites familiales, le CA explique qu’il est toujours possible pour un membre de la famille du demandeur de fournir une justification afin de pouvoir visiter des détenus dans deux établissements différents au même niveau de sécurité.

[21]  Finalement, pour conclure, le CA déclare ce qui suit :

Dans la revue de décision pour votre TINS, datée du 2018-02-22, la directrice de l’établissement a indiqué avoir examiné tous les renseignements disponibles, y compris les observations de votre avocat, et avoir pris en compte l’ensemble de vos besoins avant d’entériner la recommandation de votre ÉGC.

Elle a insisté sur le fait que l’ÉC n’était pas en mesure de vous accueillir étant donné la présence de l’un de vos co-accusé et que l’ÉD était en mesure de répondre à tous vos besoins, notamment ceux en matière de sécurité, le tout conformément à l’article de LSCMLC.

À la lumière de ce qui précède, il est déterminé au palier national que les recommandations de votre ÉGC concernant la réévaluation de votre CS et votre TINS vers l’ÉD ainsi que les décisions associées étaient conformes à la LSCMLC, au RSCMLC ainsi qu’aux DC. De plus, vous avez reçu une justification suffisante relativement à ces décisions. Par conséquent, votre grief est refusé.

III.  Questions en litige

[22]  La seule question en litige est si la Décision du CA est raisonnable.

IV.  Norme de contrôle

[23]  Les parties s’entendent que la norme de contrôle raisonnable s’applique en l’espèce. Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada explique qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle. En effet, lorsque la norme de contrôle applicable à la question qui lui est soumise est bien arrêtée par la jurisprudence, la juridiction de révision peut adopter cette norme.

[24]  Dans Hall c Canada (Procureur général), 2013 CF 933 [Hall] aux paragraphes 21 à 23, le juge en chef Paul Crampton a analysé la norme de contrôle applicable aux conclusions mixtes de fait et de droit tirées du Commissaire dans le cadre du processus de règlement des griefs du SCC :

[21]  La première question soulevée concerne l’interprétation que fait le commissaire de son mandat en vertu du paragraphe 80(2) du Règlement. Lorsqu’un décideur administratif interprète sa propre loi ou une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie, la déférence est habituellement de mise. Le principe ne vaut cependant pas lorsque l’interprétation de la loi relève d’une catégorie de questions à laquelle la norme de la décision correcte demeure applicable, à savoir i) les questions constitutionnelles, ii) les questions de droit qui revêtent une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et qui sont étrangères au domaine d’expertise du décideur, iii) les questions portant sur la délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents, et iv) les questions touchant véritablement à la compétence (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61 (CanLII), [2011] 3 RCS 654 [Alberta Teachers], au paragraphe 30).

[22]  Il est d’emblée évident que l’interprétation que fait le commissaire de son mandat en vertu du paragraphe 80(2) du Règlement ne relève pas d’une question constitutionnelle, d’une question d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble, ou d’une question portant sur la délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents. J’estime que l’interprétation que fait le commissaire de son mandat ne relève pas non plus d’une de ces situations exceptionnelles d’interprétation législative dont il pourrait être raisonnablement affirmé qu’elles touchent véritablement à la compétence (Alberta Teachers, précité, aux paragraphes 33 à 43). Cela est d’autant plus vrai que les raisons pour lesquelles la Cour ne devrait pas effectuer le contrôle de cette question au regard de la norme déférente de la décision raisonnable n’ont pas été établies (Alberta Teachers, précité, au paragraphe 39).

[23]  La deuxième question soulevée en l’espèce touche le caractère raisonnable de la décision du commissaire et est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 (CanLII) [Dunsmuir], aux paragraphes 51 à 53).

[25]  Étant donné que la norme de contrôle applicable à une décision du Commissaire est bien reconnue, la Cour se concentrera sur la justification, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel et examinera si « la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47). Dans ce contexte, la Cour doit faire preuve de retenue envers la Décision du CA et ne peut lui substituer ses propres motifs. Elle peut toutefois, au besoin, examiner le dossier pour mesurer et apprécier le caractère raisonnable de la Décision.

V.  Analyse

A.  Questions préliminaires sur l’admissibilité de la preuve

[26]  Une question préliminaire est l’admissibilité de la preuve déposée par le demandeur, soit les pièces JL-2, le plan correctionnel daté du 1er février 2018, et JL-3, le rapport du profil criminel daté du 1er février 2018, et les paragraphes 12 et 13 de l’affidavit du demandeur. Le défendeur a demandé de radier les deux pièces, ainsi que les deux paragraphes de l’affidavit, puisqu’ils comprennent des faits qui n’ont pas été portés à la connaissance du CA.

[27]  Au début de l’audience, le procureur du demandeur a concédé que les deux pièces doivent être radiées. Cependant, il n’accepte pas de retirer les paragraphes 12 et 13 de l’affidavit du demandeur.

[28]  Au paragraphe 12 de son affidavit, le demandeur déclare qu’il a rencontré son agente de libération conditionnelle suite à la réception de l’Évaluation haussant sa cote sécuritaire afin de contester de vive voix les informations qui y étaient contenues. Au paragraphe 13, le demandeur indique qu’il a mentionné à la même agente « être en rémission d’un cancer et effectuer des tests sanguins de manière fréquente …». Le fait est que le CA ne disposait pas de ces éléments de preuve. Il ne peut donc pas être pris en défaut pour ne pas avoir tenu compte d’un élément de preuve dont il ne disposait pas. Une telle preuve n’est pas pertinente lors d’un contrôle judiciaire et devrait donc être radiée.

B.  La Décision du CA est-elle raisonnable?

[29]  Les arguments du demandeur peuvent être regroupés à un seul, soit que le CA n’a pas effectué une nouvelle évaluation indépendante du grief, que le CA a omis de considérer la preuve se trouvant dans ses soumissions et ses observations du 18 février 2018, et par conséquent, que le CA n’ait pas rendu une Décision justifiée et raisonnable.

[30]  Le défendeur soumet que la Décision du CA est raisonnable, bien que celui-ci n’ait pas explicitement fait référence à toutes les soumissions du demandeur. Tel que rappelé par cette Cour dans l’affaire Rivest c Canada (Procureur général), 2017 CF 339 au paragraphe 32, le demandeur doit faire la preuve que le décideur ait fait fi de ses représentations. À moins d’une preuve claire et convaincante du contraire, le décideur administratif est présumé avoir considéré tous les renseignements dans un dossier.

[31]  Le CA n’avait aucune obligation d’examiner et de commenter dans ses motifs chaque argument soulevé par le demandeur dans sa Décision (Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36 au paragraphe 53 [Agraira]). Il ne fait aucun doute que le CA a conclu que la décision du directeur de l’établissement avait été prise conformément aux politiques et compte tenu de tous les éléments de preuve disponibles. Or, ce n’était pas la question qu’il devait trancher. Comme le juge en chef le signale dans Hall au paragraphe 29, la question était plutôt de savoir « si lui, le commissaire », estimait que le grief devait être accueilli ou rejeté, « d’après sa propre évaluation du dossier ».

[32]  Dans la Décision, le CA mentionne qu’il a « minutieusement analysé » le grief du demandeur et qu’il a consulté sa présentation lors de son analyse. Au deuxième paragraphe, le CA résume les observations du demandeur comme suit :

Dans votre présentation, vous contestez l’augmentation de votre CS à moyenne, indiquant que les motifs soulevés par votre équipe de gestion des cas (ÉGC) pour appuyer son évaluation sont douteux. Vous contestez également votre TINS vers l'ÉD, indiquant que vous préféreriez être transféré vers l’Établissement de Cowansville (ÉC) afin de poursuivre vos études postsecondaires ainsi que pour faciliter les visites de votre famille étant donné que votre cousin y est actuellement incarcéré.

[33]  Pourtant, le demandeur a fourni nombreuses autres explications quant aux allégations de ses changements morphologiques, de sa consommation de substances interdites et de sa participation dans le trafic institutionnel, dont le fait qu’il s’entraîne régulièrement, qu’il mange plus qu’une portion de nourriture par repas, sa condition médicale et que le SCC n’ait soumis aucune preuve de sa participation au trafic institutionnel. Or, le CA n’en fait aucune mention et ne commente nullement ces soumissions pourtant fondamentales.

[34]  Il est vrai qu’un décideur administratif est présumé avoir considéré l’ensemble de la preuve et qu’il n’a pas l’obligation de justifier chaque soumission avancée par le demandeur (Agraira, au paragraphe 53). Toutefois, les justifications et allégations en question sont au cœur de la Décision d’augmenter la cote de sécurité du demandeur et de son transfèrement et elles méritent une explication du CA quant au rejet de ces arguments. À la lecture de la Décision, il n’y a pas d’indication que les observations du demandeur sur des aspects importants ont été considérées par le CA, ce qui est un signe d’une décision déraisonnable (MacDonald c Canada (Procureur général), 2017 CF 1028 au paragraphe 26).

[35]  Le CA a plutôt analysé si la Décision de la Direction du CFF était conforme à la loi, aux règlements et aux politiques. Or, comme mentionné ci-haut, ce n’était pas la question qu’il devait trancher.

[36]  Le droit d’appel dans le cadre de la procédure de règlement des griefs donnait au demandeur la possibilité d’obtenir un nouvel examen de son grief. Le CA peut substituer sa Décision à celle de la Direction du CFF et accepter de nouveaux éléments de preuve (Tyrrell c Canada (Procureur général), 2008 CF 42 au paragraphe 38). En vertu de l’article 2 de la Directive du commissaire 081 « Plaintes et griefs des délinquants », le CA doit alors fournir « une réponse complète, étayée et compréhensible à toutes les questions soulevées dans leur plainte ou leur grief initial ».

[37]  Le demandeur a partagé des nouvelles informations potentiellement pertinentes qui nécessitaient une nouvelle vérification de la part du décideur. Rien dans la Décision ne pourrait raisonnablement laisser croire que le CA a procédé à une évaluation indépendante des soumissions et des justifications soumises par le demandeur dans son grief, et qu’il a tiré sa propre conclusion sur leur bien-fondé. Toutefois, ces éléments étaient nouveaux et le CA aurait dû en faire mention dans son analyse. Le rôle de la Cour n’est pas de déterminer si les informations dont le CA n’a pas tenu compte auraient influé sur le résultat.

VI.  Conclusion

[38]  À la lumière de l’ensemble du dossier et à la lecture de la Décision, je conviens que le CA n’a effectivement pas procédé à une nouvelle évaluation indépendante du grief déposé par le demandeur. Par conséquent, la Décision est déraisonnable. Il convient donc d’annuler la Décision du CA et de lui renvoyer l’affaire pour qu’il procède à une nouvelle évaluation du grief du demandeur.


JUGEMENT au dossier T-1515-18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La Décision du Commissaire adjoint rendue le 15 juin 2018 au palier final relativement au grief déposé par le demandeur est annulée.

  3. L’affaire est renvoyée aux autorités appropriées afin de rendre une nouvelle décision en conformité avec les présents motifs.

  4. Le tout sans dépens.

« Roger R. Lafrenière »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1515-18

INTITULÉ :

JEAN-PHILIPPE LEBLANC c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 JUILLET 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LAFRENIÈRE

DATE DES MOTIFS :

LE 22 JUILLET 2019

COMPARUTIONS :

Andrée-Anne Dion-Côté

Pierre Tabah

pour le demandeur

Joshua Wilner

pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Labelle, Côté, Tabah et Associés

St-Jérôme (Québec)

pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

pour le défendeur

 

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