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Date : 20190726


Dossier : T-948-19

Référence : 2019 CF 964

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 26 juillet 2019

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

CHANI ARYEH-BAIN et IRA WALFISH

demandeurs

et

LE DIRECTEUR GÉNÉRAL DES ÉLECTIONS DU CANADA

défendeur

et

LA LIGUE DES DROITS DE LA PERSONNE DE B’NAI BRITH CANADA

intervenant

JUGEMENT ET MOTIFS MODIFIÉS

Aperçu

[1]  Les demandeurs, Mme Aryeh-Bain et M. Walfish, sont des Canadiens juifs orthodoxes qui sollicitent le contrôle judiciaire des décisions du directeur général des élections (DGE), lequel a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour recommander une autre date pour la tenue de l’élection fédérale prévue le 21 octobre 2019 (parfois appelée jour d’élection ou jour du scrutin). Ils soutiennent que le directeur général des élections n’a pas dûment tenu compte des droits qui leur sont conférés par la Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c 11 (la Charte).

[2]  Mme Aryeh-Bain est une politicienne juive orthodoxe qui a été désignée candidate aux élections dans la circonscription électorale d’Eglinton-Lawrence et M. Walfish est un activiste politique et un électeur de confession juive orthodoxe. Ils font valoir que la date de la prochaine élection fédérale, soit le 21 octobre 2019, entre en conflit avec la grande fête juive de Chemini Atseret.

[3]  L’article 16 de la Loi électorale du Canada, LC 2000, c 9, (la Loi) fixe les pouvoirs et les fonctions du directeur général des élections et dispose que celui-ci dirige et surveille d’une façon générale les opérations électorales; veille à l’équité et à l’impartialité des mesures visant l’observation de la Loi et exerce les pouvoirs et fonctions nécessaires à l’application de la Loi. Pour ce mandat, la Loi prévoit expressément que le directeur général des élections puisse recommander une autre date pour le jour de scrutin lorsque, notamment, la date prévue coïncide avec un jour revêtant une importance culturelle ou religieuse (article 56.2).

[4]  Le 18 juin 2019, le juge en chef adjoint de notre Cour a fixé l’audience de la présente demande selon la procédure accélérée.

[5]  Le statut d’intervenant a été accordé à la Ligue des droits de la personne de B’nai Brith Canada (B’nai Brith), un organisme qui, selon sa description, serait un défenseur de la communauté juive et [traduction] « la plus ancienne organisation juive indépendante et financièrement autonome du Canada » fondée en 1875.

[6]  Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, puisque la décision du directeur général des élections, dans son ensemble, ne présente pas les caractéristiques de transparence, d’intelligibilité et justification de la décision, car il est impossible de déterminer si le directeur général des élections a effectivement entrepris de mettre en balance les droits des demandeurs conférés par la Charte en proportion avec l’exercice des fonctions que lui confère la loi.

Résumé des faits

[7]  Il est prévu, par application de la Loi, que l’élection fédérale de 2019 ait lieu le 21 octobre. Cette date coïncide avec la grande fête juive de Chemini Atseret qui commence le 20 octobre en soirée et se termine le 22 octobre en soirée. Au cours de cette période, les Juifs orthodoxes pratiquants doivent s’abstenir de nombreuses activités, notamment celles de voter et de faire campagne. De plus, les personnes juives orthodoxes doivent limiter ce qu’ils demandent aux autres, car la loi juive interdit à une personne juive d’inciter une autre personne juive à travailler ou à exercer une activité interdite en son nom. Un pratiquant du rite orthodoxe ne peut donc pas demander à quiconque de voter ou de faire campagne en son nom lors de la fête Chemini Atseret.

[8]  Si l’élection a lieu le jour de Chemini Atseret, Mme Aryeh-Bain, qui est la candidate du Parti conservateur dans sa circonscription, devra s’abstenir de voter et de faire campagne ce jour-là. De même, M. Walfish et d’autres Juifs orthodoxes pouvant voter (environ 75 000 au pays) ne seront pas en mesure de voter le jour du scrutin ni de participer à l’élection ce jour-là.

[9]  Non seulement Chemini Atseret coïncide avec le jour du scrutin, mais deux autres jours de vote par anticipation coïncident avec le sabbat (le 12 octobre) et le festival de Souccot (le 14 octobre), deux autres fêtes juives. Le dernier jour permettant de voter par bulletin spécial (le 15 octobre) coïncide lui aussi avec le Souccot.

[10]  En raison de ces obstacles, les électeurs juifs orthodoxes et les candidats juifs orthodoxes ont une capacité limitée à participer aux activités électorales qui précèdent le scrutin ou ont lieu le jour même du scrutin.

[11]  Dans son affidavit, Mme Aryeh-Bain affirme que ces restrictions auront une incidence sur sa candidature, car 20 % de la population de la circonscription d’Eglinton-Lawrence est juive et compte au moins 5 000 électeurs juifs orthodoxes. La circonscription est considérée comme étant non acquise, car la marge de victoire est très faible historiquement.

[12]  En conséquence, les demandeurs ont demandé au directeur général des élections de recommander que la date de l’élection soit modifiée selon les dispositions du paragraphe 56.2(4) de la Loi.

Échéancier

[13]  Le 22 août 2018, le Centre consultatif des relations juives et israéliennes (CIJA) a informé le directeur général des élections que l’élection a lieu durant les Grandes Fêtes juives annuelles et que, par conséquent, [traduction] « les Juifs pratiquants ne se prévaudront pas de leur droit de vote ce jour-là ». De plus, la CIJA a fourni au directeur général des élections une liste de jours pendant la période électorale au cours desquels une grande fête juive a lieu. Selon cette liste, la fête de Souccot coïncide avec une date du vote par anticipation (le 14 octobre 2019) et celle de Chemini Atseret, avec le jour de scrutin. Dans sa lettre, le CIJA affirme que les Juifs pratiquants ne seraient pas en mesure de voter le jour du scrutin et, même s’il n’a pas affirmé explicitement qu’il ne demandait pas de changer la date, le CIJA suggère de collaborer avec le directeur général des élections pour aider les communautés juives les plus touchées.

[14]  Le 29 août 2018, Élections Canada a diffusé un communiqué intitulé « Infocapsules », qui rapportait les points suivants :

  • Élections Canada ne décide pas de la date des élections, notamment celle de l’élection générale;

  • la Loi électorale du Canada fixe la date des élections générales et la date de la prochaine élection est fixée au 21 octobre 2019.

  • Comme le veut l’usage, Élections Canada adaptera ses activités pour tenir compte des fêtes religieuses, notamment pour ce qui est de sélectionner l’emplacement des bureaux de vote, des communications avec les collectivités visant à les informer, du recrutement du personnel et de son attribution à bureau de vote.

[15]  D’après ce communiqué de presse, Élections Canada essaie d’accommoder les électeurs juifs qui sont touchés par la date de l’élection. Il n’y est pas question de fixer un jour de rechange selon les dispositions la Loi.

[16]  Le 15 mars 2019, un courriel diffusé à l’interne chez Élections Canada indique ce qui suit :

[traduction]

Nous avons décidé que nous continuons de collaborer avec la communauté juive sur les plans national et local et que le jour du scrutin ne sera pas reporté au lundi suivant, soit le 28 octobre. Ce qui justifie cette décision, c’est que notre travail de collaboration jusqu’à présent nous indique que cette communauté travaille de bon gré avec Élections Canada pour examiner toutes les options de l’exercice du droit de vote et sensibiliser les électeurs à ces options.

[17]  Le 14 avril 2019, Mme Aryeh-Bain a remporté l’investiture conservatrice de sa circonscription et s’est inquiétée dès lors de la date du scrutin qui coïncide avec Chemini Atseret et de son effet sur sa campagne électorale. Le 18 avril 2019, elle a envoyé un courriel au directeur général des élections pour exprimer ces inquiétudes et a demandé à faire reporter la date de l’élection au 28 octobre 2019. Dans ce courriel, elle soulève d’autres questions relatives aux droits conférés par la Charte, comme suit :

[traduction]

Le fait que des candidats et des électeurs juifs soient défavorisés de cette façon s’oppose aux droits à l’égalité que la Charte canadienne des droits et libertés leur garantit.

[18]  Le 15 mai 2019, le rabbin Mordechai Lowy du conseil Vaad Harabonim faisait parvenir une lettre au directeur général des élections au sujet d’un candidat juif pratiquant qu’il ne nomme pas (probablement Mme Aryeh-Bain), lequel serait énormément limité dans sa capacité à faire compagne à partir du 13 octobre, un dimanche, en raison de restrictions religieuses.

[19]  Le 17 mai 2019, le CIJA a fait parvenir une autre lettre au directeur général des élections pour expliquer que, même si les discussions avaient tourné autour des accommodations raisonnables des électeurs juifs orthodoxes, il demandait, après avoir consulté plusieurs autorités rabbiniques, l’étude urgente de la possibilité de déplacer le jour du scrutin au 28 octobre 2019.

[20]  Le 31 mai 2019, M. Walfish a fait parvenir un courriel au directeur général des élections pour expliquer l’effet de la date actuelle de l’élection sur la communauté juive pratiquante, étant lui-même un électeur juif orthodoxe.

[21]  En outre, plus 140 Canadiens ont écrit au directeur général des élections pour lui faire part de préoccupations concernant, elles aussi, la capacité de la communauté juive pratiquante à participer à l’élection et pour demander au directeur général des élections d’envisager la possibilité de déplacer la date de l’élection générale.

Preuve

[22]  Pour appuyer la présente demande de contrôle judiciaire, les demandeurs se fondent sur les témoignages par affidavit suivants :

  • l’affidavit de Mme Chani Aryeh-Bain, signé le 17 juin 2019;

  • l’affidavit de M. Ira Walfish, confirmé le 17 juin 2019;

  • l’affidavit du rabbin Moshe Mordechai Lowy, confirmé le 16 juin 2019.

[23]  Le défendeur se fonde sur l’affidavit du directeur général adjoint des élections Michel Roussel, qui a été signé le 28 juin 2019.

[24]  De plus, le défendeur a déposé en preuve des documents d’Élections Canada, selon la disposition de l’article 317 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106.

Loi électorale du Canada

[25]  La partie 5 de la Loi a pour titres « Tenue d’une élection » et « Date des élections générales » et dispose de ce qui suit :

Maintien des pouvoirs du gouverneur général

Powers of Governor General preserved

56.1 (1) Le présent article n’a pas pour effet de porter atteinte aux pouvoirs du gouverneur général, notamment celui de dissoudre le Parlement lorsqu’il le juge opportun.

56.1 (1) Nothing in this section affects the powers of the Governor General, including the power to dissolve Parliament at the Governor General’s discretion.

Date des élections

Election dates

(2) Sous réserve du paragraphe (1), les élections générales ont lieu le troisième lundi d’octobre de la quatrième année civile qui suit le jour du scrutin de la dernière élection générale, la première élection générale suivant l’entrée en vigueur du présent article devant avoir lieu le lundi 19 octobre 2009.

(2) Subject to subsection (1), each general election must be held on the third Monday of October in the fourth calendar year following polling day for the last general election, with the first general election after this section comes into force being held on Monday, October 19, 2009.

Jour de rechange

Alternate day

56.2 (1) S’il est d’avis que le lundi qui serait normalement le jour du scrutin en application du paragraphe 56.1(2) ne convient pas à cette fin, notamment parce qu’il coïncide avec un jour revêtant une importance culturelle ou religieuse ou avec la tenue d’une élection provinciale ou municipale, le directeur général des élections peut choisir un autre jour, conformément au paragraphe (4), qu’il recommande au gouverneur en conseil de fixer comme jour du scrutin.

56.2 (1) If the Chief Electoral Officer is of the opinion that a Monday that would otherwise be polling day under subsection 56.1(2) is not suitable for that purpose, including by reason of its being in conflict with a day of cultural or religious significance or a provincial or municipal election, the Chief Electoral Officer may choose another day in accordance with subsection (4) and shall recommend to the Governor in Council that polling day be that other day.

Publication de la recommandation

Publication of recommendation

(2) Le cas échéant, le directeur général des élections publie, sans délai, le jour recommandé dans la Gazette du Canada.

(2) If the Chief Electoral Officer recommends an alternate day for a general election in accordance with subsection (1), he or she shall without delay publish in the Canada Gazette notice of the day recommended.

Prise et publication du décret

Making and publication of order

(3) S’il accepte la recommandation, le gouverneur en conseil prend un décret y donnant effet. Le décret est publié sans délai dans la Gazette du Canada.

(3) If the Governor in Council accepts the recommendation, the Governor in Council shall make an order to that effect. The order must be published without delay in the Canada Gazette.

Restriction

Limitation

(4) Le jour de rechange est soit le mardi qui suit le jour qui serait normalement le jour du scrutin, soit le lundi suivant.

(4) The alternate day must be either the Tuesday immediately following the Monday that would otherwise be polling day or the Monday of the following week.

Date limite de la prise du décret

Timing of proclamation

(5) Le décret prévu au paragraphe (3) ne peut être pris après le 1er août de l’année pendant laquelle l’élection générale doit être tenue.

(5) An order under subsection (3) shall not be made after August 1 in the year in which the general election is to be held.

Décision du directeur général des élections

[26]  Dans l’avis de requête modifié, les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de [traduction] « la décision rendue par le directeur général des élections de ne pas recommander au gouverneur en conseil de faire reporter la date des élections générales fédérales du 21 octobre 2019 au 28 octobre 2019, deux lundis ».

[27]  Selon ce que le directeur général des élections a maintenu, Élections Canada ne décide pas de la date des élections et le directeur général des élections ne peut recommander à l’heure actuelle le report de la date de l’élection. Ces prises de position figurent dans les communications du directeur général des élections. Les communications pertinentes au présent contrôle judiciaire figurent ci-dessous.

[28]  Dans sa lettre du 7 mai 2019, le directeur général des élections répondait à la demande de Mme Aryeh-Bain de faire déplacer le jour scrutin. Il y affirmait notamment ce qui suit :

[traduction]

Merci de votre courriel du 18 avril 2019, dans lequel il est question de l’observation des fêtes juives qui auront lieu lors des prochaines élections générales fédérales. Il est malheureux que le jour du scrutin, soit le 21 octobre 2019, coïncide avec la fête de Chemini Atseret. Nous vous remercions d’avoir soulevé le fait que l’observation de cette fête empêchait la participation des électeurs ce jour-là et pouvait avoir un effet sur votre expérience en tant que candidate. Élections Canada ne décide pas de la date des élections. La Loi électorale du Canada prescrit la tenue d’une élection générale à date fixe. Cela dit, le gouvernement peut déclencher une élection surprise à tout moment.

Nous avons été avisés du problème en août 2018 par le Centre consultatif des relations juives et israéliennes (CIJA). Par la suite, après ce premier contact, nous avons discuté avec le Centre des façons d’améliorer le plus possible l’accessibilité des électeurs qui ne pourront pas voter le jour du scrutin en raison de l’observation des fêtes juives lors de la prochaine élection fédérale.

[29]  Dans sa réponse, le directeur général des élections décrit par la suite les possibilités de vote par anticipation qui sont offertes avant le jour du scrutin. Le directeur général des élections n’y aborde ni les préoccupations de Mme Aryeh-Bain à titre de candidate, ni la question des droits garantis par la Charte.

[30]  Le 30 mai 2019, le directeur général des élections a offert la réponse suivante à la deuxième lettre du CIJA :

[traduction]

Après mûre réflexion sur la possibilité de recommander au Cabinet un autre jour pour la tenue du scrutin, j’aimerais vous faire savoir que je ne suis pas disposé à faire une telle recommandation à une date aussi rapprochée du déclenchement des élections. À mon avis, Élections Canada est en mesure d’assurer que tous les services destinés aux électeurs et aux candidats seront exécutés à l’avance des Grandes Fêtes juives. Par conséquent, je ne pourrais soutenir que nous serons dans l’incapacité de nous acquitter de notre mandat. Sur la question de l’équilibre entre les circonstances favorisant les candidats juifs et celles favorisant les non-juifs, les Grandes Fêtes juives auront lieu au cours de la période électorale, peu importe que le scrutin ait lieu le 21 octobre ou le 28 octobre. Le fait de repousser le jour de l’élection a un effet sur le moment de la campagne où les activités restreintes auront lieu, mais aucune incidence sur la durée de celles-ci.

[31]  Par sa lettre du 4 juin 2019, le directeur général des élections a répondu à la lettre du rabbin Moshe Mordechai Lowy et il y affirmait notamment ce qui suit :

[traduction]

Vous faites la remarque dans votre lettre que j’ai le pouvoir discrétionnaire à titre de directeur général des élections de repousser la date de l’élection. J’aimerais vous signaler que ce pouvoir ne consiste qu’à faire une recommandation au Cabinet et non pas celui de décréter par moi-même la date de l’élection. Après mûre réflexion, je ne suis pas disposé à faire cette recommandation à une date aussi rapprochée du déclenchement des élections [...]

Le refus de recommander de reporter le jour de l’élection est une décision qui tient compte d’un large éventail de questions fonctionnelles, dont les suivantes : la disponibilité des emplacements de bureau de vote convenables (à la lumière de l’examen qui vient d’être effectué sur cette disponibilité pour les 150 000 emplacements), l’embauche de personnel de terrain pour une semaine supplémentaire dans 338 circonscriptions et le prolongement d’une semaine s’appliquant à tous les contrats connexes de services sur les lieux.

[32]  Le directeur général des élections a fourni des réponses semblables aux diverses autres demandes qu’il a reçues.

Les questions en litige

[33]  Les parties reconnaissent que la seule question en litige soit, grosso modo, le caractère raisonnable de la décision du directeur général des élections de ne pas recommander de déplacer la date de l’élection qui, autrement, aurait coïncidé avec la fête de Chemini Atseret.

[34]  Le défendeur s’oppose également au bref de mandamus, la mesure de réparation demandée par les demandeurs.

Norme de contrôle

[35]  La Cour suprême du Canada a indiqué clairement que, lorsqu’une décision administrative fait intervenir une protection garantie par la Charte, la cour de révision doit procéder à « une analyse robuste de la proportionnalité compatible avec les principes de droit administratif » (École secondaire Loyola c Québec (Procureur général), 2015 CSC 12 [Loyola], au paragraphe 3).

[36]  L’arrêt Doré c Barreau du Québec, 2012 CSC 12 [Doré] reconnaît que le décideur est généralement le mieux placé pour mettre en balance les protections garanties par la Charte et le mandat que lui confie la loi au regard des faits précis de l’affaire (au paragraphe 54). Il s’ensuit que la déférence est justifiée lorsqu’une cour de révision est appelée à décider si la décision est le fruit d’une mise en balance proportionnée et qu’il peut y avoir plus d’une issue qui représente une mise en balance proportionnée des protections garanties par la Charte et des objectifs imposés par la loi (Loyola, au paragraphe 41). Si la décision appartient aux issues possibles et acceptables, elle est jugée raisonnable (Doré, au paragraphe 56, citant l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], au paragraphe 47). Les caractéristiques traditionnelles de la norme de la décision raisonnable, soit la justification de la décision, la transparence et l’intelligibilité, s’appliquent toujours (Dunsmuir, au paragraphe 47).

[37]  Par conséquent, la décision administrative est jugée raisonnable si elle est le fruit d’une mise en balance proportionnée de la protection conférée par la Charte et du mandat confié par la loi (voir Doré, au paragraphe 7; Loyola, au paragraphe 32).

Discussion

La thèse des demandeurs

[38]  Mme Aryeh-Bain soutient que, en tant que candidate aux élections fédérales, une participation effective aux élections lui est refusée, en opposition à l’article 3 de la Charte, car la date actuelle de l’élection impose des restrictions sur elle et son équipe de campagne en vue de participer à la campagne précédant l’élection et le jour même de l’élection.

[39]  M. Walfish soutient, à titre d’électeur, que les droits garantis par la Charte à l’article 3 sont eux aussi violés parce qu’il lui est interdit de voter ou de se porter bénévole le jour de l’élection, car celui-ci coïncide avec Chemini Atseret. En outre, il relève que tous les électeurs juifs pratiquants se trouvent dans une situation semblable et qu’ils ne peuvent jouir des mêmes droits que les autres électeurs pour ce qui est de participer utilement à l’élection.

[40]  Les demandeurs soutiennent que, vu ces circonstances, leurs droits de liberté de religion, garantis par l’alinéa 2a) de la Charte, et leurs droits à l’égalité, garantis par l’article 15, sont eux aussi violés et que les bulletins de vote spéciaux et les possibilités de voter par anticipation ne remédient à ces violations de leurs droits.

Thèse du directeur général des élections

[41]  Le directeur général des élections se fonde sur le témoignage par affidavit du directeur général adjoint des élections, M. Roussel, qui supervise les préparatifs en vue de l’élection générale. Il explique qu’Élections Canada est un organisme indépendant et non partisan et que son bureau central se trouve dans la région de la capitale nationale. Son mandat consiste à gérer les élections conformément au droit, notamment à la Loi électorale du Canada, de manière à se montrer accessible, transparent et équitable envers tous les participants.

[42]  M. Roussel affirme que le directeur général des élections, qui se fondait sur les communications reçues, avait conclu que les employés et les bénévoles non juifs pouvaient faire campagne au nom des candidats lors des Grandes Fêtes juives. M. Roussel ajoute que ce n’est qu’après le dépôt des affidavits des demandeurs le 17 juin 2019 que le directeur général des élections a pris conscience des restrictions pesant sur Mme Aryeh-Bain et sa campagne.

[43]  La thèse du directeur général des élections, cependant, est que le fait de reporter la date de l’élection au 28 octobre 2019 aurait une incidence négative sur la tenue de l’élection générale. En plus d’entrer en conflit avec les élections municipales ayant lieu au Nunavut, le jour de rechange de l’élection de 2019 présente des problèmes d’ordre logistique, notamment celui de trouver des emplacements de bureau de vote qui soient accessibles aux électeurs handicapés. M. Roussel ajoute qu’un report de l’élection présenterait des défis pour ce qui est de recruter des fonctionnaires et du personnel qualifiés et compétents.

[44]  Élections Canada s’est employée à fournir à la communauté juive pratiquante des moments propices pour voter en prévoyant une hausse de l’effectif lors des journées de vote par anticipation et en menant des activités de sensibilisation sur les autres modalités de vote.

Observations de l’intervenante

[45]  B’nai Brith prétend que la tenue d’une élection lors d’un jour revêtant une importance religieuse constitue un obstacle au droit de vote. L’organisme soutient que le vote par anticipation n’est une mesure d’accommodement suffisante lorsque l’élection à date fixe entre en conflit avec un revêtant une importance culturelle ou religieuse et pour laquelle la Loi a conféré au directeur général des élections le pouvoir discrétionnaire de recommander un jour de rechange.

[46]  B’nai Brith postule que la décision du directeur général des élections de ne pas recommander de changer la date d’élection fixe viole les droits démocratiques de citoyens canadiens et mine la légitimité du processus démocratique. L’organisme soutient que la tenue d’une élection lors d’un jour revêtant une importance religieuse diminue l’importance de la participation des citoyens touchés par la mesure, car celle-ci empêche premièrement les candidats de faire campagne le jour de l’élection et deuxièmement les électeurs de tenir compte des renseignements diffusés en fin de campagne.

Dispositions de la Charte

[47]  Dans l’avis de requête modifié, les demandeurs déclarent que les droits que la Charte leur garantit sont en jeu. Ces droits sont précisés aux articles suivants :

2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes

2. Everyone has the following fundamental freedoms:

a) liberté de conscience et de religion;

(a) freedom of conscience and religion;

[…]

[…]

3. Tout citoyen canadien a le droit de vote et est éligible aux élections législatives fédérales ou provinciales.

 

3. Every citizen of Canada has the right to vote in an election of members of the House of Commons or of a legislative assembly and to be qualified for membership therein.

[…]

[…]

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

15. (1) Every individual is equal before and under the law and has the right to the equal protection and equal benefit of the law without discrimination and, in particular, without discrimination based on race, national or ethnic origin, colour, religion, sex, age or mental or physical disability.

[48]  Lors des plaidoiries, les parties ont principalement porté leur attention sur l’article 3 de la Charte; C’est pourquoi je me concentrerai surtout sur les droits conférés par l’article 3 de la Charte dans les présents motifs.

[49]  Le droit de vote est un droit fondamental et un principe de base de notre démocratie qui est consacré par l’article 3 de la Charte. Tout récemment dans l’arrêt Frank c Canada (Procureur général), 2019 CSC 1, au paragraphe 26, la Cour suprême du Canada affirmait ce qui suit :

L’objectif principal de l’article 3 est d’accorder à tous les citoyens le droit de jouer un rôle significatif dans le processus électoral (Figueroa c Canada (Procureur général), 2003 CSC 37, [2003] 1 R.C.S. 912, aux paragraphes 25 et 26). La participation citoyenne revêt une importance capitale pour la santé d’une société libre et démocratique. La démocratie exige que tout citoyen ait la possibilité réelle de prendre part au gouvernement du pays au moyen du processus électoral. Si ce droit n’est pas protégé adéquatement, notre système n’est pas véritablement démocratique (Figueroa, au paragraphe 30).

[50]  Dans l’arrêt Figueroa c Canada (Procureur général), 2003 CSC 37 [arrêt Figueroa], la Cour suprême du Canada a affirmé que « l’art. 3 a pour objet de conférer à tout citoyen non seulement le droit d’être représenté par un député fédéral ou provincial et d’élire ce député, mais aussi celui de jouer un rôle significatif dans le processus électoral » (au paragraphe 25). Pour faire comprendre ce qu’elle entendait par « rôle significatif », la Cour a ensuite précisé qu’il s’agissait du droit de chaque citoyen à participer d’une certaine manière au processus électoral (au paragraphe 26).

Cadre d’analyse applicable à la Charte et mise en balance proportionnée

[51]  Il est clair en droit que les actions des décideurs administratifs doivent être conformes à la Charte lorsqu’ils exercent le pouvoir discrétionnaire que les textes législatifs leur confèrent. Les décideurs administratifs « prennent toujours en considération les valeurs fondamentales » quand ils exercent leur pouvoir discrétionnaire et « ont le pouvoir, et même le devoir, de tenir compte des valeurs consacrées par la Charte dans leur domaine d’expertise » (Doré, au paragraphe 35). Par conséquent, les décideurs doivent rendre des décisions conformément à la Charte en tenant compte des valeurs consacrées par la Charte.

[52]  Le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Doré a été récemment confirmé dans l’arrêt Law Society of British Columbia c Trinity Western University, 2018 CSC 32, au paragraphe 57 [arrêt TWU], où la Cour suprême du Canada affirme que « [...] les droits garantis par la Charte ne sont pas moins vigoureusement protégés dans un cadre d’analyse de droit administratif ». La Cour donne ensuite les explications suivantes aux paragraphes 58 et 59 :

[58]  Suivant le précédent établi par la Cour dans Doré et Loyola, la question préliminaire qui se pose est de savoir si la décision administrative fait intervenir la Charte en restreignant les protections que confère cette dernière — qu’il s’agisse de droits ou de valeurs (Loyola, par. 39). Dans l’affirmative, il faut se demander « si — en évaluant l’incidence de la protection pertinente offerte par la Charte et compte tenu de la nature de la décision et des contextes légal et factuel — la décision est le fruit d’une mise en balance proportionnée des droits en cause protégés par la Charte » (Doré, par. 57; Loyola, par. 39). L’incidence sur la protection conférée par la Charte doit être proportionnée eu égard aux objectifs visés par la loi.

[59]  Les arrêts Doré et Loyola sont des précédents de la Cour qui nous lient. Dans ces motifs, nous expliquons pourquoi et comment le cadre d’analyse établi dans les arrêts Doré et Loyola s’applique en l’espèce. Étant donné que les protections conférées par la Charte sont mises en cause, la cour de révision doit être convaincue que la décision est le fruit d’une mise en balance proportionnée des protections en cause conférées par la Charte et du mandat pertinent prévu par la loi. C’est l’analyse que nous adoptons.

[53]  Ces considérations s’appliquent au directeur général des élections dans l’exercice de ses fonctions dont il doit s’acquitter par application du paragraphe 56.2(1) de la Loi. Lorsqu’il envisage d’exercer son pouvoir discrétionnaire, le directeur général des élections doit entreprendre une mise en balance proportionnée qui « donne effet autant que possible aux protections en cause conférées par la Charte compte tenu du mandat législatif particulier en cause » (TWU, au paragraphe 35 citant Loyola, au paragraphe 40). Pour cette mise en balance, le directeur général des élections doit prendre pleinement en considération les contextes législatif et factuel.

[54]  Plus précisément, le directeur général des élections doit se demander si le respect de la liberté religieuse des demandeurs interfère avec les droits à une « participation significative » à la prochaine élection générale en tenant compte du fait que les croyances religieuses empêchent ceux-ci de participer pleinement aux activités qui précèdent la journée de l’élection et qui les empêchent de voter le jour du scrutin.

[55]  Cependant, d’après sa correspondance et celle d’Élections Canada, la thèse du directeur général des élections est fondée sur l’hypothèse que la date de l’élection, fixée au 21 octobre 2019, est inaltérable. Dans ses réponses, le directeur général des élections souligne que la Loi électorale du Canada « prescrit la tenue des élections générales à date fixe » et que ce n’est pas Élections Canada qui choisit le jour du scrutin. Il fournit aussi diverses raisons et justifications quant aux raisons pour lesquelles la date de l’élection ne peut être modifiée maintenant, notamment les coûts, les accords relatifs aux lieux de vote, les questions d’accessibilité, les défis logistiques, et tout récemment, les élections municipales au Nunavut.

[56]  Il ne fait aucun doute que la planification et l’organisation nécessaires à la tenue d’une élection générale fédérale soient longues et complexes et que les raisons fournies pour ne pas modifier la date de l’élection puissent être valables. Malgré tout, il demeure que le directeur général des élections a l’obligation d’évaluer les conséquences du fait que le jour du scrutin coïncide avec un jour revêtant une « importance religieuse » et celle d’envisager d’exercer le pouvoir que le législateur lui a conféré au paragraphe 56.2(1) de la Loi.

[57]  Le dossier ne révèle pas si le directeur général des élections a véritablement envisagé d’exercer ce pouvoir discrétionnaire. Ce même dossier n’indique pas de quelle manière le directeur général des élections a mis en balance ces considérations avec les valeurs consacrées par la Charte des électeurs et des candidats juifs orthodoxes pour garantir le respect de leurs droits à une « participation significative » ou s’il l’a fait. Le travail du directeur général des élections ciblait les possibilités de vote par anticipation et de vote par bulletin spécial. Rien ne semble indiquer qu’il ait envisagé de recommander une autre date pour la tenue du scrutin.

[58]  L’arrêt TWU enseigne que, lors du contrôle du caractère raisonnable de la décision du directeur général des élections, une décision raisonnable n’est pas nécessairement une décision qui protège pleinement les droits garantis par la Charte, comme le montre le paragraphe 81 :

[81]   La cour de révision doit se demander s’il existait d’autres possibilités raisonnables qui donneraient davantage effet aux protections conférées par la Charte eu égard aux objectifs applicables. Cela ne veut pas dire que le décideur administratif doit choisir la possibilité qui restreint le moins la protection conférée par la Charte. La question que doit se poser la cour de révision est toujours de savoir si la décision se situe à l’intérieur d’une gamme d’issues raisonnables (Doré, au paragraphe 57; Loyola, au paragraphe 41, citant RJR‑MacDonald Inc. c Canada (Procureur général), 1995 CanLII 64 (CSC), [1995] 3 R.C.S. 199, au paragraphe 160). Toutefois, si le décideur disposait raisonnablement d’une possibilité ou d’une solution susceptible de réduire l’incidence sur le droit protégé tout en lui permettant de favoriser suffisamment la réalisation des objectifs pertinents en vertu de la loi, la décision ne se situerait pas à l’intérieur d’une gamme d’issues raisonnables. Il s’agit d’une analyse hautement contextuelle.

[59]  Cette conclusion suit l’enseignement des arrêts Opitz c Wrzesnewskyj, 2012 CSC 55 (au paragraphe 38) et Figueroa (aux paragraphes 25 et 36), puisque la Cour suprême y déclare que la participation au scrutin n’est pas un droit isolé, même si elle constitue une des pierres angulaires de la Loi (Opitz), et que ni la Loi électorale du Canada ni la Charte ne garantissent une participation sans restriction aucune aux élections.

[60]  Par conséquent, le directeur général des élections n’est pas parvenu à une décision qui met parfaitement en balance les droits garantis par la Charte et le mandat que la Loi lui confère. Ce que le directeur général des élections devait faire, c’était de voir son pouvoir discrétionnaire comme une possibilité ou une solution qui à envisager de façon raisonnable dans le but de réduire l’incidence sur les droits des demandeurs conférés par la Charte et de permettre en même temps au directeur général des élections de faire avancer les objectifs pertinents de son mandat. C’est là l’évaluation contextuelle et la mise en balance que le directeur général des élections devaient entreprendre et que la Cour recherche au moment d’évaluer le caractère raisonnable de la décision qui a été rendue. Comme je l’ai mentionné, le dossier ne contient aucun élément qui démontrerait que le directeur général des élections a entrepris de faire une mise en balance des violations de la Charte et des objectifs imposés par la Loi électorale.

[61]  Lors d’un contrôle judiciaire, notre Cour ne procède pas à un examen de novo de l’exercice de mise en balance, mais se penche plutôt sur la question de savoir si cette mise en balance était raisonnable (Doré, aux paragraphes 45 et 51). Toutefois, la Cour ne peut le faire correctement en l’absence de tout élément de preuve montrant que les valeurs consacrées par la Charte dont il est question ont été prises en considération. En l’espèce, les motifs et les explications du directeur général des élections soutenant l’immobilité de la date de l’élection ont surtout trait aux questions fonctionnelles ou logistiques qu’impliquerait un changement de date, mais la possibilité d’un autre jour de scrutin n’est pas vraiment envisagée, alors que le directeur général des élections possède un pouvoir en ce sens en vertu de son mandat.

[62]  Je reconnais qu’il est possible pour un décideur de tenir implicitement compte des valeurs consacrées par la Charte. Dans l’affaire connexe à l’arrêt TWU, Trinity Western University c Barreau du Haut‑Canada, 2018 CSC 33, la Cour a conclu au paragraphe 29 que même si le décideur n’a pas donné ses motifs, la Cour pouvait effectuer un contrôle judiciaire en se fondant sur les motifs qui « pourraient être donnés » et sur le dossier. Cette conclusion est conforme aux conclusions précédentes de la Cour suprême dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 14 [Newfoundland Nurses], selon lesquelles les tribunaux devraient effectuer un examen global des décisions administratives en fonction du dossier.

[63]  La Cour suprême a exprimé clairement que les cours de révision doivent faire preuve de respect envers les décideurs administratifs, notamment le directeur général des élections. Cependant, notre Cour ne peut pas s’en remettre à une décision qui ne fournit aucun élément de preuve explicite ou implicite d’une mise en balance proportionnée des droits garantis par la Charte. C’est au directeur général des élections qu’il incombe de tenir compte des droits et valeurs inscrits dans la Charte et de fournir des éléments de preuve d’en avoir tenu compte.

[64]  Dans le présent contrôle judiciaire, il n’appartient pas à notre Cour de fixer une date qui convienne aux élections fédérales. Notre Cour s’intéresse plutôt à savoir si le directeur général des élections a bien soupesé d’un côté les objectifs fixés par la loi et de l’autre les droits et valeurs garantis par la Charte. Lorsque le dossier n’indique en aucun cas si le directeur général des élections a tenu compte et soupesé les questions relatives à la Charte, notre Cour est dans l’impossibilité de déterminer si la mise en balance a été proportionnée (arrêt Loyola, au paragraphe 68). En clair, le dossier ne mentionne pas la mise en balance nécessaire des droits et libertés en relation avec les objectifs définis par la loi. L’issue qui en résulte est disproportionnée, car elle ne protège pas les valeurs consacrées par la Charte autant qu’il est possible de le faire à la lumière de ces objectifs. Cet état de fait s’oppose au cadre d’analyse énoncé dans les arrêts Doré et Loyola et peaufiné par l’arrêt TWU.

[65]  Par conséquent, comme elle n’aborde pas les questions relatives à la Charte soulevées par les demandeurs et ne les met pas en balance, la décision du directeur général des élections n’est pas justifiée, transparente ou intelligible au sens de l’arrêt Dunsmuir (au paragraphe 47).

Mandamus

[66]  Les demandeurs sollicitent une ordonnance de mandamus par laquelle notre Cour ordonnerait au directeur général des élections de recommander au gouverneur en conseil de déplacer la date du scrutin au 28 octobre 2019, un lundi, pour la prochaine élection fédérale. Cependant, lorsqu’il a été conclu que la décision du directeur général des élections est déraisonnable, la mesure de réparation qui convient est, à mon avis, de renvoyer l’affaire au directeur général des élections pour une nouvelle détermination.

[67]  Il n’appartient pas à notre Cour de fixer la date de l’élection ni de remplacer la décision du directeur général des élections par celle de notre Cour. L’ordonnance de mandamus n’est donc pas la mesure qui convient. Une ordonnance de mandamus ne peut être rendue que de manière discrétionnaire pour des obligations définies par la loi, pourvu que certains critères soient satisfaits (arrêt Apotex Inc c Canada (Procureur général), [1994] 1 CF 742 (CAF), conf. par [1994] 3 RCS 1100). Je ne suis pas d’avis que les circonstances en l’espèce justifient la promulgation d’une ordonnance de mandamus.

[68]  Je remarque que le législateur confère au directeur général des élections le pouvoir discrétionnaire de recommander un jour de rechange à la date de l’élection au plus tard le 1er août (Loi électorale du Canada, au paragraphe 56.2(5)). Même si l’échéance du 1er août approche rapidement, le conseiller juridique du directeur général des élections a fait savoir que le directeur général des élections est disposé à exécuter toute mesure nécessaire qui serait la conséquence de la décision de la Cour.

Conclusion

[69]  La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée au directeur général des élections pour une nouvelle détermination qui sera le fruit d’une mise en balance proportionnée entre les droits garantis par la Charte et le mandat défini par les textes de loi.

[70]  Les demandeurs ne demandent pas les dépens sous la forme d’honoraires d’avocat, mais demandent le remboursement des débours. Par conséquent, les demandeurs ont droit à un remboursement raisonnable de leurs débours.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-948-19

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire renvoyée au directeur général des élections pour une nouvelle détermination qui sera le fruit d’une mise en balance proportionnée entre les droits garantis par la Charte et le mandat confié par la loi;

  2. Le directeur général des élections devra rendre sa nouvelle détermination au plus tard le 1er août 2019;

  3. Les demandeurs auront droit à des débours raisonnables.

« Ann Marie McDonald »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-948-19

 

INTITULÉ :

CHANI ARYEH-BAIN et al. c LE DIRECTEUR GÉNÉRAL DES ÉLECTIONS DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 JUILLET 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS MODIFIÉS :

La juge McDonald

 

DATE DES MOTIFS :

Le 26 juillet 2019

 

COMPARUTIONS :

Yael Bienenstock

Jeremy Opolsky

Stacey Reisman

POUR LES DEMANDEURS

Ewa Krajewska

Christine Muir

Pour le défendeur

Colin Feasby

Thomas Gelbman

Carly Fidler

POUR L’INTERVENANTE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Torys LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

Borden Ladner Gervais S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

Osler, Hoskin & Harcourt S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Calgary (Alberta)

POUR L’INTERVENANTE

 

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